Reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur en cas de harcèlement moral au travail

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Reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur en cas de harcèlement moral au travail

L’Essentiel : M. [K] [L], salarié de la société [9], a subi un accident du travail le 30 mai 2016, reconnu par la caisse primaire d’assurance-maladie. Il a signalé des insultes et des propos racistes, entraînant un syndrome anxio-dépressif. Son incapacité permanente a été évaluée à 30 % par le tribunal en 2018. M. [L] a demandé la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, ce qui a été confirmé par le tribunal judiciaire du Havre en février 2024. La société [12] a interjeté appel, mais la cour a maintenu la décision, soulignant le manquement de l’employeur face au harcèlement moral.

Contexte de l’accident

M. [K] [L], salarié de la société [9] mis à disposition de la société [12], a subi un accident du travail le 30 mai 2016. Cet accident a été reconnu par la caisse primaire d’assurance-maladie de [Localité 13]. Dans sa déclaration, M. [L] a signalé des insultes et des propos racistes subis depuis son arrivée dans l’usine, rendant sa mission insupportable. Un certificat médical a attesté d’un malaise avec syndrome anxio-dépressif réactionnel.

Évaluation de l’incapacité

L’état de santé de M. [L] a été consolidé au 15 février 2017, avec un taux d’incapacité permanente partielle initialement fixé à 20 %, puis porté à 30 % par le tribunal du contentieux de l’incapacité en décembre 2018, décision confirmée en appel.

Demande de reconnaissance de faute inexcusable

M. [L] a saisi le tribunal judiciaire de Rouen pour faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur. Ce tribunal s’est déclaré incompétent, renvoyant l’affaire au tribunal judiciaire du Havre.

Jugement du tribunal judiciaire du Havre

Le 5 février 2024, le tribunal a reconnu la faute inexcusable de l’employeur, ordonné une majoration du capital versé par la caisse, et condamné la société [8] à rembourser les sommes dues à M. [L]. Il a également ordonné une expertise judiciaire pour évaluer les préjudices subis par M. [L].

Appel de la société [12]

La société [12] a interjeté appel de cette décision le 4 mars 2024, demandant le déboutement de M. [L] et la confirmation de certaines mesures d’expertise.

Arguments de la société [12]

La société [12] a soutenu que la présomption de faute inexcusable ne s’appliquait pas, arguant que les comportements inappropriés n’étaient pas spécifiques au poste de travail de M. [L]. Elle a également affirmé ne pas avoir été informée des difficultés rencontrées par M. [L].

Arguments de M. [L]

M. [L] a demandé la confirmation du jugement, la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [8], et la réparation de ses préjudices. Il a exposé avoir subi des injures et du harcèlement, et a déposé plainte pour ces faits.

Position de la société [9]

La société [9] a demandé à être déboutée de la demande de reconnaissance de faute inexcusable, affirmant que la responsabilité incombait à la société [12] en tant qu’employeur.

Motifs de la décision de la cour

La cour a confirmé que la société [12] avait connaissance des risques de harcèlement moral et n’avait pas pris de mesures adéquates. Elle a également écarté la présomption de faute inexcusable à l’encontre de la société [8], considérant qu’elle n’avait pas personnellement commis de faute.

Conséquences de la faute inexcusable

Le jugement a été confirmé, ordonnant la majoration de la rente et une expertise pour évaluer les préjudices. La société [12] a été condamnée à garantir la société [8] des conséquences financières de l’accident.

Frais de justice

La société [12], ayant perdu en appel, a été condamnée aux dépens, tandis que la société [8] a été condamnée à verser une somme complémentaire à M. [L] au titre des frais de justice.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ?

La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur repose sur plusieurs conditions, notamment celles énoncées dans les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail.

L’article L. 4121-1 stipule que :

« L’employeur est tenu d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il prend les mesures nécessaires pour prévenir les risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles. »

De plus, l’article L. 4121-2 précise que :

« Dans le cadre de cette obligation, l’employeur doit notamment :
1° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
2° Combattre les risques à la source ;
3° Adapter la mesure qui doit être prise en fonction de l’évolution de la technique ;
4° Tenir compte de l’évolution de la science ;
5° Remplacer le dangereux par le peu dangereux ou le non dangereux ;
6° Planifier la prévention en intégrant la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, la relation sociale et l’influence de l’environnement professionnel. »

Ainsi, pour qu’une faute inexcusable soit reconnue, il faut prouver que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Quelles sont les implications de la présomption de faute inexcusable pour les salariés intérimaires ?

