Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion
Thématique : Responsabilité décennale et effets d’une liquidation judiciaire sur les créances d’assurance.
→ RésuméLe 5 décembre 2012, des propriétaires ont déposé une demande de permis de construire pour une maison individuelle. Ils ont engagé plusieurs entreprises pour réaliser les travaux, dont la SARL PETITE ENTREPRISE DE MACONNERIE GENERALE (PEMG) pour les gros œuvres, un entrepreneur individuel pour la plomberie et l’électricité, ainsi que d’autres sociétés pour les finitions. Après la construction, des infiltrations d’eau ont été constatées, incitant les propriétaires à faire appel à leur assurance protection juridique, qui a mandaté une société d’expertise.
Un rapport d’expertise a révélé plusieurs désordres, notamment des infiltrations par le toit et les fenêtres. En mai 2016, la SARL PEMG a été placée en liquidation judiciaire. Les propriétaires ont alors assigné l’assureur de la SARL, la société ALPHA INSURANCE A/S, pour obtenir réparation. Un jugement de décembre 2019 a condamné l’assureur à indemniser les propriétaires pour les désordres et le préjudice moral. Cependant, la société ALPHA INSURANCE A/S a été mise en liquidation en mars 2018, et son liquidateur a interjeté appel du jugement. Les propriétaires ont également déposé leurs conclusions en réponse. En septembre 2023, la cour a suspendu l’instance, demandant aux propriétaires de justifier leur déclaration de créance auprès du liquidateur. Les propriétaires ont déclaré leur créance en octobre 2023, et le liquidateur a accusé réception. En conséquence, la cour a jugé que l’action des propriétaires était recevable. Le jugement initial a été confirmé, mais les sommes dues par l’assureur doivent être fixées au passif de la liquidation, plutôt que d’être condamnées à payer directement. La cour a également condamné le liquidateur à payer des frais aux propriétaires. |
Arrêt N°2025/108
PC
N° RG 21/00149 – N° Portalis DBWB-V-B7F-FPZ4
[M]
C/
[N]
[L]
RG 1ERE INSTANCE : 18/01696
COUR D’APPEL DE SAINT – DENIS
ARRÊT DU 04 AVRIL 2025
Chambre civile TGI
Appel d’une décision rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE SAINT-PIERRE (REUNION) en date du 06 DECEMBRE 2019 RG n° 18/01696 suivant déclaration d’appel en date du 02 FEVRIER 2021
APPELANT :
Maître [C] [M] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société ALPHA INSURANCE A/S
[Adresse 5]
[Localité 3]
DANEMARK
Représentant : Me Marie françoise LAW YEN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMES :
Madame [P] [N] épouse [L]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Mikaël YACOUBI de la SELARL GAELLE JAFFRE ET MIKAEL YACOUBI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
Monsieur [J] [U] [B] [L]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Mikaël YACOUBI de la SELARL GAELLE JAFFRE ET MIKAEL YACOUBI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
CLOTURE LE : 12 septembre 2024
DÉBATS : En application des dispositions de l’article 785 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 Décembre 2024 devant la cour composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, président de chambre
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, conseillère
Conseiller : Madame Sophie PIEDAGNEL, conseillère
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l’issue des débats, le président a indiqué que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 04 Avril 2025.
Greffier lors des débats : Sarah HAFEJEE
ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 04 Avril 2025.
* * *
LA COUR
2
EXPOSE DU LITIGE
Le 5 décembre 2012, les époux [L] ont déposé une demande de permis de construire n° PC 974 413 12 A 0307 à la mairie de [Localité 4] en vue de faire construire une maison individuelle à usage d’habitation sur la parcelle dont ils sont propriétaires.
