Cour de cassation, 15 janvier 2025, Pourvoi n° 24-80.694
Cour de cassation, 15 janvier 2025, Pourvoi n° 24-80.694

Type de juridiction : Cour de cassation

Juridiction : Cour de cassation

Thématique : Saisie d’un bien immobilier et conditions de confiscation

Résumé

Contexte de l’affaire

M. [P] a été mis en examen pour des chefs d’accusation spécifiques. Le 16 septembre 2021, un juge d’instruction a ordonné la saisie d’un bien immobilier situé à [Localité 1], dont M. [P] est usufruitier, tandis que ses deux enfants, [B] et [K] [O], nés respectivement en 2004 et 2007, en sont les nus-propriétaires.

Appel de M. [P]

M. [P] a interjeté appel de cette décision, agissant à la fois en son nom personnel et en tant que représentant légal de ses enfants. Il conteste la saisie du bien, arguant que la nue-propriété appartient à des tiers et que la saisie ne peut être effectuée que si ces derniers sont de mauvaise foi.

Arguments juridiques

Le moyen soulevé par M. [P] critique l’arrêt qui a confirmé la saisie, en soulignant que la loi exigeait de prouver la mauvaise foi des nus-propriétaires pour justifier une confiscation. Il est également fait référence à plusieurs articles du code pénal et de la procédure pénale concernant la confiscation des biens.

Réponse de la Cour

La Cour a réuni les moyens soulevés. Concernant l’argument de M. [P] en son nom personnel, la Cour a déclaré ce moyen irrecevable, car il n’avait pas qualité pour défendre les droits des nus-propriétaires. En revanche, pour les arguments présentés en tant que représentant légal de ses enfants, la Cour a examiné la légalité de la saisie.

Analyse de la saisie

La Cour a rappelé que la confiscation peut porter sur des biens à la libre disposition d’une personne, mais que cela nécessite de prouver que les tiers ne sont pas de bonne foi. Elle a noté que M. [P] avait la libre disposition du bien, mais a également souligné que les enfants mineurs n’avaient ni les moyens financiers ni la capacité juridique pour gérer le bien.

Critique de la décision de la chambre de l’instruction

La chambre de l’instruction a été critiquée pour ne pas avoir établi que M. [P] était le propriétaire économique réel du bien. De plus, elle n’a pas prouvé que les mineurs n’étaient pas de bonne foi, ce qui est essentiel pour justifier la saisie. La Cour a également noté que la proportionnalité de la saisie par rapport aux droits de propriété de M. [P] et des enfants n’a pas été évaluée.

Conclusion

En raison des insuffisances dans la justification de la décision de saisie, la Cour a conclu que la cassation était encourue.

N° H 24-80.694 FS-B

N° 00007

GM
15 JANVIER 2025

REJET
CASSATION

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 JANVIER 2025

M. [G] [P], agissant tant en son nom personnel qu’en sa qualité de représentant légal de [K] [O], et M. [B] [O] ont formé des pourvois contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Caen, en date du 16 janvier 2024, qui, dans l’information suivie contre le premier des chefs d’escroqueries, travail dissimulé, en bande organisée, non-remise d’un contrat au consommateur, obtention d’un paiement avant le délai de sept jours, pratique commerciale trompeuse, abus de faiblesse, blanchiment, a confirmé l’ordonnance de saisie pénale rendue par le juge d’instruction.

Par ordonnance du 29 avril 2024, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit l’examen immédiat de celui formé par M. [G] [P] en son nom personnel.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [G] [P], Mme [K] [O], M. [B] [O], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l’audience publique du 20 novembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, M. de Lamy, Mmes Jaillon, Clément, conseillers de la chambre, Mme Fouquet, MM. Gillis, Michon, Mme Bloch, conseillers référendaires, Mme Viriot-Barrial, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [P] a été mis en examen des chefs susvisés.

3. Par ordonnance du 16 septembre 2021, le juge d’instruction a ordonné la saisie d’un bien immobilier sis à [Localité 1] dont M. [P] est usufruitier, ses deux enfants [B] et [K] [O], mineurs pour être nés en 2004 et 2007, en étant nus-propriétaires.

4. M. [P], agissant tant en son nom personnel qu’en sa qualité de représentant légal de [B] et [K] [O], a relevé appel de la décision.

