Licenciement contesté : absence de cause réelle et sérieuse reconnue.

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Licenciement contesté : absence de cause réelle et sérieuse reconnue.

Justification du licenciement

Le licenciement d’un salarié doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, conformément à l’article L. 1232-1 du Code du travail. Cet article stipule que l’employeur doit prouver la réalité et le sérieux du motif invoqué pour justifier le licenciement. La charge de la preuve incombe à l’employeur, qui doit fournir des éléments concrets permettant au juge d’apprécier la légitimité de la décision de licenciement.

Définition de la faute grave

La faute grave est définie comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail, rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Cette définition est précisée par la jurisprudence, qui exige que l’employeur démontre la gravité des faits reprochés pour justifier un licenciement pour faute grave.

Procédure de licenciement

La procédure de licenciement doit respecter les droits du salarié, notamment le droit à un entretien préalable, comme le prévoit l’article L. 1232-2 du Code du travail. Cet article impose à l’employeur de convoquer le salarié à un entretien préalable avant de prendre une décision de licenciement, afin de lui permettre de s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés.

Conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse

En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit à une indemnité pour licenciement abusif, conformément à l’article L. 1235-5 du Code du travail. Cet article précise que l’indemnité doit correspondre au préjudice subi par le salarié, tenant compte de son ancienneté et des circonstances de la rupture.

Irrecevabilité des conclusions

L’article 631 du Code de procédure civile stipule que, devant la juridiction de renvoi, l’instruction est reprise en l’état de la procédure non atteinte par la cassation. Cela signifie que les conclusions présentées par une partie après un renvoi doivent respecter l’état de la procédure tel qu’il était avant la cassation, ce qui peut entraîner leur irrecevabilité si elles ne respectent pas cette condition.

Portée de la cassation

La portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce, selon l’article 624 du Code de procédure civile. Cela implique que la cour d’appel de renvoi ne peut examiner que les chefs de l’arrêt ayant été cassés, conformément à l’article 638 du même code, qui précise que l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi.

L’Essentiel : Le licenciement d’un salarié doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, l’employeur devant prouver la réalité et le sérieux du motif. La faute grave constitue une violation des obligations contractuelles, rendant impossible le maintien du salarié. La procédure de licenciement doit respecter les droits du salarié, incluant un entretien préalable. En cas de licenciement abusif, le salarié a droit à une indemnité correspondant au préjudice subi. Les conclusions après renvoi doivent respecter l’état de la procédure antérieure à la cassation.
Résumé de l’affaire : Une salariée, engagée par la société Financière Saint-Louis en tant que responsable financier, a été licenciée pour faute grave en décembre 2016. L’employeur a justifié cette décision par des accusations de harcèlement moral à l’encontre d’une collègue, soutenant que la salariée avait dénigré la direction et perturbé l’environnement de travail. En janvier 2017, la salariée a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes, arguant qu’il était sans cause réelle et sérieuse et qu’elle avait été victime de harcèlement moral.

Le jugement du 5 juin 2018 a confirmé la légitimité du licenciement, mais a accordé à la salariée diverses indemnités, notamment pour préavis et congés payés. En appel, la cour d’appel de Paris a infirmé le jugement initial, déclarant le licenciement justifié, mais a maintenu certaines condamnations financières. La salariée a alors formé un pourvoi en cassation, qui a partiellement annulé l’arrêt de la cour d’appel en novembre 2022, renvoyant l’affaire devant une autre formation de la cour d’appel.

En avril 2023, la société a saisi la cour d’appel de Paris pour contester les décisions antérieures, tandis que la salariée a demandé l’infirmation du jugement sur la base de l’absence de cause réelle et sérieuse pour son licenciement. En novembre 2023, la cour a déclaré irrecevables les conclusions de la société, confirmant que l’affaire devait être jugée sur les points non atteints par la cassation.

