Cour de cassation, 3 avril 2025, N° Pourvoi 23-23.206
Cour de cassation, 3 avril 2025, N° Pourvoi 23-23.206

Type de juridiction : Cour de cassation

Juridiction : Cour de cassation

Thématique : Évaluation du prix d’un bien préempté : prise en compte de l’état dégradé malgré l’absence de responsabilité du propriétaire.

Résumé

Un propriétaire d’un lot dans un immeuble en copropriété a notifié une déclaration d’intention d’aliéner à la commune de Menton. L’établissement public foncier local de [Localité 3], agissant en tant que délégataire du droit de préemption, a exercé ce droit. En l’absence d’accord amiable sur le prix d’acquisition, l’établissement a saisi le juge de l’expropriation du département des Alpes-Maritimes pour fixer ce prix.

L’établissement public foncier a contesté la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui avait fixé le prix du bien préempté. Il a soutenu que le prix devait être déterminé en tenant compte de l’état dégradé de l’immeuble et des parties communes, même si cette dégradation n’était pas imputable au propriétaire exproprié, mais résultait de la création de la zone d’aménagement différé. Selon l’établissement, la cour d’appel avait violé l’article L. 322-1 du code de l’expropriation en ne prenant pas en compte cet état dégradé.

La Cour de cassation a examiné les articles L. 213-4 du code de l’urbanisme et L. 322-1 du code de l’expropriation, précisant que le prix d’acquisition d’un bien préempté doit être fixé selon sa consistance au jour du jugement. Elle a conclu que l’état des parties privatives et communes doit être pris en compte, même si la dégradation résulte de l’arrêt des travaux de rénovation et d’entretien après la création de la zone d’aménagement différé.

En conséquence, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, remettant l’affaire dans l’état où elle se trouvait avant cette décision et la renvoyant devant une autre formation de la cour d’appel. Le propriétaire a été condamné aux dépens, et sa demande au titre de l’article 700 a été rejetée.

Cour de cassation, 3 avril 2025, N° Pourvoi 23-23.206

CIV. 3

JL

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 3 avril 2025

Cassation

Mme TEILLER, président

Arrêt n° 178 FS-B

Pourvoi n° Z 23-23.206

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 AVRIL 2025

L’établissement public foncier [Localité 3], dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 23-23.206 contre l’arrêt rendu le 5 octobre 2023 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre des expropriations), dans le litige l’opposant :

1°/ à M. [W] [F], domicilié [Adresse 1],

2°/ au commissaire du gouvernement, domicilié [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Rat, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de l’établissement public foncier [Localité 3], et l’avis de Mme Delpey- Corbaux, avocat général, après débats en l’audience publique du 4 mars 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Rat, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, Mme Abgrall, MM. Pety, Brillet, Mmes Foucher-Gros, Guillaudier, conseillers, M. Zedda, Mmes Vernimmen, Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, Mme Delpey-Corbaux, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 octobre 2023) M. [F], propriétaire d’un lot dans un immeuble en copropriété situé dans une zone d’aménagement différé, ayant notifié une déclaration d’intention d’aliéner à la commune de Menton, l’établissement public foncier local de [Localité 3] (l’EPF [Localité 3]), délégataire du droit de préemption, a exercé ce droit et a, faute d’accord, saisi le juge de l’expropriation du département des Alpes-Maritimes en fixation du prix d’acquisition.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. L’EPF [Localité 3] fait grief à l’arrêt de fixer comme il le fait le prix du bien préempté, alors « que le prix du bien préempté est fixé en tenant compte de la consistance matérielle du bien à la date de la décision de première instance ; qu’en jugeant que l’établissement foncier n’apportait pas la preuve que l’évaluation du bien soit intrinsèquement inférieure à la valeur retenue par les premiers juges et en refusant de tenir compte « de l’état dégradé de l’immeuble et des parties communes » dont elle constatait l’existence à la date de la décision de première instance, au motif que cet état ne résultait pas d’une carence du propriétaire du bien préempté mais était la conséquence de la création de la zone d’aménagement différé en vue de la constitution d’une réserve foncière et de l’acquisition des lots de copropriété par l’expropriant « ayant conduit à l’arrêt de tous travaux de rénovation et d’entretien », quand le juge statuant sur le prix de vente du bien préempté devait tenir compte de la consistance matérielle du bien à la date de la décision de première instance, et donc de l’état dégradé de l’immeuble et des parties communes, peu important qu’il ne soit pas imputable à l’exproprié ou qu’il soit la conséquence de la création de la zone d’aménagement différé, ces circonstances étant étrangères à la consistance du bien, la cour d’appel a violé l’article L. 322-1 du code de l’expropriation. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 213-4 du code de l’urbanisme et L. 322-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique :

3. Selon le premier de ces textes, à défaut d’accord amiable, le prix d’acquisition d’un bien préempté, exclusif de toute indemnité accessoire, est fixé selon les règles applicables en matière d’expropriation.

4. Selon le second, le juge fixe le montant des indemnités d’après la consistance des biens à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété.

5. Il en résulte que le prix du bien préempté, qui doit être fixé d’après sa consistance au jour du jugement de première instance, prend en compte, s’agissant de biens situés dans un immeuble en copropriété, l’état des parties privatives et des parties communes, même si la dégradation de ces dernières résulte de l’arrêt de tous travaux de rénovation et d’entretien après la création de la zone d’aménagement différé.

6. Pour fixer comme il le fait le prix du bien préempté, l’arrêt retient que l’état dégradé de l’immeuble et des parties communes n’a pas à être pris en compte, dès lors que cet état ne résulte pas d’une carence de l’exproprié mais de la création de la zone d’aménagement différé en vue de la constitution d’une réserve foncière et de l’acquisition des lots de copropriété par l’expropriant, ayant conduit à l’arrêt de tous travaux de rénovation et d’entretien.

7. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 octobre 2023, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne M. [F] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois avril deux mille vingt-cinq.


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