Pour cette construction, les époux ont chargé :
La SARL PETITE ENTREPRISE DE MACONNERIE GENERALE (PEMG), qui a eu pour mission de réaliser les lots « Gros ‘uvre », « charpente », « couverture », « enduits intérieurs extérieurs », « carrelage », et « étanchéité », pour un montant total de 110.511,59’ TTC, selon devis n° 00196/0013 du 18 novembre 2013,
Monsieur [A] [G] [Y], entrepreneur individuel exerçant sous l’enseigne CONCEPT ELECI qui a eu pour mission de réaliser les lots « plomberie et électricité » comme l’atteste le devis 201403017 émis par celui-ci le 24 mars 2014,
La société dénommée EDYFY’S qui a eu pour mission de réaliser les peintures imperméables en façade ainsi que les peintures intérieures
La société dénommée ALUMINIUM qui a eu pour mission de fournir et poser des menuiseries extérieures
Constatant des désordres d’infiltration, les époux [L] ont demandé la mise en ‘uvre de leur assurance protection juridique qui a mandaté la société E.O.I aux fins de réaliser une expertise privée au contradictoire notamment de la société ALPHA INSURANCE A/S, assureur responsabilité décennale de la SARL PEMG.
Le 6 septembre 2016, Monsieur [Z] [K], expert exerçant au sein de la société E.O.I a rendu un rapport d’expertise privé contradictoire. Ce rapport met en exergue les sept désordres suivants :
Désordre D1 : Défaut d’étanchéité appui de fenêtre;
Désordre D2 : Infiltrations terrasse inaccessible;
Désordre D3 : Infiltrations toiture métallique;
Désordre D4 : Fuite rosace salle de bain rez-de-chaussée;
Désordre D5 : Défaut d’étanchéité terrasse accessible;
Désordre D6 : Fuite rosace salle de bain étage (Idem D4);
Désordre D7 : Infiltration par pignon.
Par jugement d’ouverture du 18 mai 2016, le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion a prononcé la liquidation judiciaire de la société PEMG, clôturée pour insuffisance d’actif par jugement du 26 avril 2017.
Suivant acte d’huissier du 14 août 2017, les époux [L] ont assigné la société ALPHA INSURANCE A/S devant le président du tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion afin qu’une expertise soit ordonnée.
Par ordonnance de référé du 8 novembre 2017, le président du tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion a institué une expertise judiciaire, confiée à Monsieur [W] [R].
Le 6 avril 2018, l’expert judiciaire a déposé son rapport définitif.
La compagnie d’assurances danoise ALPHA INSURANCE A/S a été mise en liquidation le 4 mars 2018 par la justice danoise. Maître [C] [M] a été nommé en qualité de liquidateur de cette société.
Suivant acte d’huissier du 12 juin 2018, les époux [L] ont assigné la société ALPHA INSURANCE A/S devant le tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion aux fins d’obtenir sa condamnation à réparer les préjudices subis du fait de son assuré, la SARL PEMG.
Par jugement en date du 6 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion a statué en ces termes :
– DECLARE recevables l’ensemble des demandes des époux [L] l’encontre de la société ALPHA INSURANCE A/S,
– CONDAMNE la société ALPHA INSURANCE A/S, en sa qualité d’assureur décennal de la SARL PEMG, à payer aux époux [L] au titre de la reprise des désordres D3 – infiltrations sous couverture tôles – les sommes de 3.358 euros TTC pour les travaux curatifs sur les causes du désordre D3 et de 700 euros TTC pour les travaux curatifs sur les conséquences du désordre D3,
– DEBOUTE la société ALPHA INSURANCE A/S de sa demande visant à opposer la franchise aux époux [L],
– CONDAMNE la société ALPHA INSURANCE A/S, en sa qualité d’assureur de la SARL PEMG au titre de la responsabilité civile professionnelle des constructeurs, à payer aux époux [L] la somme de 16.800 euros en réparation de leur trouble de jouissance,
CONDAMNE la société ALPHA INSURANCE A/S, en sa qualité d’assureur de la SARL PEMG au titre de la responsabilité civile professionnelle des constructeurs, à payer aux époux [L] la somme de 2.000 euros en réparation de leur préjudice moral,
– ORDONNE l’exécution provisoire,
– CONDAMNE la société ALPHA INSURANCE A/S en qualité d’assureur de la SARL PEMG, à payer aux époux [L] la somme de 3.000 ‘ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– CONDAMNE la société ALPHA INSURANCE A/S en qualité d’assureur de la SARL PEMG aux entiers dépens comprenant les frais d’expertise judiciaire, avec distraction au profit de la SELARL Gaelic JAFFRE-Mikael YACOUBI
Par déclaration du 2 février 2021, Maître [C] [M], ès qualité de liquidateur de la société ALPHA INSURANCE A/S, a interjeté appel du jugement précité.
