Inaptitude et manquement à l’obligation de sécurité : conséquences sur le contrat de travail.

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Inaptitude et manquement à l’obligation de sécurité : conséquences sur le contrat de travail.

Obligation de sécurité de l’employeur

L’employeur a une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés, conformément à l’article L. 4121-1 du Code du travail, qui stipule que l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Cette obligation inclut la prévention des risques professionnels et l’adaptation des conditions de travail aux capacités des salariés.

Inaptitude et licenciement

Le licenciement d’un salarié déclaré inapte doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, selon l’article L. 1232-1 du Code du travail. Si l’inaptitude est causée par un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, le licenciement peut être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse, comme le précise l’article L. 1235-2 du même code.

Maladie professionnelle et responsabilité de l’employeur

La reconnaissance d’une maladie professionnelle, en vertu des articles L. 411-1 et L. 451-1 du Code de la sécurité sociale, implique que l’employeur est responsable des conséquences de cette maladie si elle est liée à des manquements à ses obligations de sécurité. L’article L. 1226-14 du Code du travail prévoit des protections spécifiques pour les salariés victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, stipulant que l’inaptitude doit être prise en compte dans le cadre du licenciement.

Indemnisation des préjudices

Les préjudices subis par un salarié en raison d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que ceux liés à une maladie professionnelle, doivent être indemnisés. L’article L. 1235-3 du Code du travail prévoit que le salarié peut demander des dommages-intérêts pour compenser la perte de salaire et les préjudices subis, y compris la perte de chance d’être rémunéré à plein temps.

Compétence des juridictions

La compétence pour traiter des demandes d’indemnisation liées à une maladie professionnelle relève du pôle social du tribunal judiciaire, comme le stipulent les articles L. 451-1 et L. 142-1 du Code de la sécurité sociale. En revanche, la juridiction prud’homale est compétente pour statuer sur les litiges relatifs à la rupture du contrat de travail et à l’indemnisation des préjudices liés à un licenciement.

L’Essentiel : L’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs. Le licenciement d’un salarié inapte doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Si l’inaptitude résulte d’un manquement de l’employeur, le licenciement peut être requalifié. La reconnaissance d’une maladie professionnelle engage la responsabilité de l’employeur. Les préjudices liés à un licenciement sans cause réelle et sérieuse doivent être indemnisés, et la compétence pour traiter ces demandes relève de juridictions spécifiques.
Résumé de l’affaire : La société BM CHIMIE a embauché un conducteur poids lourds en septembre 2003. En mai 2011, ce salarié a été placé en invalidité de catégorie 1, puis en catégorie 2 en janvier 2015, en raison d’une réduction significative de sa capacité de travail. Après une visite médicale, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à son poste, mais apte à un travail administratif à temps partiel. En février 2015, le salarié a demandé à son employeur de déclarer un accident du travail, affirmant que ses problèmes de santé étaient liés à son activité professionnelle. L’employeur a refusé cette demande, arguant qu’aucun accident n’avait été déclaré durant la période d’emploi.

En avril 2015, le salarié a sollicité la reconnaissance de sa maladie professionnelle auprès de la CPAM, qui a rejeté sa demande. Cependant, un jugement de mai 2019 a reconnu le caractère professionnel de son affection. En août 2015, l’employeur a licencié le salarié pour inaptitude, après avoir obtenu l’autorisation de l’inspecteur du travail. Le salarié a contesté ce licenciement, soutenant qu’il était dû à un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Le conseil de prud’hommes a jugé que l’inaptitude était consécutive à ce manquement et a condamné l’employeur à verser diverses indemnités au salarié. L’employeur a interjeté appel, et la cour d’appel a infirmé certaines condamnations tout en renvoyant le salarié à se pourvoir devant le pôle social pour d’autres demandes. La Cour de cassation a ensuite annulé partiellement l’arrêt de la cour d’appel, précisant que la perte de chance d’être rémunéré à plein temps relevait de la compétence du pôle social. En septembre 2022, un jugement a reconnu la faute inexcusable de l’employeur, entraînant des conséquences sur l’indemnisation du salarié.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique de l’inaptitude du salarié et les obligations de l’employeur ?

L’inaptitude du salarié est fondée sur les articles L. 1226-10 et L. 1226-14 du code du travail, qui stipulent que les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie.

L’article L. 1226-10 précise que l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de ses salariés. En cas de manquement à cette obligation, l’inaptitude du salarié peut être considérée comme consécutive à la faute de l’employeur.

Quel est le rôle de la médecine du travail dans la détermination de l’aptitude du salarié ?

La médecine du travail joue un rôle crucial dans l’évaluation de l’aptitude du salarié. Selon l’article R. 4624-31 du code du travail, le médecin du travail doit évaluer la capacité du salarié à exercer son emploi et peut recommander des adaptations de poste ou un reclassement.

Dans le cas présent, le médecin a déclaré le salarié inapte à son poste de conducteur poids lourds, tout en suggérant qu’il pourrait être apte à un poste administratif à temps partiel. Ces recommandations doivent être respectées par l’employeur, qui a l’obligation de prendre en compte l’avis médical pour garantir la sécurité et la santé du salarié.

Quel est le processus de licenciement pour inaptitude et les obligations de l’employeur ?

Le processus de licenciement pour inaptitude est encadré par les articles L. 1232-1 et L. 1233-3 du code du travail. L’employeur doit d’abord consulter le médecin du travail, puis rechercher un reclassement avant de procéder au licenciement.

L’article L. 1233-4 impose à l’employeur de justifier qu’il a effectué des recherches sérieuses de reclassement. En l’espèce, l’employeur a été jugé en manquement de cette obligation, ce qui a conduit à la requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Quel est le lien entre la maladie professionnelle et le licenciement du salarié ?

Le lien entre la maladie professionnelle et le licenciement est établi par l’article L. 451-1 du code de la sécurité sociale, qui stipule que la reconnaissance d’une maladie professionnelle peut avoir des conséquences sur le contrat de travail.

Dans ce cas, la maladie du salarié a été reconnue comme professionnelle, ce qui implique que l’employeur avait connaissance de l’origine professionnelle de l’inaptitude au moment du licenciement. Cela renforce l’argument selon lequel le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Quel est le régime des dommages-intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ?

Le régime des dommages-intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse est régi par l’article L. 1235-3 du code du travail, qui prévoit que le salarié peut obtenir des dommages-intérêts correspondant à un montant équivalent à un certain nombre de mois de salaire, en fonction de son ancienneté.

Dans cette affaire, le tribunal a accordé au salarié une indemnité de 28’409,37 » nets de CSG et de CRDS, en raison de la requalification de son licenciement, ce qui démontre l’importance de la protection des droits des salariés en cas de licenciement abusif.

Quel est le rôle des conventions collectives dans la détermination des droits du salarié ?

