Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Orléans
Thématique : Évaluation de la vulnérabilité dans le cadre de la rétention administrative
→ RésuméLes faits de cette affaire concernent un individu, désigné comme retenu, qui a été hospitalisé suite à une tentative d’autolyse. Le 4 mars 2025, il a été pris en charge aux urgences d’un hôpital, où il a reçu des soins pour des blessures auto-infligées. Le lendemain, le 5 mars 2025, un arrêté de placement en rétention administrative a été émis par le Préfet, qui a jugé que l’état de santé du retenu ne présentait pas de vulnérabilité suffisante pour s’opposer à cette mesure.
Le Préfet a motivé sa décision en se basant sur les éléments disponibles à la date de l’arrêté, notamment le fait que le retenu n’avait pas sollicité de titre de séjour pour raisons médicales et que son état de santé avait été jugé compatible avec une détention antérieure. Cependant, la cour a souligné que l’hospitalisation récente du retenu et la tentative de suicide n’avaient pas été prises en compte de manière adéquate dans la décision de placement. La cour a également noté que, bien que le Préfet ait pris en considération le risque d’automutilation, il n’avait pas accès à des informations médicales récentes au moment de sa décision. Un certificat médical a été délivré le 6 mars 2025, confirmant que l’état de santé du retenu était compatible avec sa sortie de l’hôpital et son placement en rétention. En conséquence, la cour a jugé que la décision de placement en rétention administrative était légale, rejetant les arguments de nullité soulevés. Elle a donc infirmé l’ordonnance précédente qui avait constaté l’illégalité du placement et a ordonné la prolongation de la rétention administrative pour une durée de vingt-six jours. |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’ORLÉANS
Rétention Administrative
des Ressortissants Étrangers
ORDONNANCE du 11 MARS 2025
Minute N°246/2025
N° RG 25/00783 – N° Portalis DBVN-V-B7J-HFTA
(1 pages)
Décision déférée : ordonnance du tribunal judiciaire d’Orléans en date du 09 mars 2025 à 11h48
Nous, Hélène GRATADOUR, présidente de chambre à la cour d’appel d’Orléans, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Sophie LUCIEN, greffier placé, aux débats et au prononcé de l’ordonnance,
APPELANTS :
1) Mme la procureure de la République près le tribunal judiciaire d’Orléans,
ministère public présent à l’audience en la personne de Christine TEIXIDO, avocat général,
2) M. LE PRÉFET DE LA SARTHE
non comparant, non représenté
INTIMÉ :
1) Monsieur X se disant [Z] [E]
Né le 01 août 1989 à [Localité 3] (Maroc), de nationalité marocaine
actuellement en rétention administrative au centre de rétention administrative d'[Localité 2] dans des locaux ne dépendant pas de l’administration pénitentiaire
comparant par visioconférence, assisté de Me Rachid BOUZID, avocat au barreau d’ORLEANS
assisté de Mme [Y] [J], interprète en langue arabe, expert près la cour d’appel d’Orléans, qui a prêté son concours lors de l’audience et du prononcé
À notre audience publique tenue en visioconférence au Palais de Justice d’Orléans le 11 mars 2025 à 10h00, conformément à l’article L. 743-7 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), aucune salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n’étant disponible pour l’audience de ce jour ;
Statuant publiquement et contradictoirement en application des articles L. 743-21 à L. 743-23 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), et des articles R. 743-10 à R. 743-20 du même code,
Vu l’ordonnance rendue le 09 mars 2025 à 11h48 par le tribunal judiciaire d’Orléans ordonnant la jonction des procédures de demande de prolongation par la préfecture et de recours contre l’arrêté de placement en rétention administrative par le retenu, constatant l’illégalité du placement en rétention, mettant fin à la rétention administrative de M. X se disant [Z] [E] et disant n’y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de M. X se disant [Z] [E] ;
Vu l’appel de ladite ordonnance, interjeté le 9 mars 2025, à 19h51, par M. LE PRÉFET DE LA SARTHE ;
Vu l’appel de ladite ordonnance interjeté le 10 mars 2025 à 12h02 par le procureur de la République près le tribunal judiciaire d’Orléans, avec demande d’effet suspensif ;
Vu l’ordonnance du 10 mars 2025 conférant un caractère suspensif au recours de Mme la procureure de la République ;
Vu les observations :
– de l’avocat général tendant à l’infirmation de l’ordonnance ;
– de M. X se disant [Z] [E], assisté de son conseil qui demande la confirmation de l’ordonnance ;
AVONS RENDU ce jour l’ordonnance publique et réputée contradictoire suivante :
Sur la procédure de levée d’écrou, le conseil de M. X se disant [Z] [E] indique que la fiche de levée d’écrou fait état d’une libération le 5 mars 2025 à 10h25, et que ce document n’a été édité qu’à 10h59. Selon lui, il n’est pas possible, dans ces conditions, de rechercher l’heure de levée d’écrou.
