14 septembre 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
21/03016
N° RG 21/03016 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I23K
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES D’EVREUX du 02 Juillet 2021
APPELANTE :
Société ECOLE NOUVELLE ‘ECOLE [5]’
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Olivier ZAGO, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
Madame [U] [K]
[Adresse 1]
[Localité 2]
présente
représentée par Me Thierry BRULARD de la SCP BRULARD – LAFONT – DESROLLES, avocat au barreau de l’EURE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 01 Juin 2023 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ALVARADE, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 01 Juin 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 14 Septembre 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 14 Septembre 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
La société École [5] (la société) a pour activité l’enseignement secondaire général. Elle gère des établissements d’enseignement privé, sous contrat d’association avec l’État ainsi que des classes d’enseignement hors contrat.
Par contrat à durée déterminée du 8 janvier 2007, la société a engagé Mme [U] [K] (la salariée) en qualité de professeur de français, puis la relation s’est poursuivie dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.
Par avenant du 22 juin 2015, il a été confié à la salariée la fonction de coordonnatrice du baccalauréat international (IB).
Par requête du 7 juin 2019, elle a saisi le conseil de prud’hommes d’Évreux d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison du harcèlement moral qu’elle considérait subir.
Le 2 juillet 2019, elle a été licenciée pour faute grave et a saisi la même juridiction prud’homale d’une action en contestation de cette décision.
Par jugement du 2 juillet 2021, rendu en formation de départage, ledit conseil a :
– dit que le dispositif des dernières conclusions de la société ne mentionnait aucune demande d’irrecevabilité de la requête introductive d’instance et qu’il n’y avait donc pas lieu de se prononcer sur une irrecevabilité de la requête,
– rejeté la fin de non-recevoir soulevée au titre de la prescription
– prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail conclu entre les parties à la date du 2 juillet 2019 en raison d’un harcèlement moral subi par la demanderesse,
– condamné la société à verser à la salariée les sommes suivantes :
58 873,95 euros bruts à titre de rappel d’heures supplémentaires pour la période allant du 7 juin 2016 au 24 février 2018,
5 887,40 euros bruts au titre des congés payés sur rappel de salaire,
31 837,38 euros bruts à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
15 918,69 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
1 591,87 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
18 224,33 euros bruts à titre d’indemnité légale de licenciement,
65 000 euros bruts à titre d’indemnité pour licenciement nul,
1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société à rembourser à Pôle emploi les éventuelles allocations chômage versées à la salariée dans la limite de six mois d’indemnités chômage,
– rejeté toutes les autres demandes des parties,
– condamné la société aux dépens,
– ordonné l’exécution provisoire de l’entier jugement.
Le 21 juillet 2021, la société a interjeté appel de cette décision et, par conclusions remises le 19 octobre 2021, demande à la cour de :
– la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
– réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau,
– débouter Mme [U] [K] de toutes ses demandes,
– déclarer son licenciement comme reposant sur une faute grave, subsidiairement sur une cause réelle et sérieuse.
– diminuer en tout état de cause le montant des dommages et intérêts,
– condamner la salariée à lui payer une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et une somme complémentaire équivalente au titre de ces mêmes frais exposés en cause d’appel,
– la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Par conclusions remises le 28 avril 2023, Mme [K] demande à la cour de :
– lui donner acte de son appel incident portant sur le montant des dommages et intérêts,
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf celle relative au montant des dommages et intérêts,
– condamner la société à lui payer une somme de 127 349,52 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société à cesser d’utiliser son image sur le site internet et sur tous les supports de communication de l’École et ce, sous une astreinte de 50 euros par jour de retard, laquelle astreinte commencera de courir à compter de la notification de l’arrêt à intervenir.
– condamner la société à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et aux entiers dépens de l’instance.
L’ordonnance de clôture a été fixée au 11 mai 2023.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé détaillé de leurs moyens et arguments.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur les heures supplémentaires
Aux termes de L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Après avoir longuement repris et détaillé les pièces produites par la salariée et, notamment, un tableau récapitulatif des heures supplémentaires effectuées entre le 7 juin 2016 et le 24 février 2018 ainsi qu’un autre indiquant les travaux effectués chaque jour, les premiers juges ont pertinemment considéré que la salariée présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.
Il convient également d’ajouter que la salariée indique sans être pertinemment contredite, les tâches ainsi que les heures précises à laquelle elle les effectuait. Or, l’employeur ne discute pas la réalité de ce travail dont il était, parfois, destinataire à des heures matinales ou tardives (ex : 25 septembre 2017 à 6h58, 8 décembre 2017 à 20h57). Il n’oppose, et encore moins ne démontre, une quelconque absence de nécessité des motifs indiqués pour justifier l’accomplissement des heures supplémentaires considérées.
Or, la cour ne peut que relever que l’employeur ne produit aucune pièce nouvelle et reprend ses moyens développés devant les premiers juges sauf à ajouter que ces derniers lui ont à tort reproché le non-respect des dispositions de l’article D. 3171-8 du code du travail et n’ont pas pris en considération la diminution du nombre de cours de français ainsi que l’augmentation de la rémunération de la salariée.
