Fraude aux droits des créanciersL’article 1341-2 du Code civil stipule que les actes effectués en fraude des droits des créanciers peuvent être déclarés inopposables à ceux-ci. La jurisprudence a établi que la volonté de frauder peut être déduite de la proximité temporelle entre l’acte de donation et la connaissance par le donateur de l’existence d’une créance à son encontre. Créance certaine et exigibilitéLa créance du FGTI a été reconnue dès le 18 mai 2012, date à laquelle une provision a été versée à la victime, M. [U]. La reconnaissance de la responsabilité pénale de M. [Y] par la chambre d’instruction le 11 mars 2014 a établi la certitude de la créance, même si la condamnation définitive n’est intervenue qu’après la donation. Opposabilité de l’acte de donationSelon l’article 1.202 du Code civil, un acte de donation n’est opposable aux tiers qu’après sa publication. Dans cette affaire, la donation a été publiée le 22 décembre 2015, soit après la condamnation de M. [Y], ce qui a permis au FGTI de revendiquer l’inopposabilité de l’acte. Élément moral de la fraudeLa jurisprudence considère que la conscience de causer un dommage à un créancier, même en l’absence de condamnation définitive, peut suffire à établir l’élément moral de la fraude. M. [Y] était conscient de son obligation d’indemniser la victime au moment de la donation, ce qui a été déterminant dans l’appréciation de la fraude. Indemnité au titre de l’article 700 du Code de procédure civileL’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à verser une somme à l’autre partie pour couvrir les frais non compris dans les dépens. Dans cette affaire, le FGTI a été reconnu fondé à obtenir une indemnité en raison de la décision favorable rendue à son encontre. |
L’Essentiel : L’article 1341-2 du Code civil stipule que les actes effectués en fraude des droits des créanciers peuvent être déclarés inopposables. La créance du FGTI a été reconnue dès le 18 mai 2012. La reconnaissance de la responsabilité pénale de M. [Y] a établi la certitude de la créance. La donation a été publiée le 22 décembre 2015, permettant au FGTI de revendiquer l’inopposabilité de l’acte. M. [Y] était conscient de son obligation d’indemniser la victime au moment de la donation.
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Résumé de l’affaire : M. [R] [Y] et Mme [V] [S] étaient propriétaires d’une maison située à [Adresse 6]. Le 4 avril 2011, M. [T] [U] a été victime d’une agression violente, entraînant une infirmité permanente, commise par M. [R] [Y] et d’autres. En mai 2012, la commission d’indemnisation des victimes d’infraction a accordé à M. [U] une provision de 15.000 € pour ses préjudices. En mars 2014, M. [R] [Y] a été mis en accusation devant la cour d’assises de la Gironde.
Le 2 décembre 2015, M. [Y] et Mme [S] ont donné leur maison, estimée à 200.000 €, à leurs quatre filles. Cette donation a été publiée le 22 décembre 2015. En décembre 2015, la cour d’assises a condamné M. [R] [Y] à une peine d’emprisonnement et à payer 65.000 € au FGTI, qui avait versé des provisions à M. [U]. Par la suite, le FGTI a versé d’autres provisions à M. [U], portant le total à 115.000 €. En août 2018, le FGTI a assigné M. [Y], Mme [S] et leurs enfants devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, arguant que la donation était frauduleuse. Le 8 septembre 2022, le tribunal a constaté que la donation était inopposable au FGTI, la qualifiant de fraude aux droits du créancier, et a condamné les donateurs à verser 1.000 € au FGTI. Les consorts [Y]/[S] ont fait appel, soutenant que la créance du FGTI n’était pas certaine au moment de la donation. Le FGTI a demandé la confirmation du jugement. La cour a constaté que la donation avait été réalisée en connaissance de cause par M. [Y], qui savait qu’il devait indemniser M. [U]. La cour a confirmé le jugement initial et a condamné les appelants à verser 2.000 € au FGTI au titre de l’article 700 du code de procédure civile. