Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Versailles
Thématique : Photographies sur lieux de vente : affaire Coca Cola
→ RésuméTout système de contrôle de l’activité du salarié doit être précédé d’une information des salariés et d’une consultation des représentants du personnel, conformément aux articles L. 1222-4 et L. 2323-27 du code du travail. Dans le cas de M. X, les outils informatiques utilisés pour prendre des photos des produits Coca-Cola dans les magasins n’ont pas été considérés comme un système de contrôle. Ces outils, dépourvus de géolocalisation, permettaient seulement à l’employeur de connaître la position déclarée par le salarié lors de la prise de photo, sans constituer une surveillance illicite.
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Tout système de contrôle de l’activité du salarié doit faire l’objet d’une information des salariés en application de l’article L. 1222-4 du code du travail, d’une information et consultation des représentants du personnel en application des articles L. 2323-27 et L. 2323-32 dans leur version applicable au litige, relatifs au comité d’entreprise et d’une déclaration à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) en application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Des outils informatiques utilisés pour effectuer des relevés de mesure des produits de la marque Coca-Cola dans les magasins par les attachés commerciaux proximité, chargés notamment de s’assurer de la visibilité de la marque dans les magasins distributeurs qu’ils visitaient, n’ont pas été considérés comme des systèmes de contrôle de l’activité du salarié.
Ces outils étaient utilisés pour prendre des photos d’un point de vente des produits Coca-Cola via les logiciels «’360 Connect’» et «’Photorec’», photos qui étaient ensuite analysées et traduites par le logiciel «’Planorama’» en données transmises à l’entreprise. Ces outils visaient à remplacer le relevé de gamme auparavant effectué manuellement par l’attaché commercial qui listait l’ensemble des produits de la marque présents dans le magasin visité.
Ces outils informatiques, dépourvus de système de repérage automatique, permettaient uniquement à l’employeur de connaître la position géographique déclarée par le salarié lors de la prise de la photo. Ils ne constituaient donc pas un système de géolocalisation à déclarer à la CNIL.
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE VERSAILLES
17e chambre
ARRÊT DU 13 OCTOBRE 2021
N° RG 19/00482
N° Portalis DBV3-V-B7D-S6ZO
AFFAIRE :
E X
C/
SAS COCA-COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 janvier 2019 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
Section : I
N° RG : F17/00564
LE TREIZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur E X
né le […] à […]
[…]
[…]
Représentant : Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l’ASSOCIATION AVOCALYS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 et Me Laurent GAILLARD de la SELAS ZOCCHETTO-RICHEFOU ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de LAVAL substitué à l’audience par Me Audrey ARIOLA, avocat au barreau d’Anger
APPELANT
****************
SAS COCA-COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE
N° SIRET : 343 688 016
[…]
[…]
[…]
Représentant : Me Quitterie GUILLEMIN de la SELARL DUPARD & GUILLEMIN, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0530
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 8 septembre 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
Par jugement du 14 janvier 2019, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (section industrie) a :
— dit que le licenciement de M. E X est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
— débouté M. X de l’ensemble de ses demandes,
— débouté la société Coca Cola de sa demande reconventionnelle,
— dit que chaque partie conservera à sa charge les dépens qu’elle a exposés pour l’instance.
Par déclaration adressée au greffe le 15 février 2019, M. X a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 22 juin 2021.