La présomption de faute inexcusable pour les salariés intérimaires est régie par les articles L. 4154-2 et L. 4154-3 du Code du travail.

L’article L. 4154-2 dispose que :

« L’existence d’une faute inexcusable de l’employeur est présumée établie pour les salariés mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail temporaire victime d’un accident du travail, lorsque ces salariés sont affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité. »

L’article L. 4154-3 ajoute que :

« Cette présomption est applicable lorsque les salariés n’ont pas bénéficié d’une formation renforcée à la sécurité ainsi que d’un accueil et d’une information adaptés dans l’entreprise dans laquelle ils sont employés. »

Ainsi, pour les salariés intérimaires, la présomption de faute inexcusable s’applique si ces derniers sont affectés à des postes à risques sans avoir reçu la formation adéquate. Cela signifie que l’employeur doit prouver qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses employés.

Comment se déroule la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable ?

La procédure de reconnaissance de la faute inexcusable commence par une demande de l’employé, qui doit saisir le tribunal compétent. Selon l’article L. 1251-21 du Code du travail, l’entreprise utilisatrice est responsable des conditions de travail, y compris la santé et la sécurité au travail.

Le salarié doit prouver que l’accident du travail est survenu en raison d’un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur. Cela peut inclure des témoignages, des certificats médicaux et d’autres preuves documentaires.

Le tribunal examinera les éléments de preuve et déterminera si la faute inexcusable est établie. Si la faute inexcusable est reconnue, le salarié peut prétendre à des indemnités, y compris une majoration de sa rente d’incapacité.

Quelles sont les conséquences financières de la reconnaissance de la faute inexcusable ?

Les conséquences financières de la reconnaissance de la faute inexcusable sont significatives. Selon l’article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale, en cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime a droit à une majoration de sa rente d’incapacité.

L’article L. 452-2 précise que :

« En cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime a droit à une majoration de la rente d’incapacité permanente. Cette majoration est fixée par décret. »

De plus, l’employeur peut être condamné à rembourser à la caisse les sommes versées à la victime, y compris les indemnités complémentaires et les frais d’expertise. Cela signifie que la reconnaissance de la faute inexcusable peut entraîner des coûts importants pour l’employeur, en plus des indemnités dues à la victime.

N° RG 24/00890 – N° Portalis DBV2-V-B7I-JTFT

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 10 JANVIER 2025

DÉCISION DÉFÉRÉE :

22/00210

Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DU HAVRE du 05 Février 2024

APPELANTE :

S.A.S. [12]

[Adresse 1]

[Localité 7]

représentée par Me Corinne POTIER de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Olivier MAMBRE, avocat au barreau de PARIS

INTIMES :

Monsieur [K] [L]

[Adresse 2]

[Localité 6]

représenté par Me Stéphane PASQUIER de la SELARL PASQUIER, avocat au barreau de ROUEN

Société [9]

[Adresse 4]

[Localité 5]

représentée par Me Maïtena LAVELLE de la SELARL CABINET LAVELLE, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Pauline FROGET, avocat au barreau de PARIS

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 6]

dispensée de comparaître

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 14 Novembre 2024 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 14 novembre 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 10 janvier 2025

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 10 Janvier 2025, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

* * *

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [K] [L], salarié de la société [9] (la société [8]) mis à la disposition de la société [12] à compter du 8 avril 2015, a été victime d’un accident du travail le 30 mai 2016, qui a été pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels par la caisse primaire d’assurance-maladie de [Localité 13] [Localité 11] [Localité 10] (la caisse). La déclaration d’accident du travail mentionnait que l’intéressé avait déclaré subir des insultes et propos racistes depuis son arrivée dans l’usine, 14 mois auparavant et qu’il lui était devenu impossible de poursuivre sa mission dans ces conditions. Le certificat médical initial mentionnait un malaise avec syndrome anxio-dépressif réactionnel.

Son état de santé a été déclaré consolidé au 15 février 2017 et la caisse lui a notifié un taux d’incapacité permanente partielle de 20 %, porté à 30 % (dont 10 % à titre professionnel) par le tribunal du contentieux de l’incapacité dans un jugement du 7 décembre 2018, confirmé en appel.

M. [L] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Rouen d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Cette juridiction s’est déclarée incompétente au profit du tribunal judiciaire du Havre.

