Droits du graphiste sur des affiches de spectacles

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Droits du graphiste sur des affiches de spectacles

La mention du nom du graphiste sur des affiches de spectacles est déterminante dès lors qu’elle emporte présomption (simple) de titularité des droits d’auteur. Toutefois, le graphiste est privé ses droits d’auteur s’il n’a fait que suivre les directives précises du commanditaire (le chorégraphe du spectacle). Ainsi sa contribution sera analysée comme une prestation technique de graphisme et non comme une création protégeable par le droit d’auteur.

L’article 113-1 du code de la propriété intellectuelle précité, instaurant une présomption simple de la qualité d’auteur de l’œuvre à celui qui l’a divulguée, il convient cependant d’examiner si les créations revendiquées, sont originales c’est-à-dire si elles portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur, pour lui reconnaître les droits d’auteur qu’il revendique.

L’effort créatif du graphiste sur l’affiche et la charte graphique qui en reprend les caractéristiques principales n’est pas suffisamment caractérisé, dans la mesure où il a suivi l’essentiel des directives du chorégraphe du spectacle, et où la mise en scène visuelle a relevé du travail du photographe. Dès lors, il n’est pas démontré que l’affiche et la charte graphique résultent des choix personnels et arbitraires de du graphiste et traduisent l’empreinte de sa personnalité.

Selon l’article L.112-2 du code de propriété intellectuelle, sont notamment considérées comme des œuvres de l’esprit, les œuvres graphiques et typographiques.

Suivant l’article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, « la qualité d’auteur appartient sauf preuve contraire à celui ou à ceux sous le nom duquel l’œuvre est divulguée ».

En application de son article L.111-1, « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous », comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, sous réserve que l’œuvre soit originale, c’est-à-dire porte l’empreinte de la personnalité de son auteur.

Selon l’article L122-4 du code de la propriété intellectuelle, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».

L’action en contrefaçon de droit d’auteur n’étant pas une action réservée, le droit d’agir n’est pas soumis à la preuve d’une certaine qualité mais seulement à un intérêt légitime, qui est ici caractérisé dès lors que le demandeur allègue subir un préjudice causé par la contrefaçon de droits d’auteur dont il se prétend titulaire. Cette titularité relève ainsi seulement, en tant que de besoin, de l’examen du bienfondé de cette demande.

L’Essentiel : Dans cette affaire, un designer graphique, désigné comme le demandeur, a été engagé pour concevoir des visuels promotionnels pour un spectacle de danse. La société détentrice des droits d’exploitation du spectacle a mandaté une société de production pour sa réalisation. Le designer a constaté que ses visuels étaient utilisés sans autorisation par une autre société lors d’une nouvelle tournée. Il a assigné cette société ainsi que les coproductrices pour violation de ses droits d’auteur, demandant des dommages et intérêts. Le tribunal a conclu que le designer n’avait pas prouvé l’originalité de son travail, déboutant ainsi toutes ses demandes.
Résumé de l’affaire :

Présentation des Parties

Dans cette affaire, un designer graphique, désigné comme le demandeur, a été engagé pour concevoir des visuels promotionnels pour un spectacle de danse. La société La Feuille d’Automne détient les droits d’exploitation dudit spectacle, tandis que la société Val Productions Conseil a été chargée de sa production.

Contexte de l’Affaire

Le designer a été mandaté pour créer une affiche originale et une charte graphique pour le spectacle intitulé Tutu. Les droits d’exploitation de ces éléments ont été renouvelés jusqu’en 2019. Cependant, la société Val Productions Conseil a été liquidée en 2019, et le designer a constaté que ses visuels étaient utilisés sans son autorisation par une autre société, Quartier Libre Productions, lors d’une nouvelle tournée.

Actions du Demandeur

Le designer a tenté de faire valoir ses droits d’auteur en adressant des mises en demeure à la société Quartier Libre Productions, qui a refusé de cesser l’exploitation, arguant que les droits avaient été cédés et que des modifications avaient été apportées à la composition graphique. En conséquence, le designer a assigné Quartier Libre Productions ainsi que les coproductrices du spectacle pour violation de ses droits d’auteur.