Sur ce point, la cour adopte la motivation pertinente du premier juge, qui a notamment mis en lumière les mentions faisant foi du procès-verbal de transport et de notification de levée d’écrou, ayant précisé que le greffe de la maison d’arrêt avait effectué la levée d’écrou de M. X se disant [Z] [E] le 5 mars 2025 à 10h25. Le moyen est donc rejeté.
Sur le port injustifié des menottes, le conseil de M. X se disant [Z] [E] allègue la violation des droits de l’intéressé, en raison du port des entraves lors de son transfert au CRA d'[Localité 2].
Aux termes de l’article 803 du code de procédure pénale, « nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s’il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite.
Dans ces deux hypothèses, toutes mesures utiles doivent être prises, dans les conditions compatibles avec les exigences de sécurité, pour éviter qu’une personne menottée ou entravée soit photographiée ou fasse l’objet d’un enregistrement audiovisuel ».
Selon le quatrième alinéa de l’article R. 434-17 du code de la sécurité intérieure, « l’utilisation du port des menottes ou des entraves n’est justifiée que lorsque la personne appréhendée est considérée soit comme dangereuse pour autrui ou pour elle-même, soit comme susceptible de tenter de s’enfuir ».
En l’espèce, le procès-verbal de transport et de levée d’écrou indique que les agents de police se sont transportés au centre hospitalier [Localité 1], en compagnie du greffe de la maison d’arrêt pour procéder à la levée d’écrou de M. X se disant [Z] [E] puis à son placement en rétention administrative.
Le greffe de la maison d’arrêt a procédé à la levée d’écrou le 5 mars 2025 à 10h25 et l’intéressé se trouvait à ce moment-là, d’après les mentions faisant foi du procès-verbal, dans un état de nervosité et d’agressivité. Par ailleurs, compte-tenu de ses actes précédents, alors qu’il venait d’ingérer des lames de rasoir et avait procédé à une automutilation, du risque de fuite, de la longueur du trajet et de la nécessité d’assurer la sécurité de toutes les personnes à bord du véhicule, il était décidé de procéder à un menottage lors de son transfert, qui n’interviendrait qu’à l’issue de son hospitalisation.
Force est de constater que les circonstances propres au cas d’espèce laissaient manifestement craindre que M. X se disant [Z] [E] représente un danger pour lui-même ou pour autrui, qui plus est dans l’espace réduit d’un véhicule.
Le risque de fuite était également caractérisé, étant précisé que l’intéressé s’était précédemment auto-mutilé à deux reprises pour faire obstacle à son éloignement.
Il suit que le menottage était justifié et que le moyen doit être rejeté.
Sur l’absence de pièce justificative utile, il est soutenu que les documents relatant les événements survenus entre le 5 et le 6 mars 2025 n’ont pas été produits.
En l’espèce, il résulte du procès-verbal de transport et de notification de levée d’écrou que les agents de police ont procédé à la notification du placement en rétention administrative de M. X se disant [Z] [E] à la suite de la levée d’écrou par le greffe de la maison d’arrêt, le 5 mars 2025 à 10h25.