Par jugement du 5 février 2024, ce tribunal a :

– dit que l’accident du travail du 30 mai 2016 était dû à la faute inexcusable de l’employeur, substitué dans la direction par la société [12],

– ordonné à la caisse de majorer au montant maximum le capital versé en application de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale,

– dit que cette majoration serait directement versée à M. [L] par la caisse et qu’elle suivrait l’évolution de son taux d’IPP,

– condamné la caisse à verser à M. [L] une provision de 1 500 euros à valoir sur l’indemnisation de ses différents préjudices extra patrimoniaux,

– condamné la société [8] à rembourser à la caisse l’ensemble des sommes qu’elle devrait verser ou avancer à M. [L], et notamment les indemnités complémentaires à venir, la provision allouée, le coût de la majoration de la rente accordée dans la limite du taux d’IPP de 20 % qui lui est opposable et les frais d’expertise,

– déclaré la société [8] recevable et fondée en son action récursoire à l’encontre de la société [12],

– condamné cette dernière à relever et garantir la société [8] de toutes les conséquences financières résultant de l’action de M. [L], de tous les dépens et condamnations, tant en principal qu’en intérêts,

– avant dire droit sur la liquidation des préjudices subis par M. [L], ordonné une expertise judiciaire et désigné un expert psychiatre, aux frais avancés par la caisse,

– condamné la société [8] à verser à M. [L] une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société [12] à garantir la société [8] au titre de ces frais,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision,

– réservé les dépens.

La société [12] a interjeté appel de cette décision le 04 mars 2024.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions remises le 13 novembre 2024, soutenues oralement, la société [12] demande à la cour de :

– débouter M. [L] de ses demandes,

subsidiairement :

– confirmer le jugement en ce qu’il a ordonné une mesure d’expertise afin d’évaluer les préjudices,

– renvoyer l’affaire devant le tribunal judiciaire pour la liquidation de ceux-ci,

– juger que l’action récursoire de la caisse s’exercera, s’agissant de la majoration de la rente, dans les limites du taux d’IPP de 20 % opposable dans les rapports caisse/employeur.

Elle demande à la cour de confirmer le jugement qui a écarté l’application de la présomption de faute inexcusable de l’article L. 4154-2 du code du travail, dès lors que les causes de l’accident ne se trouvent pas dans la dangerosité de son poste de travail et que le harcèlement dénoncé n’était pas un risque spécifique de ce poste, auquel la formation renforcée à la sécurité est censée répondre.

Elle fait valoir par ailleurs que par arrêt du 30 septembre 2021, la cour d’appel, statuant en matière prud’homale, a jugé qu’il ne pouvait être reproché à la société [8] un manquement à son obligation de sécurité ; que la seule existence de comportements déplacés ou répréhensibles de la part de collègues de travail du salarié ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable, si l’existence de ces comportements n’a pas été portée à la connaissance de l’employeur ; que M. [L] n’a pas informé la société [8] des difficultés rencontrées, alors que l’employeur assure une permanence de jour par semaine au sein de l’usine [12] ; qu’elle-même n’a pas eu connaissance, avant le jour de l’accident du travail, du prétendu comportement de M. [E], qui n’était pas le supérieur hiérarchique de l’intimé ; qu’elle avait mis en place des mesures de prévention du harcèlement et qu’elle a réagi dès qu’elle a été informée des propos que M. [E] aurait tenus envers M. [L].

Par conclusions remises le 8 novembre 2024, soutenues oralement, M. [L] sollicite de la cour :

– la confirmation du jugement,

– la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [8],

– la réparation des conséquences de la faute inexcusable,

– la majoration maximale de la rente incapacité,

– la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales, de ses préjudices esthétiques et d’agrément, celle du préjudice résultant de la perte de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle,

– une expertise médicale afin de déterminer ses préjudices esthétique, d’agrément et de souffrances physiques et morales,

– une provision à valoir de 10 000 euros,

– la déclaration de l’arrêt à intervenir commun et opposable à la caisse,

– la condamnation de la société [8] aux dépens qui comprendront les frais d’exécution de la décision à intervenir et à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il expose avoir rencontré des difficultés avec un salarié de la société [12], qui était son supérieur en l’absence du chef d’unité, M. [W], durant l’exécution de sa mission, subissant des injures, des faits de harcèlement, des menaces y compris de mort, en raison de son origine et de sa religion ; qu’il a été contraint de déposer plainte le 31 mai 2016 ; que la veille il avait été victime d’un malaise. Il soutient que l’employeur comme l’entreprise utilisatrice n’ont pris aucune mesure pour faire cesser le comportement et se sont rendus coupables d’un manquement à l’obligation de sécurité.

