Type de juridiction : Cour d’appel.
Juridiction : Cour d’appel de Rouen
Thématique : Licenciement pour mise en danger volontaire d’autrui dans le cadre d’une intervention technique.
→ RésuméUn technicien chauffagiste a été engagé par la société Gaz service en octobre 2012. En novembre 2021, il a été licencié pour faute grave après avoir effectué une intervention risquée chez un client. Lors de cette intervention, il a shunté la sécurité d’une chaudière pour permettre au client d’avoir de l’eau chaude et du chauffage, sans en informer son référent technique. Cette action a été jugée dangereuse, car elle supprimait les dispositifs de sécurité, exposant ainsi le client à un risque d’explosion.
La société Gaz service a justifié le licenciement en soulignant que le technicien, malgré ses années d’expérience, avait agi de manière irresponsable et en violation des consignes de sécurité. De plus, il avait déjà fait l’objet de plusieurs sanctions disciplinaires pour des comportements similaires, tels que des retards et des erreurs dans ses interventions. Le licenciement a été contesté par le technicien devant le conseil de prud’hommes, qui a requalifié la faute en cause réelle et sérieuse, condamnant la société à lui verser diverses indemnités. La société Gaz service a interjeté appel de cette décision, demandant l’infirmation du jugement. Dans ses conclusions, elle a soutenu que le technicien avait sciemment ignoré les règles de sécurité, mettant en danger la vie des locataires. En réponse, le technicien a affirmé avoir agi dans l’intérêt du client, en tentant de résoudre une situation d’urgence. Finalement, la cour a infirmé le jugement initial, considérant que le licenciement était fondé sur une faute grave. Elle a débouté le technicien de toutes ses demandes et l’a condamné aux dépens, soulignant la gravité de son comportement et les risques encourus. |
N° RG 24/00475 – N° Portalis DBV2-V-B7I-JSIW
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 08 AVRIL 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE ROUEN du 10 Janvier 2024
APPELANTE :
S.A.R.L. GAZ SERVICE
[Adresse 7]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Cécile GILBERT de la SELARL KBESTAN, avocat au barreau de l’EURE
INTIME :
Monsieur [I] [W]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Saliha LARIBI, avocat au barreau de DIEPPE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 05 Mars 2025 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
M. LABADIE, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 05 mars 2025, où l’affaire a été mise en délibéré au 08 avril 2025
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 08 Avril 2025, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par M. GUYOT, Greffier.
***
EXPOSE DU LITIGE
M. [I] [W] a été engagé par la société Gaz service le 22 octobre 2012 en qualité de technicien chauffagiste.
Il a été licencié pour faute grave le 16 novembre 2021 dans les termes suivants :
‘(…) Après traitement administratif des bons d’intervention de la semaine 41 au cours de la semaine 42, et pris l’avis technique de notre référent, j’ai en effet pris la décision d’engager à votre encontre une procédure de licenciement pour faute. (…)
Pour mémoire depuis le 22 octobre 2021, vous êtes employé par l’entreprise en qualité de technicien-chauffagiste dans le cadre de marchés principalement conclus avec des institutionnels.
A ce titre, le vendredi 15 octobre dernier, vous vous êtes rendu au domicile de M. [P], locataire d’une maison située à [Localité 6] (Eure), pour remplacer le tableau électrique. En début de semaine suivante, sans même en informer notre référent technique ou moi-même, vous rendiez un bon d’intervention sur lequel vous indiquiez ‘avoir shunter la sécurité surchauffe’ sur une chaudière Acléis consens GVMC4-4H ‘pour que le client puisse avoir de l’eau chaude et du chauffage’.
Or, après avis du référent technique, il s’avère que shunter la sécurité de la chaudière et régler le bouton en position n°3 ne sécurisait en rien votre intervention :
1. ce bouton est relié à une sonde température ;
2. si celle-ci venait à être défectueuse ou donner une valeur erronée à l’électronique, il n’y aurait plus de régulation de la température ;
3. la sécurité surchauffe étant supprimée, et s’agissant d’une chaudière à production d’eau chaude, la chaudière n’avait plus aucun système de sécurité pour arrêter la montée en température jusqu’à l’explosion du corps de chauffe et de la chaudière.
Ces éléments font normalement partie des fondamentaux censés être acquis par les techniciens de maintenance en chauffage.
