Cour d’appel de Versailles, 21 novembre 2024, RG n° 22/02755
Cour d’appel de Versailles, 21 novembre 2024, RG n° 22/02755

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Versailles

Thématique : Responsabilité de l’employeur et indemnisation des préjudices liés à un accident du travail

Résumé

Accident de travail et prise en charge

Le 22 janvier 2010, M. [D] [Y], salarié de la société [5], a subi un accident de travail. Cet accident a été pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie d’Eure-et-Loir le 12 février 2010, dans le cadre de la législation professionnelle. L’état de santé de M. [Y] a été déclaré consolidé au 8 octobre 2012, avec un taux d’incapacité permanente partielle initialement fixé à 15 %.

Contestation du taux d’incapacité

M. [Y] a contesté ce taux devant le tribunal du contentieux de l’incapacité de Paris, qui a, par jugement du 29 octobre 2013, fixé le taux d’incapacité à 25 %, dont 5 % de taux professionnel. Par la suite, M. [Y] a demandé la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale

Le tribunal des affaires de sécurité sociale de Chartres a rejeté l’ensemble des demandes de M. [Y] par jugement du 27 janvier 2017. En parallèle, le tribunal de commerce de Chartres a prononcé la clôture pour insuffisance d’actif des opérations de liquidation judiciaire de la société le 15 mai 2019.

Décision de la cour d’appel de Versailles

Le 17 mai 2018, la cour d’appel de Versailles a infirmé le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale, reconnaissant la faute inexcusable de la société et ordonnant une expertise médicale judiciaire. Le rapport d’expertise a été établi par le docteur [V] le 20 janvier 2019.

Fixation des préjudices par la cour d’appel

Le 12 septembre 2019, la cour d’appel a fixé les préjudices de M. [Y] à un total de 91 613,21 euros, tout en déboutant la victime de ses demandes d’indemnité pour préjudice esthétique et d’agrément. La caisse a formé un pourvoi contre cette décision, notamment concernant le déficit fonctionnel permanent et la perte de gains professionnels futurs.

Décision de la Cour de cassation

Le 3 juin 2021, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, mais uniquement en ce qui concerne la fixation des préjudices liés au déficit fonctionnel permanent et à la perte de gains professionnels futurs, renvoyant l’affaire devant la cour d’appel autrement composée.

Arguments des parties lors de l’audience

Lors de l’audience du 26 septembre 2024, la caisse a demandé le rejet des demandes de M. [Y] concernant le préjudice professionnel et le déficit fonctionnel permanent, arguant que ces préjudices étaient déjà couverts par la rente. De son côté, M. [Y] a sollicité la réparation intégrale de ses dommages, y compris la perte de revenus professionnels et la perte de chances de promotion.

Décision sur le déficit fonctionnel permanent

La cour a statué que le déficit fonctionnel permanent est un préjudice autonome, distinct de l’incapacité permanente partielle, et a fixé ce préjudice à 4 200 euros. La demande de M. [Y] concernant la perte de revenus professionnels a été rejetée, la cour considérant que la rente couvrait déjà ces pertes.

Perte de chances de promotion professionnelle

Concernant la perte ou la diminution de chances de promotion professionnelle, la cour a également rejeté la demande de M. [Y], estimant qu’il ne justifiait pas de préjudice certain distinct du déclassement professionnel.

Conclusion et dépens

La cour a condamné M. [Y] aux dépens et a rappelé que la caisse primaire d’assurance maladie d’Eure-et-Loir ferait l’avance de la somme allouée, à charge de récupérer le montant auprès de la société.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 88G

Ch.protection sociale 4-7

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 21 NOVEMBRE 2024

N° RG 22/02755 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VNFP

AFFAIRE :

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’EURE ET LOIR

C/

[D] [Y]

Décision déférée à la cour : Arrêt rendu le 03 Juin 2021 par le Cour de Cassation de PARIS

N° RG : 19-24.057

Copies exécutoires délivrées à :

Me Virginie FARKAS

Me Peter SCHMID

SELARL [7]

Copies certifiées conformes délivrées à :