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le fondement juridique de l’action du FGTI contre l’acte de donation ?L’action du FGTI repose sur les dispositions de l’article 1341-2 du code civil, qui permet à un créancier d’agir en fraude des droits en cas de donation réalisée dans l’intention de soustraire des biens à ses créanciers. Cet article stipule que « le créancier peut demander l’annulation des actes qui ont pour effet de diminuer le patrimoine du débiteur, lorsque ces actes ont été faits dans l’intention de frauder ses droits ». Ainsi, le FGTI a justifié sa créance en principal de plus de 110.000 € à l’encontre des condamnés impliqués dans le crime, créance qui a été portée à plus de 530.000 €. La cour a constaté que la donation du 2 décembre 2015 constituait un acte d’appauvrissement du patrimoine de M.[Y], ce qui a permis de caractériser la fraude. Quel est l’impact de la date de la condamnation sur la validité de la donation ?La cour a relevé que la donation n’a été publiée au fichier immobilier que le 22 décembre 2015, soit après les arrêts de condamnation de la cour d’assises. Cela signifie que la créance du FGTI, qui a pris naissance dès le 18 mai 2012, était antérieure à la date d’opposabilité aux tiers de la donation litigieuse. L’article 1.202 du code civil précise que « les actes de disposition ne peuvent être opposés aux créanciers que s’ils ont été publiés ». Ainsi, même si M.[Y] n’avait pas encore été condamné au moment de la donation, il avait conscience de son obligation d’indemniser la victime, ce qui a conduit à la caractérisation de la fraude. Quel est le rôle de la conscience de M.[Y] dans l’évaluation de la fraude ?La cour a souligné que M.[Y] était conscient de sa responsabilité pénale dans les faits pour lesquels il avait été mis en examen. Cette conscience, acquise dès le 11 mars 2014, a été déterminante pour établir l’élément moral de la fraude. L’article 1341-2 du code civil mentionne que la fraude peut être caractérisée même si le débiteur n’a pas encore été condamné, tant qu’il a conscience de causer un dommage à son créancier. Ainsi, le court délai entre la donation et la comparution de M.[Y] devant la cour d’assises a renforcé l’argument du FGTI selon lequel la donation avait été réalisée dans l’intention de soustraire son patrimoine à ses créanciers. Quel est le montant de l’indemnité accordée au FGTI au titre de l’article 700 du code de procédure civile ?La cour a condamné in solidum les appelants à verser au FGTI une indemnité de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Cet article prévoit que « la partie qui succombe peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ». Ainsi, le FGTI a obtenu cette indemnité en raison de la nécessité de couvrir ses frais de justice liés à l’appel, ce qui a été jugé justifié par la cour. |
1ère CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 31 MARS 2025
N° RG 22/05440 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-NADC
[R] [Y]
[V] [S]
[W] [Y]
[C] [Y]
[N] [Y]
[Z] [Y]
c/
FONDS DE GARANTIE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 08 septembre 2022 par le tribunal judiciaire
de BORDEAUX (chambre : 6, RG : 18/07902) suivant déclaration d’appel du 01 décembre 2022
APPELANTS :
[R] [Y]
nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
[V] [S]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
[W] [Y]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
[C] [Y]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
[N] [Y]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
[Z] [Y]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
Représentés par Me Laurence TASTE-DENISE de la SCP R.M.C., avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
FONDS DE GARANTIE (FGTI) doté de la personnalité civile (article L 422-1 du Code des assurances) représenté par le Directeur général du FGAO sur délégation du Conseil d’administration du FGTI domicilié en cette qualité au siège [Adresse 4]
Représenté par Me Philippe ROGER de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
Assisté par Maître Guillaume ROSSI , Avocat au Barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 février 2025 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Roland POTEE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Paule POIREL, président,
Mme Bérengère VALLEE, Conseiller
Roland POTEE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,
Greffier lors des débats : Mme Séléna BONNET
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
1.M.[R] [Y] et Mme [V] [S] étaient propriétaires d’une maison d’habitation sise à [Adresse 6].
