Inaptitude et protection des salariés : enjeux de compétence et de droits.

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Inaptitude et protection des salariés : enjeux de compétence et de droits.

L’Essentiel : M. [F] a été engagé par Inveho Ufo en mai 1993 et a évolué vers un poste de responsable planning en 2016. En février 2020, il signale un harcèlement de la part d’un supérieur, entraînant un changement d’affectation. En novembre 2020, il saisit la juridiction prud’homale pour discrimination et harcèlement, demandant la résiliation de son contrat. Licencié en mai 2022 pour inaptitude, il conteste la décision de la cour d’appel sur l’incompétence du juge judiciaire. La Cour rappelle que l’autorisation de licenciement n’empêche pas le salarié de faire valoir ses droits, mais rejette finalement ses demandes.

Engagement et évolution professionnelle

M. [F] a été engagé par la société Inveho Ufo le 3 mai 1993 en tant qu’aide-réparateur, avec une ancienneté reconnue depuis le 1er janvier 1991. Il a été promu responsable planning ordonnancement le 16 mars 2016 et détient un mandat de représentation du personnel depuis le 22 décembre 2014.

Signalement de harcèlement et changement d’affectation

Le 19 février 2020, M. [F] a alerté son employeur concernant un comportement qu’il considérait comme harcelant de la part d’un supérieur hiérarchique. En réponse, la société l’a informé de son changement d’affectation le 25 mai 2020. M. [F] a ensuite été en arrêt de travail à partir du 5 juin 2020.

Actions judiciaires et licenciement

Le 19 novembre 2020, M. [F] a saisi la juridiction prud’homale, alléguant avoir subi une discrimination liée à son mandat et un harcèlement moral. Il a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que diverses indemnités. Le 25 mai 2022, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après avis du comité social et économique et autorisation du ministre du travail.

Incompétence du juge judiciaire

M. [F] a contesté la décision de la cour d’appel qui a jugé que le juge judiciaire était incompétent pour statuer sur ses demandes concernant la nullité de son licenciement et les dommages-intérêts associés. Il a soutenu que l’autorisation de licenciement ne devait pas empêcher le juge de considérer les manquements de l’employeur.

Réponse de la Cour

La Cour a précisé que l’autorisation de licenciement ne faisait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir ses droits devant les juridictions judiciaires. Cependant, elle a également souligné que le ministre du travail avait exclu tout lien entre le licenciement et le mandat de M. [F], ce qui a conduit à la décision de la cour d’appel de ne pas statuer sur les demandes de dommages-intérêts et de nullité du licenciement.

Conclusion de la Cour

La cour d’appel a déclaré irrecevables les demandes de M. [F], considérant qu’elles se heurtaient à l’autorité de la chose décidée par le ministre du travail. La Cour a ainsi conclu que le moyen soulevé par M. [F] n’était pas fondé.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la compétence du juge judiciaire en matière de licenciement d’un salarié protégé ?

Le juge judiciaire a une compétence limitée lorsqu’il s’agit de statuer sur le licenciement d’un salarié protégé, notamment lorsque ce licenciement est fondé sur une inaptitude physique.

En vertu de l’article L. 2421-3 du Code du travail, il est précisé que :

« Le licenciement d’un salarié protégé ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail. »

Cela signifie que l’autorisation de licenciement donnée par l’administration du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié puisse faire valoir ses droits devant les juridictions judiciaires,

notamment en ce qui concerne l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ou la nullité de celui-ci.

Cependant, le juge ne peut pas se prononcer sur la résiliation judiciaire d’un contrat de travail après qu’un licenciement ait été notifié sur la base d’une autorisation administrative.

Il doit se limiter à examiner les demandes de dommages-intérêts qui pourraient découler de l’absence de cause réelle et sérieuse ou de la nullité du licenciement.

Quelles sont les implications de la décision du ministre du travail sur le licenciement d’un salarié protégé ?

La décision du ministre du travail a un impact significatif sur la compétence du juge judiciaire.

Selon l’article L. 1132-1 du Code du travail, il est stipulé que :

« Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire en raison de ses activités syndicales ou de sa qualité de représentant du personnel. »

Dans le cas présent, le ministre a conclu que le comportement du supérieur hiérarchique n’était pas constitutif de harcèlement et que la rétrogradation du salarié n’était pas une mesure de rétorsion.

Ces motifs, qui soutiennent la décision d’autorisation de licenciement, s’imposent au juge judiciaire en vertu du principe de séparation des pouvoirs.

Ainsi, le juge ne peut pas remettre en cause cette décision administrative, ce qui limite sa capacité à examiner les allégations de harcèlement ou de discrimination.

Comment le principe de séparation des pouvoirs affecte-t-il les demandes de dommages-intérêts ?

Le principe de séparation des pouvoirs joue un rôle crucial dans la détermination des compétences respectives des juridictions administratives et judiciaires.

L’article 81 du Code de procédure civile stipule que :

« Le juge est tenu de respecter les règles de compétence. »

Dans le contexte de ce litige, la cour d’appel a jugé que les demandes du salarié, qui se fondaient sur des allégations de harcèlement et de discrimination, étaient irrecevables.

Cela est dû au fait que ces demandes se heurtaient à l’autorité de la chose décidée par le ministre du travail, qui avait déjà statué sur ces questions.

Ainsi, la cour n’a pas excédé ses pouvoirs en déclarant ces demandes irrecevables, car elle a respecté le cadre légal établi par les décisions administratives antérieures.

