Indemnisation pour détention provisoire et préjudices subis

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Indemnisation pour détention provisoire et préjudices subis

Règle de droit applicable

Selon les articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du Code de Procédure Pénale, toute personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire dans le cadre d’une procédure ayant abouti à une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement définitif a droit à une réparation intégrale du préjudice moral et matériel causé par cette détention.

Conditions de recevabilité

La demande d’indemnisation doit être présentée dans un délai de six mois à compter de la décision définitive, et la requête doit contenir un exposé des faits, le montant de la réparation demandée, ainsi que toutes indications utiles conformément à l’article R.26. Le délai ne court qu’à partir de la décision définitive si la personne a été informée de son droit à réparation.

Indemnisation du préjudice moral

Le préjudice moral est évalué en tenant compte de la situation personnelle et familiale de la personne, de la durée de la détention, ainsi que des conditions de détention. La jurisprudence considère que la séparation familiale et les conditions de détention difficiles, telles que la surpopulation carcérale, peuvent aggraver le préjudice moral.

Indemnisation du préjudice matériel

Le préjudice matériel, notamment la perte de revenus, doit être prouvé par des éléments tangibles tels que des bulletins de salaire. La demande d’indemnisation pour les frais d’avocat doit également être justifiée par des factures signées et acquittées, conformément à la jurisprudence de la Commission Nationale de la Réparation des Détentions.

Frais irrépétibles

L’article 700 du Code de Procédure Civile permet d’allouer une somme pour couvrir les frais engagés dans le cadre de la procédure, lorsque cela est jugé équitable.

L’Essentiel : Toute personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire dans le cadre d’une procédure ayant abouti à une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement définitif a droit à une réparation intégrale du préjudice moral et matériel causé par cette détention. La demande d’indemnisation doit être présentée dans un délai de six mois à compter de la décision définitive, et la requête doit contenir un exposé des faits, le montant de la réparation demandée, ainsi que toutes indications utiles.
Résumé de l’affaire : Un requérant, né en 1966, a été mis en examen en avril 2018 pour plusieurs chefs d’accusation, dont vol en bande organisée et tentative de meurtre. Il a été placé en détention provisoire et transféré dans différents établissements pénitentiaires jusqu’à son acquittement en février 2024. Le requérant a déposé une requête en juin 2024 pour obtenir une indemnisation pour sa détention, arguant qu’il avait subi un préjudice moral et matériel durant cette période.

Dans sa requête, le requérant a demandé la reconnaissance de sa détention de 645 jours, en soulignant les conditions difficiles de son incarcération et la séparation avec sa famille. Il a sollicité une indemnité totale de 221 957,66 euros, se décomposant en préjudice matériel pour perte de salaire et frais d’avocat, ainsi qu’un préjudice moral significatif. L’agent judiciaire de l’État a contesté la demande, demandant à ce qu’elle soit réduite et a proposé une indemnisation pour un préjudice moral limité à 6 200 euros.

Le Ministère Public a soutenu la recevabilité de la demande, mais a également souligné que le requérant n’avait pas subi de perte de revenus durant certaines périodes de détention. Les débats ont mis en lumière la situation personnelle du requérant, notamment sa vie familiale et ses antécédents judiciaires, qui ont été pris en compte pour évaluer le préjudice moral.

Finalement, la cour a déclaré la requête recevable pour une détention de 643 jours et a alloué au requérant 45 000 euros pour le préjudice moral, 46 807,56 euros pour la perte de revenus, et 1 500 euros pour les frais de procédure, tout en déboutant le requérant du surplus de ses demandes. Les dépens ont été laissés à la charge de l’État.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique de la demande d’indemnisation pour détention provisoire ?

La demande d’indemnisation pour détention provisoire est fondée sur les articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du Code de Procédure Pénale.

Ces articles stipulent que toute personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire dans le cadre d’une procédure qui a abouti à une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement définitif a droit à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel causé par cette détention.

Il est précisé que la demande doit être faite dans un délai de six mois suivant la décision définitive, et que la requête doit contenir l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée, ainsi que toutes indications utiles prévues à l’article R.26.

Quel est le délai pour saisir le premier président de la cour d’appel ?

Le délai pour saisir le premier président de la cour d’appel est de six mois à compter de la décision définitive, comme le précise l’article 149-3 du Code de Procédure Pénale.

Ce délai ne commence à courir que si la personne a été informée de son droit à réparation et des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3.

Dans le cas présent, la requête a été présentée dans le délai imparti, ce qui la rend recevable.

