Le droit de se taire au sens de la loi du 29 juillet 1881

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Le droit de se taire au sens de la loi du 29 juillet 1881

Il se déduit des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et préliminaire du code de procédure pénale que la personne dont la mise en examen est envisagée selon la procédure prévue à l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse doit être informée de son droit de se taire, la méconnaissance de cette obligation lui faisant nécessairement grief dès lors qu’elle formule des observations écrites ou répond aux questions que lui a posées le juge d’instruction.

En l’espèce, pour faire droit à la requête en nullité des personnes mises en examen qui invoquaient la violation de leur droit de se taire, l’arrêt attaqué énonce à raison que le droit au silence n’est pas spécifiquement prévu par les dispositions de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 alors que le juge d’instruction, dont les prérogatives sont limitées par les dispositions dérogatoires du droit de la presse, doit néanmoins notamment établir l’imputabilité des propos aux personnes pouvant faire l’objet de poursuites comme auteur ou complice et, si nécessaire, instruire sur la tenue des propos reprochés, sur leur caractère public ainsi que sur l’identité et l’adresse des personnes mises en cause par le plaignant.

Les juges ajoutent que les dispositions spécifiques de la loi du 29 juillet 1881 précitée ne peuvent déroger aux principes directeurs de la procédure pénale énoncés à l’article préliminaire du code de procédure pénale, tel que modifié par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, qui prévoit expressément le droit au silence au profit de la personne suspectée ou poursuivie pour un crime ou un délit.

Ils observent enfin que le droit au silence est garanti au niveau conventionnel par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et au niveau constitutionnel par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et que le défaut de notification de ce droit est sanctionné, de façon constante, par la nullité, la méconnaissance de l’obligation d’informer de ce droit faisant nécessairement grief.

L’Essentiel : Le 13 juin 2022, Mme [U] [K]-[Y] et M. [D] [Y] ont porté plainte pour diffamation suite à un reportage diffusé le 24 mai 2022, qui les présentait comme proches d’un oligarque russe. Le 28 avril 2023, des avis de mise en examen ont été adressés à la directrice de publication, Mme [V], et à l’auteur, M. [O]. Le 17 juillet 2023, ils ont contesté la validité de ces avis, arguant qu’ils n’avaient pas été informés de leur droit au silence. La Cour a reconnu que cette omission entraînait un préjudice, entraînant la nullité des avis préalables.
Résumé de l’affaire :

Contexte de l’affaire

Le 13 juin 2022, Mme [U] [K]-[Y] et M. [D] [Y] ont déposé une plainte pour diffamation publique envers un particulier, suite à un reportage télévisé diffusé le 24 mai 2022. Ce reportage, intitulé « polémique – un oligarque russe propriétaire près de [Localité 1] », présentait M. [Y] et son épouse comme des proches de M. [P] [Z].

Procédure judiciaire

Le 28 février 2023, des avis préalables à une mise en examen ont été envoyés à Mme [G] [V], directrice de publication, et à M. [W] [O], auteur du reportage. Le juge d’instruction leur a posé des questions sur le caractère public des propos et leur qualité par rapport aux faits. Ils ont répondu par courriers, reconnaissant le caractère public des propos et leur rôle respectif dans l’affaire.

Mise en examen

Le 28 avril 2023, des avis de mise en examen ont été adressés à Mme [V] et M. [O]. Le 7 juillet 2023, le juge d’instruction a ordonné leur renvoi devant le tribunal correctionnel pour diffamation publique envers un particulier pour Mme [V] et complicité pour M. [O].

Requête en nullité

Le 17 juillet 2023, Mme [V] et M. [O] ont déposé une requête en nullité des avis préalables à la mise en examen. Ils ont contesté la recevabilité de ces avis, arguant qu’ils n’avaient pas été informés de leur droit au silence.

Arguments de la Cour

La Cour a examiné le moyen soulevé, affirmant que la personne dont la mise en examen est envisagée doit être informée de son droit de se taire. La méconnaissance de cette obligation entraîne nécessairement un préjudice si la personne répond aux questions posées par le juge d’instruction.