En conséquence, le salarié ne peut pas obtenir de dommages-intérêts pour des faits qui ont déjà été examinés et tranchés par l’autorité administrative.

SOC.

ZB1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 janvier 2025

Rejet

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 66 F-D

Pourvoi n° B 23-13.226

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 JANVIER 2025

M. [G] [F], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 23-13.226 contre l’arrêt rendu le 25 novembre 2022 par la cour d’appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige l’opposant à la société Inveho Ufo, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bérard, conseiller, les observations de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de M. [F], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Inveho Ufo, après débats en l’audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bérard, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué et les productions (Bourges, 25 novembre 2022), M. [F] a été engagé le 3 mai 1993 par la société Inveho Ufo (la société), en qualité d’aide-réparateur avec reprise d’ancienneté au 1er janvier 1991, puis a été promu responsable planning ordonnancement le 16 mars 2016.

2. Il est titulaire d’un mandat de représentation du personnel depuis le 22 décembre 2014.

3. Il a alerté le 19 février 2020 son employeur du comportement estimé harcelant de la part d’un supérieur hiérarchique.

4. La société l’a informé de son changement d’affectation le 25 mai 2020.

5. Le salarié a été en arrêt de travail à compter du 5 juin 2020.

6. Soutenant avoir subi une discrimination à raison de son mandat et un harcèlement moral, le salarié a saisi la juridiction prud’homale le 19 novembre 2020 d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que de demandes de condamnation de la société à lui payer diverses sommes à titre de maintien de salaire, d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité de licenciement, d’indemnité pour violation du statut protecteur, ainsi que de dommages-intérêts pour licenciement nul, pour harcèlement moral et pour discrimination en raison de son mandat électif.

7. Le 25 mai 2022, le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement après avis du comité social et économique et autorisation de licenciement délivrée par décision du ministre du travail en date du 9 mai 2022.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait grief à l’arrêt de juger que le juge judiciaire est incompétent pour statuer sur ses demandes de dire le licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, pour harcèlement moral, pour discrimination en raison du mandat électif et pour violation du statut protecteur et de déclarer en conséquence ces demandes irrecevables, alors :

« 1°/ que dans le cas où une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l’administration du travail de vérifier que l’inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement ; qu’il ne lui appartient pas en revanche, dans l’exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d’un harcèlement moral ou d’une discrimination dont l’effet serait la nullité de la rupture du contrat de travail, ni d’apprécier les fautes commises par l’employeur à l’égard du salarié protégé pendant la période antérieure au licenciement ; qu’en conséquence, l’autorisation de licenciement donnée par l’administration du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié protégé fasse valoir devant les juridictions de l’ordre judiciaire tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations antérieur au licenciement ; qu’en énonçant, par conséquent, que, compte tenu de la décision d’autorisation du licenciement du salarié délivrée le 9 mai 2022 par le ministre du travail, le juge judiciaire n’était pas compétent pour statuer sur son licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement et sur les manquements de l’employeur allégués par le salarié dans la mesure où ils avaient été pris en compte par l’autorité administrative lors de son contrôle, la cour d’appel a violé le principe de séparation des pouvoirs et les dispositions de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III et des articles, L. 1132-1, L. 1132-4, L. 1152-1, L. 1152-2, L. 1152-3 et L. 2421-3 du code du travail ;

2°/ que, d’autre part, la cour d’appel, qui se déclare incompétente pour connaître de l’action dont elle est saisie, excède ses pouvoirs en statuant sur cette action ; qu’en déclarant irrecevables les demandes formées par le salarié visant à obtenir la nullité du licenciement, à tout le moins qu’il soit dit qu’il était sans cause réelle et sérieuse, et le paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul, pour harcèlement moral, pour discrimination en raison du mandat électif et pour violation du statut protecteur, après s’être déclarée incompétente pour connaître de ces demandes, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs, en violation des dispositions des articles 81 et 562 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

9. En premier lieu, l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations. A cet égard, si le juge ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire postérieurement au prononcé du licenciement notifié sur le fondement d’une autorisation administrative de licenciement accordée à l’employeur, il lui appartient, le cas échéant, de faire droit aux demandes de dommages-intérêts au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse ou de la nullité du licenciement ainsi que d’ordonner le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage.

10. Les motifs par lesquels le ministre du travail exclut tout lien avec le mandat pour autoriser le licenciement d’un salarié protégé sont le soutien nécessaire de sa décision et s’imposent, en vertu de la séparation des pouvoirs, au juge judiciaire.

11. Ayant retenu que la décision du ministre du travail autorisant le licenciement du salarié pour inaptitude avait expressément conclu que le comportement du supérieur hiérarchique ayant fait l’objet de l’alerte effectuée par le salarié n’était pas constitutif d’un harcèlement et que la rétrogradation invoquée par le salarié comme mesure de rétorsion à la suite de cette alerte n’était pas constituée et relevé que le salarié se fondait exclusivement sur ces éléments au soutien de ses demandes au titre de la discrimination syndicale et du harcèlement moral, la cour d’appel en a déduit exactement, ces motifs étant le soutien nécessaire de la décision du ministre autorisant le licenciement en l’absence de tout lien avec le mandat, que le juge judiciaire ne pouvait, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, statuer sur les manquements allégués par le salarié au soutien de ses demandes de dommages-intérêts et de nullité du licenciement.

12. En second lieu, en déclarant irrecevables les demandes du salarié comme se heurtant à l’autorité de la chose décidée par le ministre du travail, la cour d’appel, qui n’a pas statué au fond, n’a pas excédé ses pouvoirs.

13. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé.


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