Finalement, la cour a statué que le licenciement n’était pas fondé sur une cause réelle et sérieuse, condamnant la société à verser à la salariée une indemnité pour licenciement abusif, ainsi que d’autres sommes pour les indemnités dues. La société a également été condamnée aux dépens et à payer des frais irrépétibles.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique du licenciement pour faute grave ?

Le licenciement pour faute grave doit être justifié par des faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail. Selon l’article L. 1232-1 du code du travail, « tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ».

La charge de la preuve de la faute grave incombe à l’employeur qui l’invoque. Cela signifie que l’employeur doit fournir des éléments concrets permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.

En l’espèce, la lettre de licenciement notifiée à la salariée mentionne des comportements de harcèlement moral, mais ces accusations reposent principalement sur les dires d’une collègue, sans enquête contradictoire.

Ainsi, les éléments fournis par l’employeur ne permettent pas de considérer que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, ce qui remet en question la légitimité de la décision de licenciement.

Quel est le rôle de la cour d’appel dans le cadre d’un renvoi après cassation ?

La cour d’appel, dans le cadre d’un renvoi après cassation, doit examiner l’affaire en tenant compte des éléments qui n’ont pas été atteints par la cassation. Selon l’article 624 du code de procédure civile, « la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce ».

Cela signifie que la cour d’appel de renvoi ne peut statuer que sur les chefs de l’arrêt qui ont été cassés, comme le prévoit l’article 638 du même code.

Dans cette affaire, la cour d’appel de renvoi doit se concentrer sur le bien-fondé du licenciement et les demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, tout en respectant les éléments de fait et de droit établis par la décision de la Cour de cassation.

Quel est le droit à indemnité pour licenciement abusif ?

En vertu de l’article L. 1235-5 du code du travail, « la salariée a droit, au regard des effectifs de l’entreprise employant habituellement moins de onze salariés, à une indemnité correspondant au préjudice subi ».

Dans le cas présent, la salariée a été licenciée sans cause réelle et sérieuse, ce qui lui ouvre droit à une indemnité pour licenciement abusif.

La cour a pris en compte son ancienneté de six ans dans l’entreprise et son salaire de référence pour déterminer le montant de l’indemnité. Ainsi, il a été alloué à la salariée une indemnité de 28 000 euros, correspondant au préjudice subi en raison de ce licenciement abusif.

Quel est le principe de la remise de documents sociaux après un licenciement ?

La remise de documents sociaux, tels que l’attestation destinée à Pôle emploi et le bulletin de paie, est une obligation de l’employeur en cas de rupture du contrat de travail.

La cour a ordonné à l’employeur de remettre à la salariée ces documents rectifiés conformément aux dispositions de l’arrêt, sans qu’il soit nécessaire de prononcer une astreinte.

Cela signifie que l’employeur doit se conformer à cette obligation dans un délai raisonnable, afin de permettre à la salariée de faire valoir ses droits auprès des organismes compétents.

Le jugement a été infirmé sur ce point, confirmant ainsi le droit de la salariée à recevoir ces documents en bonne et due forme.

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 20 MARS 2025

(n° , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/02583 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHOHN

Décision déférée à la Cour : Jugement du 5 juin 2018 rendu par le conseil de prud’hommes – Formation paritaire de Créteil, infirmé partiellement par un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 11 mars 2021, cassé et annulé partiellement par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 23 novembre 2022.

DEMANDEUR À LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

Société FINANCIERE SAINT-LOUIS

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Benjamin MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

DÉFENDEUR À LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

Madame [Y] [F]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 devenu 906 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre, rédactrice

Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre

Madame Sandrine MOISAN, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Isabelle MONTAGNE, présidente et par Madame Eva DA SILVA GOMETZ, greffière placée, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme [Y] [F] a été engagée par la société Financière Saint-Louis, qui emploie habituellement moins de onze salariés, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 11 octobre 2010 en qualité de responsable financier, statut cadre.