Concernant ce dernier point, la cour constate que l’appelante reconnaît que cette décision était justifiée par « l’augmentation inhérente aux fonctions de responsable de l’IB » et elle entend rappeler que le seul fait d’augmenter le salaire de l’intimée ne permettait pas à l’employeur de s’affranchir des règles relatives au temps de travail. De même, il ne peut pas plus se prévaloir des statuts différents des salariés pour justifier de l’absence du contrôle du temps de travail de ces derniers, alors qu’il est débiteur d’une telle obligation.
Quant à la baisse des heures de cours de français, laquelle n’est pas discutée par la salariée, celle-ci est bien intégrée dans ses décomptes, l’employeur ne mettant en évidence, d’ailleurs, aucune erreur les affectant et ne contestant pas, au surplus, qu’en tant que coordonnatrice IB, elle n’aurait dû assurer que 5 h de cours contre les 10 h qu’elle effectuait.
Par conséquent, c’est par une juste analyse des pièces produites et par des motifs pertinents que la cour adopte, que les premiers juges ont fait droit à la demande formée par la salariée à ce titre.
La décision déférée est confirmée sur ce chef.
En outre, les premiers juges ont suffisamment caractérisé l’intention de l’employeur de dissimuler les nombreuses heures supplémentaires effectuées par la salariée. En effet, ils ont justement relevé que les attestations produites, qui n’ont pas lieu d’être écartées au seul motif que certaines ne sont pas manuscrites d’autant que les nouvelles produites à hauteur de cour le sont, témoignent de l’importante charge de travail et de l’extrême disponibilité de la salariée, qui « ne comptait pas ses heures ou son temps», ce dont l’employeur avait parfaitement la connaissance. Ils ont également noté que dans un mail du 23 août 2018, la salariée écrivait à son employeur avoir échangé avec lui, à plusieurs reprises, pour obtenir leur paiement sans obtenir de réponse, étant observé qu’aucune pièce ne contredit cet élément.
Par conséquent, la décision déférée doit également être confirmée en sa disposition relative au travail dissimulé et en ce qu’elle a rejeté la demande d’indemnité pour non-respect des règles en matière de durée du travail, cette disposition ne faisant pas l’objet d’un appel incident.
2) Sur le harcèlement moral et la résiliation judiciaire
L’appelante se contente de réitérer ses dénégations concernant l’absence de harcèlement moral et considère que les premiers juges ont inversé la charge de la preuve en sollicitant ses explications sur certains griefs qui seraient, selon elle, le résultat d’une action concertée de plusieurs professeurs en conflit avec la direction, ce dont elle ne justifie par aucune pièce.
Toutefois, la cour constate que les premiers juges, après avoir repris les éléments produits par la salariée et, notamment, les diverses attestations détaillées et concordantes, ont, par des motifs pertinents qu’elle adopte, justement considéré que les griefs établis (surcharge de travail, mise à l’écart, reproches injustifiés) pris dans leur ensemble avec les éléments médicaux, permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement, sauf à ajouter que les pièces produites démontrent également que la salariée a sollicité, en vain, des formations en anglais.
Or, comme en première instance, l’appelante ne rapporte pas la preuve que les agissements relevés ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Par conséquent, c’est à bon droit que les premiers juges ont considéré que l’existence d’un harcèlement moral était établie et qu’elle justifiait, à elle seule, la résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement nul.
La décision déférée doit être confirmée sur ce chef ainsi que pour les sommes allouées et, notamment celle à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, laquelle répare pleinement le préjudice subi par la salariée.
3 ) Sur la demande d’interdiction de l’image de la salariée
Il n’est pas discuté par l’appelante qu’elle fait toujours usage de l’image de la salariée sur son site internet et ce, sans justifier du consentement exprès de cette dernière en contravention de son droit à l’image découlant de l’article 9 du code civil.
Dans ces conditions, il convient d’ordonner à la société de cesser d’utiliser l’image de Mme [U] [K] tant sur son site que sur tous ses supports de communication, dans un délai de 2 mois à compter du présent arrêt et, passé ce délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard durant 4 mois, la cour se réservant le droit de liquider l’astreinte provisoire.
4) Sur les dépens et les frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, la société est condamnée aux dépens d’appel et déboutée de sa demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour la même raison, elle est condamnée à payer à l’intimée la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement et en dernier ressort ;
Confirme le jugement du conseil de prud’hommes d’Évreux du 2 juillet 2021,
Y ajoutant,
Ordonne à la société École [5] de cesser d’utiliser l’image de Mme [U] [K] tant sur son site que sur tous ses supports de communication, dans un délai de 2 mois à compter du présent arrêt et, passé ce délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard durant 4 mois, la cour se réservant la liquidation de l’astreinte provisoire ;
Condamne la société École [5] à payer à Mme [U] [K] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société aux dépens d’appel.
La greffière La présidente
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