Les conventions collectives jouent un rôle fondamental dans la détermination des droits des salariés, comme le stipule l’article L. 2254-1 du code du travail. Cet article précise que les clauses d’une convention ou d’un accord s’appliquent aux contrats de travail conclus avec l’employeur, sauf stipulations plus favorables.

Dans ce cas, l’accord d’entreprise relatif à la NAO 2013 stipule que les salariés ayant intégré l’entreprise avant le 1er octobre 2007 ont droit à un 13e mois, ce qui a été pris en compte dans le calcul des sommes dues au salarié.

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION

DU 28 MARS 2025

N°2025/80

Rôle N° RG 23/15427 – N° Portalis DBVB-V-B7H-BMJI3

[F] [Y]

C/

S.A.S. GEODIS RT CHIMIE [Localité 2]

Copie exécutoire délivrée

le :28/03/2025

à :

Me Axel POULAIN, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Philippe GAUTIER, avocat au barreau de LYON

Arrêt en date du 28 Mars 2025 prononcé sur saisine de la cour suite à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 6 septembre 2023, qui a cassé l’arrêt n°2021/272 rendu le 25 novembre 2021 par la cour d’appel d’AIX EN PROVENCE, sur appel du jugement du conseil de prud’hommes de MARTIGUES en date du 17 août 2018.

DEMANDEUR SUR RENVOI DE CASSATION

Monsieur [F] [Y], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Axel POULAIN, avocat au barreau de MARSEILLE

DEFENDERESSE SUR RENVOI DE CASSATION

S.A.S. GEODIS RT CHIMIE [Localité 2], sise BM CHIMIE [Localité 2] – [Adresse 3]

représentée par Me Philippe GAUTIER, avocat au barreau de LYON substitué par Me Marylène ROUX, avocat au barreau de LYON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 28 Janvier 2025 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre,

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller

ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre,

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller

Madame Raphaelle BOVE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Mars 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Mars 2025

Signé par Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre et Madame Pascale ROCK, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*-*-*-*-*

EXPOSÉ DU LITIGE

[1] La société BM CHIMIE, qui deviendra la société BM CHIMIE [Localité 2] puis la SAS GEODIS RT CHIMIE [Localité 2], a embauché M. [F] [Y] le 1er septembre 2003 en qualité de conducteur poids lourds suivant contrat de travail à durée indéterminée. Les relations contractuelles des parties se trouvent régies par les dispositions de la convention collective des transports et activités auxiliaires du transport. Le salarié sera été élu membre titulaire de la délégation unique du personnel le 7 janvier 2013.

[2] À compter du 1er mai 2011, le salarié a été placé en invalidité de catégorie 1, en raison d’une réduction des 2/3 au moins de sa capacité de travail ou de gain professionnel et il lui a été alloué en conséquence une pension d’invalidité. À partir du 1er janvier 2015, il a été placé en invalidité de catégorie 2 et sa pension a été fixée à la somme annuelle de 13’645,29 ». À la suite d’une seconde visite de reprise intervenue le 21 janvier 2015 le médecin du travail concluait’:

«’Procédure R. 4624-31 du CT. Inapte au poste. Étude de poste faite le 21/01/2015. Serait apte à un poste de type administratif à temps partiel.’»

[3] Par lettre du 5 février 2015, le salarié demandait à l’employeur d’effectuer une déclaration d’accident de travail en indiquant que sa pathologie ainsi que les deux interventions chirurgicales qu’il avait subies au niveau du dos en 2009 et 2013 étaient les conséquences de son emploi de chauffeur suite à une conduite prolongée. Il produisait en ce sens le certificat médical suivant rédigé le 29 janvier 2015′:

«’Je soussigné certifie avoir opéré M. [Y] [F] d’une hernie discale lombaire en 2009 puis d’un canal lombaire étroit en 2013, pathologie déjà présente en 2009 mais alors asymptomatique qui s’est aggravée par la suite de la discectomie. Ces lésions lombaires peuvent être en rapport avec son activité professionnelle de chauffeur routier et cette pathologie pourrait donc bénéficier d’une prise en charge au titre d’une maladie professionnelle.’»

L’employeur répondait en ces termes le 9 février 2015′:

«’Nous faisons suite à votre courrier recommandé AR du 5 février 2015, nous sommes surpris par votre requête nous demandant à postériori de requalifier votre maladie en accident du travail. Vous mentionnez que votre reprise en 2011 s’est effectué dans les mêmes conditions, faux, nous avons respecté les demandes du médecin du travail en vous enlevant d’un trafic avec beaucoup de manutention, pour vous mettre sur une autre activité qui vous permettait de n’avoir aucune charge lourde à porter. Nous sommes désolés de ne pouvoir vous donner une réponse favorable, mais durant votre activité professionnelle, vous n’avez jamais déclaré d’accident de travail.’»

[4] Le 11 avril 2015, le salarié adressait à la CPAM une demande de reconnaissance de maladie professionnelle à laquelle la caisse ne devait pas faire droit. Toutefois, par jugement du 24’mai 2019, le pôle social du tribunal de grande instance de Marseille reconnaissait le caractère professionnel de l’affection déclarée par le salarié, soit une hernie discale L5/S1 qui relève du tableau 97 des maladies professionnelles.

[5] Le 13 avril 2015, l’inspectrice du travail refusait le licenciement pour insuffisance des recherches de reclassement suite à un avis d’inaptitude médicale mais, le 17 août 2015, elle l’autorisait au visa d’une nouvelle demande présentée le 23 juillet 2015.

[6] L’employeur licenciait le salarié par lettre du 26 août 2015 ainsi rédigée’:

«’Vous ne vous êtes pas présenté à l’entretien préalable au licenciement prévu le 17’juillet’2015 pour lequel vous avez été convoqué par courrier recommandé avec accusé de réception. Vous avez été examiné par le médecin du travail qui vous a déclaré «’inapte au poste serait apte à un poste sans conduite PL, sans manutention et de type administratif à temps partiel’» le 5 janvier 2015 puis de nouveau le 21 janvier 2015. Nous avons recherché les postes de travail susceptibles de convenir à vos nouvelles capacités, au besoin, par la mise en ‘uvre de mesures telles que la transformation de poste ou l’aménagement du temps de travail. Vous n’avez donné aucune suite favorable à nos huit propositions de reclassement au sein du groupe. En application des articles L.436-1 et L.412-5 du code du travail, nous avons saisi le comité d’établissement, du projet de licenciement vous concernant, ceux-ci ne se sont pas prononcés, et nous avons sollicité l’autorisation de l’inspectrice du travail qui nous a donné son accord. Nous considérons que cette situation rend impossible le maintien de votre contrat de travail et constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement. Votre licenciement prend effet dès sa notification sans exécution du préavis. Par dérogation à l’article L. 1234-5, l’inexécution du préavis ne donne pas lieu au versement d’une indemnité compensatrice. Nous teindrons à votre disposition votre reçu pour solde de tout compte, votre certificat de travail.’»