Réponse de la Cour

7. Les moyens sont réunis.

Sur le moyen en ce qu’il est proposé pour M. [P] agissant en son nom personnel

8. Le moyen est irrecevable, M. [P], agissant en son nom personnel, étant sans qualité pour invoquer l’atteinte portée aux droits des nus-propriétaires du bien dont il est usufruitier.

Sur le moyen en ce qu’il est proposé pour M. [P] agissant en qualité de représentant légal de [K] [O], et pour M. [B] [O], et sur les moyens relevés d’office et mis dans le débat

Vu les articles 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, 131-21, alinéa 6, du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

9. Il résulte du deuxième de ces textes que, lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, la confiscation peut porter sur tout ou partie des biens, quelle qu’en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis, appartenant au condamné, ainsi que sur ceux qui, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, sont à sa libre disposition.

10. Il se déduit des deux premiers de ces textes que, lorsque le juge ordonne la saisie d’un bien à la libre disposition d’une personne sur le fondement de la saisie de patrimoine, il doit, après avoir établi que les tiers titulaires de droits sur ce bien ne sont pas de bonne foi, apprécier d’office le caractère proportionné de l’atteinte portée par la mesure au droit de propriété tant de la personne ayant la libre disposition du bien saisi que des tiers faisant valoir des droits sur ce bien.

11. Tout arrêt de la chambre de l’instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

12. Pour confirmer l’ordonnance de saisie immobilière du juge d’instruction, l’arrêt attaqué énonce, notamment, après avoir rappelé que l’article 706-150 du code de procédure pénale n’interdit pas que la saisie immobilière porte sur un bien immobilier en situation de démembrement, mais impose que soient garantis les droits des tiers de bonne foi et qu’il soit déterminé que la personne a la libre disposition dudit bien, qu’en l’espèce le bien immobilier a fait l’objet d’une donation entre vifs en avancement de parts successorales, la nue-propriété étant attribuée aux enfants mineurs de Mme [M] [O] et de M. [P], ce dernier conservant l’usufruit.

13. Les juges relèvent que M. [P] a fixé son adresse dans cet immeuble et qu’il a mentionné payer des impôts sur ce terrain.

14. Ils observent qu’étant mineurs et exerçant l’activité d’écoliers, [B] et [K] [O] ne disposent ni des moyens financiers, ni de la capacité juridique pour assumer les charges de l’immeuble relevant de la nue-propriété.

15. Ils concluent que cette donation relève d’un arrangement familial mais qu’il apparaît bien que M. [P] bénéficie de la libre disposition de cet immeuble.

16. Ils ajoutent qu’il a sollicité et obtenu un aménagement de peine dans le cadre d’une détention à domicile sous surveillance électronique en ce lieu, et qu’il ne résulte d’aucun élément de sa demande qu’un accord a été recueilli auprès du maître des lieux, ce qui confirme que M. [P] a la libre disposition de l’immeuble.

17. En se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

18. En premier lieu, les motifs par lesquels elle conclut à la libre disposition par M. [P] de l’immeuble saisi sont impropres à établir qu’il en était le propriétaire économique réel, en ce qu’ils n’établissent pas qu’au-delà de la détention de l’usufruit du bien, M. [P] avait la libre disposition de sa nue-propriété, nonobstant la transmission apparente de celle-ci à ses enfants mineurs dans le cadre d’une donation-partage.

19. En second lieu, elle n’a pas constaté que les mineurs nus-propriétaires n’étaient pas de bonne foi, celle-ci s’appréciant du chef du représentant légal ayant la libre disposition du bien.

20. L’appréciation de la libre disposition du bien et de l’absence de bonne foi des tiers mineurs peut, notamment, résulter de la circonstance de ce que le représentant légal n’aurait procédé à ce démembrement du droit de propriété que pour faire échapper le bien à d’éventuelles saisies ou confiscations, et savait en conséquence que les mineurs n’étaient pas les titulaires économiques réels des droits de nue-propriété sur le bien.

21. Enfin, alors qu’elle procédait à une saisie de patrimoine fondée sur l’article 131-21, alinéa 6, du code pénal, elle n’a pas contrôlé la proportionnalité de l’atteinte portée par la mesure de saisie au droit de propriété de M. [P] et à celui des tiers mineurs nus-propriétaires, l’absence d’atteinte aux droits de ces derniers pouvant résulter de la circonstance qu’ils ne seraient pas les nus-propriétaires économiques réels du bien saisi.

22. La cassation est par conséquent encourue.

 


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