Par lettre du 23 novembre 2016, l’employeur l’a convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 5 décembre suivant et l’a mise à pied à titre conservatoire, puis par lettre du 9 décembre 2016, lui a notifié son licenciement pour faute grave.

Le 23 janvier 2017, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Créteil d’une demande tendant à obtenir la condamnation de son ancien employeur à lui payer des indemnités et rappel de salaire au titre notamment du licenciement qu’elle estime dénué de cause réelle et sérieuse et d’un harcèlement moral.

Par jugement mis à disposition le 5 juin 2018, les premiers juges ont en particulier dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et ont condamné la société à verser à la salariée :

* 13 834 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

* 1 383,40 euros au titre des congés payés afférents,

* 6 917 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

* 2 397,90 euros à titre de rappel de salaire durant la mise à pied,

* 239,80 euros au titre des congés payés afférents,

ainsi que d’autres sommes au titre du rappel de maintien de salaire et des congés payés afférents, de la prime 2016 et des congés payés afférents, d’une indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, outre une condamnation à remise de documents sociaux rectifiés conformément au jugement, et ont débouté les parties des autres demandes.

Statuant sur l’appel interjeté à l’encontre de ce jugement par Mme [F], la cour d’appel de Paris (chambre 6-7) a rendu un arrêt le 11 mars 2021, au contradictoire de la société Financière Saint-Louis dont les conclusions d’intimée ont été déclarées irrecevables comme tardives par ordonnance du conseiller de la mise en état du 4 juin 2019, qui infirme le jugement en ce qu’il dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et condamne la société à verser à la salariée :

* 13 834 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

* 1 383,40 euros au titre des congés payés afférents,

* 6 917 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

* 2 397,90 euros à titre de rappel de salaire durant la mise à pied,

* 239,80 euros au titre des congés payés afférents,

et les sommes retenues au titre du maintien de salaire et des congés payés afférents, de la prime 2016 et des congés payés afférents et de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à remettre les documents visés et aux dépens, le confirme pour le surplus, statuant à nouveau, dit que le licenciement pour faute grave est justifié, déboute la salariée de toutes ses demandes, la condamne aux entiers dépens et dit que chaque partie conservera à sa charge les frais qu’elle a engagés en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Statuant sur le pourvoi formé par Mme [F] à l’encontre de cet arrêt, la Cour de cassation (chambre sociale) a, le 23 novembre 2022, rendu un arrêt qui casse et annule, sauf en ce qu’il rejette les demandes en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, pour exécution déloyale du contrat de travail, d’un chèque cadeau et d’un chèque CESU, l’arrêt rendu, entre les parties, le 11 mars 2021 par la cour d’appel de Paris, remet, sauf sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée.

Par déclaration du 6 avril 2023, la société Financière Saint-Louis a saisi la cour d’appel de Paris, cour d’appel de renvoi.

Celle-ci a remis des conclusions au greffe, notifiées par la voie électronique les 6 juin et 2 novembre 2023, aux termes desquelles elle demande à la cour :

– de la déclarer recevable en sa saisine de renvoi sur cassation,

– d’infirmer le jugement en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et l’a condamnée au paiement des sommes pour les montants et les chefs retenus, statuant à nouveau, de débouter Mme [F] de toutes ses demandes et de la condamner à lui verser 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 28 juillet 2023, Mme [F] demande à la cour :

– à titre liminaire, de déclarer irrecevables les conclusions de la société Financière Saint-Louis et débouter en conséquence celle-ci de l’ensemble de ses demandes,

– à titre principal, d’infirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et l’a déboutée de ses autres demandes, de le confirmer pour le surplus, statuant à nouveau, de juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner ladite société à lui verser la somme de 56 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– en tout état de cause, de débouter la même société de l’ensemble de ses demandes, de la condamner à la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, et de prononcer la remise des documents de rupture rectifiés, sous astreinte de 100 euros par jour à compter du prononcé de la décision à intervenir.