CPAM D’EURE-ET-LOIR

[D] [Y],

S.E.L.A.R.L. [7] Mandataire liquidateur de la Société [5]

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT ET UN NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’EURE-ET-LOIR

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Virginie FARKAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1748

APPELANTE

****************

Monsieur [D] [Y]

[Adresse 3]

[Localité 6] PORTUGAL [Localité 6]

représenté par Me Peter SCHMID, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E2066

S.E.L.A.R.L. SELARL [7] Mandataire liquidateur de la Société [5]

[Adresse 4]

[Localité 2]

non comparante, ni représentée

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 Septembre 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Marie-Bénédicte JACQUET, conseillère, faisant fonction de présidente, chargée d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Bénédicte JACQUET, conseillère, faisant fonction de présidente,

Madame Aurélie PRACHE, présidente de chambre,

Madame Charlotte MASQUART, conseillère,

Greffière, lors des débats et du prononcé : Madame Juliette DUPONT,

EXPOSÉ DU LITIGE

Salarié de la société [5] (la société), M. [D] [Y] (la victime) a, le 22 janvier 2010, été victime d’un accident pris en charge, le 12 février 2010, par la caisse primaire d’assurance maladie d’Eure-et-Loir (la caisse) au titre de la législation professionnelle.

L’état de santé de la victime a été déclaré consolidé au 8 octobre 2012 et un taux d’incapacité permanente partielle de 15 % lui a été attribué.

Après contestation du taux devant le tribunal du contentieux de l’incapacité de Paris, ce dernier l’a fixé à 25 % dont 5 % de taux professionnel, par jugement du 29 octobre 2013.

La victime a saisi une juridiction de sécurité sociale d’une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement du 27 janvier 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Chartres a rejeté l’intégralité des demandes la victime.

Par jugement du 15 mai 2019, le tribunal de commerce de Chartres a prononcé la clôture pour insuffisance d’actif des opérations de liquidation judiciaire de la société et désigné la SELARL [7], représentée par Maître [U], en qualité de mandataire ad’hoc de la société, conformément aux dispositions de l’article L. 643-9 alinéa 3 du code du commerce.

Par arrêt du 17 mai 2018, la cour d’appel de Versailles a :

– infirmé en toutes ses dispositions le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale d’Eure-et-Loir en date du 17 janvier 2017 ;

– dit que l’accident du travail déclaré par la victime le 25 janvier 2010 était dû à la faute inexcusable de la société ;

– dit que la rente allouée à la victime au titre de l’accident du travail serait portée à son taux maximum ;

– ordonné une expertise médicale judiciaire ;

– désigné le docteur [V] pour y procéder.

Le rapport d’expertise a été établi par le docteur [V] le 20 janvier 2019.

Par arrêt du 12 septembre 2019, la Cour d’appel de céans a :

– fixé les préjudices de la victime ainsi qu’il suit :

‘ 7 625 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

‘ 3 810 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

‘ 68 130,20 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs,

‘ 12 048 euros au titre de l’assistance d’une tierce personne,

soit un montant total de 91 613,21 euros ;

– rappelé que ces sommes portent intérêt au taux légal jusqu’à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective de la société ;

– débouté la victime de sa demande d’indemnité au titre du préjudice esthétique ;

– débouté la victime de sa demande d’indemnité au titre du préjudice d’agrément ;

– dit que la caisse fera l’avance des sommes ci-dessus allouées à la victime et pourra les recouvrer dans le cadre de la liquidation de la société ;

– débouté les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire ;

– condamné la SELARL [7], en sa qualité de mandataire ad’hoc de la société à verser à la victime la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société aux dépens d’appel.

La caisse a formé un pourvoi contre l’arrêt en ce qu’il a fixé une certaine somme pour la réparation du déficit fonctionnel permanent et de la perte des gains professionnels futurs.

Par arrêt du 3 juin 2021, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 12 septembre 2019, mais seulement en ce qu’il a fixé les préjudices de la victime au titre du déficit fonctionnel permanent et de la perte de gains professionnels futurs, remis sur ces points l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt, a renvoyé devant la Cour d’appel de Versailles autrement composée et condamné la victime aux dépens.