[7] Reprochant à l’employeur d’avoir causé son inaptitude du fait de manquement à l’obligation de sécurité et de santé au travail et contestant dès lors son licenciement, M. [F] [Y] a saisi le 23 mars 2017 le conseil de prud’hommes de Martigues, section commerce, lequel, par jugement de départage rendu le 17’août’2018, a’:

dit que l’inaptitude du salarié est consécutive au manquement à l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur’;

condamné l’employeur à payer au salarié les sommes suivantes’:

 »4’472,62 » à titre d’indemnité compensatrice de préavis’;

 » »’447,26 » à titre de congés payés afférents à l’indemnité compensatrice de préavis’;

 »6’208,42 » au titre du solde de l’indemnité spéciale de licenciement’;

 »2’500,00 » à titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité’;

25’000,00 » à titre de dommages et intérêts recouvrant son préjudice au titre de la perte de son emploi ainsi que son préjudice pour la perte de chance d’être rémunéré à 100’% de son salaire’;

 »5’760,00 » à titre de rappel de primes P1 P2 P3′;

 » »’576,00 » au titre des congés payés afférents sur rappel de prime’;

 »4’472,62 » à titre de rappel de 13e mois’;

 » »’447,26 » à titre de congés payés sur rappel de 13e mois’;

 »1’500,00 » sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

dit que ces sommes seront augmentées des intérêts calculés au taux légal à compter de la date de saisine de la juridiction prud’homale, soit le 23 mars 2017 et qu’ils seront capitalisés conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil’;

ordonné l’exécution provisoire’;

débouté les parties de toute autre demande’;

condamné l’employeur aux entiers dépens.

[8] Cette décision a été notifiée à la société BM CHIMIE [Localité 2] qui en a interjeté appel suivant déclaration du 18 septembre 2018. Par arrêt du 25 novembre 2021, la cour de céans, a’:

infirmé le jugement entrepris en ce qu’il a condamné l’employeur à payer au salarié les sommes suivantes’:

 »4’472,62 » à titre d’indemnité compensatrice de préavis’;

 » »’447,26 » à titre de congés payés afférents à l’indemnité compensatrice de préavis’;

 »6’208,42 » au titre du solde de l’indemnité spéciale de licenciement’;

 »2’500,00 » à titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité’;

25’000,00 » à titre de dommages et intérêts recouvrant son préjudice au titre de la perte de son emploi ainsi que son préjudice pour la perte de chance d’être rémunéré à 100’% de son salaire’;

 »4’472,62 » à titre de rappel de 13e mois’;

 » »’447,26 » à titre de congés payés sur rappel de 13e mois’;

statuant à nouveau dans cette limite,

renvoyé le salarié à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne ses demandes de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de l’emploi et en réparation du préjudice pour perte de chance d’être rémunéré à 100’% de son salaire’;

dit qu’il ne rentre pas dans les pouvoirs de la juridiction judiciaire d’une part d’apprécier la régularité de la procédure d’inaptitude, de la consultation des délégués du personnel, du respect par l’employeur de son obligation de reclassement dans le cadre du licenciement autorisé par l’inspection du travail, et d’autre part d’accorder des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à ce titre’;

débouté le salarié de ses autres demandes’;

confirmé le jugement entrepris sur le surplus’;

y ajoutant,

ordonné à l’employeur de remettre au salarié les documents de fin de contrat et bulletin de salaire rectifiés en fonction de l’arrêt, sans qu’il y ait lieu à astreinte’;

dit que les créances à caractère salarial portent intérêts au taux légal à compter du 27’mars’2017, avec capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil’;

rappelé que les sommes allouées sont exprimées en bruts’;

condamné l’employeur à verser au salarié une indemnité complémentaire de 1’500 » sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’;

condamné l’employeur aux entiers dépens de l’appel.

[9] Suivant jugement du 7 septembre 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille a’notamment’dit que la maladie professionnelle est la conséquence de la faute inexcusable de l’employeur, rejeté la demande de majoration de la rente et ordonné une expertise médicale afin d’évaluer les préjudices lesquels ont été fixés par jugement du 21 juin 2024. Le jugement du 7’septembre 2022 devenu définitif était ainsi motivé quant à la faute inexcusable’:

«’En l’espèce, [F] [Y] a été employé par la société BM CHIMIE [Localité 2], en qualité de chauffeur poids lourds, du 1er septembre 2003 au 26 août 2015, à temps complet. Il rappelle tout d’abord que le tableau n° 97 des maladies professionnelles relatif aux «’affections chroniques du rachis lombaire provoquées par des vibrations de basses et moyennes fréquences transmises au corps entier’» affectant particulièrement les chauffeurs poids lourds a été créé par décret du 15 février 1999 publié au Journal officiel le 16 février 1999. Il verse ensuite aux débats les fiches de visites médicales transmises à l’employeur, notamment la fiche de visite établie par le groupement interprofessionnel médico-social (GIMS) le 11 mai 2011 mentionnant l’avis suivant’: «’Apte à la reprise à temps partiel [‘] Pas de manutention lourde. Pas de manutention répétitive prolongée’». Il verse également aux débats une attestation de placement en invalidité catégorie 1 du 8 avril 2011, un certificat médical établi le 25 octobre 2014 par le médecin du travail déclarant que «’l’état de santé de M. [F] [Y] A ne lui permet pas de reprendre une (activité) de chauffeur PL’» ainsi qu’une attestation de placement en invalidité catégorie 2 du 29 octobre 2014. Le requérant produit en outre la fiche de visite médicale établie par le médecin du travail dans le cadre de la visite de reprise du 5 janvier 2015 concluant que le «’salarié ne peut à ce jour occuper son poste de travail. Étude de poste et des conditions de travail à réaliser. Serait apte à un poste sans conduite PL (poids lourd), sans manutention et de type administratif à temps partiel’. Il produit l’avis émis parle médecin du travail lors d’un second examen médical du 21 janvier 2015 indiquant’: «’Inapte au poste. Étude de poste faite le 21/01/2015. Serait apte à un poste de type administratif à temps partiel’».

Il en ressort des éléments susmentionnés que, selon les recommandations de la médecine du travail, l’aptitude au poste de chauffeur super poids lourd était limitée à un poste à temps partiel sans manutention lourde. Bien que l’employeur ait affecté son salarié sur une activité appelant des manutentions de charges plus légères à compter de la visite médicale de reprise du 11 mai 2011, il ne démontre pas avoir respecté les préconisations du médecin du travail portant sur la limitation du poste de chauffeur super poids lourds à un temps partiel, tel que recommandé par le médecin. En effet, il ressort des bulletins de salaires versés aux débats que le salarié continuait à travailler à temps complet, sur la base d’un forfait mensuel de 200’heures. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que la société BM CHIMIE [Localité 2] avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel [F] [Y] était exposé et qu’elle n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Par conséquent, la maladie professionnelle dont est atteint [F] [Y] sera imputée à la faute inexcusable de la société BM CHIMIE [Localité 2].’»