Quel montant a été alloué pour le préjudice moral ?

Le montant alloué pour le préjudice moral s’élève à 45 000 euros.

Cette décision prend en compte plusieurs facteurs, notamment l’âge du requérant, sa situation familiale, la durée de sa détention de 643 jours, ainsi que les conditions de détention difficiles, telles que la surpopulation carcérale et l’isolement familial.

Ces éléments ont été jugés suffisants pour justifier l’indemnisation, malgré les précédentes incarcérations du requérant qui ont pu atténuer son choc carcéral.

Quel montant a été alloué pour la perte de revenus ?

Le montant alloué pour la perte de revenus est de 46 807,56 euros.

Ce montant est calculé sur la base d’un salaire mensuel net de 2 600,42 euros, pour la période de détention provisoire indemnisable, soit du mois de juin 2018 au 28 novembre 2019.

Il a été établi que le requérant n’avait pas perçu de salaire durant cette période, ce qui justifie l’indemnisation.

Quel a été le sort des demandes de remboursement des frais d’avocat ?

Les demandes de remboursement des frais d’avocat ont été rejetées.

L’agent judiciaire de l’Etat a contesté la recevabilité de la note d’honoraires, arguant qu’elle ne pouvait pas être prise en compte car elle était établie postérieurement à la fin de la procédure pénale.

De plus, le Ministère Public a souligné que la note d’honoraires n’était pas signée et qu’il n’était pas prouvé qu’elle avait été acquittée, ce qui a conduit à son rejet.

Quel montant a été alloué au titre de l’article 700 du code de procédure civile ?

Au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la somme allouée est de 1 500 euros.

Cette allocation vise à couvrir les frais engagés par le requérant dans le cadre de la présente procédure, considérant qu’il serait inéquitable de laisser ces sommes à sa charge.

Cette décision est conforme aux principes de justice et d’équité dans le cadre des procédures judiciaires.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 31 Mars 2025

(n° , 7 pages)

N°de répertoire général : N° RG 24/11008 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CJTM2

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d’appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 20 Juin 2024 par M. [N] [Z] né [Date naissance 1] 1966 à [Localité 7], élisant domicile au cabinet de Me Eric PLOUVIER – [Adresse 2] ;

Comparant

Représenté par Me Eric PLOUVIER, avocat au barreau de PARIS substitué Me Audrey PLOMION, avocat au barreau de PARIS

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l’Agent Judiciaire de l’Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l’audience fixée au 20 Janvier 2025 ;

Entendu Me Audrey PLOMION assistant M. [N] [Z],

Entendu Me Hadrien MONMONT, avocat au barreau de PARIS substituant Me Renaud LE GUNEHEC, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l’Agent Judiciaire de l’Etat,

Entendue Madame Martine TRAPERO, Substitute Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [N] [Z], né le [Date naissance 1] 1966, de nationalité française, a été mis en examen le 11 avril 2018 des chefs de vol en bande organisée avec usage d’une arme, tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique, participation à une association de malfaiteurs, enlèvement, détention ou séquestration par un juge d’instruction du tribunal de grande instance de Meaux, puis placé en détention provisoire le même jour à la maison d’arrêt de [Localité 4] par une ordonnance du juge des libertés et de la détention de la même juridiction. Il a été transféré au centre pénitentiaire de [Localité 3] le 07 juillet 2020.

Le 24 mai 2018, M. [Z] était mis en examen des chefs de vol en bande organisée, recel et violences par un magistrat instructeur du tribunal de grande instance d’Evry puis placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de [Localité 4].

Par arrêt du 25 novembre 2019, la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel d’Amiens a condamné M. [Z] à la peine de 4 ans d’emprisonnement pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime. Le requérant a formé un pourvoi en cassation contre cette décision.

Par jugement du 20 mars 2020, le tribunal correctionnel d’Evry a ordonné la remise en liberté de M. [Z] dans l’attente de son jugement dans la deuxième affaire. Par nouveau jugement du 18 septembre 2020 du tribunal correctionnel d’Evry, le requérant a été renvoyé des fins de la poursuite. Cette décision est définitive comme en atteste le certificat de non-appel du 18 décembre 2024.

Par arrêt du 08 octobre 2020, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a ordonné la remise en liberté de M. [Z] dans la première affaire. Puis, par arrêt du 29 octobre 2024, la cour d’assises de Seine-et-Marne a condamné le requérant à la peine de 7 ans d’emprisonnement dans cette affaire et M. [Z] a été récroué à la maison d’arrêt de [Localité 4] le 30 octobre 2021. Un appel de cette décision a été interjeté par le requérant.