2.Le 4 avril 2011, M.[T] [U] était victime d’une agression violente entraînant une infirmité permanente, commise en réunion, avec arme et préméditation, notamment par [R] [Y];
3.Par ordonnance du 18 mai 2012, la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) de [Localité 7], en présence du fonds de garantie des actes de terrorisme et autres infractions (FGTI), allouait à M. [U] une première provision de 15.000 ‘ à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices.
4.Par arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux rendu le 11 mars 2014, [R] [Y] et certains de ses co-mis en examen étaient mis en accusation devant la cour d’assises de la Gironde.
5.Par acte notarié du 2 décembre 2015, M.[Y] et Mme [S] ont donné en indivision leur maison, estimée à 200.000’, à leurs quatre filles: [W], [C], [N] et [Z] [Y], à parts égales. L’acte de donation était déposé pour publicité le 22 décembre 2015.
6.Par deux arrêts du 11 décembre 2015, la cour d’assises de la Gironde condamnait [R] [Y] pour les faits de son accusation à une peine d’emprisonnement ferme ainsi que, solidairement avec les autres condamnés, à payer notamment au FGTI les provisions versées par lui à M.[U] pour un montant de 65.000 ‘.
7.Ces arrêts pénal comme civil n’étaient pas frappés d’appel. Par la suite, en exécution de diverses décisions de la CIVI, le FGTI procédait au versement à M.[U] d’autres provisions pour un montant global de 115.000 ‘.
8.Par acte du 13 août 2018, le FGTI a fait assigner M.[Y], Mme [S], et leur quatre enfants ( les consorts [Y] / [S]) devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de voir constater que l’acte de donation est intervenu en fraude de ses droits, de lui rendre ainsi cet acte inopposable et de les voir condamner à lui verser la somme de 1.500 ‘ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
9.Par jugement du 8 septembre 2022 auquel il est référé pour l’exposé plus détaillé du litige et de la procédure antérieure, le tribunal judiciaire de Bordeaux a:
– Constaté que l’acte de donation intervenu le 2 décembre 2015 entre M.[R] [Y], Mme [X] [S] et leurs enfants, Mmes [W] [Y], [C] [Y], [N] [Y] et [Z] [Y], portant sur le bien de la commune de [Localité 5] (33), cadastré AK [Cadastre 3], sis [Adresse 2], a été réalisé en fraude des droits du FGTI;
– Dit que cet acte de donation est inopposable au FGTI ;
– Condamné solidairement M.[R] [Y], Mme [X] [S] et leurs enfants, Mmes [W] [Y], [C] [Y], [N] FGTIet [Z] [Y] à payer au FGTI la somme de 1.000 ‘ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– les a condamnés en outre, solidairement aux entiers dépens ;
– Rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties ;
– Ordonné l’exécution provisoire de la décision.
10.Les consorts [Y]/[S] ont formé appel le 1er décembre 2022 de la décision dont ils sollicitent l’infirmation totale dans leurs conclusions du 28 février 2023 demandant à la cour, statuant à nouveau de:
Les dire recevables et bien fondés en leurs demandes
Débouter le FGTI de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
En conséquence,
Condamner le FGTI à leur payer la somme de 1.500 ‘ au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
11.Le FGTI demande à la cour, par conclusions du 28 mai 2023 de:
– Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, en conséquence,
– Déclarer recevable la demande du FGTI,
– Constater que l’acte de donation intervenu le 2 décembre 2015 entre M.[R] [Y], Mme [X] [S] et leurs enfants, Mmes [W] [Y], [C] [Y], [N] [Y] et [Z] [Y], portant sur le bien de la commune de [Localité 5] (33), cadastré AK [Cadastre 3], sis [Adresse 2], a été réalisé en fraude des droits du FGTI;
– Dit que cet acte de donation est inopposable au FGTI ;
– Condamner in solidum M.[R] [Y], Mme [X] [S] et leurs enfants, Mmes [W] [Y], [C] [Y], [N] FGTIet [Z] FGTIà payer au FGTI la somme de 2.500’ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner in solidum les même aux entiers dépens distraits au profit de Maître Philippe Leconte, avocat sur son affirmation de droit.