[10] Le salarié s’étant pourvu en cassation contre l’arrêt du 25 novembre 2021 rendu en matière prud’homale, la Cour de cassation, par arrêt du 6 septembre 2023, a’:

cassé et annulé, sauf en ce qu’il déboute M. [Y] de sa demande de paiement des congés payés afférents à la prime de treizième mois, en ce qu’il renvoie M. [Y] à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne sa demande de réparation du préjudice pour perte de chance d’être rémunéré à 100’% de son salaire et en ce qu’il condamne la société BM chimie [Localité 2] à verser à M. [Y] une indemnité de 1’500 » sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et au paiement des dépens d’appel, l’arrêt rendu le 25 novembre 2021, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence’;

dit n’y avoir lieu à renvoi devant la cour d’appel sur le chef de dispositif ayant débouté M.'[Y] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité’;

renvoyé, sur la demande de M. [Y] de condamnation de la société BM chimie [Localité 2] au paiement d’une somme de 25’000 » nets de CSG à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, les parties devant le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille déjà saisi’;

remis, sur les points restant en litige, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée’;

condamné la société BM chimie [Localité 2] aux dépens’;

en application de l’article 700 du code de procédure civile, condamné la société BM chimie [Localité 2] à payer à M. [Y] la somme de 3’000 ».

[11] La Cour de cassation s’est prononcée aux motifs suivants’:

«’Sur le premier moyen, en ce qu’il reproche à l’arrêt de débouter le salarié de sa demande au titre des congés payés afférents à la prime de treizième mois

13. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen en ce qu’il reproche à l’arrêt de renvoyer le salarié à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne ses demandes en réparation du préjudice pour perte de chance d’être rémunéré à 100’% de son salaire

Énoncé du moyen

14. Le salarié fait grief à l’arrêt de le renvoyer à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne ses demandes en dommages-intérêts en réparation du préjudice pour perte de chance d’être rémunéré à 100’% de son salaire, alors «’que si l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité relève de la compétence exclusive du tribunal de la sécurité sociale, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bienfondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer le cas échéant une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse’; que lorsque le salarié demande réparation du préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail et fait valoir que son licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation de l’employeur de son obligation de sécurité, le juge prud’homal est compétent’; que la cour d’appel qui a décidé qu’elle était incompétente au profit de la juridiction des affaires de sécurité sociale sous prétexte que la perte de chance d’être rémunéré à 100’% constituait un préjudice résultant de la maladie professionnelle et que les dommages-intérêts pour licenciement abusif comprenaient le préjudice lié à la perte de l’emploi, du ressort de la juridiction de la sécurité sociale, sans s’expliquer sur le fait que le salarié demandait que son licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et sollicitait des dommages-intérêts à ce titre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 451-1 et L. 1242-1 du code de sécurité sociale et de l’article L.’1411-1 du code du travail.’»

Réponse de la Cour

15. 11 résulte des articles L. 451-1 et L. 142-1 du code de la sécurité sociale que si la juridiction prud’homale est seule compétente pour connaître d’un litige relatif à l’indemnisation d’un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire l’indemnisation des dommages résultant d’une maladie professionnelle, qu’elle soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

16. Ayant constaté que, le 17 octobre 2015, la caisse avait pris en charge la maladie du salarié au titre de la législation professionnelle, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la perte de chance d’être rémunéré à 100’% de son salaire était un préjudice résultant non pas de la rupture abusive mais de la maladie professionnelle et que cette demande relevait de la compétence du pôle social du tribunal judiciaire.

17. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, en ce qu’il reproche à l’arrêt de débouter le salarié de sa demande à titre de rappel de treizième mois

Énoncé du moyen

18. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande à titre de rappel de 13e mois, alors «’que lorsqu’il résulte d’une disposition conventionnelle, ou d’un accord d’entreprise, qu’une prime est versée au salarié sans condition de durée effective de présence dans l’entreprise, l’employeur ne peut décider de modalités d’attribution moins favorables au salarié’; que la cour d’appel qui a retenu que le contrat de travail prévoyait une rémunération versée sur 13’mois selon les règles en usage de l’entreprise et que le salarié ne démontrait pas que selon l’usage de l’entreprise la prime de treizième mois était accordée sans condition de présence effective dans l’entreprise mais qui ne s’est pas expliquée sur les modalités de l’accord NAO 2013 fixant l’attribution de cette prime, invoqué par le salarié, n’a pas justifié sa décision au regard de l’article 1103 du code civil.’»

Réponse de la Cour

Vu l’article 1134, devenu 1103, du code civil, l’article L. 2254-1 du code du travail et l’article 2 du chapitre V de l’accord d’entreprise relatif à la NAO 2013 concernant les règles sociales et les rémunérations de l’ensemble des salariés’:

19. Aux termes de l’article 1134 susvisé, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

20. Aux termes de l’article L. 2254-1 susvisé, lorsqu’un employeur est lié par les clauses d’une convention ou d’un accord, ces clauses s’appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf stipulations plus favorables.

21. Aux termes du dernier texte visé, les salariés entrés dans l’entreprise avant le 1er’octobre’2007 bénéficient d’un 13e mois dont le versement s’effectue avec la paye de décembre, soit entre le 20 et le 25 décembre de chaque année. Le 13e mois sera payé ancienneté incluse.

22. Pour débouter le salarié de sa demande de paiement de rappel de treizième mois, l’arrêt retient que, selon le contrat de travail, la rémunération mensuelle brute pour 180’heures sera versée sur treize mois selon les règles en usage dans la société pour les personnes ayant acquis une ancienneté de neuf mois minimum et calculé au prorata du temps de présence, que le salarié ne démontre pas que, selon l’usage en vigueur dans l’entreprise, la prime de treizième mois était accordée sans condition de présence effective dans l’entreprise, et que la fiche de règles de paie de la société fait ressortir l’existence d’un abattement en cas d’absence, sauf maternité, accident du travail et accident de trajet.

23. En statuant ainsi, alors que l’accord collectif applicable, dont les dispositions sur ce point sont plus favorables que les stipulations du contrat de travail, n’exige pas d’autre condition au versement de la prime de treizième mois qu’une entrée dans l’entreprise antérieure au 1er’octobre 2007, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Sur le moyen relevé d’office

24. Après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l’article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 451-1 et L. 142-1 du code de la sécurité sociale’:

25. Il résulte de ces articles que si la juridiction prud’homale est seule compétente pour connaître d’un litige relatif à l’indemnisation d’un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire l’indemnisation des dommages résultant d’une maladie professionnelle, qu’elle soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

26. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, l’arrêt retient que celui-ci n’expose pas la nature et l’étendue du préjudice qu’il aurait subi à raison du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, en sorte que malgré la reconnaissance de la maladie professionnelle du salarié, la cour d’appel ne peut que garder sa compétence et le débouter de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.