Demandes du Demandeur

Dans ses conclusions, le designer a demandé la condamnation solidaire des défenderesses à verser des dommages et intérêts pour atteinte à ses droits moraux et patrimoniaux, ainsi qu’une interdiction d’exploitation des éléments litigieux. Il a également sollicité des mesures de publication et le remboursement de ses frais de justice.

Réponse des Défenderesses

Les défenderesses ont contesté la recevabilité des demandes, soutenant que le designer ne pouvait revendiquer la qualité d’auteur de l’œuvre. Elles ont également affirmé que l’affiche contestée ne constituait pas une reproduction servile de l’affiche originale et que les demandes d’indemnisation étaient excessives.

Analyse Juridique

Le tribunal a examiné la question de la contrefaçon des droits d’auteur, en se basant sur le code de la propriété intellectuelle. Il a noté que le designer avait été mentionné comme l’auteur de l’affiche initiale, mais a dû évaluer si son travail portait l’empreinte de sa personnalité, condition nécessaire pour revendiquer des droits d’auteur.

Décision du Tribunal

Le tribunal a conclu que le designer n’avait pas suffisamment démontré que son apport créatif était original et distinctif, étant donné qu’il avait suivi les directives d’un chorégraphe et que le photographe avait joué un rôle clé dans la mise en scène visuelle. Par conséquent, le tribunal a débouté le designer de toutes ses demandes.

Conséquences Financières

En raison de la décision défavorable, le designer a été condamné à verser des frais de justice à chacune des défenderesses, totalisant 15 000 euros, ainsi qu’à supporter les dépens de la procédure.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la qualité d’auteur et la titularité des droits d’auteur

La question de la qualité d’auteur est centrale dans cette affaire. Selon l’article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, « la qualité d’auteur appartient sauf preuve contraire à celui ou à ceux sous le nom duquel l’œuvre est divulguée ».

Dans le cas présent, le designer graphique a été mentionné sur les affiches initiales du spectacle comme l’auteur de leur design graphique. Cela établit une présomption de qualité d’auteur en sa faveur. Toutefois, il est nécessaire d’examiner si les créations revendiquées sont originales, c’est-à-dire si elles portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur, pour lui reconnaître les droits d’auteur qu’il revendique.

L’article L.111-1 précise que « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Cela implique que l’œuvre doit être originale pour bénéficier de la protection des droits d’auteur.

Ainsi, bien que le designer graphique ait été mentionné comme auteur, il doit prouver que son œuvre est originale et qu’elle reflète sa personnalité.

Sur la contrefaçon des droits d’auteur

L’article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle stipule que « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite ».

Dans cette affaire, le designer graphique a allégué que ses visuels avaient été exploités sans son autorisation par la société Quartier Libre Productions. Cependant, les défenderesses ont soutenu que l’affiche résultait principalement des choix du chorégraphe et du photographe, et que le designer n’avait réalisé qu’une prestation technique.

L’action en contrefaçon de droits d’auteur n’est pas réservée à une certaine qualité, mais nécessite simplement un intérêt légitime, ce qui est le cas ici, puisque le designer graphique allègue subir un préjudice.

Il est donc essentiel d’examiner si l’affiche et la charte graphique sont des reproductions illicites de l’œuvre originale, ce qui pourrait constituer une contrefaçon.

Sur l’originalité de l’œuvre et l’apport créatif

L’originalité est un critère fondamental pour la protection par le droit d’auteur. L’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle précise que l’œuvre doit porter l’empreinte de la personnalité de son auteur.

Dans cette affaire, le designer graphique a présenté une affiche initiale, mais les modifications apportées par le chorégraphe et le photographe ont été substantielles. Les changements incluent des modifications de couleurs, de typographie et d’organisation des éléments visuels.

Le tribunal a constaté que le designer graphique n’a pas justifié son apport personnel ni expliqué sa démarche créative. Par conséquent, son travail a été considéré comme une prestation technique plutôt qu’une création protégeable par le droit d’auteur.

Sur les demandes de dommages et intérêts et la résistance abusive

Le designer graphique a demandé des dommages et intérêts pour atteinte à ses droits moraux et patrimoniaux, ainsi qu’une indemnité pour résistance abusive.