Par dernières conclusions remises au greffe le 12 mai 2021, M. X demande à la cour de’:
— le dire aussi recevable que bien fondé en son appel,
— débouter la société Coca Cola European Partners France de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
— infirmer purement et simplement en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt le 14 janvier 2019,
statuant à nouveau,
à titre principal,
— dire qu’il n’a pas commis de manquement contractuel,
— dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
— dire qu’il a accompli a minima 5 heures supplémentaires de travail non rémunérées par semaine pendant 3 ans,
— condamner la société Coca Cola European Partners France à lui verser les sommes suivantes’:
. 250 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 15 902,25 euros au titre des heures supplémentaires en ce compris les congés payés,
. 23 943,24 euros au titre du travail dissimulé,
. 5 000 euros au titre de la violation des dispositions relatives à la géolocalisation,
à titre subsidiaire,
— dire que si par impossible la preuve était rapportée d’une quelconque faute qui lui est imputable, celle-ci ne saurait constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement,
— condamner la société Coca Cola European Partners France à lui verser les sommes suivantes’:
. 250 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 15 902,25 euros au titre des heures supplémentaires (congés payés compris),
. 23 943,24 euros au titre du travail dissimulé,
. 5 000 euros au titre de la violation des dispositions relatives à la géolocalisation,
en tout état de cause,
— condamner la société Coca Cola European Partners France à lui verser la somme de 5’000’euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe le 18 juin 2021, la société Coca Cola European Partners France demande à la cour de’:
— confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
sur la rupture du contrat de travail,
— dire qu’elle établit, par des preuves licites, les fautes imputées à M. X,
— dire que M. X a falsifié la réalité de son activité via des déclarations mensongères,
— dire que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,
en conséquence,
— débouter M. X de l’ensemble de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail,
sur l’exécution du contrat de travail,
— dire qu’elle a agi de bonne foi,
— dire qu’elle n’a mis en place aucun système de géolocalisation,
— dire que M. X ne justifie d’aucune heure supplémentaire,
en conséquence,
— débouter M. X de l’ensemble de ses demandes se rapportant à l’exécution de son contrat de travail,
en tout état de cause,
— condamner M. X à lui verser la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— débouter M. X de toutes ses demandes à toutes fins qu’elles comportent,
— condamner M. X aux entiers dépens.
LA COUR,
M. E X a été engagé par la société Coca Cola European Partners France, en qualité de merchandiseur, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 13 février 1990.
A partir de février 1999, le poste de merchandiseur a été transformé en poste d’attaché commercial.
A compter du 1er juin 2010, M. X était affecté à la zone de Marseille 1, en qualité d’attaché
commercial proximité.
En dernier lieu, il exerçait sa fonction dans la région Ouest.
Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale de production des eaux embouteillées et boissons rafraîchissantes sans alcool et de bière.
M. X percevait une rémunération brute mensuelle de 3’327,09 euros (moyenne des 12 derniers mois).
L’effectif de la société est de plus de 10 salariés.
Par courrier du 21 novembre 2016 , M. X a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 2 décembre 2016.
M. X a été licencié par courrier du 13 décembre 2016 pour faute simple dans les termes suivants :
«’Dans le cadre de votre activité d’attaché commercial proximité, il vous appartient de rendre visite à vos clients quotidiennement afin de mettre en place notre politique commerciale en négociant notamment la gamme de nos produits en points de vente et de la recommandation de commandes.
Quotidiennement, vous avez donc la responsabilité d’enregistrer et de communiquer vos résultats sur les outils de l’entreprise (360, Photorec, Planorama’) sur lesquels vous avez été formé et que vous savez utiliser. Chaque visite doit faire l’objet d’un relevé sous forme de photos prises via l’outil Planorama, qui doit être clôturé avant de passer à la suivante. Les photos permettent d’illustrer la situation du point de vente en termes de gammes et part de linéaire, au moment du passage du commercial.
La communication des résultats de vos visites a un impact direct sur vos performances, celle de l’équipe et plus généralement de Coca-Cola European Partners France. C’est notamment à partir de ces éléments-là que sont calculées vos primes variables.
Or, le 13 octobre dernier, votre Manager, à l’occasion de contrôles effectués sur vos relevés, a constaté les irrégularités suivantes :
– Utilisation de photos issues d’un même point de vente sur plusieurs magasins,
– Résultats commerciaux erronés.
Afin de confirmer la situation, une tournée en double en votre présence a été organisée le 3 novembre 2016 sur 5 points de vente affichant des irrégularités : […], 8 à […], […].
Cette tournée a abouti aux constats fautifs suivants : dans chacun des magasins, le relevé de la fois précédente comporte des photos prises depuis un autre magasin et réattribuées de façon à corriger la lecture réelle de la situation en point de vente lors de votre passage.
L’horodatage des photos, l’environnement du magasin (couleur du carrelage ou des rayons), étiquettes de prix de vente (électroniques vs papier) permettent d’identifier clairement la manipulation.
[…]
Sur le dernier relevé datant du 2/9/2016, on constate que des photos du Coca-Cola Light 6X33 cl. Coco-Cola Zéro 6X33, PET Coca-Cola 4X50cl, Coca-Cola Life PET 1,5 L sont prises de très près alors que la règle consiste à prendre des photos du rayon avec un certain recul (cf guide photorec que vous avez en votre possession).