Les policiers ont ensuite décidé, au vu du temps d’hospitalisation restant de M. X se disant [Z] [E], de retourner au commissariat central en vue de finaliser la préparation du dossier de l’intéressé pour le centre de rétention administrative d'[Localité 2].
Il résulte également de la pièce jointe n° 25 que M. X se disant [Z] [E] a été opéré à l’hôpital [Localité 1] le 6 mars 2025, le dernier examen ayant été pratiqué à 14h33, et le compte-rendu médical d’hospitalisation ayant été édité à 16h08, ce qui explique l’arrivée au centre de rétention administrative d'[Localité 2] le même jour à 19h08.
Il n’y a donc pas lieu de constater l’absence de production d’une pièce justificative utile, la cour étant en mesure de retracer la chaîne des événements entre la levée d’écrou et l’arrivée du retenu au CRA d'[Localité 2]. Le moyen est rejeté.
Sur le défaut de prise en compte de l’état de vulnérabilité du retenu dans la décision de placement, il résulte des dispositions de l’article L. 741-4 du CESEDA que « La décision de placement en rétention prend en compte l’état de vulnérabilité et tout handicap de l’étranger. Le handicap moteur, cognitif ou psychique et les besoins d’accompagnement de l’étranger sont pris en compte pour déterminer les conditions de son placement en rétention ».
La méconnaissance de l’article L. 741-4 doit amener à constater l’illégalité du placement en rétention administrative, indépendamment de la compatibilité de l’état de santé du retenu avec une telle mesure, et de l’accès aux soins dans le lieu de rétention administrative.
En l’espèce, dans son arrêté du 5 mars 2025, le Préfet a considéré qu’il ne ressortait d’aucun élément du dossier que M. X se disant [E] [Z] présenterait un état de vulnérabilité ou tout handicap qui s’opposerait à un placement en rétention. Il a été relevé à ce titre que « le 24 mai 2024, jour de son élargissement au centre pénitentiaire [Localité 1], M. X se disant [E] [Z] a été hospitalisé à la suite d’automutilations empêchant son placement en rétention en vue de la mise en ‘uvre de son éloignement ; que depuis lors, l’intéressé n’a pas sollicité la délivrance d’un titre de séjour pour raisons médicales ; M. X se disant [E] [Z] a, à nouveau, été incarcéré au centre pénitentiaire [Localité 1] le 15 septembre 2024 ; que son état de santé a, alors, été jugé compatible avec une mesure de détention pendant une durée de cinq mois [‘] ; qu’enfin, l’intéressé pourra bénéficier de soins et traitements auprès de l’unité médicale du centre de rétention administrative et/ou le cas échéant, du centre hospitalier le plus proche ».
La cour constate que, le 4 mars 2025, veille de son élargissement, M. X se disant [E] [Z] a été amené aux urgences du Centre hospitalier [Localité 1] et pris en charge à 10h00 pour une tentative d’autolyse avec scarifications multiples et ingestion de lames de rasoir. Il a reçu les premiers soins durant la journée et une chirurgie a été envisagée à partir de 19h00.
Au moment où l’arrêté a été pris, le 5 mars 2025, l’hospitalisation de M. X se disant [E] [Z] venait de débuter et la Préfecture ne disposait d’aucune pièce médicale concernant l’état de santé de l’intéressé suite à sa très récente tentative de suicide. Il doit être souligné qu’au demeurant, aux termes de son arrêté, le Préfet a pris en compte le risque d’automutilation présenté par M. X se disant [E] [Z] en vue d’empêcher son placement en rétention.
Le préfet a ainsi motivé sa décision au regard des éléments portés à sa connaissance à la date d’édiction de la décision de placement, tout en prenant en considération la possibilité pour l’intéressé de faire l’objet d’une évaluation de son état de vulnérabilité lors de son arrivée au centre ; ce qui amènerait nécessairement à envisager, en tant que de besoin, une adaptation des conditions de maintien au centre, où une abrogation de la mesure en cas d’incompatibilité médicalement constatée.