12.L’affaire a été fixée à l’audience du 26 février 2025.
13.Les consorts [Y] fondent leur appel sur le fait qu’au jour de la donation litigieuse du 2 décembre 2015, la créance du FGTI n’était pas certaine puisqu’à cette date, M.[Y] n’avait pas encore été condamné par la cour d’assises de Gironde et que les démarches nécessaires à la donation avaient été entreprises bien avant cette condamnation, après que le prêt contracté pour l’achat du bien ait été intégralement remboursé le 20 avril 2015 ce qui avait conduit le couple [Y]/[S] a décider de donner leur maison à leurs filles.
14.C’est ainsi qu’un état hypothécaire avait été levé le 7 octobre 2015 et que la diagnostic immobilier avait été établi le 27 novembre 2015 de sorte que le soupçon de fraude aux droits du FGTI n’est pas établi.
15. Le FGTI soutient au contraire que la volonté de frauder ses droits résulte de la proximité de la date de la donation avec la comparution de M.[Y] devant la cour d’assises pour y répondre d’un crime qu’il reconnaissait et dont il était parfaitement informé qu’il avait causé de graves dommages corporels à la victime de sorte qu’il cherchait ainsi à soustraire son seul patrimoine à son créancier.
SUR CE
16.La cour constate que le FGTI justifiait, lors de l’exercice de son action paulienne fondée sur les dispositions de l’article 1341-2 du code civil, d’une créance en principal de plus de 110.000 ‘ à l’encontre des condamnés impliqués dans le crime commis sur la personne de M.[U], créance portée aujourd’hui à plus de 530.000 ‘ sur laquelle seule la somme de 13.834,76 ‘ a été réglée depuis 2016.
17. Le principe de la créance du FGTI a pris naissance dès le 18 mai 2012 lors du versement à M.[U] d’une première provision de 15.000 ‘ à valoir sur l’indemnisation du préjudice corporel résultant de l’agression dont il a été victime la 4 avril 2011.
18.Par de pertinent motifs que les débats d’appel ne remettent pas en cause, le premier juge a exactement relevé d’une part que la donation du 2 décembre 2015 constituait un acte d’apprauvrissement du patrimoine de M.[Y], le bien en cause étant le seul sur lequel le FGTI aurait pu exercer efficacement des poursuites et d’autre part que selon l’arrêt de la chambre d’accusation du 11 mars 2014, M.[Y] reconnaissait sa responsabilité pénale dans les faits pour lesquels il avait été mis en examen, de sorte qu’au moment de la donation, il était conscient de son obligation d’indemniser la victime en raison des faits criminels dont il allait répondre quelques jours plus tard en cour d’assises.
19. C’est donc à bon droit que le tribunal a constaté que ce court délai caractérisait l’élement moral de la fraude, nonobstant le fait que M.[Y] n’avait pas encore été condamné au jour de la donation, dans la mesure où il avait conscience, dès le 11 mars 2014, de causer un dommage au créancier s’il opérait donation de son seul bien immobilier,
20. La cour relève en outre que la donation n’a été publiée au fichier immobilier que le 22 décembre 2015, soit après les arrêts de condamnation de la cour d’assises constatant la créance du FGTI qui se trouve ainsi antérieure à la date d’opposabilité aux tiers de la donation litigieuse.
21. Le jugement qui a dit l’acte de donation innoposable au FGTI sera en conséquence confirmé.
22. Le FGTI est fondé à obtenir une indemnité de 2.000 ‘ au titre de l’article 700 du code de procédure civile de la part des appelants, tenus aux dépens d’appel.
LA COUR
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions;
Y ajoutant;
Condamne in solidum les appelants à verser au FGTI une indemnité de 2.000 ‘ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum les appelants aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés par le conseil de l’intimé conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Mme Paule POIREL, président, et par Mme Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
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