Sur ces photos, on constate’:
. des carrelages différents,
.un horodatage différent : certaines photos ont été prises à 13h et d’autres à 16h alors que vous n’êtes pas resté 3 heures dans le point de vente.
Les photos proviennent en réalité du Carrefour Contact Louverne visité le même jour un peu plus tard (vers 16h).
Tous ces faits sont avérés par la tournée faite avec vous le 3/11/2016 ayant donné lieu à compte rendu.
Ainsi, nous pouvons affirmer que les relevés réalisés le 2/9/2016 ne reflètent pas la situation réelle du point de vente le jour de votre passage, ce qui a pour conséquence de fausser la lecture des résultats commerciaux.
A titre d’illustration, le Coca-Cola Life PET 1,5 L n’était pas référencé dans le point de vente mais enregistré comme tel.
8 à HUIT Yvres l’Evêque
Sur le dernier relevé du 12/9/2016, on constate des photos semblables à un autre point de vente relevé la même journée : SPAR MAYET.
Là encore, nous pouvons constater : des tablettes différents des autres, étiquettes de prix électroniques vs papier, incohérence sur les horaires (photos enregistrées à 13h40 vs entre 12h45-12h50 pour les autres).
Ces constats se sont répétés, toujours selon le même procédé, sur les magasins visités le 3/11/2016 : Carrefour express Château du Loir (vs dernier relevé du 12/9/2016); SPAR Mayet (vs dernier relevé du 12/9/2016), Carrefour Contact Coulaine (vs dernier relevé du 29/9/2016).
Au cours de cette tournée, vous avez d’ailleurs reconnu que vous importiez des photos d’autres magasins afin de ne pas impacter vos résultats.
D’autres cas ont été trouvés dans Planorama lors des contrôles du 13 octobre 2016, régulièrement tous les mois, depuis 2015, toujours selon le même procédé illustrant l’ampleur de la pratique. Ainsi, le contrôle des relevés sur la période juillet-septembre 2016 permet d’identifier 20 points de vente comportant des irrégularités, et 13 sur le seul mois de mai 2016 (…)
L’ensemble de ces éléments démontrent que vous ne respectez pas les process internes et que vous faites de faux déclaratifs, de façon organisée, intentionnelle, et à grande échelle.
Ces pratiques rendent la lecture de l’activité illisible :
– Aussi bien sur votre emploi du temps,
– Que votre activité réelle en point de vente,
– que de l’activation réelle en magasin,
Et influencent les résultats de la grille de résultats, l’attribution des primes et votre évaluation annuelle de performance.
La procédure auto-déclarative des relevés est basée sur la confiance et la loyauté. Elle doit démontrer une situation réelle constatée en magasin au moment du passage et respecter les règles mises en place par l’entreprise.
Tout cela contrevient gravement à :
– votre obligation contractuelle : l’exécution consciencieuse du travail fourni par l’employeur est la principale obligation découlant du contrat de travail. Cette exécution consciencieuse suppose que vous adoptiez un comportement de nature à éviter les actes frauduleux. En vertu de cette obligation, vous devez suivre les instructions données.
– Et aux dispositions du règlement intérieur de l’entreprise (CF paragraphe relatif à la discipline).
Ce comportement et l’ensemble de ces faits sont inacceptables. Votre conduite met en cause la bonne marche du service.
Les explications fournies lors de l’entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.
Bien que ces agissements soient de nature à justifier une faute grave, eu égard à votre ancienneté au sein de Coca cola European Partners France, nous avons décidé de vous licencier pour faute constituant une cause réelle et sérieuse.»
Le 11 mai 2017, M. X a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt afin de faire dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de constater que la société Coca Cola European Partners s’est montrée déloyale dans l’exécution de son contrat et d’obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
A titre liminaire, le salarié affirme qu’un grand nombre d’attachés commerciaux ont été licenciés pour les mêmes motifs fallacieux que ceux invoqués par l’employeur à son encontre et qu’en réalité l’employeur, dans un contexte de fusion, a procédé à des licenciements économiques déguisés.