Cela met en évidence une mise en danger volontaire (‘je l’ai fait en toute conscience’) et, malgré une dizaine d’années d’expérience dans cette activité, une incompétence sur le mode de fonctionnement de la chaudière.
Cela met également en évidence un manquement aux consignes de sécurité consistant à contacter :
– le référent technique de l’entreprise en cas de difficultés pour trouver une solution à une panne ;
– la direction de l’entreprise ou le secrétariat, en particulier en cas de panne totale, pour vérifier la disponibilité de la pièce détachée dans notre stock ou auprès des fournisseurs les plus proches afin de pouvoir la récupérer au plus vite et la livrer rapidement aux techniciens.
Or, notre référent aurait pu vous apporter la solution si vous aviez pris la peine de le contacter!
Par votre attitude irresponsable, vous auriez pu engendrer l’explosion du corps de chauffe puis l’explosion de la chaudière avec toutes les conséquences que nous pouvons imaginer, dont la mise en danger des locataires.
Il est invraisemblable qu’après 10 années d’expérience vous vous permettiez de tels agissements.
Dans ce type de situation, la seule procédure à suivre est de sécuriser immédiatement l’installation en coupant la chaudière puis de contacter l’entreprise pour essayer de trouver une solution technique afin de rétablir au plus vite le chauffage en changeant si nécessaire des pièces défectueuses.
Ceci constitue une faute professionnelle qui aurait pu mettre gravement en danger les locataires mais également notre société dont la responsabilité aurait été mise en cause s’il y avait eu des dommages humains et matériels.
Malheureusement, depuis que vous êtes dans notre société, vous avez déjà fait l’objet de plusieurs sanctions disciplinaires et, plus récemment, il vous avait à nouveau été rappelé des éléments très importants pour notre organisation et notre notoriété :
– le respect des horaires de travail ;
– les indications horaires erronées sur vos bons d’interventions (réclamation d’un client : une heure d’intervention notée alors qu’après vérification sur le système de géolocalisation vous n’y aviez passé qu’une demi-heure) ;
– les clients absents pour lesquels vous attendez jusqu’à 15 minutes alors que vous disposez de leur numéro de téléphone sur le bon d’intervention. Il est plus cohérent de sonner, frapper à la porte ou appeler. Il n’y a aucune raison d’attendre plus longtemps ;
– les dates d’absence que vous ne notez pas lors des visites d’entretien sur les bons dont vous disposez ;
– ou encore les rendez-vous non honorés parce que vous ne trouvez pas le logement. Ainsi le lundi 11 octobre 2021, alors que vous aviez rendez-vous chez M. [U] à [Localité 5], vous prétendiez ne pas avoir trouvé l’adresse sans GPS. Comme à notre habitude, le numéro de téléphone avait pourtant été indiqué sur la fiche d’intervention mais vous n’avez pas jugé utile d’appeler.
Ces faits sont intolérables, tout particulièrement ceux du vendredi 15 octobre 2021, et ils constituent un manquement grave aux obligations élémentaires découlant de votre contrat de travail. (…)’.
M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen le 3 octobre 2022 en contestation de la rupture, ainsi qu’en paiement de rappel de salaires et indemnités.
Par jugement du 10 janvier 2024, le conseil de prud’hommes a :
– requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné la société Gaz service à payer à M. [W] les sommes suivantes :
– indemnité de préavis : 4 410,88 euros
– congés payés afférents : 441,08 euros
– indemnité de licenciement : 5 560,18 euros
– rappel de salaire sur mise à pied : 1 462,12 euros
– indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros
– débouté M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société Gaz service aux dépens.
La société Gaz service a interjeté appel de cette décision le 6 février 2024.
Par conclusions remises le 19 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société Gaz service demande à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et statuant à nouveau, à titre principal, débouter M. [W] de l’ensemble de ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, à titre subsidiaire, confirmer le jugement et à titre infiniment subsidiaire, limiter les dommages et intérêts à la somme de trois mois de salaire.
Par conclusions remises le 16 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [W] demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’infirmant de ces chefs et statuant à nouveau, dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société Gaz service à lui payer la somme de 22 054,40 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et y ajoutant, condamner la société Gaz service à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 13 février 2025.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Dit que le licenciement de M. [W] est fondé sur une faute grave et déboute en conséquence M. [W] de l’intégralité de ses demandes ;
Condamne M. [I] [W] aux entiers dépens de première instance et d’appel ;
Déboute les parties de leur demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE
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