L’article 700 du code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à payer une somme à l’autre partie pour couvrir ses frais. Dans ce cas, le tribunal a débouté le designer graphique de ses demandes et a condamné ce dernier à verser des sommes aux défenderesses en application de cet article.

La résistance abusive, qui nécessite la démonstration d’une mauvaise foi dans la défense, n’a pas été caractérisée dans cette affaire, ce qui a conduit à un rejet de cette demande.

Sur les mesures d’interdiction et de publication

Le designer graphique a également demandé une interdiction d’exploiter l’affiche et la charte graphique litigieuses. Les défenderesses ont contesté cette demande, arguant que de telles mesures ne peuvent être accordées qu’à titre exceptionnel.

Le tribunal a considéré que les demandes d’interdiction et de publication n’étaient pas justifiées, notamment en raison de l’absence de reconnaissance des droits d’auteur sur l’œuvre.

Ainsi, les mesures d’interdiction n’ont pas été accordées, renforçant la position des défenderesses dans cette affaire.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

N° RG 22/06989
N° Portalis 352J-W-B7G-CW6KJ

N° MINUTE :

Assignation du :
02 Juin 2022

JUGEMENT
rendu le 22 Novembre 2024
DEMANDEUR

Monsieur [N] [U]
[Adresse 1]
[Localité 8]

représenté par Maître Olivier LEDRU, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0609

DÉFENDERESSES

Association LA FEUILLE D’AUTOMNE
[Adresse 3]
[Localité 6]

S.A.R.L. QLP (QUARTIER LIBRE PRODUCTIONS)
[Adresse 4]
[Localité 7]

S.A.S. LLING MUSIC
[Adresse 2]
[Localité 5]

représentées par Maître Michael MAJSTER de l’AARPI Majster & Nehmé Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #D0727

Copies exécutoires délivrées le :
– Maître LEDRU #B609
– Maître MAJSTER #D727

Décision du 22 Novembre 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 22/06989 – N° Portalis 352J-W-B7G-CW6KJ

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Véra ZEDERMAN, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistée de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l’audience du 20 Septembre 2024 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 22 Novembre 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

1.M. [N] [U] est designer graphique. Il s’est spécialisé dans les visuels promotionnels des spectacles de danse.
2.La société La Feuille d’Automne est titulaire des droits d’exploitation d’un spectacle chorégraphique intitulé Tutu. Par contrat en date du 7 février 2014, elle a concédé les droits d’exploitation de ce spectacle à la société Val Productions Conseil, à charge pour cette dernière d’en assurer la production.

3.La société Val Productions Conseil a confié à M. [U] la conception et la réalisation des visuels promotionnels du spectacle à savoir une affiche originale ainsi que la charte graphique de l’ensemble des éléments de communication (catalogue, programme, communication digitale).

4. L’autorisation d’exploitation de ces éléments a été renouvelée entre 2016 et 2019.

5. Toutefois, la liquidation de la société Val Productions Conseil a été ouverte par jugement du tribunal de commerce du 5 octobre 2019 et la société définitivement radiée du RCS le 1er octobre 2021.

6. Estimant que l’exploitation de ses visuels s’était poursuivie, dans le cadre d’une nouvelle tournée produite par la société Quartier Libre Productions, au mépris de ses droits d’auteur, M. [U] a adressé deux mises en demeure à la société Quartier Libre Productions de cesser cette exploitation, mais s’est heurté de sa part à une fin de non-recevoir, par courrier du 7 juillet 2021, Quartier Libre Productions précisant que l’auteur des photographies, M. [Y], avait cédé ses droits et que la composition graphique avait été modifiée.
7. M. [U] a assigné Quartier Libre Productions et les coproductrices du spectacle, la société Lling Music et l’association La Feuille d’Automne par actes d’huissier des 2, 13 et 17 juin 2022, principalement pour violation de ses droits d’auteur.