Conclusion de la Cour

La Cour a conclu que, bien que les avis préalables à la mise en examen respectent les dispositions de la loi sur la liberté de la presse, leur nullité est encourue en raison de l’absence d’information sur le droit au silence. En conséquence, le moyen soulevé a été écarté, et l’arrêt a été jugé régulier en la forme.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les obligations du juge d’instruction en matière de droit au silence selon l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 ?

L’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 stipule que le juge d’instruction peut « solliciter » des personnes dont la mise en examen est envisagée qu’elles répondent à certaines questions.

Cependant, il est important de noter que le juge ne peut pas contraindre ces personnes à répondre.

Elles doivent être informées de leur droit de se taire, ce qui est essentiel pour garantir leur droit à la défense.

En effet, le troisième alinéa de cet article précise que les questions posées ne peuvent porter que sur l’imputabilité des faits, et non sur la reconnaissance de l’infraction.

Cela signifie que la reconnaissance de l’infraction ne peut être débattue que devant le tribunal correctionnel.

Ainsi, le droit de la personne poursuivie de ne pas s’auto-incriminer est protégé, même si le courrier du juge d’instruction ne rappelle pas explicitement ce droit au silence.

Comment la méconnaissance du droit au silence peut-elle affecter la procédure pénale ?

La méconnaissance du droit au silence, tel que garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article préliminaire du Code de procédure pénale, a des conséquences significatives sur la procédure pénale.

En effet, la personne dont la mise en examen est envisagée doit être informée de son droit de se taire.

Si cette obligation n’est pas respectée, cela lui fait nécessairement grief, surtout si elle formule des observations écrites ou répond aux questions posées par le juge d’instruction.

Dans le cas présent, la cour d’appel a constaté que les avis préalables à la mise en examen adressés à Mme [V] et M. [O] ne contenaient pas d’information sur leur droit au silence.

Cela a conduit à l’annulation de ces avis, car les questions posées impliquaient des réponses qui auraient pu compromettre leur droit à une défense équitable.

Quels sont les principes directeurs de la procédure pénale en lien avec le droit au silence ?

Les principes directeurs de la procédure pénale sont énoncés dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale, qui a été modifié par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021.

Cet article prévoit expressément le droit au silence au profit de la personne suspectée ou poursuivie pour un crime ou un délit.

Cela signifie que toute personne mise en examen doit être informée de son droit de ne pas s’auto-incriminer.

Le non-respect de cette obligation peut entraîner la nullité des actes de procédure, comme cela a été le cas dans l’affaire examinée.

Les juges ont également souligné que le droit au silence est garanti au niveau conventionnel par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et au niveau constitutionnel par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Ainsi, la protection du droit au silence est un principe fondamental qui doit être respecté tout au long de la procédure pénale.

N° K 23-85.615 F-B

N° 00015

LR
7 JANVIER 2025

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 JANVIER 2025

Mme [U] [K]-[Y] et M. [D] [Y], parties civiles, ont formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Poitiers, en date du 19 septembre 2023, qui, dans la procédure suivie contre Mme [G] [V] et M.[W] [O] des chefs, respectivement, de diffamation publique envers un particulier et complicité, a prononcé sur leur demande d’annulation de pièces de la procédure.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [U] [K]-[Y] et M. [D] [Y], les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [G] [V] et M. [W] [O], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l’audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 13 juin 2022, Mme [U] [K]-[Y] et M. [D] [Y] ont porté plainte et se sont constitués partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier, à la suite d’un reportage diffusé à la télévision le 24 mai précédent, sous le titre « polémique – un oligarque russe propriétaire près de [Localité 1] », présentant M. [Y] et son épouse comme des proches de M. [P] [Z].

3. Le 28 février 2023, des avis préalables à une mise en examen ont été adressés par courrier à Mme [G] [V], directrice de publication, et à M. [W] [O], auteur du reportage, le juge d’instruction leur posant deux questions relatives au caractère public des propos et à leur qualité au regard des faits.

4. Mme [V] et M. [O] y ont répondu par courriers reçus par le magistrat instructeur, respectivement les 24 et 27 mars 2023, reconnaissant le caractère public des propos et être, pour la première, la directrice de publication et, pour le second, l’auteur de deux des quatre propos litigieux visés dans la plainte.

5. Des avis de mise en examen leur ont été adressés par lettre recommandée avec demande d’avis de réception le 28 avril 2023.

