Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Versailles
Thématique : Responsabilité et subrogation en matière d’indemnisation des préjudices corporels.
→ RésuméLa société d’HLM a confié à la société Bouygues Bâtiment Île-de-France la construction de logements, réceptionnée avec réserves en novembre 2013. Un marché d’exploitation de chauffage a été conclu avec la société CIEC, tandis que la société SATEB Développement a été sous-traitée pour la distribution d’eau. En mars 2014, un bail a été consenti à une locataire. En août 2016, cette dernière a subi des brûlures dues à une rupture de canalisation d’eau chaude.
En mars 2017, le juge a ordonné une expertise médicale et condamné la société d’HLM à verser une provision de 5 000 euros. En mars 2019, une nouvelle ordonnance a condamné solidairement la société d’HLM et la société Allianz IARD à verser 20 000 euros à la locataire. En décembre 2019, la locataire a assigné la société d’HLM, Allianz IARD et la CPAM devant le Tribunal de grande instance. En septembre 2021, elle a réitéré sa demande d’indemnisation, entraînant des mises en cause successives des sociétés Bouygues Bâtiment, CIEC, SATEB Développement et Hervé Thermique. La société CIEC a soulevé des fins de non-recevoir basées sur la prescription et le défaut de subrogation de la société Allianz IARD. En août 2024, le juge a rejeté ces fins, déclarant Allianz recevable dans son recours subrogatoire contre CIEC. La société CIEC a interjeté appel, arguant que la demande d’Allianz était prescrite et que les conditions de subrogation n’étaient pas remplies. La société Bouygues Bâtiment a également contesté la subrogation et la prescription, tandis que la société SATEB Développement a demandé que la prescription s’applique à toutes les parties. Allianz a répliqué en affirmant que les conditions de subrogation étaient remplies et que la prescription n’était pas acquise. Le juge a confirmé l’ordonnance initiale, condamnant la société CIEC à verser des frais à Allianz et aux dépens d’appel. |
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 58E
Chambre civile 1-3
ARRET N°
REPUTE CONTRADICTOIRE
DU 10 AVRIL 2025
N° RG 24/05634 – N° Portalis DBV3-V-B7I-WXCE
AFFAIRE :
S.A.S. CIEC
C/
[W] [S]
…
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 02 Août 2024 par le Juge de la mise en état de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 21/07209
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Asma MZE
Me Charlotte TEISSIER
Me Mathieu CENCIG
Me Nathalie ROINE
Me Anne-laure DUMEAU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX AVRIL DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.S. CIEC
[Adresse 4]
[Localité 10]
Représentant : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699
Représentant : Me Brigitte BEAUMONT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0372, substituée par Me Mathilde BRUN
APPELANTE
***
S.A. ALLIANZ IARD
[Adresse 2]
[Localité 14]
Représentant : Me Mathieu CENCIG, Postulant/plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 303
S.A.S. BOUYGUES BATIMENT ILE-DE-FRANCE
N° SIRET : 433 900 834
[Adresse 1]
[Localité 12]
Représentant : Me Nathalie ROINÉ de la SELARL ROINÉ ET ASSOCIES, Postulant/plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0002
Madame [W] [S]
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 16]
Représentant : Me Charlotte TEISSIER, Postulant, avocat au barreau de PARIS
SAS SATEB
[Adresse 8]
[Localité 11]
Représentant : Me Anne-laure DUMEAU de la SELASU ANNE-LAURE DUMEAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628
S.A. ICF [Adresse 17]
exerçant sous le nom commercial ICF HABITAT [Adresse 17]
[Adresse 5]
[Localité 9]
défaillante
INTIMEES
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE
[Adresse 15]
[Localité 13]
défaillante
S.A.S. HERVE THERMIQUE
N° SIRET : 627 220 049
[Adresse 3]
[Localité 7]
défaillante
INTIMEES
***
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 18 mars 2025 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Raphaël TRARIEUX, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence PERRET, Présidente
Monsieur Raphaël TRARIEUX, Président
Madame Charlotte GIRAULT, Conseillère
Greffière, lors des débats : Mme FOULON
***********
FAITS ET PROCEDURE
La société d’HLM ICF [Adresse 17] a confié à la société Bouygues Bâtiment Île-de-France, en qualité de maître d’ouvrage, la construction de logements à [Localité 16] (92) ; la réception est intervenue le 15 novembre 2013 avec des réserves. Un marché d’exploitation de chauffage avait été conclu entre la société d’HLM ICF [Adresse 17] et la société CIEC. La société SATEB Développement s’est vue sous-traiter la distribution d’eau chaude et d’eau froide. La société d’HLM ICF [Adresse 17] a consenti à Mme [S] un bail d’habitation portant sur un appartement, et ce, à compter du 6 mars 2014. Le 18 août 2016, Mme [S] a été brûlée par une projection d’eau bouillante provenant de la rupture d’une canalisation d’eau chaude.