M. [L] se prévaut de la présomption de faute inexcusable à l’encontre de la société [8] au motif qu’il était affecté à un poste à risques et qu’il n’est pas démontré qu’il a suivi une formation à la sécurité. Il fait valoir qu’il est dans l’impossibilité de vérifier le respect des obligations de l’entreprise utilisatrice, à défaut de pièces justificatives, de sorte qu’elle n’établit pas avoir pris toutes les mesures nécessaires.

Il soutient par ailleurs que plusieurs salariés de la société [12] ont été témoins des faits graves dont il a été victime, certains étant intervenus et que la hiérarchie, bien qu’informée, n’a pas réagi.

Par conclusions remises le 7 novembre 2024, soutenues oralement, la société [9] demande à la cour de :

– débouter M. [L] de sa demande de reconnaissance de faute inexcusable dirigée à son encontre,

– dire qu’il appartient à la société [12] de répondre des conséquences de l’accident du travail, en sa qualité de société substituée à l’employeur dans la direction du salarié accidenté,

à titre subsidiaire :

– confirmer le jugement en ce qu’il a ordonné une mesure d’expertise,

– renvoyer l’affaire devant le tribunal judiciaire du Havre pour la liquidation des préjudices,

– juger que l’action récursoire de la caisse s’exercera, s’agissant de la majoration de rente, dans les limites du taux d’IPP de 20 % opposable dans les rapports caisse/employeur,

– condamner la société [12] à la garantir et la relever indemne de l’ensemble des conséquences financières découlant de la faute inexcusable, celle-ci comprenant à la fois la majoration maximum de la rente de la victime, l’indemnisation de ses préjudices personnels, la condamnation aux frais et article 700 du code de procédure civile liés à la procédure.

Elle considère que c’est à l’entreprise utilisatrice de prendre les mesures de sécurité nécessaires destinées à prévenir la survenance d’un quelconque risque pour le salarié et qu’il lui incombe d’assurer la formation du salarié intérimaire. Elle soutient avoir rempli ses obligations en mettant à la disposition de l’entreprise utilisatrice un salarié compétent destiné à occuper un poste préalablement déterminé, en lui fournissant des chaussures de sécurité et en lui faisant bénéficier d’une formation à la sécurité. Elle en déduit qu’elle ne pouvait avoir aucunement conscience d’un quelconque danger.

Elle ajoute qu’elle s’associe à l’argumentaire de la société [12] qui conteste sa responsabilité dans la survenance de l’accident, en l’absence de preuve du signalement d’un comportement répréhensible.

Par conclusions remises le 15 juillet 2024, la caisse, qui a été dispensée de comparution à l’audience, demande à la cour de :

– lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte à justice en ce qui concerne la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur,

– en cas de reconnaissance d’une telle faute, condamner la société [8] à lui rembourser le montant de l’ensemble des réparations qui pourraient être allouées à M. [L].

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé détaillé de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour constate que dans ses dernières conclusions soutenues à l’audience, la société [12] n’invoque plus l’irrecevabilité du recours de M. [L] à l’encontre de la société [9].

1/ Sur la présomption de faute inexcusable

Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur, sur le fondement des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

En application des articles L. 4154-2 et L. 4154-3 du code du travail l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur est présumée établie pour les salariés mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail temporaire victime d’un accident du travail, alors qu’affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, ils n’ont pas bénéficié d’une formation renforcée à la sécurité ainsi que d’un accueil et d’une information adaptés dans l’entreprise dans laquelle ils sont employés.

Ainsi que l’a relevé le tribunal, les contrats de mission mentionnent que le poste de tractoriste devant être occupé par M. [L] est à risques. Il relève à juste titre que les faits dénoncés par le salarié, à l’origine de son accident du travail, ne constituent pas un risque spécifique inhérent au poste occupé, auquel la formation renforcée à la sécurité était censée répondre.

C’est en conséquence à juste titre que le tribunal a écarté la présomption de faute inexcusable.

2/ Sur la faute inexcusable

En application de l’article L. 1251-21 du code du travail, pendant la durée de la mission, l’entreprise utilisatrice est responsable des conditions de travail qui comprennent la santé et la sécurité au travail et par conséquent les éventuels faits de harcèlement moral et de discrimination subis en son sein par un travailleur intérimaire.