6. Par ordonnance du 7 juillet 2023, le juge d’instruction a ordonné leur renvoi devant le tribunal correctionnel des chefs de diffamation publique envers un particulier, s’agissant de Mme [V], et complicité, s’agissant de M. [O].

7. Le 17 juillet 2023, Mme [V] et M. [O] ont déposé une requête en nullité des avis préalables à la mise en examen.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré recevable la requête en annulation des personnes mises en examen, a prononcé l’annulation des avis préalables à la mise en examen ainsi que des avis de mise en examen et des actes d’information cotés D. 35 à D. 44 inclus, et a également constaté la prescription de l’action publique alors « que l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 permet seulement, en son deuxième alinéa, au juge d’instruction de « solliciter » de la personne dont la mise en examen est envisagée qu’elle réponde à certaines questions, sans qu’il puisse l’y contraindre que la personne est informée qu’elle peut choisir de répondre auxdites questions directement en demandant à être entendue par le juge d’instruction, lequel devra alors l’aviser de son droit de se taire qu’en raison des limitations posées par le troisième alinéa de l’article 51-1 susvisé aux pouvoirs du juge d’instruction les questions ne peuvent porter que sur l’imputabilité de faits et non sur la reconnaissance de l’infraction, laquelle ne pourra être débattue que devant le Tribunal correctionnel qu’à réception du courrier de mise en examen, la personne peut demander à être entendue par le juge d’instruction qui devra alors, de nouveau, l’aviser de son droit de se taire qu’en cet état le droit de la personne poursuivie de ne pas s’auto-incriminer est suffisamment protégé, même si le courrier par lequel le juge d’instruction sollicite de la personne dont la mise en examen est envisagée qu’elle réponde à des questions ne comporte pas de rappel de son droit au silence qu’en affirmant, pour juger nuls les avis préalables à la mise en examen adressés à Madame [V] et à Monsieur [O], que « ces avis n’indiquaient pas à ces derniers leur droit au silence alors même que ces avis comportaient des questions posées aux mis en examen (sic), questions auxquelles ils ont répondu par courriers adressés en réponse au juge d’instruction », la Cour d’appel a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. Il se déduit des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et préliminaire du code de procédure pénale que la personne dont la mise en examen est envisagée selon la procédure prévue à l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse doit être informée de son droit de se taire, la méconnaissance de cette obligation lui faisant nécessairement grief dès lors qu’elle formule des observations écrites ou répond aux questions que lui a posées le juge d’instruction.

10. En l’espèce, pour faire droit à la requête en nullité des personnes mises en examen qui invoquaient la violation de leur droit de se taire, l’arrêt attaqué énonce que le droit au silence n’est pas spécifiquement prévu par les dispositions de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 alors que le juge d’instruction, dont les prérogatives sont limitées par les dispositions dérogatoires du droit de la presse, doit néanmoins notamment établir l’imputabilité des propos aux personnes pouvant faire l’objet de poursuites comme auteur ou complice et, si nécessaire, instruire sur la tenue des propos reprochés, sur leur caractère public ainsi que sur l’identité et l’adresse des personnes mises en cause par le plaignant.

11. Les juges ajoutent que les dispositions spécifiques de la loi du 29 juillet 1881 précitée ne peuvent déroger aux principes directeurs de la procédure pénale énoncés à l’article préliminaire du code de procédure pénale, tel que modifié par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, qui prévoit expressément le droit au silence au profit de la personne suspectée ou poursuivie pour un crime ou un délit.

12. Ils observent enfin que le droit au silence est garanti au niveau conventionnel par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et au niveau constitutionnel par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et que le défaut de notification de ce droit est sanctionné, de façon constante, par la nullité, la méconnaissance de l’obligation d’informer de ce droit faisant nécessairement grief.

13. Ils en concluent que, si les avis préalables à la mise en examen adressés à Mme [V] et M. [O] respectent les dispositions de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, la nullité desdits avis, ainsi que de tous les actes subséquents dont ils sont le support nécessaire, est encourue, dès lors qu’ils comportaient des questions auxquelles ces derniers ont répondu par courriers adressés au juge d’instruction.

14. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a fait l’exacte application des textes visés au moyen.

15. Ainsi, le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs, l’arrêt est régulier en la forme.


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