Par arrêt du 16 décembre 2021, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a ordonné la remis en liberté de M. [Z] et son placement sous contrôle judiciaire ; Par arrêt du 29 février 2024, la cour d’assises d’appel de Seine-et-Marne a acquitté le requérant et cette décision est définitive à son égard comme en atteste le certificat de non-pourvoi en date du 12 mars 2024.

Le 20 juin 2024, M. [Z] a adressé une requête au premier président de la cour d’appel de Paris en vue d’être indemnisé de sa détention.

Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement à l’audience du 06 mai 2024, de :

Déclarer sa requête recevable et bien fondée ;

Constater que M. [Z] a été détenu dans le cadre d’une procédure qui a conduit à une décision d’acquittement du 29 février 2024 aujourd’hui définitive ;

Constater que le préjudice indemnisable sera chiffré sur la base de 645 jours de détention ;

Constater que s’agissant d’une incarcération particulièrement difficile à supporter compte tenu des conditions de détention et de sa séparation avec sa famille ;

Allouer une indemnité totale de 221 957,66 euros TTC se décomposant comme suit :

A titre du préjudice matériel :

65 597,66 au titre de la perte de salaire durant l’incarcération subie ;

27 360 euros au titre des dépenses occasionnées par des prestations d’avocat directement liées à la privation de liberté ;

Au titre du préjudice moral :

129 000 euros au titre du préjudice provoqué par la détention provisoire ;

Allouer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés pur assurer la défense de M. [Z] dans le cadre de la présente procédure.

Dans ses dernières conclusions en défense, notifiées par RPVA et déposées le 20 janvier 2025, l’agent judiciaire de l’Etat demande au premier président de :

Débouter le requérant de ses demandes relatives au préjudice matériel ;

Ramener à de plus justes proportions la demande formulée au titre du préjudice moral qui ne sauraient excéder la somme de 6 200 euros ;

Statuer ce que de droit s’agissant de la demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Ministère Public, dans ses dernières conclusions notifiées le 21 novembre 2024 soutenues oralement à l’audience, conclut :

A titre principal, à la recevabilité de la demande pour une détention de 91 jours ;

A titre subsidiaire, à la recevabilité de la requête pur une durée de 643 jours ;

A la réparation du préjudice moral et matériel dans les conditions indiquées.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d’un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d’appel. Cette requête doit contenir l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l’article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité.

En l’espèce, M. [Z] a présenté sa requête en vue d’être indemnisé de sa détention provisoire le 20 juin 2024, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision d’acquittement de la cour d’assises d’appel du 29 février 2024 est devenue définitive, comme en atteste le certificat de non-pourvoi du 12 mars 2024. Cette requête contenant l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée, ainsi que le certificat de non appel, est signée par son avocat et la décision d’acquittement n’est pas fondée sur un des cas d’exclusions visé à l’article 149 du code de procédure pénale.

De même, la décision de relaxe du tribunal correctionnel d’Evry du 18 septembre 2020 est bien définitive comme en atteste le certificat de non-appel du 18 décembre 2024.

Par conséquent, la requête de M. [Z] est recevable pour une détention de 643 jours, soit du 11 avril 2018 au 27 novembre 2019, puis du 29 octobre 2021 au 16 décembre 2021.

Sur l’indemnisation

Sur le préjudice moral

M. [Z] soutient qu’il a été placé en détention provisoire à l’âge de 52 ans, qu’il vivait en concubinage et avait eu un enfant avec sa compagne. Il était par ailleurs père de 4 autres enfants et il n’avait pu voir aucun de ses 5 enfants durant son placement en détention provisoire. Il conviendra de tenir compte de sa situation professionnelle et familiale pour apprécier la réparation de son préjudice moral. Par ailleurs, il n’a pas pu, contrairement à sa demande en ce sens, bénéficier d’une cellule individuelle en raison de la surpopulation carcérale, aussi bien à [Localité 4] qu’à [Localité 3]. Cette surpopulation est attestée par les statistiques du ministère de la justice faisant état d’une surpopulation de 146% au 1er avril 2018. C’est ainsi qu’il a demandé à changer d’établissement pénitentiaire et d’être transféré au centre pénitentiaire de [Localité 3]. En raison de cette surpopulation, il a fait l’objet d’une procédure d’incident où il a rappelé son souhait d’être seul. L’importance du choc psychologique a été relevé par l’infirmière du SMPR de [Localité 4]. Son préjudice moral a également été aggravé par la durée de sa détention, soit 645 jours, ce qui lui a causé une réelle souffrance morale, même s’il ne s’agissait pas de sa première incarcération. C’est pourquoi, il sollicite en réparation de son préjudice oral l’allocation d’une somme de 129 000 euros.