Sur les heures supplémentaires’:
M. X soutient qu’il a effectué de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées par l’employeur qui demandait à ses salariés de déclarer seulement 38 heures de travail par semaine, durée du travail qui n’était pas compatible avec son activité réelle d’attaché commercial travaillant sur 5 départements et devant visiter un minimum de 6 clients par jour. Il sollicite dès lors le paiement d’une heure supplémentaire par jour travaillé soit 5 jours par semaine pendant 3 ans ce qui correspond à un rappel de salaire de 15’902,25 euros (congés payés compris).
La société oppose qu’aucune pièce relative à la réalisation d’heures supplémentaires n’est versée au débat, que le salarié n’a formulé aucune réclamation pendant la relation contractuelle et que s’agissant de magasins de proximité et donc de petites tailles, la visite de 5 ou 6 points de vente par jour était tout à fait réalisable.
L’article L. 3171-4 du code du travail dispose qu’«’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable’».
La charge de la preuve ne pèse donc pas uniquement sur le salarié. Il appartient également à l’employeur de justifier des horaires de travail effectués par l’intéressé.
Il revient ainsi au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre l’instauration d’un débat contradictoire et à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Après appréciation des éléments de preuve produits, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance des heures supplémentaires et fixe en conséquence les créances salariales s’y rapportant.
M. X ne verse au débat aucun décompte précis des heures de travail effectuées chaque jour et chaque semaine au sein de la société.
Il se prévaut d’une réunion des délégués du personnel au cours de laquelle des questions ont été posées sur la charge de travail en la datant du 15 mars 2016 alors qu’il résulte des pièces qu’elle s’est tenue le 14 mars 2017 et des attestations de M. Y, ancien manager, et M. Z, ancien salarié, qui sont insuffisamment précises puisqu’elles se bornent à indiquer que les salariés avaient l’obligation de déclarer 7h60 de travail par jour.
Il n’apporte ainsi aucun élément précis permettant l’instauration d’un débat contradictoire et permettant à l’employeur de répondre utilement.
Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. X de sa demande au titre des heures supplémentaires.
Sur le travail dissimulé’:
M. X sollicite la somme de 23’943,24 euros au titre du travail dissimulé mais ne soulève aucun moyen au soutien de sa demande.
Au surplus, M. X a été débouté de sa demande au titre des heures supplémentaires prétendûment non rémunérées par l’employeur.
Dès lors, le jugement est confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande.
Sur la géolocalisation’:
M. X soutient que les outils informatiques «’360 Connect’», «’Photorec’» et «’Planorama’», mis à la disposition des attachés commerciaux pour leur permettre d’enregistrer les actions effectuées et les situations de chaque point de vente visité, ont été utilisés par l’employeur pour géolocaliser les salariés, dispositif de géolocalisation qui devait faire l’objet d’une information des salariés, d’une information et consultation du comité social et économique et d’une déclaration à la CNIL. Il précise qu’en l’absence de respect de ces formalités, ce procédé de surveillance et de géolocalisation est illicite et que son licenciement reposant sur des éléments recueillis par ce procédé illicite est irrégulier.
L’employeur réplique que la géolocalisation se définit comme un procédé permettant de positionner
un véhicule ou une personne sur un plan ou une carte et que les outils informatiques litigieux n’ont jamais permis de connaître la position des salariés.
Il précise que les manquements reprochés au salarié ont pu être établis en rapprochant et analysant les informations issues de son emploi du temps, du nom des magasins associés aux photographies qu’il a fournies et des photographies horodatées par l’outil informatique transférées à partir de son téléphone professionnel. Il fait valoir que M. X n’aurait pas pu commettre les manquements qui lui ont été reprochés s’il avait disposé d’un système de géolocalisation.
Tout système de contrôle de l’activité du salarié doit faire l’objet d’une information des salariés en application de l’article L. 1222-4 du code du travail, d’une information et consultation des représentants du personnel en application des articles L. 2323-27 et L. 2323-32 dans leur version applicable au litige, relatifs au comité d’entreprise et d’une déclaration à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) en application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Il n’est pas contesté que les outils informatiques litigieux devaient être utilisés pour effectuer des relevés de mesure des produits de la marque Coca-Cola dans les magasins par les attachés commerciaux proximité, chargés notamment de s’assurer de la visibilité de la marque dans les magasins distributeurs qu’ils visitaient.
