L’article L.1134-1 du Code du travail impose à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. En vertu de l’article 146 du Code de procédure civile, le juge peut ordonner des mesures d’instruction lorsque les éléments fournis ne sont pas suffisants pour statuer. De plus, l’article 144 du même code précise que ces mesures peuvent être ordonnées en tout état de cause. Le salarié qui invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement doit soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, et il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence. Les données personnelles des salariés utilisées pour la comparaison doivent être strictement nécessaires à l’exercice du droit à la preuve et ne peuvent être utilisées à d’autres fins, conformément aux principes de protection des données personnelles.
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L’Essentiel : L’article L.1134-1 du Code du travail impose à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs en cas de suspicion de discrimination. Selon l’article 146 du Code de procédure civile, le juge peut ordonner des mesures d’instruction si les éléments fournis sont insuffisants. Le salarié doit présenter des éléments de fait pour caractériser une inégalité de rémunération, tandis que l’employeur doit prouver des justifications objectives pour cette différence. Les données personnelles utilisées doivent respecter les principes de protection des données.
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Résumé de l’affaire :
Contexte de l’AffaireDans cette affaire, un salarié a interjeté appel d’un jugement rendu par le conseil de prud’hommes, concernant un litige avec son employeur, une société anonyme. Demandes du SalariéLe salarié a formulé plusieurs demandes, notamment la communication de bulletins de paie de certains collègues pour prouver une discrimination dans l’évolution de sa carrière. Il a également demandé un tableau récapitulatif des évolutions salariales et a contesté la présence de certaines informations sur les bulletins de paie. Réponse de l’EmployeurL’employeur a demandé le rejet des demandes du salarié, arguant que ce dernier n’avait pas fourni de preuves suffisantes pour justifier ses allégations de discrimination. L’employeur a également demandé à être indemnisé pour les frais de justice. Arguments du SalariéLe salarié a soutenu que les documents demandés étaient essentiels pour prouver ses allégations de discrimination et d’inégalité de traitement, en se basant sur un précédent jugement qui avait reconnu une inégalité de traitement à son égard. Arguments de l’EmployeurL’employeur a fait valoir que la demande du salarié était disproportionnée et que les éléments déjà fournis étaient suffisants pour statuer sur l’affaire. Il a également souligné que le salarié n’avait pas démontré de stagnation de sa rémunération. Décision du JugeLe juge a ordonné à l’employeur de communiquer les bulletins de paie demandés, tout en précisant que certaines informations devaient être occultées pour protéger la vie privée des salariés. Le juge a également stipulé que les données ne pouvaient être utilisées que dans le cadre de l’action en cours. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le fondement juridique de la demande de communication des bulletins de paie ?La demande de communication des bulletins de paie repose sur l’article 146 du code de procédure civile, qui stipule que « les mesures d’instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer. » Dans le cadre de la présente affaire, le salarié, en tant que demandeur, soutient qu’il a besoin des bulletins de paie pour prouver le bien-fondé de ses prétentions concernant la discrimination et l’inégalité de traitement. Il est donc essentiel que le juge puisse ordonner la communication de ces documents pour garantir le droit à la preuve du salarié, conformément aux dispositions légales. Quel est le rôle de l’employeur dans la preuve de la discrimination ?L’article L.1134-1 du code du travail précise que « lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. » Il incombe alors à la partie défenderesse, en l’occurrence l’employeur, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge, pour former sa conviction, peut ordonner toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles, ce qui inclut la communication des bulletins de paie pour établir une comparaison pertinente. Quel est l’impact de la décision de la cour d’appel de Versailles sur la présente affaire ?La cour d’appel de Versailles a reconnu, par un arrêt du 19 janvier 2017, l’inégalité de traitement et le harcèlement moral dont le salarié a été victime. Cette décision a des conséquences directes sur la présente affaire, car elle établit un précédent concernant la discrimination subie par le salarié dans son évolution de carrière. Le salarié produit des éléments de preuve, tels que ses bulletins de paie, pour démontrer la stagnation de sa rémunération et l’absence d’évolution de sa carrière, renforçant ainsi ses prétentions. Quel est le cadre légal concernant la protection des données personnelles dans ce contexte ?La décision stipule que certaines mentions doivent rester occultées sur les bulletins de paie, conformément aux exigences de protection des données personnelles. Il est précisé que « l’adresse postale, le taux d’imposition fiscale, la domiciliation bancaire, la mention de saisies sur rémunération ou d’arrêts de travail doivent être occultés. » Cela garantit que seules les informations nécessaires à la comparaison, telles que le nom, la fonction, l’ancienneté, le salaire, le coefficient dans la classification applicable et le site de travail, soient accessibles, tout en protégeant la vie privée des salariés concernés. Quel est le principe de proportionnalité dans la demande de communication des documents ?Le principe de proportionnalité est un élément clé dans l’évaluation de la demande de communication des bulletins de paie. Le juge doit s’assurer que la demande est proportionnée aux intérêts en présence, en tenant compte des éléments déjà soumis aux débats. Dans ce cas, le juge a jugé que la demande de communication des bulletins de paie est suffisamment proportionnée, car elle est en miroir des comparatifs utilisés lors du premier contentieux, et elle est nécessaire pour établir la preuve de la discrimination alléguée. |