27. En statuant ainsi, alors qu’il résultait d’une part des conclusions du salarié que celui-ci invoquait, au titre des préjudices subis, les souffrances endurées, la dégradation de son état de santé et son inaptitude, d’autre part des constatations de l’arrêt que, le 17 octobre 2015, la caisse avait pris en charge la maladie du salarié au titre de la législation professionnelle, et que, sous le couvert d’une action en responsabilité contre l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité, le salarié demandait en réalité la réparation d’un préjudice né de la maladie professionnelle dont il avait été victime, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Sur le deuxième moyen, en ce qu’il reproche à l’arrêt de renvoyer le salarié à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne ses demandes en dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de l’emploi

Énoncé du moyen

28. Le salarié fait grief à l’arrêt de le renvoyer à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne ses demandes en dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de l’emploi, alors «’que si l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité relève de la compétence exclusive du tribunal de la sécurité sociale, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bienfondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer le cas échéant une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse’; que lorsque le salarié demande réparation du préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail et fait valoir que son licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation de l’employeur de son obligation de sécurité, le juge prud’homal est compétent’; que la cour d’appel qui a décidé qu’elle était incompétente au profit de la juridiction des affaires de sécurité sociale sous prétexte que la perte de chance d’être rémunéré à 100’% constituait un préjudice résultant de la maladie professionnelle et que les dommages-intérêts pour licenciement abusif comprenaient le préjudice lié à la perte de l’emploi, du ressort de la juridiction de la sécurité sociale, sans s’expliquer sur le fait que le salarié demandait que son licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et sollicitait des dommages-intérêts à ce titre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 451-1 et L.’1242-1 du code de sécurité sociale et de l’article L. 1411-1 du code du travail.’»

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 1411-1 du code du travail et les articles L. 451-1 et L. 142-1 du code de la sécurité sociale’:

29. D’une part il résulte des textes susvisés que, si l’indemnisation des dommages résultant d’une maladie professionnelle, qu’elle soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

30. D’autre part, est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu’il est démontré que l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée.

31. Pour renvoyer le salarié à se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire en ce qui concerne ses demandes de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de l’emploi, après avoir constaté que le lien de causalité, au moins partiel, entre le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité qui a consisté à ne pas réduire le temps de conduite poids-lourd après l’avis médical de reprise du travail du 11 mai 2011 et la maladie professionnelle du salarié ayant abouti à son inaptitude, est avéré, l’arrêt retient que les dommages-intérêts pour licenciement abusif comprennent le préjudice lié à la perte de l’emploi et que cette demande d’indemnisation de la perte de l’emploi, même consécutive au licenciement pour inaptitude, correspond à une demande en réparation d’un préjudice né de la maladie professionnelle, du ressort de la juridiction des affaires de sécurité sociale saisie.

32. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le salarié demandait la réparation du préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail et faisait valoir que son licenciement pour inaptitude était dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation par l’employeur de son obligation de sécurité, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Sur le troisième moyen

Énoncé du moyen

33. Le salarié fait grief à l’arrêt de dire qu’il n’entre pas dans les pouvoirs de la juridiction judiciaire, dans le cadre d’un licenciement autorisé par l’inspecteur du travail, d’accorder des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au titre de l’irrégularité de la procédure de licenciement et du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement, alors «’que l’autorisation de licenciement pour inaptitude donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations et le juge judiciaire doit se prononcer sur les demandes de dommages-intérêts au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en raison des manquements de l’employeur’; que la cour d’appel qui s’est déclarée incompétente pour se prononcer sur la régularité de la procédure et le respect par l’employeur de son obligation de reclassement et accorder des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à ce titre, sans s’expliquer sur la demande formulée au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en raison des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16 et 24 août 1790, ensemble le principe de la séparation des pouvoirs, l’article L. 2421-3 alors applicable et l’article L. 4121-1 du code du travail.’»

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790, le principe de séparation des pouvoirs, l’article L. 2421-3, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, et l’article L.’4121-1, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, du code du travail’:

34. Il résulte des textes et du principe susvisés que, dans le cas où une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l’administration du travail de vérifier que l’inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement. Il ne lui appartient pas en revanche, dans l’exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d’un harcèlement moral dont l’effet serait la nullité de la rupture du contrat de travail. Ce faisant, l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations.

35. Pour dire qu’il n’entre pas dans les pouvoirs de la juridiction judiciaire dans le cadre du licenciement autorisé par l’inspecteur du travail d’accorder des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient que le lien de causalité, au moins partiel, entre le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité qui a consisté à ne pas réduire le temps de conduite poids-lourd après l’avis médical de reprise du travail du 11 mai 2011 et la maladie professionnelle du salarié ayant abouti à son inaptitude, était avéré, mais que son licenciement a été autorisé par l’inspecteur du travail par décision du 17 août 2015, en sorte que la juridiction judiciaire ne saurait, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, accorder des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

36. En statuant ainsi, sans examiner la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse fondée sur les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité à l’origine de l’inaptitude, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences de ses constatations, a violé les textes et le principe susvisés.

Et sur le cinquième moyen

Énoncé du moyen

37. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de ses demandes au titre des indemnités prévues à l’article L. 1226-14 du code du travail, alors «’que les règles protectrices applicables aux victimes d’accident du travail ou d’une maladie professionnelle, s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée a été portée à la connaissance de l’employeur au moment du licenciement’; qu’il suffit que l’employeur ait été informé de la volonté du salarié de faire reconnaître l’origine professionnelle de sa maladie à la date du licenciement’; que la cour d’appel qui a constaté que le lien de causalité entre le manquement à son obligation de sécurité et la maladie professionnelle était avéré, que l’employeur avait eu connaissance dès le 5 février 2015 de la volonté d’imputer sa maladie à son emploi et qui a considéré que l’employeur n’avait pas connaissance de l’origine professionnelle de la maladie au jour du licenciement le 26 août 2015, a violé l’article L. 1226-14 du code du travail.’»

Réponse de la Cour.

Vu les articles L. 1226-10, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, et L. 1226-14 du code du travail’:

38. Il résulte de ces textes que les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement.

39. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre de l’article L. 1226-14 du code du travail, l’arrêt retient que ce n’est que par courrier du 5 février 2015 que le salarié a indiqué à son employeur qu’il imputait sa pathologie et son inaptitude à son emploi de chauffeur et à ses conditions de travail non conformes aux préconisations du médecin du travail et demandait à l’employeur de déclarer un accident du travail, ce qu’il avait refusé, que le salarié avait alors procédé à la déclaration de maladie professionnelle le 11 avril 2015, postérieurement à l’engagement de la procédure de licenciement le 3 février 2015, que les relevés de paiement des indemnités journalières de sécurité sociale pour les années 2013 et 2014 versés aux débats ne font état que d’indemnités journalières normales et non pas d’indemnités journalières pour accident du travail ou maladie professionnelle, que ce n’est qu’en octobre 2015 que le caractère professionnel de la maladie du salarié a été reconnu par la caisse et que ces éléments ne permettent pas de considérer que l’employeur avait connaissance de l’origine professionnelle de l’inaptitude lors du licenciement le 26 août 2015.