Il est établi que ces outils étaient utilisés pour prendre des photos d’un point de vente des produits Coca-Cola via les logiciels «’360 Connect’» et «’Photorec’», photos qui étaient ensuite analysées et traduites par le logiciel «’Planorama’» en données transmises à l’entreprise (pièce E n°10).
A titre d’exemple, une photo sur laquelle étaient présentes trois bouteilles de Coca-Cola 1,5 L et deux bouteilles Nestea Citron 1,5 L étaient traduites automatiquement par le logiciel «’Planorama’» en données directement exploitables’pour l’entreprise : Cola-Cola 1,5 L’x 3′; Nestea Citron 1,5 L x 2.
Ces outils visaient à remplacer le relevé de gamme auparavant effectué manuellement par l’attaché commercial qui listait l’ensemble des produits de la marque présents dans le magasin visité.
M. X qui soutient que ces outils constituaient en réalité un système de géolocalisation soit une technologie permettant de déterminer la localisation d’un objet ou d’une personne avec une certaine précision à un moment déterminé, n’apporte aucun élément justifiant ses affirmations.
Il ressort des seuls éléments versés au débat que ces outils informatiques, dépourvus de système de repérage automatique, permettaient uniquement à l’employeur de connaître la position géographique déclarée par le salarié lors de la prise de la photo.
Ils ne constituaient donc pas un système de géolocalisation.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait d’un système de géolocalisation illicite et de dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives à la géolocalisation.
Sur le licenciement’:
En application de l’article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement fixe les limites du litige « en ce qui concerne les motifs de licenciement » et lie les parties et le juge, qui ne peut rechercher d’autres faits pour justifier le licenciement.
L’article L. 1232-1 du code du travail dispose, dans sa version applicable au présent litige, que tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre. Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Les faits invoqués comme constitutifs d’une cause réelle et sérieuse de licenciement doivent non seulement être objectivement établis mais encore imputables au salarié, à titre personnel et à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail.
Il résulte de l’article L. 1235-1 du code du travail que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement n’incombe spécialement à aucune des parties mais que le doute doit profiter au salarié.
L’employeur a licencié M. X pour avoir utilisé des photos issues d’un même point de vente sur plusieurs magasins et pour lui avoir communiqué des résultats commerciaux erronés.
M. X reproche au premier juge de ne pas avoir examiné l’ensemble des pièces versées au débat et de ne pas s’être attardé sur l’analyse du fonctionnement du logiciel.
Il reconnaît avoir adressé via les outils informatiques «’360 Connect’» / «’Photorec’» des photos des produits présents dans le magasin A pour ceux situés dans le magasin B, mais conteste avoir sciemment détourné l’utilisation du logiciel’ pour tronquer ses résultats commerciaux.
Il explique les substitutions de photos effectuées par un dysfonctionnement de l’outil « Photorec », dysfonctionnement dénoncé par les salariés et les représentants du personnel et affirme que cette pratique était acceptée par l’entreprise puisqu’elle n’avait pas de conséquences financières.
Il précise que la seule prise de photos irrégulières ne constitue pas la preuve de ce qu’il ne se rendait pas dans les points de vente dont il avait la charge et d’une volonté de cacher la réalité de son activité.
Il ajoute que la tournée en double du 3 novembre 2016 sur 5 points de vente n’a confirmé aucune irrégularité ou anomalie sur les points de vente visités.