L’affaire a été plaidée à l’audience du 26 septembre 2024.

Par conclusions écrites, déposées et soutenues à l’audience, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la caisse demande à la Cour de rejeter les demandes formulées par la victime au titre du préjudice professionnel et du déficit fonctionnel permanent.

Elle expose que le déficit fonctionnel permanent est compensé par le service de la rente allouée en application des articles L. 434-1 et suivants du code de la sécurité sociale et que la victime n’a formulé aucune demande d’indemnisation au titre de ce déficit.

Elle ajoute qu’en matière de faute inexcusable, seule la perte de chance de promotion professionnelle peut être réparée à la condition que la victime apporte la preuve qu’elle avait eu des chances sérieuses d’évoluer dans la société au sein de laquelle elle travaillait si elle n’avait pas été victime de cet accident et que la victime ne rapporte pas une telle preuve, l’incidence professionnelle étant déjà indemnisée par l’attribution d’une rente de surcroît majorée.

Par conclusions écrites, déposées et soutenues à l’audience, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la victime demande à la Cour :

– de le déclarer recevable et bien-fondé dans l’ensemble de ses demandes ;

– de condamner la société prise en la personne de la SELARL [7], ès-qualités de mandataire ad hoc, subsidiairement mettre à son passif, le paiement des sommes suivantes à son profit :

o au titre du préjudice fonctionnel permanent : 8.400 euros, subsidiairement 4.200 euros ;

o au titre de la perte de revenus professionnels : 160.633,06 euros ;

o subsidiairement au titre des pertes de chances de promotion professionnelle et de la dévalorisation dans le secteur du bâtiment : 160.633,06 euros ;

o au titre de l’incidence professionnelle : 15.000 euros ;

– de condamner tout succombant aux entiers dépens ;

– de dire que les sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale ;

– de dire l’arrêt à intervenir commun et opposable à la caisse primaire d’assurance maladie d’Eure-et-Loir ;

– de dire qu’en application des dispositions de l’article l. 452-3 du code de la sécurité sociale, la caisse fera l’avance des sommes qui lui seront allouées ;

– de condamner la caisse à lui payer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 4.000 euros (1ère instance) et de 8.000 euros (appel) ;

La victime expose qu’elle doit obtenir la réparation intégrale de l’ensemble de ses dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale incluant :

– la perte de revenus professionnels jusqu’à sa retraite, déduction faite des sommes déjà perçues au titre de la rente,

l’incidence professionnelle, ne pouvant plus cotiser pendant cinq ans jusqu’à sa retraite en l’absence de rémunération,

– le déficit fonctionnel permanent évalué par l’expert à 3 % et par le docteur [L] à 5 % compte tenu des séquelles psychologiques.

Subsidiairement, elle sollicite la réparation de la perte de promotion professionnelle, n’ayant cessé de progresser sensiblement en salaire et qu’elle aurait pu trouver une rémunération mieux payée chez un concurrent, en raison de la forte demande dans le secteur du bâtiment.

La SELARL [7], es qualités, bien que régulièrement convoquée, selon l’avis de réception signé le 16 janvier 2024, n’a pas comparu ni été représentée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe :

Statuant dans les limites du litige ;

Fixe le préjudice de M. [D] [Y] au titre du déficit fonctionnel permanent à la somme de 4 200 euros ;

Rejette les demandes de M. [D] [Y] au titre de la perte de revenus professionnels et au titre des pertes de chance de promotion professionnelle ;

Rappelle que la caisse primaire d’assurance maladie d’Eure-et-Loir fera l’avance de cette somme, à charge d’en récupérer le montant auprès de la société [5] ;

Déboute M. [D] [Y] de sa demande d’indemnité fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [D] [Y] aux dépens ;

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Marie-Bénédicte JACQUET, conseillère, faisant fonction de présidente,et par Madame Juliette DUPONT, greffière, à laquelle la magistrate signataire a rendu la minute.

La greffière La conseillère

 


Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?

Merci pour votre retour ! Partagez votre point de vue, une info ou une ressource utile.

Chat Icon