L’agent judiciaire de l’Etat indique que le requérant avait déjà été incarcéré 4 fois avant et pendant son placement en détention provisoire et que son choc carcéral a été considérablement amoindri par ces précédentes incarcérations. Par contre, l’isolement familial est constitué et sera retenu au titre de l’aggravation du préjudice moral. Sur les conditions de détention, Il sera retenu la surpopulation carcérale, le fait de ne pas avoir été en cellule individuelle et d’avoir eu un suivi psychologique à sa demande. Sur la base de 91 jours de détention provisoire subie, l’agent judiciaire de l’Etat se propose d’allouer la somme de 6 200 euros au requérant en réparation de son préjudice moral.

Le Ministère Public considère qu’il convient de prendre en considération le fait que le requérant était âgé de 52 ans, vivait en concubinage et était père de 5 enfants. La durée importante de détention, 643 jours sera également retenue, ainsi que le passé carcéral de M. [Z], déjà incarcéré à 4 reprises, ce qui est un facteur de minoration important de son choc carcéral. La rupture des liens familiaux sera en outre retenue. Par contre, les conditions de détention et la surpopulation carcérale ne seront pas prises en compte, faute de démonter en quoi le requérant a personnellement souffert de ces conditions difficiles.

Il ressort des pièces produites aux débats qu’au moment de son incarcération M. [Z] était âgé de 52 ans, vivait avec sa compagne et était père de 5 enfants dont le dernier était âgé de 4 ans seulement. Il n’a pas pu avoir de contact avec ses 5 enfants durant toute la période où il a été placé en détention provisoire. C’est ainsi que la séparation familiale sera retenue au titre de l’aggravation de son préjudice moral.

Par contre, le bulletin numéro 1 du casier judiciaire de M. [Z] porte trace de plusieurs condamnations pénales qui ont donné notamment lieu à quatre incarcérations avant ou pendant son placement en détention provisoire, dont une peine de 4 ans d’emprisonnement ferme prononcée le 16 juin 2017 par le tribunal correctionnel de Lille. C’est ainsi que sa dernière levée d’écrou a été le 09 juillet 2017, alors qu’il était placé en détention provisoire le 11 avril 2018, soit 9 mois plus tard. Il y a donc lieu de considérer que le choc carcéral initial a été très largement atténué.

Les conditions difficiles de détention de M. [Z] à la maison d’arrêt de [Localité 4] ne sont attestées par aucun rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, mais la surpopulation carcérale de cet établissement pénitentiaire est confirmée par les statistiques du ministère de la justice qui font état d’un taux d’occupation de 146% en avril 2018 au moment où le requérant était en détention provisoire. Ce dernier en a personnellement souffert puisqu’il avait demandé un encellulement individuel qui lui a été refusé et cela a généré des incidents en détention et M. [Z] a fait l’objet d’une procédure d’incident. C’est ainsi que ces conditions de détention seront retenues au titre de l’aggravation de son préjudice moral.

Par conséquent, au vu de ces différents éléments, il sera alloué une somme de 45 000 euros à M. [Z] en réparation de son préjudice moral.

Sur le préjudice matériel

Sur la perte de revenus

M. [Z] soutient qu’il était salarié de la société [5], dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, en qualité de chef de parc, pour un salaire mensuel moyen de 2 600,42 euros. Sur cette base, M. [Z] a ainsi perdu pour la période du mois de juin 2018 au 08 octobre 2020, la somme de 65 010,50 euros+ 587,16 euros, soit un total de 65 597,66 euros dont il sollicite le paiement au titre de sa perte de revenus.

L’agent judiciaire de l’Etat indique que la lecture des pièces produites fait état d’un salaire mensuel net de 2 600, 42 euros et que la période indemnisable est du 11 avril au 25 mai 2018. Or les bulletins de paie font état de ce que le salaire de M. [Z] lui a été payé. Par conséquent, il ne pourra pas être fait droit à la demande de perte de revenus du requérant en raison de sa détention.