DE VERSAILLES
Chambre sociale 4-1
Prud’Hommes
Minute n°
N° RG 24/02386 – N° Portalis DBV3-V-B7I-WWWX
AFFAIRE : [N] C/ SOCIETE SOPRA STERIA GROUP,
ORDONNANCE D’INCIDENT
prononcée publiquement par mise à disposition de la décision au greffe le VINGT SEPT FEVRIER DEUX MILLE VINGT CINQ,
par Madame Véronique PITE, conseiller de la mise en état de la Chambre sociale 4-1,
après que la cause en a été débattue en audience publique, le treize Janvier deux mille vingt cinq,
assisté de Madame Patricia GERARD, Adjoint Administratif faisant fonction de greffière,
DANS L’AFFAIRE ENTRE :
Monsieur [Y] [N]
né le 29 Juillet 1972 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Savine BERNARD de la SELARL BERNARD – VIDECOQ, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0138 – N° du dossier [N]
APPELANT
DEMANDEUR A L’INCIDENT
C/
Société SOPRA STERIA GROUP
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Justine GODEY de la SELARL LA GARANDERIE AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0487 – N° du dossier 11843
INTIMEE
DEFENDERESSE A L’INCIDENT
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Expéditions exécutoires délivrées aux avocats le —————
Par déclaration d’appel du 12 août 2024, M. [Y] [N] a déféré à la cour le jugement rendu le 11 avril 2024 par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt dans le litige l’opposant à la société anonyme Sopra Steria group.
Par dernières conclusions d’incident remises au greffe le 10 janvier 2025, M. [N] demande au conseiller de la mise en état de :
– décembre des années 2017 à 2024 des salariés constitutifs de son panel encore en poste en 2025 : M. [H], M. [K], [I] [U], [T] [M] et [V] [D]
– décembre pour partie de la période, soit de 2017 et 2018 pour [R] [X] et septembre 2019 et de l’année 2017 pour [W] [O] et son bulletin de paie de septembre 2018,
– ordonner à la société de communiquer dans les 2 mois suivant la notification de l’ordonnance, un tableau récapitulant les évolutions en salaire et en coefficient de ces salariés et leur site de travail,
– juger que l’adresse postale, le taux d’imposition fiscale, la domiciliation bancaire, la mention de saisies sur rémunération ou d’arrêts de travail n’ont pas à figurer sur les bulletins de paie des salariés,
– faire injonction aux parties de n’utiliser les données personnelles des salariés de comparaison contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu’aux seules fins de l’action en discrimination et inégalité de traitement,
– condamner la société à lui payer la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Rappelant que par arrêt du 19 janvier 2017 la cour d’appel de Versailles reconnut l’inégalité de traitement et le harcèlement moral dont il fut l’objet, il souligne, depuis, l’immobilité persistante de sa carrière faute d’affectation sinon pour de courtes missions jusqu’à son licenciement le 6 novembre 2020 pour insuffisance professionnelle, et plaide la discrimination en raison de ses origines sinon l’inégalité de traitement, notamment de ce motif. Il soutient avoir besoin des pièces demandées que détient l’employeur, pour prouver le bien-fondé de ses prétentions de fond et que ces pièces sont ainsi nécessaires à l’exercice de son droit à la preuve de la discrimination, et sa demande proportionnée au but poursuivi.
S’agissant d’une discrimination dans l’évolution de carrière, il circonscrit le panel aux personnes de même qualification que la sienne, embauchées à une date voisine, de sorte de comparer les situations à l’embauche, et qu’avait retenu la cour dans son premier arrêt, sans qu’il puisse désormais encourir le grief d’être obsolète. Il dispute la possibilité d’un panel anonyme, dont les critères sont opaques, et ne retiennent ni la fonction ni la classification à l’embauche. Il précise au reste que seuls les bulletins de paie permettront de déterminer le coefficient et le salaire auquel il devra être repositionné.
Par dernières conclusions d’incident remises au greffe le 10 janvier 2025, la société Sopra Steria group demande au conseiller de la mise en état de :
– débouter M. [N] de ses demandes,
– condamner M. [N] à lui payer la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux éventuels dépens.
Se basant sur l’article 146 du code de procédure civile et en relevant que le jugement débouta, sans nécessité d’aucune mesure d’instruction, son contradicteur, elle fait valoir sa carence probatoire faute d’offre d’aucun commencement de preuve, y compris de la stagnation de sa rémunération, et que la mesure d’instruction n’a pour objet de suppléer. Elle soutient qu’au reste, la demande, qui porte sur 96 bulletins de paie devant être retraités pour protéger les données personnelles, est disproportionnée au regard des éléments déjà soumis aux débats, dont son tableau comparatif de la situation de M. [N] avec des personnes d’une même ancienneté, notamment dans la même région.