Par ordonnance du 30 novembre 2023, le président de la chambre, statuant sur l’incident formé par Mme [F], a constaté l’irrecevabilité des conclusions de la société Financière Saint-Louis. Statuant sur le déféré de cette ordonnance, la présente cour (chambre 6-1 A) a, par arrêt du 22 mai 2024, annulé celle-ci et renvoyé l’affaire à la chambre 6-8 pour y être jugée, considérant que seule la cour d’appel de renvoi a le pouvoir de statuer sur l’irrecevabilité des conclusions de l’auteur de la déclaration de saisine de la cour d’appel de renvoi.

L’ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 14 janvier 2025.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure et aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIVATION

Sur la recevabilité des conclusions de la société Financière Saint-Louis

Aux termes de l’article 631 du code de procédure civile :

‘Devant la juridiction de renvoi, l’instruction est reprise en l’état de la procédure non atteinte par la cassation’.

Il résulte des articles 631 et 1032 du code de procédure civile qu’en cas de renvoi après cassation, l’instance se poursuit devant la juridiction de renvoi, qui est saisie par une déclaration au greffe.

A la suite de l’appel interjeté par la salariée à l’encontre du jugement du 5 juin 2018, les premières conclusions de la société intimée devant la cour d’appel ont été déclarées irrecevables par ordonnance du conseiller de la mise en état du 4 juin 2019.

Par arrêt du 23 novembre 2022, la Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris (chambre 6-7) le 11 mars 2021 et a renvoyé l’affaire et les parties ‘dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt’, devant la cour d’appel de Paris autrement composée, l’instance initiale se poursuivant ainsi devant la juridiction de renvoi.

Dès lors, même si la cour d’appel de Paris, cour d’appel de renvoi, a été saisie par déclaration de la société Financière Saint-Louis, l’instruction est reprise en l’état de la procédure non atteinte par la cassation, c’est-à-dire en l’état de l’irrecevabilité des premières conclusions de la société.

Il s’ensuit que les conclusions de la société remises les 6 juin et 2 novembre 2023 devant la cour d’appel de renvoi sont irrecevables.

Sur la portée de la cassation

Aux termes de l’article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce. Ainsi, devant la cour d’appel de renvoi, l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation comme prévu par l’article 638 du code de procédure civile.

Au regard de l’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2022, la présente cour statuera uniquement sur les chefs de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 11 mars 2021 ayant été cassés.

Seront donc examinées devant la présente cour les prétentions de Mme [F] portant sur le bien-fondé du licenciement, les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la remise de documents rectifiés sous astreinte.

Sur le bien-fondé du licenciement

Aux termes de quatre pages, la lettre de licenciement pour faute grave notifié le 9 décembre 2016 à Mme [F] et signée par M. [I] [P], président de la société, lui reproche en substance d’avoir exercé un harcèlement moral à l’encontre de sa collègue, Mme [M], responsable des ressources humaines, arrivée en février 2016, en ayant notamment adopté un comportement de dénigrement systématique de la direction de la société, en la personne de M. [G] [U], directeur général, en cherchant à la mettre à l’écart en s’appropriant sans autorisation une partie de ses fonctions, en tentant de la déstabiliser en lui faisant croire être chargée par la direction de la superviser, en ayant exercé des pressions sur elle, rendant les conditions de travail de Mme [M] ‘totalement insupportables’ et la perturbant au point d’entraîner des problèmes de santé, puis d’avoir adressé le lendemain d’une réunion tenue le 6 octobre 2016 par M. [P] avec les deux intéressées afin de désamorcer cette situation, un message électronique critiquant la teneur de cette réunion et le comportement de la direction et affirmant que les difficultés relationnelles venaient de Mme [M].