M. X produit :
— l’attestation de M. A, salarié depuis 2001′: « de nombreuses anomalies ont été constatées lors de la redescente des analyses de ce système (oubli de références, non reconnaissance de certains formats), qui m’arrivait à devoir faire des demandes de correction via le site planorama et d’en alerter le service en interne (FR CRM Performances) afin de corriger lesdits résultats. L’Entreprise est donc au courant de ces soucis via les remontées par mail que j’effectuais à chaque constat » (pièce S n°9),
— l’attestation de M. Y, manager au sein de l’entreprise’: « L’import de photo d’un pdv à l’autre n’implique pas obligatoirement la fraude. L’import de photos d’un pdv à l’autre était une procédure de notoriété public pour éviter des visites improductives et surtout permettre de piloter l’activité de manière efficiente afin de répondre aux exigences prioritaires de l’entreprise (concentrer les efforts sur des actions à forte valeur ajoutée). Sous réserve de ne pas ajouter de produit non référencé dans le magasin en question. Pour cause, aucune règle fixant un cadre clair et objectif à l’usage de planorama et photorec n’était à disposition des commerciaux laissant une grande part d’interprétation et surtout d’adaptation possible à un usage par retour d’exigence. Exemple : La prise de photo de très près était d’usage afin d’éviter des confusions de format et de produit ou parce que tout simplement il n’y avait pas suffisamment de recul dans le magasin pour capturer l’élément dans son intégralité » (pièce S n°10),
— un document de présentation du projet RED du 26 septembre 2016 qui prévoit notamment la suppression de l’outil Photorec (pièce S n°41),
— des captures d’écran non datées à l’exception d’une le 31 mars 2014 d’un téléphone portable qui fait état d’erreurs, d’échecs, concernant des magasins situés en région lyonnaise (pièces S n°50 et 51),
— un procès-verbal de réunion des délégués du personnel du 14 mars 2017 qui fait état de la charge de travail des salariés sans pour autant mentionner des difficultés avec le logiciel « Photorec » (pièce S n°47),
— l’attestation de M. Z, ancien salarié’: « Pour Photorec et Planorama nous avons eu une formation nous enseignant les principes généraux de fonctionnement et la façon de prendre les photos. La réalité du terrain nous poussait quelques fois et de façon tout à fait exceptionnelle à prendre une photo dans un magasin et de l’exporter pour l’attribuer à un autre PDV mais ce, toujours dans l’intérêt de Coca-Cola afin d’éviter des visites improductives et de piloter nos emplois du temps efficacement. En aucun cas il n’était procédé de la sorte pour fausser le référencement global d’un PDV. Je crois qu’aucun membre de l’équipe Proxi n’ignorait ce procédé » (pièce S n°12),
— l’attestation de M. B’: « j’ai déjà constaté de nombreux dysfonctionnements et autres anomalies concernant les outils planorama et Photorec et cela de manière récurrente » (pièce S n°8).
Il ressort de ces éléments que si l’outil Photorec pouvait connaître quelques dysfonctionnements, ces derniers devaient être signalés via l’outil «’Planorama’», ce que M. X ne justifie pas avoir fait.
A cet égard, M. X qui indique n’avoir reçu aucune formation «’Planorama’» est contredit par M. Z, dont il produit l’attestation, qui précise qu’ils avaient reçu une formation initiale concernant ces outils.
En tout état de cause, M. X ne justifie pas avoir signalé ses difficultés par courriels, SMS ou tout autre moyen qu’il pouvait utiliser.
Aussi, les arguments de M. X relatifs à l’existence d’une marge d’erreurs de 5% dans la reconnaissance des produits par l’outil informatique, au recours par l’entreprise au nouveau système « RED » depuis le mois de janvier 2017 qui n’utilise plus le système de photos et au fait que la prise de photo ne permettait pas de réaliser un suivi parfait des produits sur le point de vente dès lors qu’elle actait la situation à un moment donné de la journée lors de la visite sont inopérants dans la mesure où le choix et la finalité de l’outil relevaient du pouvoir de décision de l’employeur.
Par ailleurs, contrairement aux affirmations du salarié, M. Y et M. Z, salariés dont il produit les attestations, ont justifié la substitution de photos par la volonté d’éviter les visites « improductives’» et non comme le salarié l’invoque, par la nécessité de parer à des problèmes de connexion, d’effacement de photos ou autres causes qu’il évoque.
En outre, il n’est pas établi que l’employeur était informé de cette pratique.
De plus, lors de sa tournée avec son manager le 2 novembre 2016, M. X n’a pas justifié la substitution de photos en raison des dysfonctionnements de l’outil Photorec tel qu’il en ressort de son courrier de compte-rendu, évoquant seulement une pratique de notoriété publique (pièce S n°14).
Les relevés de photos produits par l’employeur, pour lesquels M. X n’apporte aucun élément permettant de remettre en cause leur validité quand bien même ils n’émanent pas d’un constat d’huissier, permettent de constater que M. X a usé de cette pratique lors de ses tournées des 9 juin 2016, 21, 26 et 29 juillet 2016 et 2, 12 et 29 septembre 2016 (pièces E n°11 à 19) et également en novembre 2015 (pièce E n°23).