40. En statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que l’inaptitude du salarié était imputable au manquement de l’employeur qui n’avait pas réduit le temps de conduite du poids-lourd du salarié après l’avis médical de reprise du travail du 11 mai 2011, que celui-ci avait informé son employeur le 5 février 2015 qu’il imputait sa pathologie à ses conditions de travail non conformes aux préconisations du médecin du travail et lui avait demandé de déclarer un accident du travail, ce que l’employeur avait refusé, que le salarié avait procédé à la déclaration de maladie professionnelle le 11 avril 2015 et que le licenciement avait été notifié le 26 août 2015, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

41. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

42. L’intérêt d’une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue sans renvoi sur la juridiction compétente pour connaître de la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.

43. Cette demande d’indemnisation des dommages résultant d’une maladie professionnelle relève de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire et il y a lieu de renvoyer le salarié devant le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille, déjà saisi.’»

[12] Par arrêt avant dire droit du 22 novembre 2024, la cour de céans a’:

ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de’:

expliciter leur position concernant le rappel de primes P1 P2 P3 et les congés payés y afférents alloués par le jugement entrepris’;

produire l’accord d’entreprise relatif à la NAO 2013′;

renvoyé la cause à l’audience du mardi 28 janvier 2025 pour y être plaidée’;

sursis à statuer pour le surplus’;

réservé les dépens.

[13] Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 24 septembre 2024 aux termes desquelles la SAS GEODIS RT CHIMIE [Localité 2] demande à la cour de’:

infirmer le jugement entrepris’;

dire que le salarié a été rempli de l’ensemble de ses droits en matière de 13e mois’;

dire que l’inaptitude du salarié ne peut lui être imputée et ne présente pas un caractère professionnel’;

débouter le salarié de l’ensemble de ses demandes’;

condamner le salarié au paiement de la somme de 2’500 » au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

[14] Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 28 janvier 2025 aux termes desquelles M. [F] [Y] demande à la cour de’:

infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit irrecevables ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement abusif et sans cause réelle et sérieuse en retenant que le licenciement avait été régulièrement autorisé par décision de l’inspecteur du travail en date du 17 août 2015 et l’infirmer sur le quantum des indemnités spéciales et du rappel de prime de 13e mois versés’;

fixer le salaire de référence à la somme de 2’582,67 » bruts mensuel’;

condamner l’employeur à lui verser un rappel de primes de 13e mois d’un montant total de 6’145,73 » bruts’;

confirmer la condamnation de l’employeur au versement de la somme de 5’760 » à titre de rappel de primes P1 P2 P3 ainsi que l’incidence congés payés de 576 »’;

confirmer que l’inaptitude déclarée a pour origine sa maladie professionnelle et que l’employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement’;

confirmer l’application des règles protectrices applicables aux victimes d’une maladie professionnelle et la condamnation de l’employeur au paiement des indemnités spéciales en résultant et en infirmer le quantum, savoir’:

indemnité spéciale de licenciement’: 8’091,35 » nets’;

indemnité compensatrice de préavis’: 5’165,34 » bruts’;

incidence congés payés sur préavis’: 516,53 » bruts’;

confirmer le manquement par l’employeur à son obligation de sécurité qui est à l’origine de l’inaptitude’;

constater que l’employeur n’a pas consulté les délégués du personnel avant toute recherche de reclassement et avant l’engagement de la procédure de licenciement et a manqué à son obligation de reclassement’;

requalifier le licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse et abusif’;

condamner l’employeur à lui verser la somme de 62’000 » nets de CSG et CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse’;

confirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions’;

ordonner à l’employeur de procéder à la délivrance des documents sociaux rectifiés (attestation Pôle Emploi, solde de tout compte, dernier bulletin de salaire), sous astreinte de 150 » par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt’;

rappeler que les créances à caractère salarial portent intérêt au taux légal à compter du jour de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation, et que les créances à caractère indemnitaire portent intérêts à compter du jour où elles sont judiciairement fixées, avec application de l’anatocisme’;

condamner l’employeur à payer à Maître Axel POULAIN, avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, la somme de 7’200 » au titre de l’alinéa 2 de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[15] Il sera tout d’abord relevé que le jugement entrepris est définitivement infirmé en ce qu’il avait accordé au salarié’les sommes suivantes’:

 » » »’447,26 » à titre de congés payés sur rappel de 13e mois’;

 »25’000,00 » à titre de dommages et intérêts en partie en réparation de la perte de chance d’être rémunéré à 100’% de son salaire, le salarié étant renvoyé à se pourvoir de ce chef devant le pôle social du tribunal judiciaire’;

 » »2’500,00 » à titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, les parties étant renvoyées concernant cette demande devant le pôle social du tribunal judiciaire.

1/ Concernant le rappel de primes P1 P2 P3 et les congés payés y afférents

[16] Concernant le rappel de primes P1 P2 P3, le jugement entrepris avait alloué au salarié la somme de’5’760 » outre celle de’576 » au titre des congés payés y afférents. L’employeur sollicitait l’infirmation du jugement de ce chef dans sa déclaration d’appel et, dans ces dernières écritures, il réclame l’infirmation du jugement entrepris ainsi que le débouté du salarié de l’ensemble de ses demandes sans toutefois articuler de critique concernant les primes précitées. L’employeur n’a pas conclu à nouveau après la réouverture des débats.

[17] Le salarié sollicite la confirmation de la condamnation au versement de la somme de 5’760 » à titre de rappel de primes P1 P2 P3 ainsi que l’incidence congés payés de 576 » en faisant valoir que ce chef de confirmation n’a pas été frappé de cassation, la Cour suprême n’ayant été saisie d’aucune demande ni moyen en ce sens. La cour constate que la cassation s’étend formellement à ce chef du dispositif de l’arrêt cassé mais que l’employeur n’articule plus aucune critique concernant ce chef de condamnation qui apparaît fondé. Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu’il a alloué au salarié la somme de’5’760 » à titre de rappel de primes P1 P2 P3 outre la somme de’576 » au titre des congés payés y afférents.

2/ Sur la prime de 13e mois

[18] Le salarié fait valoir qu’aux termes de l’article 2 du chapitre V de l’accord d’entreprise relatif à la NAO 2013 concernant les règles sociales et les rémunérations de l’ensemble des salariés’il est stipulé que’: «’les salariés entrés dans l’entreprise avant le 1er octobre 2007 bénéficient d’un 13e mois dont le versement s’effectue avec la paye de décembre, soit entre le 20 et le 25’décembre de chaque année. Le 13e mois sera payé ancienneté incluse’». Il en déduit qu’entré dans l’entreprise le 1er septembre 2003 il devait bénéficier de cette prime de 13e mois alors qu’elle ne lui a pas été versée pour les années 2013 et 2014. Aussi réclame-t-il le paiement des sommes suivantes’:

 »année 2013′: 2’582,67 »’;

 »année 2014′: 2’582,67 »’;

 »année 2015′: ((2’582,67 » / 12) x 10) -1’171,83 ») = 980,39 »’;

soit un total de 6’145,73 » bruts.

