Indemnisation du préjudice moral lié à la détention provisoire : enjeux et critères d’évaluation.

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Indemnisation du préjudice moral lié à la détention provisoire : enjeux et critères d’évaluation.

L’Essentiel : M. [G] [X], né en 1995, a déposé une requête le 18 août 2023, demandant une indemnisation de 70 000 euros pour préjudice moral suite à sa détention provisoire. Bien qu’il ait été relaxé des charges le 5 juin 2023, l’Agent Judiciaire de l’État a proposé 14 600 euros, tandis que le Ministère Public a reconnu le préjudice mais a conclu à l’irrecevabilité. La cour a jugé la requête recevable pour 255 jours de détention et a finalement alloué 17 500 euros à M. [X], rejetant le surplus de ses demandes, avec notification des parties le 6 janvier 2025.

Contexte de la requête

M. [G] [X], né en 1995, a déposé une requête le 18 août 2023, par l’intermédiaire de son avocat, Maître Anabelle VALVERDE. Il a été mis en examen pour vol aggravé en état de récidive légale et a été placé en détention provisoire du 11 février 2022 au 24 octobre 2022. Après sa remise en liberté, il a été relaxé des charges retenues contre lui par un jugement du 5 juin 2023, décision devenue définitive.

Demande d’indemnisation

Dans sa requête, M. [X] sollicite la réparation de sa détention provisoire, demandant une indemnisation de 70 000 euros pour préjudice moral. L’Agent Judiciaire de l’État a proposé une indemnisation de 14 600 euros, tandis que le Ministère Public a conclu à l’irrecevabilité de la requête, mais a également reconnu le préjudice moral causé par la détention.

Recevabilité de la requête

La cour a examiné la recevabilité de la requête en vertu des articles du Code de Procédure Pénale. M. [X] a présenté sa demande dans le délai de six mois suivant la décision de relaxe, et la cour a jugé que sa requête était recevable pour une détention de 255 jours.

Évaluation du préjudice moral

M. [X] a fait valoir que sa détention avait causé un choc carcéral important, aggravé par la durée de son incarcération et l’angoisse liée à la peine encourue. Cependant, l’Agent Judiciaire a noté que la durée de la détention ne constituait pas un facteur d’aggravation, et a souligné le casier judiciaire de M. [X] comme un élément à prendre en compte pour minorer le préjudice.

Décision de la cour

La cour a finalement décidé d’allouer à M. [X] la somme de 17 500 euros en réparation de son préjudice moral, tout en rejetant le surplus de ses demandes. Les dépens ont été laissés à la charge de l’État. La décision a été rendue le 6 janvier 2025, avec notification aux parties concernées.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la recevabilité de la requête de M. [G] [X] ?

La recevabilité de la requête de M. [G] [X] est régie par les articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du Code de Procédure Pénale.

Selon l’article 149, « la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. »

Il est précisé que « le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3. »

Dans le cas présent, M. [G] [X] a présenté sa requête le 18 août 2023, soit dans le délai de six mois suivant la décision de relaxe du 5 juin 2023, qui est devenue définitive.

Ainsi, la requête est jugée recevable, car elle a été déposée dans les délais impartis et respecte les conditions énoncées par le Code de Procédure Pénale.

Quel est le montant de l’indemnisation pour préjudice moral demandé par M. [G] [X] ?

M. [G] [X] a sollicité une indemnisation de 70 000 euros pour son préjudice moral, en raison de la détention provisoire qu’il a subie.

Il a fait valoir que cette détention, qui a duré 254 jours, a eu un impact psychologique significatif sur lui, notamment en raison de l’angoisse liée à la peine encourue pour des faits graves.

L’article 149 du Code de Procédure Pénale stipule que « la réparation intégrale du préjudice moral et matériel » est due à la personne ayant subi une détention provisoire.

Cependant, l’Agent Judiciaire de l’État a proposé une indemnisation de 14 600 euros, arguant que la durée de la détention ne constitue pas un facteur d’aggravation du préjudice, et que le casier judiciaire de M. [G] [X] doit être pris en compte pour minorer le montant de l’indemnisation.

Le Ministère Public a également souligné que, bien que la détention ait causé un préjudice moral, M. [G] [X] n’a pas fourni de preuves suffisantes pour justifier une indemnisation plus élevée.

Finalement, la cour a décidé d’allouer 17 500 euros en réparation de son préjudice moral, prenant en compte les éléments présentés par les parties.

Quels éléments ont été pris en compte pour déterminer le montant de l’indemnisation ?

Pour déterminer le montant de l’indemnisation, plusieurs éléments ont été pris en compte, notamment la durée de la détention, l’état de santé de M. [G] [X], et son casier judiciaire.