La salariée soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que les faits qui sont visés, qu’elle conteste vivement, ne sont pas établis par la société qui a fondé sa décision sur la seule dénonciation écrite de Mme [M], sans procéder à une enquête contradictoire, estimant, en tout état de cause, que les griefs, basés sur les affirmations péremptoires de Mme [M], sont subjectifs et non précisément datés et qu’en six années d’ancienneté dans l’entreprise, elle a fait la preuve de l’absence de toute difficulté relationnelle avec ses collègues, ce qui n’est pas le cas de Mme [M].

En application de l’article L. 1232-1 du code du travail, un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d’instruction qu’il juge utile, il appartient néanmoins à l’employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

La charge de la preuve de la faute grave incombe à l’employeur qui l’invoque.

Tant les motifs non critiqués du jugement que les conclusions de la salariée renvoient à la lettre du 26 septembre 2016 de Mme [M] portant à la connaissance de M. [U], directeur général, les difficultés relationnelles imputées à Mme [F].

Cette lettre dactylographiée, d’une longueur de trois pages, est produite devant la cour par cette dernière.

Mme [M] y rappelle tout d’abord qu’elle travaille depuis le 1er février 2016 au sein d’une équipe très réduite puisque composée, outre d’elle-même, de M. [P], président du groupe, souvent en déplacements professionnels, de Mme [F] et de Mme [A] [J], adjointe administrative et comptable, qui travaille pour Mme [F] pour 90 % de son temps, puis elle indique que dès son arrivée, Mme [F] n’a cessé de dénigrer M. [U], lui répétant deux à trois fois par semaine en février et mars 2016 qu’il était un manipulateur, qu’elle ne devait pas lui faire confiance, qu’il faisait pleurer chaque jour la personne en charge des ressources humaines avant son arrivée, qu’il ne lui avait pas montré son vrai visage, mais qu’elle avait fini par comprendre, au vu de ses propres observations, que celle-ci lui mentait ; elle ajoute que Mme [F], voyant qu’elle n’était plus sensible à ses propos diffamatoires, a tenté de contrôler son service à partir de courant avril 2016 en lui enjoignant de ne pas poser de questions à d’autres personnes qu’elle-même ou Mme [J], que quatre ou cinq fois en avril et mai 2016, Mme [F] lui avait expliqué en avoir assez de se faire ‘engueuler’ car ‘on’ lui disait qu’elle ne s’occupait pas assez d’elle, sans plus de précision, que courant mai, celle-ci avait organisé une première réunion dans le bureau de Mme [M] afin de permettre plus de communication entre leurs services, que celle-ci lui avait reproché de ne pas s’adresser à elle et Mme [J] pour préparer les entretiens individuels, que voyant qu’elle n’arrivait toujours à obtenir d’elle ce qu’elle souhaitait, Mme [F] avait alors tenté de bloquer l’avancée de certains de ses dossiers, lui tenant en mai et juin 2016 trois à quatre fois par semaine des propos dénigrant la direction, que Mme [F] ne parvenant pas à ses fins, celle-ci avait alors critiqué son travail de façon systématique chaque jour et plusieurs fois par jour, indiquant devoir supporter ses critiques et ses ‘petites piques’, que celle-ci avait exigé que le cabinet comptable modifie son propre bulletin de paie et s’était entretenue avec son interlocutrice de l’OPCA pour changer la version du logiciel permettant

le traitement des demandes de financement des formations, sans lui en demander l’autorisation, ni l’en informer. Elle écrit : ‘j’ai le sentiment d’être sans cesse épiée, surveillée’, ‘la situation est devenue extrêmement difficile à vivre pour moi’, ‘je ne supporte plus ses multiples critiques quotidiennes’, ‘chaque jour, j’arrive le matin avec un noeud dans le ventre’, ‘je dors peu et je suis extrêmement stressée’, ‘n’en pouvant plus de cette situation, je tente de me préserver depuis cet été en coupant au maximum la communication avec Mme [F]’, ‘globalement je dis bonjour et au revoir aux personnes présentes et je m’enferme toute la journée dans mon bureau en tentant d’éviter de croiser cette dernière lorsque je dois me rendre à la photocopieuse par exemple’. Elle conclut en faisant part de son souhait de bénéficier d’une rupture conventionnelle.