8. Aux termes de ses dernières conclusions en date du 23 avril 2024, M. [U] a sollicité :
– la condamnation solidaire des défenderesses au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte portée à ses droits moraux et 61200 euros en réparation de l’atteinte portée à ses droits patrimoniaux ;
– leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
– une interdiction sous astreinte d’exploiter l’affiche et la charte graphique litigieuses, ainsi que des mesures de publication ;
– leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

9. A l’appui de ses demandes, M. [U] a notamment soutenu qu’une nouvelle affiche, constituant selon lui une copie servile de celle qu’il avait réalisée, a été attribuée à M. [S] [W], et exploitée, sans son autorisation. A cet égard, il se considère comme le seul auteur d’une œuvre originale qu’il qualifie de dérivée pour avoir réalisé le design graphique de l’affiche et établi sa charte graphique, et fait valoir un effort créatif fondé notamment sur ses choix relatifs à la composition de la maquette, à la modification des photographies initiales, et sur un travail de peinture numérique réalisé sur les couleurs, les brillances et les contrastes de l’affiche. Il fait valoir que l’affiche originale a été exploitée sous son nom ; que les défenderesses ont depuis lors, porté atteinte à la paternité de l’œuvre, par l’absence de mention de son nom et à son intégrité, par les modifications qui lui ont été apportées, sans son autorisation.

10. En réponse, les défenderesses ont sollicité que les demandes, soient à titre principal, déclarées irrecevables ou rejetées, dès lors que M. [U] ne peut revendiquer la qualité d’auteur de l’œuvre et subsidiairement, qu’elles soient rejetées, dans la mesure où aucun acte de contrefaçon ne peut leur être imputé. A titre infiniment subsidiaire, elles ont sollicité que les indemnités éventuelles soient ramenées à de plus justes proportions et qu’il ne soit pas fait droit aux mesures d’interdiction et de publication ou de limiter l’interdiction d’exploitation de l’affiche à la date de la dernière représentation du spectacle, soit le 31 décembre 2024. Enfin elles ont demandé de débouter M. [U] de sa demande indemnitaire pour résistance abusive. En tout état de cause, elles ont sollicité qu’il n’y ait pas lieu à exécution provisoire et que M. [U] soit condamné au paiement à chacune d’elles de la somme de 15 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

11. A l’appui de leurs demandes, elles font valoir s’agissant de la recevabilité des demandes, que l’action en contrefaçon de droits d’auteur nécessite pour le demandeur de justifier de la titularité de ses droits sur l’oeuvre protégée. Sur le fond, elles soutiennent que l’affiche résulte essentiellement des choix du photographe et du chorégraphe du spectacle, lequel a adressé à M. [U] des instructions sur la composition, auxquelles celui-ci se serait conformé ; que le demandeur n’aurait assuré en définitive que des prestations techniques ; qu’il ne peut non plus revendiquer des droits d’auteur sur la charte graphique, qui n’est qu’une déclinaison de l’affiche. Elles soutiennent que la nouvelle affiche du spectacle Tutu ne constitue en aucun cas une reproduction servile de l’affiche initiale. En tout état de cause, les demandes indemnitaires de M. [U] seraient disproportionnées et la résistance abusive alléguée, nullement caractérisée. Elles font encore valoir qu’une mesure de publication ne peut intervenir qu’à titre exceptionnel et que l’exécution provisoire de la présente décision aurait des conséquences manifestement excessives pour elles.

12. Une ordonnance de clôture a été rendue le 7 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la contrefaçon des droits d’auteur

13.Selon l’article L.112-2 du code de propriété intellectuelle, sont notamment considérées comme des œuvres de l’esprit, les œuvres graphiques et typographiques.

14.Suivant l’article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, « la qualité d’auteur appartient sauf preuve contraire à celui ou à ceux sous le nom duquel l’œuvre est divulguée ».

15.En application de son article L.111-1, « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous », comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, sous réserve que l’œuvre soit originale, c’est-à-dire porte l’empreinte de la personnalité de son auteur.

16. Selon l’article L122-4 du code de la propriété intellectuelle, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».

17. L’action en contrefaçon de droit d’auteur n’étant pas une action réservée, le droit d’agir n’est pas soumis à la preuve d’une certaine qualité mais seulement à un intérêt légitime, qui est ici caractérisé dès lors que le demandeur allègue subir un préjudice causé par la contrefaçon de droits d’auteur dont il se prétend titulaire. Cette titularité relève ainsi seulement, en tant que de besoin, de l’examen du bienfondé de cette demande.