[19] L’employeur s’oppose à cette demande en faisant valoir que l’accord d’entreprise précité n’avait aucunement vocation à déterminer les modalités de règlement de la prime de 13e’mois. Subsidiairement, il sollicite que les demandes soient ramenées aux sommes suivantes’:

 »pour 2013′: 1’488,08 » + 126,58 » = 1’614,66 »’;

 »pour 2014′: 1’488,08 » + 126,58 » = 1’614,66 »’;

 »pour 2015′: 930,39 »

soit la somme brute totale de 4’159,71 ».

[20] Aux termes de l’article 1134 devenu 1103 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Aux termes de l’article L. 2254-1 du code du travail, lorsqu’un employeur est lié par les clauses d’une convention ou d’un accord, ces clauses s’appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf stipulations plus favorables. Aux termes l’article 2 du chapitre V de l’accord d’entreprise relatif à la NAO 2013 concernant les règles sociales et les rémunérations de l’ensemble des salariés, les salariés entrés dans l’entreprise avant le 1er octobre’2007 bénéficient d’un 13e mois dont le versement s’effectue avec la paye de décembre, soit entre le 20 et le 25 décembre de chaque année. Le 13e mois sera payé ancienneté incluse.

[21] L’accord collectif applicable, dont les dispositions sur ce point sont plus favorables que les stipulations du contrat de travail, n’exige pas d’autre condition au versement de la prime de 13e’mois qu’une entrée dans l’entreprise antérieure au 1er octobre 2007, dès lors le salarié est bien fondé à solliciter une prime de 13e mois pour les années 2013, 2014 et 2015.

[22] L’employeur conteste encore les montants sollicités au motif que la prime de 13e mois correspond à l’addition du salaire de référence et de la prime d’ancienneté, aucune autre prime n’étant prise en considération comme le démontre les primes de 13e mois qui ont été versées au salarié. Ce dernier ne répond pas à cette objection qui apparaît fondée. En conséquence, il sera alloué au salarié la somme de 4’159,71 » bruts à titre de rappel de prime de 13e mois.

3/ Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

[23] Le salarié soutient que le manquement par l’employeur à son obligation de sécurité est à l’origine de son inaptitude, que ce dernier n’a pas consulté les délégués du personnel avant toute recherche de reclassement et avant l’engagement de la procédure de licenciement et a manqué à son obligation de reclassement, aussi sollicite-t-il la requalification du licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse et abusif’ainsi que l’allocation de la somme de 62’000 » nets de CSG et CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

[24] L’employeur répond que le salarié n’a, pendant toute la période couverte par les avis d’aptitude avec réserves (soit entre 2011 et 2015), nullement été soumis à des conditions d’emploi susceptibles d’aggraver son état de santé et qu’il n’a, en cours de contrat, fait l’objet d’aucune préconisation en lien avec une exposition aux vibrations. Il soutient ainsi que le déclenchement de la maladie du salarié ne peut pas résulter d’un manquement à l’obligation de sécurité. Il précise que l’avis de reprise du 11 mai 2011 indiquait’: «’Apte à la reprise à temps partiel [‘]. Pas de manutention lourde. Pas de manutention répétitive prolongée’» et qu’afin de satisfaire à ces préconisations, le salarié était réaffecté sur une activité appelant des manutentions de charges plus légères et moins répétitives que celles dont il avait eu à connaître jusqu’alors et que dans le même temps, il veillait à alléger sa charge de travail par l’effet d’un changement de trafic le conduisant à accomplir un temps de service très en deçà de son horaire contractuel de travail fixé à 200’heures tout en maintenant néanmoins le niveau de sa rémunération. L’employeur ajoute que cet aménagement s’avérait pertinent puisque le médecin du travail a, quelques années plus tard, constaté l’inaptitude du salarié à un poste sans conduite PL et sans manutention sans avoir, entre-temps, jamais signalé que le temps de travail de l’intéressé serait inadapté à son état de santé.

[25] La cour retient que le salarié a été employé en qualité de chauffeur poids lourds du 1er’septembre 2003 au 26 août 2015 à temps complet, que la fiche de visite du 11 mai 2011 mentionnait’: «’Apte à la reprise à temps partiel [‘] Pas de manutention lourde. Pas de manutention répétitive prolongée’», que selon certificat médical établi le 25 octobre 2014 par le médecin du travail «’l’état de santé de M. [F] [Y] ne lui permet pas de reprendre une (activité) de chauffeur PL’», que ce dernier a été placé en invalidité catégorie 2 le 29 octobre 2014. Ainsi, selon les recommandations de la médecine du travail, l’aptitude au poste de chauffeur super poids lourd était limitée à un poste à temps partiel sans manutention lourde. Bien que l’employeur ait affecté le salarié à une activité appelant des manutentions de charges plus légères à compter de la visite médicale de reprise du 11 mai 2011, il ne démontre pas avoir respecté les préconisations du médecin du travail portant sur la limitation du poste de chauffeur super poids lourds à un temps partiel, tel que recommandé par le médecin alors que les bulletins de salaires versés établissent que le salarié continuait à travailler à temps complet, sur la base d’un forfait mensuel de 200’heures. Ainsi, l’employeur a manqué à son obligation de sécurité et a de ce fait causé l’invalidité du salarié, laquelle ne peut dès lors constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. Le salarié disposait d’une ancienneté de 12’ans et il était âgé de 55’ans au temps du licenciement. Il justifie être demeuré demandeur d’emploi jusqu’à son placement en retraite et avoir dû subvenir à ses charges au seul moyen de sa pension d’invalidité et de l’allocation spécifique de solidarité une fois qu’il n’a plus été bénéficiaire de l’aide au retour à l’emploi, soit à compter de fin 2018. Il lui sera dès lors alloué une somme équivalente à 11’mois de salaire soit 2’582,67 » x 11’mois = 28’409,37 » nets de CSG et de CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

4/ Sur l’application des règles protectrices des victimes de maladie professionnelle

[26] Le salarié soutient que son inaptitude a pour origine sa maladie professionnelle et que l’employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement. Il sollicite ainsi l’application des règles protectrices applicables aux victimes d’une maladie professionnelle.