Mme [F] expose avoir été convoquée de façon informelle le 6 octobre 2016 par M. [U] et avoir subi un ‘entretien musclé’ pendant plus d’une heure, seule contre M. [U], M. [P] et Mme [M], au cours duquel de nombreux griefs lui ont été assenés principalement par Mme [M], sans qu’elle ne sache se défendre, raison pour laquelle elle avait adressé le lendemain un courriel à M. [P] et M. [U], Mme [M] étant en copie, afin de rétablir la vérité sur les accusations de celle-ci.

Dans ce courriel, la salariée estime que l’entretien du 6 octobre a ‘pris une tournure vindicative’ à son encontre ce qui l’a beaucoup perturbée, rappelle travailler depuis plus de six ans dans la société et n’avoir jamais subi aucun reproche jusqu’alors, qu’elle a assuré pendant cinq mois le service RH resté vacant, que depuis l’arrivée de Mme [M] en février 2016, s’est peu à peu installée une ambiance délétère dans les bureaux, qu’elle ‘rencontre personnellement des difficultés relationnelles avec elle. Non de mon fait mais du sien (défaut de communication)’, et exprime sa surprise ‘lorsque dans la salle de réunion m’ont été ‘déversés’ à travers des notes prises par Mme [M] qui avait visiblement préparé un dossier contre moi’, des accusations graves qu’elle conteste, regrettant qu’il avait ‘été fait table rase du passé’ et de s’être mal défendue durant cet entretien tant il l’avait surprise au regard de son caractère accusatoire.

La salariée produit par ailleurs deux attestations rédigées par ses anciennes collègues, Mme [A] [J] et Mme [H] [N], portant des appréciations élogieuses sur la qualité de leur travail et de leurs relations professionnelles avec Mme [F], Mme [J] estimant que depuis l’arrivée de Mme [M], ‘la communication tant au niveau du travail que sur le plan relationnel entre collègues est réduite à son strict minimum, ce qui rend la collaboration difficile et nuit à une ambiance harmonieuse au sein de l’équipe’.

Elle verse encore aux débats le compte-rendu de l’entretien préalable rédigé par Mme [K] [L] en sa qualité de conseiller du salarié le 5 décembre 2016 dont il ressort en particulier que sont prêtés à M. [U] les propos suivants : ‘Vous auriez pu nous remontrer les problèmes rencontrés avec Mme [M], d’autant plus qu’on l’a choisie ensemble’, ainsi que de nombreuses pièces d’origine médicale se rapportant à une période comprise entre juin et novembre 2016 (dont un certificat médical du 28 novembre 2016 du docteur [X] [V] indiquant suivre celle-ci depuis juin 2016, qu’elle présente depuis cette date des troubles anxio-dépressifs nécessitant un soutien psychologique et la prise de médicaments psychotropes, ainsi que des ordonnances prescrivant des médicaments antidépresseurs et un arrêt de travail pour maladie pour la période du 31 octobre au 30 novembre 2016), ainsi que la copie de son dossier médical à la médecine du travail, dont il ressort que le 31 octobre 2016, celle-ci s’est confiée au médecin du travail sur les difficultés rencontrées avec sa collègue, indiquant ‘pas de communication possible’, ‘pleure’, ‘cet été j’ai fait un malaise. C’était une crise de spasmophilie. Arrêt de qq jours. Mise sous Atarax et Xanax. Nouveau malaise. Arrêt de 3 j puis vacances. Puis à la reprise ma collègue a été arrêtée. Et le directeur m’a dit que je n’avais qu’à rester plus tard pour faire son travail. On m’a convoquée et c’était un tribunal’.