18. En l’espèce, M. [U] a réalisé à partir des photographies de M. [Y], la composition de l’affiche initiale et la charte graphique des éléments de communication du spectacle Tutu (catalogue, programme, communication digitale…) :

19. M. [U] est mentionné sur les affiches initiales du spectacle comme l’auteur de leur design graphique de la manière suivante : « design graphique : vincentjacquet.com » [1] : « Crédits obligatoires sur l’image : photo : [P] [Y] – conception graphique : [N] [U] », ainsi que sur la charte graphique : « conception graphique : [N] [U] »

[1] En bas de l’affiche, à gauche à la verticale

20. Ces affiches ont donc été divulguées sous le nom de M. [U]. L’article 113-1 du code de la propriété intellectuelle précité, instaurant une présomption simple de la qualité d’auteur de l’œuvre à celui qui l’a divulguée, il convient cependant d’examiner si les créations revendiquées, sont originales c’est-à-dire si elles portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur, pour lui reconnaître les droits d’auteur qu’il revendique.

21. En l’espèce, M. [U] a présenté le 12 avril 2014 au chorégraphe du spectacle la proposition d’affiche suivante (pièce 5 des défenderesses) :

22. En réponse, M. [C], chorégraphe du spectacle, a formulé par mail du même jour les observations suivantes, sur la base de suggestions de M. [W] (pièces 6 et 7 des défenderesses) :

« (…) La photo :
– je supprimerais le tatoo sur la nuque, c’est distrayant[2]

[2] Passages soulignés par nous

– matifier la peau du danseur ? : la sueur de dos, ça fait érotique sur fond rouge et tulle.
-les boules de tulle alourdissent beaucoup la photo…ça fait chapi chapo !!!
Le graphisme :
– La force de cette affiche réside dans la photo en elle-même. Elle aurait définitivement plus d’impact si on aérait un peu…
Plus d’espace au-dessus de la tête du danseur, (…) aussi sur les côtés (en réduisant un peu le bandeau en bas ?)
Je pense qu’il faut concentrer l’information. C’est trop bizarre le Chicos et les dates au-dessus des bras, comme pour boucher les trous.
– Je trouve que la typo n’est pas en accord avec la photo. Il y a trop de styles et d’effets qui nuisent à la lecture de l’image.
Le gros titre cache ce magnifique et original tutu (la vedette de la photo).
Ce titre pourrait être écrit sur deux lignes (TU sous TU) ou carrément à la verticale : c’est un mot facile à lire, très graphique.
On pourrait mieux exploiter cette caractéristique du mot. Ce serait bon de sentir le « tutu » dans le mot, la légèreté, la grâce, le ludique.
Je ne comprends pas la raison pour l’ombre incliné(e), ça brouille un peu plus la lecture et l’angle n’est pas assez dramatique pour être intéressant visuellement.
Au pire le flouter un peu pour qu’il fonde dans la photo et ainsi faire disparaître tous les angles compliqués qu’il crée.
Je ne suis pas fan de typo cursive. Ça donne un côté pompeux à l’évènement (une fausse piste).
De plus, celle-là est difficile à lire, et en petit, par mail etc… ce sera quasiment impossible.
Et si c’était plutôt écrit à la main carrément ou dans une police bâton. Ça ferait plus naturel.
Le bandeau :
– Tout ça peut être réduit un peu aussi, c’est tout coincé.
-Le bleu, c’est une belle couleur, mais je trouve que ça se met visuellement en compétition avec la photo.
J’opterais pour une couleur plus sombre avec une dominance de noir ou noir…
Ensuite…
J’opterai pour un autre concept visuel plus simple…
Je garderais juste le danseur sur fond uni, l’image est assez forte…et l’info autour du corps… ».

23. L’affiche définitive initialement exploitée, sous le nom de M. [U], est la suivante :

24. La charte graphique (pièce 4 du demandeur) reprend les éléments suivants : emploi de deux couleurs seulement : rouge et jaune ; lettres à la verticale du mot Tutu ; place centrale du tutu dans l’image avec la mention « ne rien positionner sur le tutu qui est le personnage principal du visuel[3] ».

[3] Id.