Selon ordonnance de référé en date du 13 mars 2017, le juge du Tribunal d’instance de Courbevoie a ordonné une expertise médicale et condamné la société d’HLM ICF [Adresse 17] au paiement d’une provision de 5 000 euros. Une autre ordonnance de référé datée du 21 mars 2019 a à nouveau désigné le médecin expert, et condamné solidairement, à titre provisionnel, la société d’HLM ICF [Adresse 17] et la société Allianz IARD à payer à Mme [S] une provision de 20 000 euros. L’expert a déposé son rapport le 9 juin 2020.
Entre temps, par acte en date du 19 décembre 2019, Mme [S] a assigné la société d’HLM ICF [Adresse 17], la société Allianz IARD et la CPAM devant le Tribunal de grande instance de Nanterre. Le 2 septembre 2021, Mme [S] a à nouveau assigné la société d’HLM ICF [Adresse 17], la société Allianz IARD et la CPAM des Hauts-de- Seine devant le Tribunal judiciaire de Nanterre, sollicitant l’indemnisation de son préjudice corporel. La société Allianz IARD a mis en cause la société Bouygues Bâtiment Île-de-France et la société CIEC les 5 et 11 octobre 2022. Les 10 et 11 juin 2024, la société Bouygues Bâtiment Île-de-France a appelé en cause la société SATEB Développement et la société Hervé Thermique. Les instances ont été jointes.
Saisi de conclusions d’incident par la société CIEC et la société Bouygues Bâtiment Île-de-France, fondées d’une part sur la prescription, d’autre part sur le défaut de subrogation de la société Allianz IARD motif pris de ce qu’elle ne démontrait pas avoir réglé des sommes à Mme [S] en exécution d’une obligation de garantie régulièrement souscrite, le juge de la mise en état a rendu une ordonnance en date du 2 août 2024 aux termes de laquelle il a :
– rejeté les fins de non-recevoir opposées par la société CIEC à la société Allianz IARD ;
– déclaré la société Allianz IARD recevable en son recours subrogatoire à l’encontre de la société CIEC au titre de l’indemnité provisionnelle de 25 000 euros qu’elle a réglée à Mme [S] ;
– déclaré la société Allianz IARD recevable en son appel en garantie des condamnations qui viendraient à être prononcées à son encontre au bénéfice de Mme [S], à l’encontre de la société CIEC ;
– rejeté toute autre demande des parties ;
– débouté la société CIEC de sa demande en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société CIEC à payer à la société Allianz IARD la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– réservé les dépens ;
– renvoyé l’affaire à la mise en état.