Peu important à cet égard l’attestation de M. C, gérant du Carrefour express Sablé/Sarthe,
témoignant du fait qu’il a commercialisé au sein de son magasin du Coca Cola Life jusqu’au 31 octobre 2016 (pièce S n°11) contrairement à ce qui est indiqué dans la lettre de licenciement dès lors que la substitution de photos entre les magasins Carrefour express Sablé/Sarthe et Carrefour contact Louverne pour l’ensemble des produits est établie (pièce E n°11).
La substitution de photos est établie.
Concernant les conséquences financières des manquements du salarié et en particulier l’octroi de primes indues, il est établi que le salarié percevait une prime Proxy établie en fonction de sa «’Scorecard’» c’est-à-dire la présence de produits’obligatoires ou complémentaires au sein des magasins visités selon les règles établies par l’entreprise dont le salarié ne conteste pas avoir eu connaissance (pièces E n°20, 23, 28 et 29).
Dès lors qu’il a été établi que le salarié a adressé des photos de produits pour des magasins non visités, la prime Proxy versée au salarié a nécessairement été attribuée sur des bases inexactes.
L’influence sur les primes est établie.
Les manquements reprochés au salarié sont ainsi établis.
M. X fait valoir qu’en tout état de cause, les manquements suscités ne justifiaient pas son licenciement, raison pour laquelle d’autres salariés ont bénéficié de sanctions disciplinaires plus légères.
L’employeur réplique que les autres salariés ont uniquement transmis des photos des produits d’un magasin A pour ceux du magasin B afin de masquer des ruptures, raison pour laquelle ils ont été sanctionnés seulement par des mises à pied disciplinaires, ce dont il justifie en communiquant les courriers de sanctions’des salariés (pièces E n°39 à 42).
Il ressort du courrier de mise à pied disciplinaire de 5 jours de M. G-H (pièce E n°34) – identifié par M. X comme G-H D avec 30 ans d’ancienneté (pièce S n°25), ce qui n’est pas contesté par l’employeur – que l’employeur a sanctionné ce salarié pour avoir importé des photos afin de masquer des ruptures de produits en septembre et octobre 2016, avoir ainsi faussé la lecture des résultats commerciaux et avoir obtenu le versement de primes indues. Ce courrier fait également référence à l’utilisation de cette pratique depuis novembre 2014.
Les courriers de sanctions de M. D et M. X font état de manquements similaires, sur une durée équivalente et il n’est pas contesté qu’ils avaient une ancienneté du même ordre.
Or, l’employeur a procédé à une différence de traitement entre les situations de ces deux salariés pour laquelle il n’apporte aucun élément en justifiant le bien-fondé.
Au surplus, il est établi que M. X n’a jamais été sanctionné pendant 26 ans de relation de travail.
Compte-tenu de ces éléments, les fautes de M. X ne constituaient pas une cause réelle et sérieuse de licenciement.
M. X qui, à la date du licenciement, comptait au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version applicable à l’espèce, à une indemnité qui ne saurait être inférieure aux salaires bruts perçus au cours des six derniers mois précédant son licenciement.
Compte-tenu de son âge au moment du licenciement (48 ans) de son ancienneté (26 ans et 10 mois) dans l’entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, du fait qu’il a retrouvé un emploi
dès octobre 2017, infirmant le jugement et statuant à nouveau, son préjudice sera réparé par l’allocation d’une somme de 40’000 euros.
En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur, à l’organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l’arrêt dans la limite de 6 mois d’indemnités.
Sur les dépens et la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile :
Succombant, la société Coca Cola European Partners France sera condamnée aux dépens.
Il est inéquitable de laisser à la charge de M. X les frais par lui exposés non compris dans les dépens à hauteur de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
INFIRME partiellement le jugement,
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la société Coca Cola European Partners France à verser à M. X la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
ORDONNE d’office le remboursement par l’employeur, à l’organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l’arrêt dans la limite de 6 mois d’indemnités,
CONFIRME pour le surplus le jugement,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
CONDAMNE la société Coca Cola European Partners France à payer à M. X la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Coca Cola European Partners France aux dépens.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Clotilde Maugendre, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
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