Le Ministère Public indique qu’à titre principal, en l’absence de production d’un certificat de non-appel, le requérant n’est recevable à agir que pour la période de détention du 11 avril au 24 mai 2018. Sur cette période, M. [Z] n’a eu aucune perte de revenus. La demande en ce sens sera donc rejetée. A titre subsidiaire, si un certificat de non-appel est produit, il pourra être tenu compte d’un préjudice matériel pour la période du mois de juin 2018 au 28 novembre 2019.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [Z] a été embauché par la société [6] à compter du mois d’août 2011. Cette société a été rachetée par la société [5] le 1er avril 2019, mais son contrat de travail à durée indéterminée s’est poursuivi dans les mêmes conditions pour y exercer la profession de chef de parc. L’analyse des différents bulletins de paie démontre que le salaire mensuel net moyen de M. [Z] était de 2 600,42 euros. Il apparait que le requérant n’a plus perçu de salaire durant la période de détention provisoire indemnisable, soit du mois de juin 2018 au 28 novembre 2019. C’est ainsi que sur la base de 2 600,42 euros, la perte de revenus du requérant a été de 2 600,42 euros X 18 mois = 46 807,56 euros.

C’est ainsi que la somme de 46 807,56 euros sera allouée à M. [Z] en réparation de sa perte de revenus.

Sur les frais d’avocat

M. [Z] indique que qu’il a été contraint d’engager des frais d’avocat pour assure la défense de ses intérêts dans le cadre de la détention provisoire subie. Son conseil a effectué 51 visites en détention, l’a assisté lors des débats devant le juge des libertés et de la détention, a présenté 6 demandes de mise en liberté et s’est rendu à 8 reprises devant la chambre de l’instruction statuant sur le contentieux de la détention provisoire. C’est ainsi qu’il sollicite le remboursement de la somme de 27 360 euros TTC à ce titre.

L’agent judiciaire de l’Etat indique que M. [Z] produit une note d’honoraires récapitulative datée du 27 mai 2024 alors que la procédure pénale s’est terminée le 29 février 2024 et qu’il n’est pas possible d’établir une facture à postériori pour des diligences effectuées antérieurement et des sommes payées antérieurement. C’est ainsi que cette note qui vise notamment des diligences effectuées 4ans auparavant pour les plus anciennes ne peut être prise en compte. La demande en ce sens sera donc rejetée.

Le Ministère Public considère que pas moins de 2 ans et demi à 6 ans séparent les diligences effectuées de l’établissement de la facture du 27 mai 2024. De plus cette facture n’est pas signée ni indiqué qu’elle a été acquittée. Dans ces conditions, il ne pourra pas être tenu compte du préjudice matériel de M. [Z] au titre des frais de défense et la demande en ce sens sera rejetée.  

En l’espèce, M. [Z] produit aux débats une note d’honoraires récapitulatives datée du 27 mai 2024 faisant état de diligences effectuées depuis le début de la procédure pénale en 2018 et jusqu’au terme de cette procédure en 2024, liées exclusivement au contentieux de la détention provisoire, pour un montant de 22 800 euros HT, soit 27 360 euros TTC.

Il apparait que cette note d’honoraires n’est pas signée et il n’est pas indiquée qu’elle a été acquittée par le requérant.

De plus, cette note fait état de diligence accomplies principalement entre le 11 avril 2018 et le 16 décembre 2021. Il est pour le moins surprenant que ces diligences aient fait l’objet d ‘une note d’honoraires récapitulatives plus de 6 ans plus tard pour les plus anciennes et dont il serait demandé le paiement 6 ans plus tard. Il semble dans ces conditions que cette note récapitulative n’ait fait que reprendre l’ensemble d des diligences réalisées depuis le début de la procédure pénale et qui ont été acquittées au fur et à mesure du déroulement de cette procédure. Or, la jurisprudence de la Commission Nationale de la Réparation des Détentions retient qu’il n’est pas possible d’établir à postériori une facture récapitulative de diligences effectuées antérieurement et payées antérieurement pour solliciter son paiement sur le fondement de l’article 149 du code de procédure pénale.

Dans ces conditions, la demande de réparation au titre des frais défense sera rejetée.

Sur les frais irrépétibles au titre de l’article 700 du code de procédure civile 

Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les sommes qu’il a dû engager dans le cadre de la présente procédure. Il convient donc de lui allouer la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Déclarons recevable la requête de M. [N] [Z] pour une détention d’une durée de 643 jours ;

Allouons à M. [N] [Z] :

La somme de 45 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

La somme de 46 807,56 euros en réparation de son préjudice matériel lié à la perte de revenus ;

La somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboutons M. [N] [Z] du surplus de ses demandes ;

Laissons les dépens de la présente procédure à la charge de l’Etat.

Décision rendue le 17 Mars 2025 prorogée au 31 mars 2025 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI’RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


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