La durée de la détention provisoire, qui a duré 254 jours, a été considérée comme un facteur de préjudice.

Cependant, l’Agent Judiciaire de l’État a fait valoir que cette durée ne devait pas être considérée comme un facteur aggravant, mais plutôt comme un élément de base pour évaluer le préjudice moral.

L’angoisse liée à la peine encourue, qui pouvait aller jusqu’à 30 ans de réclusion criminelle, a été retenue comme un facteur d’aggravation du préjudice moral.

Concernant l’état de santé de M. [G] [X], bien qu’il ait présenté des documents médicaux attestant de son handicap, la cour a noté que ces documents ne prouvaient pas qu’il avait été privé de soins médicaux nécessaires durant sa détention.

Enfin, le casier judiciaire de M. [G] [X], qui comportait plusieurs condamnations, a également été pris en compte pour minorer le montant de l’indemnisation.

Ainsi, après avoir évalué tous ces éléments, la cour a décidé d’allouer 17 500 euros en réparation du préjudice moral.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 06 Janvier 2025

(n° , 4 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/17114 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIM2Y

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d’appel, agissant par délégation du premier président, assisté de [C] [N], Greffière Stagiaire, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 18 Août 2023 par Monsieur [G] [X]

né le [Date naissance 1] 1995 à [Localité 5], élisant domicile au cabinet de Me Albane SCIARAFFA – [Adresse 2] ;

Non comparant

Représenté par Maître Anabelle VALVERDE, avocate au barreau du Val-de-Marne, substituant Maître Albane SCIARAFFA, avocate au barreau du Val-de-Marne

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l’Agent Judiciaire de l’Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l’audience fixée au 21 Octobre 2024 ;

Entendue Maître Anabelle VALVERDE représentant M. [G] [X],

Entendue Maître Dalila BOUZAR, avocate au barreau de Paris, substituant Maître Ali SAIDJI, avocat au barreau de Paris, représentant l’Agent Judiciaire de l’Etat,

Entendue Madame Chantal BERGER, Magistrate Honoraire,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [G] [X], né le [Date naissance 1] 1995, de nationalité française, a été mis en examen le 11 février 2022 par le juge d’instruction du tribunal judiciaire de Créteil du chef de vol aggravé par trois circonstances en état de récidive légale. Par ordonnance du même jour, le juge des libertés et de la détention l’a placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de [Localité 4].

Par arrêt du 24 octobre 2022, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a remis en liberté le requérant et l’a placé sous contrôle judiciaire.

Par ordonnance du 25 avril 2023, le magistrat instructeur a requalifié les faits en faits de nature délictuelle et a prononcé le renvoi de M. [X] devant le tribunal correctionnel de Créteil.

Par jugement du 05 juin 2023, la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil a relaxé M. [X] des faits de la poursuite. Cette décision est définitive à son égard comme en atteste le certificat de non appel en date du 12 juillet 2023.

Par requête du 18 Août 2023, adressée au premier président de la cour d’appel de Paris, M. [X] sollicite par l’intermédiaire de son avocat la réparation de la détention provisoire effectuée du 11 février 2022 au 24 octobre 2022, en application de l’article 149 du code de procédure pénale.

Le requérant sollicite dans celle-ci :

Déclarer sa requête recevable

Lui allouer la somme de 70 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA, déposées le 05 août 2024 et développées oralement, l’agent judiciaire de l’Etat demande au premier président de la cour d’appel de Paris de :

Fixer la juste indemnisation du préjudice moral de M. [X] à la somme de 14 600 euros.

Le Ministère Public, dans ses dernières conclusions notifiées le 23 juillet 2024, reprises oralement à l’audience, conclut :

A titre principal,

A l’irrecevabilité de la requête,

A titre subsidiaire,

A la recevabilité de la requête pour une détention de 255 jours ;

A la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d’un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d’appel. Cette requête doit contenir l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l’article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité. En l’absence d’information du requérant potentiel sur son droit à recours, le délai de court pas et le recours reste donc recevable, au-delà du délai de 6 mois précité.

En l’espèce M. [X] a présenté sa requête en vue d’être indemnisé de sa détention provisoire le 07 septembre 2023. Cette requête contenant l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée, est signée par son avocat et la décision de non-lieu n’est pas fondée sur un des cas d’exclusions visé à l’article 149 du code de procédure pénale.

La décision de relaxe a été rendue le 05 juin 2023 par le tribunal correctionnel de Créteil. Cette décision est donc aujourd’hui définitive comme en atteste le certificat de non-appel du 12 juillet 2023. Cette requête a donc été présentée dans le délai de 6 mois suivant le jour ou la décision de relaxe est devenue définitive.

Par conséquent, la requête de M. [X] est recevable pour une détention de 255 jours.