Au vu des auditions de salariés par la gendarmerie et des attestations produites aux débats (notamment MM [R], [Z], [S], [X], [O], [B]) il est établi que M. [L] a subi à plusieurs reprises des injures et des insultes à caractère racial de la part de M. [E], adjoint du chef en gare routière, qui était son supérieur direct en l’absence de M. [W], chef d’unité. Les attestations de MM [U], chef d’atelier, [W] et [I], logisticien, selon lesquelles ils n’ont jamais entendu de propos racistes tenus envers M. [L], vu de comportement déplacé de la part M. [E] ou reçu des signalements de la part de ses collègues ne sont pas susceptibles de remettre en cause les attestations concordantes et détaillées ci-dessus visées, alors que M. [E] a reconnu lui-même devant la gendarmerie avoir, à plusieurs reprises, utilisé le terme « négro », mettant cela sur le compte de la plaisanterie entre personnes venant d’un même quartier.

Il ressort par ailleurs des indications de MM [Z], [S] et [R] que lors d’un affrontement verbal entre MM [E] et [L] dans le réfectoire, le chef d’unité est intervenu pour calmer M. [E] et éviter que les protagonistes n’en viennent aux mains. M. [X] a situé cette scène au 16 décembre 2015 et a précisé qu’ils étaient allés voir M. [U], lequel leur avait promis de se charger de la situation. La circonstance que MM [U] et [W] affirment ne plus se souvenir, le premier d’avoir reçu M. [X] le 16 décembre 2015 et le second d’avoir mis fin à une altercation entre MM [E] et [L], ne permet pas de remettre utilement en cause le fait que des salariés de la société [12], ayant des fonctions hiérarchiques ou en mesure d’alerter l’employeur afin que les agissements présentant un danger pour M. [L] cessent, ont été témoins ou alertés au sujet de cette situation.

Ainsi, la société [12] avait nécessairement connaissance d’un risque de harcèlement moral ou de situation discriminatoire. Or, elle n’est intervenue qu’après l’accident du travail, en affectant M. [E] à un autre poste.

C’est en conséquence à juste titre que le tribunal a retenu l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur, auquel la société utilisatrice était substituée dans la direction.

Par ailleurs, l’intimé a reconnu, y compris devant le conseil de prud’hommes, ne pas avoir informé son employeur des faits qui se sont déroulés au cours de sa mission au sein de la société [12], de sorte que la société [8] n’a personnellement commis aucune faute.

3/ Sur les conséquences de la faute inexcusable

Le jugement est confirmé en ce qu’il a :

– ordonné la majoration au montant maximum de la rente (et non du capital),

– ordonné une expertise aux fins d’évaluer les préjudices allégués par la victime,

– condamné la société [8] à rembourser à la caisse l’ensemble des sommes qu’elle devrait verser ou avancer à M. [L], et notamment les indemnités complémentaires à venir, la provision allouée, le coût de la majoration de la rente accordée dans la limite du taux d’IPP de 20 % qui lui est opposable et les frais d’expertise,

– condamné la société [12] à relever et garantir la société [8] de toutes les conséquences financières résultant de l’action de M. [L], de tous les dépens et condamnations, tant en principal qu’en intérêts.

Au regard d’une rechute de l’accident du travail en date du 18 janvier 2023, prise en charge par la caisse, et de la persistance d’une prescription médicale d’antidépresseur, anxiolytique et somnifère, en octobre 2024, il convient de fixer à 3 000 euros le montant de la provision dont la caisse devra faire l’avance.

La caisse étant en la cause, il n’est pas utile de déclarer la présente décision commune et opposable à celle-ci.

4/ Sur les frais du procès

La société [12] qui succombe en son appel est condamnée aux dépens.

Il est précisé à cet égard que la charge des frais d’exécution forcée est régie par les dispositions d’ordre public de l’article L. 111-8 du code des procédures civiles d’exécution et que le juge du fond ne peut statuer par avance sur le sort de ces frais.

Il convient de condamner la société [8], dont la faute inexcusable est retenue, à payer à M. [L] la somme complémentaire de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en dernier ressort :

Confirme le jugement du tribunal judiciaire du Havre du 5 février 2024 sauf sur le montant de la provision allouée à M. [K] [L] et sauf à préciser que la majoration au montant maximum concerne la rente et non le capital ;

Statuant à nouveau sur la provision et y ajoutant :

Fixe à 3 000 euros le montant de la provision qui sera versée par la caisse primaire d’assurance-maladie [Localité 6] à M. [L] ;

Rappelle que l’instance devant le tribunal judiciaire, qui a ordonné une expertise aux fins de liquidation des préjudices, se poursuit devant celui-ci ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Condamne la société [12] aux dépens d’appel ;

Condamne la société [8] à payer à M. [L] la somme complémentaire de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


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