Pour statuer ainsi, il a relevé, pour l’essentiel :
– que le délai de prescription applicable, s’agissant de sa demande directement formulée par la société Allianz IARD à l’encontre de la société CIEC et de la société Bouygues Bâtiment Île-de-France, était celui qui s’appliquait à la victime, soit un délai de dix ans à compter de la consolidation de son état ; que la prescription n’était ainsi pas acquise ;
– que si la société Allianz IARD ne pouvait se prévaloir d’une subrogation conventionnelle que Mme [S] lui aurait consentie, la subrogation légale était parfaitement établi notamment par les déclarations concordantes de cette dernière et de la société d’HLM ICF [Adresse 17] qui reconnaissaient qu’elle lui avait payé des sommes ;
– que la société Allianz IARD les avait bien réglées en vertu d’une obligation de garantie régulièrement souscrite ;
– que s’agissant du délai de prescription applicable à l’appel en garantie de la société Allianz IARD à l’encontre de la société CIEC et de la société Bouygues Bâtiment Île-de-France, il était de 5 ans et courait seulement à partir du moment où la société Allianz IARD avait elle-même été assignée dans le cadre d’une demande en paiement, soit au 19 décembre 2018, date à laquelle Mme [S] l’avait assignée en référé provision ; que ladite prescription n’était donc pas acquise.
Par déclaration en date du 20 août 2024, la société CIEC a relevé appel de cette ordonnance.
En ses conclusions notifiées le 5 mars 2025, qui seront signifiées par acte extra-judiciaire à la société d’HLM ICF [Adresse 17], à la société Hervé Thermique et à la CPAM des Hauts-de-Seine le 12 novembre 2024, la société CIEC expose :
– que la demande de la société Allianz IARD, au titre de son recours en garantie, est prescrite ; que la jurisprudence de la Cour de cassation retenue par le premier juge ne concerne que les recours entre constructeurs, et se justifie par la nécessité qu’il y a d’éviter les multiples recours exercés à titre préventif ; que le point de départ du délai est, comme il est dit à l’article 2224 du code civil, le jour où l’assureur a eu connaissance des faits fondant sa demande ; que la société Allianz IARD, dès l’année 2016, savait qu’elle pouvait agir à son encontre ; qu’en effet une expertise médicale amiable avait eu lieu au mois d’octobre 2016, alors que la société Allianz IARD avait pris des conclusions d’intervention volontaire dès avant le prononcé de l’ordonnance de référé du 13 mars 2017, et avait même pris part à des réunions d’expertise judiciaire ;
– qu’il faut en déduire que le délai de prescription n’a pas commencé à courir le 19 décembre 2018 comme l’a énoncé le premier juge ; que l’assignation lui a été délivrée le 4 octobre 2022, soit hors délai ;
– que les conditions d’une subrogation légale ne sont pas réunies ; que n’est pas démontré un paiement effectif des sommes, alors même que seule la société d’HLM ICF [Adresse 17] avait été condamnée au paiement de la première provision de 5 000 euros et que s’agissant de la seconde, celle de 20 000 euros, une condamnation in solidum a été prononcée entre la société d’HLM ICF [Adresse 17] et la société Allianz IARD, mais le règlement n’est pas démontré par une quittance subrogative ; que de plus, la police invoquée par la partie adverse ne porte pas le même n° que celle précédemment invoquée, alors que le document n’est pas signé, et est en outre tronqué ;
– que les conditions d’une subrogation conventionnelle ne sont pas non plus réunies comme a pu le considérer le juge de la mise en état.
La société CIEC demande en conséquence à la cour de :
– infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état ;
– déclarer les demandes de la société Allianz IARD prescrites, ou irrecevables ;
– débouter la partie adverse de ses demandes ;
– condamner la société Allianz IARD au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– la condamner aux dépens de première instance et d’appel.