L’affaire a été renvoyée à la mise en état suivant ordonnance en date du 3 février 2021.
Maître [C] [M] a déposé ses premières conclusions d’appelant le 1er juillet 2021.
Les époux [L] ont déposé leurs uniques conclusions d’intimés le 30 septembre 2021.
Par arrêt avant dire droit en date du 15 septembre 2023, la cour a statué en ces termes :
« CONSTATE la suspension de l’instance ;
REVOQUE l’ordonnance de clôture ;
RENVOIE les parties devant le conseiller de la mise en état ;
INVITE Monsieur et Madame [L] à justifier de leur déclaration de créance auprès de Me [C] [M] ;
RESERVE toutes les demandes. »
Monsieur et Madame [L] ont déposé leurs dernières conclusions d’intimés le 16 novembre 2023.
Maître [M] a remis ses dernières conclusions d’appelant le 17 avril 2024.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 12 septembre 2024.
***
Aux termes de ses dernières conclusions d’appelant déposées le 17 avril 2024, Monsieur [M] [C] demande à la cour de :
« CONSTATER la reprise de l’instance ;
REFORMER le Jugement du Tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion du 6 décembre 2019 en ce qu’il a :
Déclaré recevables l’ensemble des demandes des Consorts [L] l’encontre de la société Alpha Insurance A/S ;
Condamné la société Alpha Insurance A/S, en sa qualité d’assureur de la société PEMG, au titre de la responsabilité civile professionnelles des constructeurs, à payer aux consorts [L] la somme de 16.800 euros en réparation de leur trouble de jouissance ;
Condamné la société Alpha Insurance A/S, en sa qualité d’assureur de la société PEMG, au titre de la responsabilité civile professionnelles des constructeurs, à payer aux consorts [L] la somme de 2.000 euros en réparation de leur préjudice moral ;
Condamné la société Alpha Insurance A/S, en sa qualité d’assureur de la société PEMG, à payer aux consorts [L] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Et statuant de nouveau :
A titre principal,
DECLARER le droit danois des procédures collectives applicable à la présente affaire ;
DECLARER irrecevables les Consorts [L] à défaut d’avoir déclaré leur créance au liquidateur judiciaire de la société Alpha Insurance A/S conformément au Chapitre 16 de la Loi danoise sur les procédures collectives (« Danish Bankruptcy Act ») et que leur créance ait été examinée par le liquidateur ;
En conséquence, DEBOUTER les Consorts [L] de l’intégralité de leurs demandes et laisser les dépens de la présente instance à leur charge.
A titre subsidiaire, si par impossible les demandes des Consorts [L] étaient déclarées recevables,
DEBOUTER les Consorts [L] de l’intégralité de leurs demandes et laisser les dépens de la présente instance à leur charge compte tenu du caractère apparent des désordres D3.