Sur l’indemnisation

Sur le préjudice moral

Le requérant fait valoir que son choc carcéral a été important en raison tout d’abord de la durée particulièrement longue de son placement en détention provisoire, soit pendant 254 jours. De plus, il a vécu dans l’angoisse face à la peine criminelle encourue pour des faits de vol avec arme aggravé. N’étant âgé que de 26 ans, il a particulièrement mal vécu son placement en détention alors qu’il était dans une dynamique d’insertion, motivé à l’idée de trouver du travail et de fonder une famille. En outre, la maison d’arrêt de [Localité 4] a une surpopulation carcérale de plus de 129%. Par ailleurs, le requérant présentait des problèmes de santé particulièrement handicapant au quotidien, une paralysie des membres inférieurs qui nécessitent un suivi au centre hospitalier de [Localité 3] qui a dû être interrompu durant son incarcération. C’est pourquoi il sollicite l’allocation d’une somme de 70 000 euros en réparation de son préjudice moral.

L’agent judiciaire estime que la durée de la détention subie n’est pas un facteur d’aggravation de ce préjudice mais un élément de base de ce dernier. La crainte de subir une lourde peine criminelle pourra être retenu comme facteur d’aggravation du préjudice moral du requérant. Par contre, M. [X] a un casier judiciaire qui présente plusieurs condamnations dont l’une d’elle à 4 ans d’emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l’épreuve prononcée le 17 mars 2017. Il y a donc lieu de minorer le préjudice moral du requérant. Sur les conditions de détention, il y a lieu de noter que le requérant n’explique pas en quoi il aurait personnellement subi des conditions de détention difficiles et ne fait état d’aucun rapport. Les répercussions de la détention sur son état de santé ne sont pas démontrées ni l’impossibilité d’avoir pu poursuivre son traitement médical en détention. ; L’agent judiciaire de l’Eta se propose donc d’allouer à M. [X] une somme de 14 600 euros en réparation de son préjudice moral.

Le Ministère Public précise que la détention a incontestablement occasionné un préjudice moral au requérant alors que le bulletin numéro 1 du casier judiciaire du requérant porte trace de quatre condamnations dont une à une peine d’emprisonnement ferme. L’angoisse liée à l’importance de la peine criminelle encourue sera également retenue comme facteur d’aggravation du préjudice moral. Par contre, M. [X] ne produit aucun élément permettant d’apprécier les circonstances particulières de sa détention de nature à aggraver son préjudice moral. Il ne démontre pas en quoi il aurait personnellement souffert de ces conditions indignes de détention. Cet élément ne pourra donc pas être retenu comme un facteur d’aggravation de son préjudice moral. Il en est de même de l’aggravation de l’état de santé du requérant en détention qui n’est pas documenté.

En l’espèce, au moment de son incarcération, M. [X] était âgé de 26 ans, célibataire et sans enfant et demeurait chez sa mère. Le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire porte trace de 4 condamnations prononcée entre juillet 2013 et mars 2017 dont une à une peine d’emprisonnement ferme de 4 ans dont un an avec sursis et mise à l’épreuve qui a fini d’être exécutée le 13 juillet 2018.

C’est ainsi que le choc carcéral subi par le requérant du fait de précédentes incarcérations sera considéré comme atténué.

Concernant les conditions de la détention, il appartient au requérant de démontrer les circonstances particulières de sa détention, de nature à aggraver son préjudice et de justifier avoir personnellement souffert desdites conditions qu’il dénonce, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, puisque M. [X] n’évoque aucun rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ni des statistiques fiables du ministère de la justice. Les conditions de détention ne constituent donc pas un facteur d’aggravation de son préjudice moral.

Par contre, l’angoisse liée à l’importance de la peine criminelle encourue de 30 ans de réclusion criminelle pour vol aggravé par trois circonstances et en état de récidive légale sera retenue comme facteur d’aggravation du préjudice moral.

Il y a lieu de noter que concernant son état de santé, M. [X] produit un certain nombre de documents médicaux faisant état de son handicap, mais qui ne démontent pas que ce dernier devait suivre un traitement médical au long cours au centre hospitalier de [Localité 3] ni que ce dernier n’a pas suivre un éventuel traitement médical en détention durant son incarcération. C’est ainsi que cet élément ne sera pas retenu au titre de l’aggravation du préjudice moral.

Par conséquent, au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [X] la somme de 17 500 euros en réparation de son préjudice moral.

PAR CES MOTIFS :

Déclarons la requête de M. [G] [X] recevable ;

Allouons à M. [G] [X] la somme suivante :

17 500 euros en réparation de son préjudice moral ; 

Rejetons le surplus des demandes de M. [G] [X] ;

Laissons les dépens à la charge de l’Etat.

Décision rendue le 06 Janvier 2025 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI’RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


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