Dans ses conclusions notifiées le 11 mars 2025, la société Bouygues Bâtiment Île-de-France soutient :
– que la société Allianz IARD ne peut pas se prévaloir d’une subrogation conventionnelle, les conditions de l’article 1346 du code civil n’étant pas réunies ;
– que la société Allianz IARD ne peut non plus se prévaloir d’une subrogation légale ; qu’en effet, pour cela, il aurait fallu qu’elle justifie avoir réglé une indemnité à la victime en vertu d’un contrat d’assurance ; qu’elle ne le démontre pas ; que d’ailleurs la police n’avait vocation à entrer en application qu’après épuisement d’un aggregate de 400 000 euros ; que la société Allianz IARD ne démontre pas le paiement des indemnités ;
– que la prescription de 5 ans est acquise, le délai en étant fixé comme il est prévu à l’article 2224 du code civil, et non pas à compter du jour où la société Allianz IARD avait elle-même été mise en cause, la jurisprudence invoquée par l’intéressée n’étant applicable qu’aux recours entre constructeurs ;
– que la société Allianz IARD aurait dû l’assigner au plus tard le 13 mars 2022, soit 5 ans après le prononcé de l’ordonnance de référé du 13 mars 2017, dont elle a d’ailleurs payé les causes ; que de plus, dès le mois de février 2017 le préjudice de Mme [S] avait été chiffré.
La société Bouygues Bâtiment Île-de-France demande à la cour de :
– infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état ;
– déclarer la demande irrecevable ;
– la déclarer prescrite ;
– subsidiairement, limiter le recours subrogatoire à 22 500 euros ;
– débouter la société Allianz IARD de ses demandes ;
– la condamner ainsi que tout succombant au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– la condamner ainsi que tout succombant aux dépens, qui seront recouvrés par Maître Roiné conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions notifiées le 28 novembre 2024, la société SATEB Développement déclare s’en rapporter à justice, mais demande à la cour, pour le cas où elle retiendrait la prescription, de dire qu’elle s’applique à l’ensemble des parties assignées. En outre elle réclame la condamnation de tout succombant au paiement de la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions notifiées le 10 mars 2025, la société Allianz IARD réplique :
– que les conditions d’une subrogation légale, prévues aux articles 1346 du code civil et L 121-12 du code des assurances, sont réunies ;
– qu’en effet elle a payé à la victime la provision de 25 000 euros, en application de l’ordonnance de référé du 21 mars 2019 ; que la preuve du paiement résulte de la lecture des écritures de la société d’HLM ICF [Adresse 17] et de Mme [S] ;
– qu’elle justifie de la police d’assurance en application de laquelle elle a payé les sommes en question, avec son n°, ladite police couvrant la société d’HLM ICF [Adresse 17] dans le cadre de sa responsabilité civile encourue en vertu des articles 1719 à 1721 du code civil ; que la franchise double de 800 000 euros ne s’applique pas ; que seule celle de 1 500 euros est applicable ;
– qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation, le délai de prescription de cinq ans courait à compter du jour où elle-même avait été elle-même assignée par Mme [S] en référé provision, soit le 19 décembre 2018 ; que cette jurisprudence ne s’applique pas uniquement aux recours en garantie exercés entre constructeurs ;
– que la prescription n’est ainsi pas acquise.
La société Allianz IARD demande à la cour de :
– confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état ;
– condamner la société CIEC et la société Bouygues Bâtiment Île-de-France au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– les condamner aux dépens qui seront recouvrés par Maître Censig ;
– débouter les parties adverses de leurs prétentions.
Mme [S] n’a pas conclu sur l’incident.
La CPAM des Hauts-de-Seine, qui s’est vue signifier la déclaration d’appel le 15 octobre 2024 à personne, la société d’HLM ICF [Adresse 17], qui s’est vue signifier la déclaration d’appel le 10 octobre 2024 à personne, et la société Hervé Thermique, qui s’est vue signifier la déclaration d’appel le 10 octobre 2024 à personne, n’ont pas constitué avocat.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 mars 2025.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition,
CONFIRME l’ordonnance du juge de la mise en état en date du 2 août 2024 ;
CONDAMNE la société CIEC à payer à la société Allianz IARD la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société CIEC aux dépens d’appel, qui seront recouvrés par Maître Roiné et Maître Censig conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Florence PERRET, Présidente et par Madame FOULON, Greffière , auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière, La Présidente,
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