A titre plus subsidiaire, si par impossible les demandes des Consorts [L] étaient déclarées recevables
LIMITER toute indemnisation des Consorts [L] à 3.358 euros pour les travaux curatifs sur les causes du désordre D3 et 700 euros pour les travaux curatifs sur les conséquences des Désordres D3 ;
LIMITER toute indemnisation des Consorts [L] au titre d’un préjudice de jouissance à la somme de 1.000 euros ;
DEBOUTER les Consorts [L] du surplus de leurs demandes. »
***
Aux termes de leurs dernières conclusions d’intimée déposées le 16 novembre 2023, les consorts [L] demandent à la cour de :
« A TITRE LIMINAIRE,
CONSTATER que la société ALPHA INSURANCE A/S, en liquidation judiciaire, n’établit pas la date à laquelle la décision d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire d’une entreprise d’assurance produit ses effets au Danemark.
CONSTATER qu’il n’est donc pas établi que la décision du Tribunal des affaires maritimes et commerciales de COPENHAGUE en date du 08 mai 2018 produisait ses effets en France, à défaut d’exéquatur, lors de la délivrance de l’assignation à la société ALPHA INSURANCE A/S à la demande des époux [L].
CONSTATER que la société ALPHA INSURANCE A/S, en liquidation judiciaire, n’a pas respecté son obligation d’information à l’égard des époux [L], telle que prévue par l’article 281 de la directive Solvabilité II.
DIRE ET JUGER que la décision du Tribunal des affaires maritimes et commerciales de COPENHAGUE de placer la société ALPHA INSURANE AS en liquidation judiciaire, du 08 mai 2018, est inopposable aux époux [L].
CONSTATER que la société ALPHA INSURANCE A/S, en liquidation judiciaire, ne rapporte pas la preuve des effets de la procédure de liquidation judiciaire sur les poursuites individuelles en droit danois, et en particulier dans la situation d’espèce, c’est-à-dire dans le cas où la déclaration de sinistre aurait été faite préalablement au jugement d’ouverture de la procédure de faillite.
CONSTATER que Monsieur [J] [U] [B] [L] et Madame [P] [F] [N] épouse [L] justifient de leur déclaration de créance, entre les mains de Maître [C] [M], en qualité de liquidateur judiciaire de la société ALPHA INSURANCE A/S, par courrier recommandé international en date du 23 octobre 2023.
En conséquence,
CONFIRMER le jugement attaqué, en ce qu’il a déclaré recevables les demandes de Monsieur [J] [U] [B] [L] et Madame [P] [F] [N] épouse [L] tendant à obtenir la condamnation de la société ALPHA INSURANCE A/S au paiement des sommes réclamées dans le cadre de sa garantie responsabilité civile et décennale.
A TITRE PRINCIPAL,
CONFIRMER le jugement attaqué en toutes ses dispositions.
DIRE ET JUGER que la SARL PETITE ENTREPRISE DE MACONNERIE GENERALE (PEMG) a engagé sa responsabilité décennale envers Monsieur [J] [U] [B] [L] et Madame [P] [F] [N] épouse [L].
CONSTATER que la société ALPHA INSURANCE A/S, compagnie d’assurance de droit danois est l’assureur de la SARL PETITE ENTREPRISE DE MACONNERIE GENERALE (PEMG) au titre d’un contrat d’assurance « Responsabilité civile professionnelle et décennale des constructeurs », police n° 1304DERCALP0000250, et, partant, qu’elle doit garantie à Monsieur [J] [U] [B] [L] et Madame [P] [F] [N] épouse [L] pour les manquements préjudiciables commis par son assurée.
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la société ALPHA INSURANCE A/S doit être tenue de garantir les conséquences pécuniaires du désordre D3, imputable à la SARL PETITE ENTREPRISE DE MACONNERIE GENERALE (PEMG).