L’examen attentif de l’ensemble des éléments et pièces soumises à l’appréciation de la cour amène à considérer que si des difficultés relationnelles ont existé entre la salariée et Mme [M] et se sont progressivement amplifiées jusqu’à ce que cette dernière porte à la connaissance de l’employeur en septembre 2016 la souffrance au travail qu’elle ressentait du fait du comportement jugé néfaste de Mme [F] à son égard, jusqu’à solliciter de sa part une rupture conventionnelle, force est de constater que la réunion organisée de manière impromptue par le directeur général le 6 octobre 2016 avec les deux salariées afin de, selon les termes de la lettre de licenciement, ‘désamorcer la situation’ jugée ‘délicate’, ne peut être considérée comme une mesure suffisante à l’éclairer complètement sur la réalité de la situation relationnelle existant entre les deux salariées, Mme [F], qui ne connaissait pas l’objet de cet entretien, n’ayant pu présenter de manière sereine sa défense face aux accusations portées à son encontre par sa collègue et ne pouvait en aucune manière conduire l’employeur à fonder un licenciement pour faute grave à l’encontre de Mme [F].

Dans ces conditions, les faits énoncés dans la lettre de licenciement fondée sur les seuls dires de Mme [M], en des termes subjectifs et peu précis, ne permettent pas de considérer l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, et encore moins celle d’une faute grave.

Le licenciement n’étant pas fondé sur une cause réelle et sérieuse, la salariée a droit, outre aux indemnités de rupture et rappel de salaire et congés payés au titre de la mise à pied à titre conservatoire injustifiée exactement fixés dans leurs montants par le jugement qui sera confirmé sur ces points, à une indemnité pour licenciement abusif.

En application des dispositions de l’article L. 1235-5 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, la salariée a droit, au regard des effectifs de l’entreprise employant habituellement moins de onze salariés, à une indemnité correspondant au préjudice subi.

Au regard de son ancienneté de six années dans l’entreprise, du salaire de référence de 4 611,33 euros, du fait qu’elle a retrouvé un emploi en juin 2018, il sera alloué à la salariée à la charge de la société une indemnité pour licenciement abusif d’un montant de 28 000 euros.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur la remise de documents

Eu égard à la solution du litige, il sera ordonné à la société la remise à la salariée d’une attestation destinée à France Travail et d’un bulletin de paie, rectifiés conformément aux dispositions du présent arrêt sans qu’il y ait lieu à prononcer une astreinte qui n’est pas nécessaire. Le jugement sera infirmé en ce qu’il statue sur la remise de documents et confirmé en son débouté de l’astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société sera condamnée aux dépens de la présente instance ainsi qu’à payer à la salariée la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour d’appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS

La cour,

statuant dans les limites de la cassation partielle de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 11 mars 2021,

DECLARE irrecevables les conclusions de la société Financière Saint-Louis remises au greffe et notifiées par la voie électronique les 6 juin et 2 novembre 2023,

INFIRME le jugement en ce qu’il dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, déboute Mme [Y] [F] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et statue sur la remise de documents,

CONFIRME le jugement en ses condamnations de la société Financière Saint-Louis à paiement des sommes retenues au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de l’indemnité conventionnelle de licenciement, du rappel de salaire durant la mise à pied et des congés payés afférents,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,

DIT que le licenciement n’est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Financière Saint-Louis à payer à Mme [Y] [F] la somme de 28 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement abusif,

ORDONNE à la société Financière Saint-Louis de remettre à Mme [Y] [F] une attestation destinée à France Travail et un bulletin de paie récapitulatif conformes aux dispositions du présent arrêt,

CONDAMNE la société Financière Saint-Louis aux dépens de la présente instance,

CONDAMNE la société Financière Saint-Louis à payer à Mme [Y] [F] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE Mme [Y] [F] de ses autres demandes.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


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