25. La comparaison du projet de M. [U] et de l’affiche retenue, permet de constater que conformément aux indications de M. [C] :
– Les couleurs de l’affiche ont été modifiées, et notamment le bleu abandonné au profit d’une tonalité d’ensemble à dominante rouge et jaune ;
– le bandeau de bas de page a également été supprimé ;
– le tatouage de la nuque du danseur a été effacé ;
– le titre du spectacle est mis en valeur et placé à la verticale ;
– la police de caractères cursive (notamment sur la phrase : la danse dans tous ses états ! » qui a en outre, a été déplacée et séparée du titre) est abandonnée au profit d’une police « bâton » ; et l’ombre des lettres du titre ne figure plus sur l’affiche ;
– les informations sont allégées voire supprimées en particulier au-dessus de la tête du danseur et sous ses bras ;
– la présence des boules de tulle est également allégée (nombre, place réduite sur l’affiche, couleurs, effet « fondu ») ;
– la photographie du danseur et de son tutu, est centrale et sa visibilité renforcée par le fond uni sur plus de la moitié de l’image.

26. Il n’est en outre pas sérieusement contesté que le photographe, M. [Y] est l’auteur de la composition photographique au centre de l’affiche (fond rouge, danseur de dos en tutu, pompons à ses pieds). Il est notamment établi qu’il a fait le choix d’un fond rouge en arrière-plan du danseur en disposant ce fond lui-même derrière le danseur (photographies du making-off, pages 3 et 4 des conclusions en défense) et que ces photographies ont été prises à la même occasion que celles prises sur un fond beige, le demandeur ne démontrant pas que de nouvelles prises de vues auraient été réalisées en 2015.
Le photographe est donc l’auteur de la mise en scène visuelle

27. A cet égard, M. [U] soutient dans ses écritures, avoir « conçu et réalisé une œuvre dérivée originale, en (intégrant) les clichés photographiques » (page7). Pour autant, il ne précise pas quel a été sur ce point son apport personnel, ni même n’expose son travail de conception à partir des photographies, ou encore le travail de peinture numérique sur l’affiche, cité dans ses écritures.

28.Or, il est établi que le design graphique de l’affiche du spectacle crée par M. [U] a été modifié de manière substantielle sur les indications d’un tiers, sur ses aspects les plus importants (couleurs, polices de caractère, typographie, organisation des espaces).

29. M. [U] ne justifie au demeurant par aucun autre élément son apport personnel sur cette affiche, ni n’explique sa démarche et ses choix créatifs. Il n’expose pas non plus dans quelle mesure il s’est départi des observations ou recommandations de M. [C].

30.L’attestation de M. [B] (pièce 15 du demandeur), qui se présente comme fondateur de la société Val Productions Conseil, et qui déclare que M. [U] est le créateur de cette affiche, n’est pas de nature à infirmer cette analyse, son rôle de graphiste n’étant pas remis en cause.

31. Il convient de déduire de ces éléments que l’effort créatif de M. [U] sur cette affiche et la charte graphique qui en reprend les caractéristiques principales n’est pas suffisamment caractérisé, dans la mesure où il a suivi l’essentiel des directives du chorégraphe du spectacle, et où la mise en scène visuelle a relevé du travail du photographe. Dès lors, il n’est pas démontré que l’affiche et la charte graphique résultent des choix personnels et arbitraires de M. [U] et traduisent l’empreinte de sa personnalité.

32.Ainsi sa contribution doit être analysée comme une prestation technique de graphisme et non comme une création protégeable par le droit d’auteur.

33. En conséquence, M. [U] sera débouté de sa demande de reconnaissance de droits d’auteur sur l’affiche et la charte graphique du spectacle Tutu et de l’intégralité de ses demandes subséquentes.

Sur les demandes annexes

34. M. [U], partie perdante en l’espèce, sera condamné au paiement de la somme de 5000 euros à chacune des défenderesses en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal,

REJETTE la fin de non-recevoir alléguée par les défenderesses ;

DEBOUTE M. [N] [U] de l’intégralité de ses demandes ;

CONDAMNE M. [N] [U] au paiement à la société Quartier Libre Productions de la somme de 5000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [N] [U] au paiement à la société La Feuille d’Automne de la somme de 5000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [N] [U] aux dépens ;

CONDAMNE M. [N] [U] au paiement à la société Lling Music de la somme de 5000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 22 Novembre 2024

Le Greffier La Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC


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