En conséquence,
CONFIRMER le jugement attaqué, en ce qu’il a condamné la société ALPHA INSURANCE A/S, en qualité d’assureur de la SARL PETITE ENTREPRISE DE MACONNERIE GENERALE (PEMG) à payer à Monsieur [J] [U] [B] [L] et Madame [P] [F] [N] épouse [L] les sommes suivantes, à parfaire :
. 3.358,00’ TTC pour les travaux curatifs sur les causes du désordre D3 ‘ Infiltrations sous couverture tôles,
. 700,00’ TTC pour les travaux curatifs sur les conséquences du désordre D3 ‘ Infiltrations sous couverture tôles,
. 16.800,00′ en réparation du préjudice de jouissance subi,
. 2.000,00′ en réparation du préjudice moral.
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
CONFIRMER le jugement attaqué, en ce qu’il a ordonné l’exécution provisoire du jugement dans ses seules dispositions favorables aux requérants en application de l’article 515 du Code de procédure civile.
REJETER toutes demandes, fins ou prétentions plus amples ou contraires.
CONDAMNER la société ALPHA INSURANCE A/S, en liquidation judiciaire, en qualité d’assureur de la SARL PETITE ENTREPRISE DE MACONNERIE GENERALE (PEMG), à payer à Monsieur [J] [U] [B] [L] et Madame [P] [F] [N] épouse [L], une somme de 7.000,00’ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens, dont distraction, le cas échéant, au profit de la SELARL Gaëlle JAFFRE – Mikael YACOUBI représentée par Maître Mikael YACOUBI dans les conditions de l’article 699 du Code de procédure civile, en ce compris les frais d’expertise judiciaire. »
***
Par avis RPVA du 5 février 2025, la cour a invité les parties à présenter leurs observations sous quinzaine sur l’irrecevabilité de la demande de condamnation de la société ALPHA INSURANCE S/A des sommes éventuellement dues aux intimés, au lieu de constater et fixer la créance au passif de la liquidation judiciaire de ladite société, relevant du droit danois mais relevant aussi des dispositions d’ordre public international de l’article L. 622-21-1° du code de commerce (CIV1 ‘ 6 mai 2009 ‘ n° 0810281 et COM 15 juin 2011 ‘ n° 10 16 990).
Par message reçu le 11 février 2025, l’appelant a adressé ses observations. Il souligne que, dans son arrêt du 6 mai 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré que le principe de l’arrêt des poursuites individuelles relevait de l’ordre public international, position confirmée récemment par la chambre commerciale dans son arrêt du 8 février 2023 (pourvoi n° 21-15.771). En conséquence, indépendamment de la loi applicable à la procédure collective de la société Alpha Insurance A/S, l’article L. 622-1-1, 1° du Code de commerce a vocation à s’appliquer. Les intimés formulent donc, en méconnaissance de l’article L. 622-1-1, 1° du Code
de commerce, une demande de condamnation de la société Alpha Insurance A/S. En revanche, ils n’ont formulé aucune demande de fixation de leur déclaration au passif de la liquidation de la société Alpha Insurance A/S. Le juge du fond peut relever d’office la règle de l’arrêt des poursuites donnant lieu, en conséquence, à une fin de non-recevoir. Eu égard à ces principes, il apparaît que la cour d’appel de céans peut relever d’office la fin de non-recevoir tenant à l’inobservation par les intimés de la règle de l’arrêt des poursuites individuelles.
***
Par message du 17 février 2025, le Conseil des intimés a adressé de nouvelles conclusions en répondant à la demande d’observations de la cour, considérant en substance que :
. Si, pour les besoins de la discussion, la décision du Tribunal des affaires maritimes et commerciales de COPENHAGUE en date du 08 mai 2018, ouvrant une procédure de faillite à l’égard de la société ALPHA INSURANCE AS, avait produit ses effets en France avant la délivrance de l’assignation litigieuse, il n’est pas démontré par la partie appelante que la loi danoise interdit les poursuites à l’égard d’un débiteur en procédure de déclaration de faillite, ni dans quelles conditions.