[27] Il résulte des articles L. 1226-10, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22’mars 2012, et L. 1226-14 du code du travail que les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement. Dès lors que l’inaptitude du salarié était imputable au manquement de l’employeur qui n’avait pas réduit le temps de conduite du salarié après l’avis médical de reprise du travail du 11 mai 2011, que celui-ci avait informé son employeur le 5’février’2015 qu’il imputait sa pathologie à ses conditions de travail non-conformes aux préconisations du médecin du travail et lui avait demandé de déclarer un accident du travail, ce que l’employeur avait refusé, que le salarié avait procédé à la déclaration de maladie professionnelle le 11 avril 2015 et que le licenciement a notifié le 26 août 2015, l’employeur avait bien connaissance de l’origine professionnelle de l’inaptitude du salarié et il se trouvait tenu de le faire bénéficier des règles protectrices des victimes de maladie professionnelle.

5/ Sur l’indemnité spéciale de licenciement

[28] Le salarié sollicite la somme de 8’091,35 » nets à titre d’indemnité spéciale de licenciement, déduction faite des sommes déjà versées selon le calcul suivant [(2’582,67 » × 1/5’×’10)] + [(2’582,67 » × 1/5’×’2) + (2’582,67 » × 2/15’×’2) + (((2’582,67 » × 1/5) + (2’582,67 » × 2/15)) × 1/12) + (((2’582,67 » × 1/5) + (2’582,67 » × 2/15)) × 26/365)] × 2 = 14’040,36 » ‘ 5’949,01 » (versée au solde de tout compte) = 8’091,35 ».

[29] L’employeur répond que le salaire mensuel s’établit, au dernier état de la collaboration, à la somme de 2’236,31 » décomposée comme suit’: salaire de base, 1’488,08 », heures supplémentaires, 621,65 » et prime d’ancienneté, 126,58 » et qu’ainsi le salaire de référence se monte à 2’530,86 » soit 2’236,31 » + 160 » (prime P1, P2) + [1’614,66 » × 1/12 (13e mois)]. Il ajoute que l’ancienneté à prendre en compte exclut les absences pour maladie et se réduit ainsi à 7’ans et 4’mois et qu’ainsi l’indemnité spéciale s’établit à la somme de ((1/5’×’2’530,86 »’×’7) + (1/5’×’2’530,86 » x 4/12)) x 2 = 7’423,84 » dont il convient de déduire la somme versée à la rupture du contrat, 5’949,01 », soit un solde de 1’474,83 ».

[30] La cour retient qu’au sens du droit de la sécurité sociale il a été définitivement jugé que les périodes d’arrêt de travail ont bien été causées par une maladie professionnelle, qui plus est elle-même causée par la faute inexcusable de l’employeur. L’article R. 1234-4 du code du travail, dans sa version en vigueur du 1er mai 2008 au 27 septembre 2017, disposait que’:

«’Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié’:

1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement’;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n’est prise en compte que dans la limite d’un montant calculé à due proportion.’»

En application de ces règles, le calcul proposé par le salarié apparaît bien fondé et il lui sera dès lors alloué la somme réclamée de 8’091,35 » nets à titre d’indemnité spéciale de licenciement, déduction faite des sommes déjà versées.

6/ Sur l’indemnité compensatrice de l’article L. 1226-14 du code du travail

[31] Le salarié sollicite la somme de 2’582,67 » x 2’mois = 5’165,34 » bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis’outre la somme de 516,53 » bruts au titre des congés payés y afférents. L’employeur répond que l’indemnité compensatrice de l’article L. 1226-14 du code du travail se monte à 5’061,72 » et n’ouvre pas droit à indemnité pour congés payés.

[32] La cour retient que le montant de l’indemnité compensatrice est égal aux salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavis. En application de l’article L. 1226-14 du code du travail, l’indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis n’a pas la nature d’une indemnité de préavis et n’ouvre pas droit à congés payés. Il sera dès lors alloué au salarié à ce titre la seule somme de 5’165,34 » bruts.

7/ Sur les autres demandes

[33] L’employeur délivrera au salarié les documents sociaux rectifiés (attestation France Travail, solde de tout compte, dernier bulletin de salaire) sans qu’il soit besoin de prononcer une mesure d’astreinte.

[34] Les sommes allouées à titre salarial porteront intérêt au taux légal à compter du jour de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation, et les sommes allouées à titre indemnitaire portent intérêts à compter du présent arrêt. Les intérêts seront capitalisés pour autant qu’ils soient dus pour une année entière.

[35] Il convient d’allouer à Maître Axel POULAIN, avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, la somme de 1’500 » au titre de l’alinéa 2 de l’article 700 du code de procédure civile. L’employeur supportera les dépens de renvoi.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Constate que le jugement entrepris est définitivement infirmé en ce qu’il avait accordé à M.'[F] [Y]’les sommes suivantes’:

 »la somme de 447,26 » à titre de congés payés sur rappel de 13e mois’;

 »la somme de 25’000 » à titre de dommages et intérêts en partie en réparation de la perte de chance d’être rémunéré à 100’% de son salaire, le salarié étant renvoyé à se pourvoir de ce chef devant le pôle social du tribunal judiciaire’;

 »la somme de 2’500 » à titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, les parties étant renvoyées concernant cette demande devant le pôle social du tribunal judiciaire.

Constate qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le chef de dispositif du jugement entrepris ayant débouté M. [F] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a’:

dit que l’inaptitude de M. [F] [Y] est consécutive au manquement à l’obligation de sécurité de la SAS GEODIS RT CHIMIE [Localité 2]’;

condamné la SAS GEODIS RT CHIMIE [Localité 2] à payer à M. [F] [Y] les sommes suivantes’:

‘5’760,00 » à titre de rappel de primes P1 P2 P3′;

 » »576,00 » au titre des congés payés afférents sur rappel de prime’;

‘1’500,00 » sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

ordonné l’exécution provisoire’;

condamné la SAS GEODIS RT CHIMIE [Localité 2] aux entiers dépens.

L’infirme pour le surplus.

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Condamne la SAS GEODIS RT CHIMIE [Localité 2] à payer à M. [F] [Y] les sommes suivantes’:

 »4’159,71 » bruts à titre de rappel de prime de 13e mois’;

 »8’091,35 » nets à titre d’indemnité spéciale de licenciement, déduction déjà faite des sommes versées’;

 »5’165,34 » bruts à titre indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis’;

28’409,37 » nets de CSG et de CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dit que la SAS GEODIS RT CHIMIE [Localité 2] délivrera à M. [F] [Y] les documents sociaux rectifiés (attestation France Travail, solde de tout compte, dernier bulletin de salaire).

Dit que les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour de la réception par la SAS GEODIS RT CHIMIE [Localité 2] de sa convocation devant le bureau de conciliation, et que les sommes allouées à titre indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Dit que les intérêts seront capitalisés pour autant qu’ils soient dus pour une année entière.

Condamne la SAS GEODIS RT CHIMIE [Localité 2] à payer à Maître Axel POULAIN, avocat de M. [F] [Y] bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, la somme de 1’500 » au titre des frais irrépétibles de renvoi.

Condamne la SAS GEODIS RT CHIMIE [Localité 2] aux dépens de renvoi.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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