Au regard de ces éléments, il ne saurait être considéré que le préfet n’a pas tenu compte de l’état de vulnérabilité de M. X se disant [E] [Z] dans sa décision de placement en rétention.
Il convient toutefois de se prononcer sur la compatibilité effective de l’état de santé du retenu avec un maintien en rétention administrative, compte-tenu des éléments médicaux portés à la connaissance de la cour.
La cour dispose à cet égard d’un pouvoir souverain d’appréciation des éléments qui lui sont soumis, en vue de conclure ou non à la compatibilité de l’état de santé du retenu avec sa rétention administrative (en ce sens, 2ème Civ., 15 mars 2001, pourvoi n° 99-50.045).
En l’espèce, la Préfecture a été informée de l’hospitalisation du 4 mars 2025 de M. X se disant [E] [Z] par mail du 5 mars 2025 à 03h05. Le jour-même, dans l’après-midi, elle a sollicité de l’hôpital un certificat de compatibilité de l’état de santé de l’intéressé avec un accueil au centre de rétention. Or, contrairement à ce qu’a retenu le juge de première instance, l’hôpital n’a pas refusé de remettre un tel document mais s’est interrogé sur l’aspect juridique de sa délivrance, raison pour laquelle le service juridique de l’établissement a été saisi.
Suite aux réquisitions, un certificat descriptif des lésions de M. X se disant [E] [Z] a été délivré le 6 mars 2025, lors de la sortie d’hospitalisation, faisant mention qu’il n’y avait pas d’ITT et que, suite à la chirurgie viscérale, l’état clinique était compatible avec une sortie.
Lors de la sortie d’hospitalisation, M. X se disant [E] [Z] s’est vu délivrer des ordonnances, l’une mentionnant la nécessité de bénéficier d’un pansement lourd et complexe, avec une prescription du matériel nécessaire à ces pansements, et l’autre portant prescription de vitamine C, de paracétamol et d’actipoche (poches de froid).
M. X se disant [E] [Z] est sorti de l’hôpital du [Localité 1] le 6 mars 2025 à 14h33 et a été placé au centre de rétention administrative d'[Localité 2] le jour-même, après le temps nécessaire au trajet entre les deux villes.
Il résulte de ce qui précède que M. X se disant [E] [Z] présente un état de santé compatible avec sa rétention, ce dont la Préfecture s’est préalablement assurée.
PAR CES MOTIFS,
DÉCLARONS recevable l’appel interjeté par la préfecture du Loiret ;
INFIRMONS l’ordonnance du 09 mars 2025, en ce qu’elle a constaté l’illégalité du placement en rétention administrative;
Statuant à nouveau :
REJETONS les exceptions de nullité soulevées ;
REJETONS le recours formé à l’encontre de l’arrêté de placement en rétention administrative ;
ORDONNONS la prolongation de la rétention administrative de M. X se disant [E] [Z] pour une durée de vingt-six jours à compter du 09 mars 2025 ;
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor ;
ORDONNONS la remise immédiate d’une expédition de la présente ordonnance à M. LE PRÉFET DE LA SARTHE, à M. X se disant [Z] [E] et son conseil, et à M. le procureur général près la cour d’appel d’Orléans ;
Et la présente ordonnance a été signée par Hélène GRATADOUR, présidente de chambre, et Sophie LUCIEN, greffier placé présent lors du prononcé.
Fait à Orléans le ONZE MARS DEUX MILLE VINGT CINQ à 13 heures 30
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Sophie LUCIEN Hélène GRATADOUR
Pour information : L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien la rétention et au ministère public. Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification. Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
NOTIFICATIONS, le 11 mars 2025 :
M. LE PRÉFET DE LA SARTHE, par courriel
M.le procureur général près la cour d’appel d’Orléans, par courriel
M. X se disant [Z] [E] , copie remise par transmission au greffe du CRA
Me Rachid BOUZID, avocat au barreau d’ORLEANS, par PLEX
L’interprète
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