. Dès lors, la cour d’appel de SAINT DENIS (REUNION) n’est pas mise en mesure de connaître les effets de la procédure de liquidation judiciaire sur les poursuites individuelles en droit danois, et en particulier dans la situation d’espèce, c’est-à-dire dans le cas où la déclaration de sinistre aurait été faite préalablement au jugement d’ouverture de la procédure de faillite.
. Seule la production des textes de loi danois complets, de la jurisprudence danoise et de la doctrine danoise en vigueur et applicables aux faits d’espèce, accompagnés d’une consultation juridique par un avocat danois spécialisé en procédures collectives, le tout traduit en langue française par un traducteur assermenté, permettrait à la cour d’appel de SAINT DENIS (REUNION) de connaître l’état du droit danois pour trancher la question de la recevabilité des demandes des époux [L] à l’encontre de la société ALPHA INSURANCE AS, en liquidation judiciaire.
. En l’état, il sera constaté que la partie appelante ne rapporte pas la preuve des effets de la procédure de liquidation sur les poursuites par les créanciers en droit danois.
. Il convient de rappeler que les époux [L] auraient été dépourvus d’intérêt à former une demande d’infirmation du jugement attaqué favorable car condamnant la société ALPHA INSURANCE AS.
. En revanche, au regard du moyen relevé d’office par la Cour d’appel, ils sont, désormais recevables, dans le délai imparti par celle-ci, à solliciter, à titre subsidiaire, en cas d’infirmation du jugement de première instance, la fixation de leurs créances au passif de la liquidation judiciaire la société ALPHA INSURANCE AS représentée par son liquidateur judiciaire.
Il en résulte qu’au jour où la présente juridiction sera amenée à statuer sur leurs demandes, la fin de non-recevoir relevée d’office aura disparu au sens de l’article 126 alinéa 1er du Code de procédure civile.
. Ils demandent désormais à titre subsidiaire de :
« En cas d’infirmation du jugement attaqué, en ce qu’il a déclaré recevable leurs demandes de condamnations en paiement des sommes dues, Monsieur [J] [U] [B] [L] et Madame [P] [F] [N] épouse [L] demande à la Cour d’appel de SAINT DENIS (REUNION), statuant à nouveau, de :
-ECARTER la fin de non-recevoir relevée d’office en raison de la disparition de sa cause.
-FIXER au passif de la société ALPHA INSURANCE AS, en qualité d’assureur de la SARL PETITE ENTREPRISE DE MACONNERIE GENERALE (PEMG), représentée par Maître [C] [M] es qualité de liquidateur judicaire, les créances suivantes, à parfaire » (identiques à celles visées à titre principal dans la demande de condamnation).
***
L’appelant a répliqué le 19 février 2025 en précisant que, contrairement à ce qu’indiquent les Consorts [L], rien ne contraint la cour d’appel de céans de révoquer l’ordonnance de clôture au motif qu’elle soulèverait un moyen d’office. Conformément à l’article 803 du code de procédure civile, une telle décision ne peut intervenir que dans l’hypothèse d’une cause grave survenue postérieurement à l’ordonnance de clôture. Tel n’est pas le cas en l’espèce, de sorte que les conclusions d’intimée n° 2 doivent être écartées des débats.
***
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées, figurant au dossier de la procédure, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par décision contradictoire, en matière civile et en dernier ressort, mis à disposition au greffe, conformément à l’article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour, sauf à fixer les sommes allouées au passif de la liquidation de la société ALPHA INSURANCE A/S ;
CONDAMNE Maître [C] [M], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société ALPHA INSURANCE A/S, à payer conjointement à Monsieur [J] [L] et son épouse, Madame [P] [N], la somme de 5.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en plus de ceux déjà alloués en première instance ;
CONDAMNE Maître [C] [M], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société ALPHA INSURANCE A/S, aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL Gaelle JAFFRE-Mikael YACOUBI.
Le présent arrêt a été signé par monsieur Patrick CHEVRIER, président de chambre, et par madame Sarah HAFEJEE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
SIGNE
Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?