Il convient de se référer à ces écritures quant à l’exposé du surplus des prétentions et moyens des parties, en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’audience sur incident s’est tenue le 13 janvier 2025.
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L’article 144 du code de procédure civile énonce que les mesures d’instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer.
L’article L.1134-1 du code du travail dit que lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, qu’au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Par ailleurs, il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, et il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence.
Ici, M. [N], qui poursuit l’action en réparation de la discrimination subie dans son évolution de carrière et sa rémunération en raison de son origine, sinon de l’inégalité de traitement depuis le 19 janvier 2017, produit l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 19 janvier 2017 ayant retenu une telle inégalité sur comparatifs de mai 2008 à mars 2016 et le reclassant à sa date, ses bulletins de paie de décembre 2017 à février 2021 laissant voir sa rémunération inchangée de 3.200 euros par mois sur l’ensemble de la période, ses missions se succédant de février 2017 à juin 2018, puis de septembre 2018 à juin 2019, enfin, après un intermède de mars à septembre 2020, du 28 septembre suivant jusqu’à son licenciement intervenu le 6 février 2021.
Contrairement à ce qu’indique la société Sopra Steria group, il donne tout élément utile sur la stagnation de sa rémunération et de sa carrière.
M. [N] produit encore l’étude du ministère de la cohésion des territoires et de la ville de mars 2019 sur la discrimination dans le recrutement des grandes entreprises notamment en raison de l’origine, qui vient en soutien, sans que l’interpolation n’en soit exclue d’emblée, de ses assertions.
Du moment que l’employeur est seul possesseur des bulletins de paie sollicités que la loi l’oblige à tenir, permettant la comparaison des situations de carrière, c’est sans méconnaître la charge de la preuve et ainsi les dispositions de l’article 146 du code de procédure civile que le juge peut ordonner la communication de ces éléments rendant effectif l’exercice du droit à la preuve de M. [N] de la discrimination ou de l’inégalité subie.
Etant précisé que la demande est faite en miroir des comparatifs utilisés lors du premier contentieux opposant les parties et qu’ainsi sa pertinence s’induit de l’issue du litige sans qu’il ne puisse être sérieusement reproché, par ailleurs, à M. [N] la constitution d’un pré-panel, ou la circonstance que d’autres données, mais moins précises faute de nom ou de fonction à l’engagement, soient produites par l’employeur, il convient de la considérer suffisamment proportionné aux intérêts en présence, sauf à limiter la production des bulletins de paie de chaque salarié du mois de décembre 2017 au mois de décembre 2020 inclus, le cas échéant du mois de décembre 2017 au dernier mois travaillé s’il survient avant décembre 2020, puisque M. [N] a été licencié ensuite, en sorte que l’évolution des carrières et rémunération de ses collègues ne sert plus suffisamment son argument, même s’il demande sa réintégration.
Du moment qu’il appartient au juge de veiller à ce que les mentions laissées apparentes sur les bulletins de paie des tiers servant à la comparaison soient adéquates, pertinentes et strictement indispensables au droit à la preuve, il convient de n’y laisser que le nom, leur fonction, leur ancienneté, leur salaire, leur coefficient dans la classification applicable et le site de travail, le surplus étant occulté.
Il est rappelé aux parties par ailleurs que ces données ne peuvent être utilisées autrement qu’à l’occasion du présent litige.
Ordonne à la société Sopra Steria group de communiquer à M. [N] dans les 2 mois suivant la notification de l’ordonnance, les bulletins de paie de :
– décembre des années 2017 à 2020 des salariés suivants : M. [H], M. [K], [I] [U], [T] [M] et [V] [D] ;
– décembre des années 2017 et 2018 et septembre 2019 pour [R] [X] ;
– décembre de l’année 2017 et de septembre 2018 pour [W] [O] ;
Ordonne à la société Sopra Steria group de communiquer dans les 2 mois suivant la notification de l’ordonnance, un tableau récapitulant les évolutions en salaire et en coefficient de ces salariés et leur site de travail ;
Dit que doivent rester seules apparentes les mentions suivantes : le nom, la fonction, l’ancienneté, le salaire, le coefficient dans la classification applicable et le site de travail, le surplus étant occulté ;
Juge notamment que l’adresse postale, le taux d’imposition fiscale, la domiciliation bancaire, la mention de saisies sur rémunération ou d’arrêts de travail doivent être occultés ;
Fait injonction aux parties de n’utiliser les données personnelles des salariés de comparaison contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu’aux seules fins de l’action en discrimination et inégalité de traitement poursuivie par M. [N] ;
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les dépens de l’incident suivront le sort des dépens au principal.
L’Adjoint Administratif faisant fonction de greffière La Conseillère
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