Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Riom
Thématique : Inadéquation des mentions dans un congé rural : l’importance de la transparence sur la profession du repreneur.
→ RésuméLe 29 mars 2004, des bailleurs ont consenti un bail rural à une preneuse pour une propriété de 37 hectares. En 2012, ce bail a été modifié, excluant certaines parcelles et réduisant le montant du fermage. Le 15 septembre 2020, les bailleurs, accompagnés de leur fille, ont délivré un congé pour reprise à la preneuse, avec un candidat à la reprise désigné. En réponse, la preneuse a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux pour contester la validité de ce congé, arguant que celui-ci ne mentionnait pas la profession du candidat, ce qui contrevenait aux exigences légales.
Le tribunal a rendu son jugement le 21 juillet 2023, annulant le congé et ordonnant la poursuite du bail dans les mêmes conditions. Il a également condamné les bailleurs à verser une somme à la preneuse pour couvrir ses frais de justice. Les bailleurs ont fait appel de cette décision, contestant l’annulation du congé et demandant la validation de celui-ci. Dans leurs conclusions, les bailleurs ont soutenu que l’absence de mention de la profession du candidat à la reprise ne justifiait pas l’annulation du congé. Ils ont également fait valoir que la preneuse n’avait pas prouvé qu’elle avait subi un préjudice. En revanche, la preneuse a insisté sur le fait que le candidat, engagé dans un contrat d’apprentissage, ne pouvait pas reprendre l’exploitation à la date prévue. La cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal paritaire, considérant que le candidat à la reprise n’était pas en mesure d’exploiter le bien à la date d’effet du congé, en raison de ses engagements académiques. La cour a également statué qu’aucune faute n’était imputable aux bailleurs, et a condamné ces derniers à verser une somme à la preneuse pour ses frais de justice. |
COUR D’APPEL
DE RIOM
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Du 25 mars 2025
N° RG 23/01351 – N° Portalis DBVU-V-B7H-GBSZ
-DA- Arrêt n°
[W] [K], [V] [R] épouse [K], [P] [K] / [X] [O] épouse [L]
Jugement au fond, origine Tribunal paritaire des baux ruraux de SAINT-FLOUR, décision attaquée en date du 21 Juillet 2023, enregistrée sous le n° 51-20-0016
Arrêt rendu le MARDI VINGT CINQ MARS DEUX MILLE VINGT CINQ
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
M. Philippe VALLEIX, Président
M. Daniel ACQUARONE, Conseiller
Mme Laurence BEDOS, Conseiller
En présence de :
Mme Céline DHOME, greffier lors de l’appel des causes et du prononcé
ENTRE :
M. [W] [K]
et Mme [V] [R] épouse [K]
[Adresse 6]
[Localité 2]
et
Mme [P] [K]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Tous trois assistés de Maître Carole GRELLET de la SCP VGR, avocat au barreau de MOULINS
APPELANTS
ET :
Mme [X] [O] épouse [L]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Assistée de Maître Marc PETITJEAN, avocat au barreau d’AURILLAC
INTIMEE
DÉBATS : A l’audience publique du 27 janvier 2025
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 25 mars 2025 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par M. VALLEIX, président et par Mme DHOME, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
I. Procédure
Le 29 mars 2004 les époux [W] et [V] [K] ont consenti à Mme [X] [L] un bail rural à compter du 1er avril 2004, portant sur une propriété d’un peu plus de 37 ha, avec bâtiments d’habitation et d’exploitation.
Ce bail a été modifié au cours de l’année 2012, certaines parcelles en ont été exclues ainsi que les bâtiments d’habitation et d’exploitation, et le montant du fermage a été réduit en conséquence.
Le 15 septembre 2020 les époux [K] ainsi que leur fille [P] ont fait délivrer à Mme [X] [L] un congé pour reprise à la date du 31 mars 2022. Le candidat à la reprise est M. [H] [K].
Par requête du 30 novembre 2020, Mme [X] [L] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Saint-Flour afin de voir annuler ce congé.
Par jugement du 21 juillet 2023, le tribunal paritaire de Saint-Flour a statué comme suit :
« Le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux, statuant par jugement contradictoire, en audience publique et en premier ressort,
ANNULE le congé délivré à Madame [X] [O], épouse [L], le 15 septembre 2020, par Monsieur [W] [K], Madame [V] [K], née [R] et Madame [P] [K],
DIT que le contrat de bail rural conclu entre Monsieur [W] [K], Madame [V] [K], née [R] d’une part et Madame [X] [O], épouse [L], d’autre part, se poursuivra dans les mêmes conditions,
DÉBOUTE Madame [X] [O], épouse [L], de sa demande de dommages-intérêts,
DIT que l’exécution provisoire est de droit,
CONDAMNE Monsieur [W] [K], Madame [V] [K], née [R] et Madame [P] [K] à verser à Madame [X] [O], épouse [L], la somme de 2 000 euros (deux mille euros) sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
CONDAMNE Monsieur [W] [K], Madame [V] [K], née [R] et Madame [P] [K] aux entiers dépens de l’instance. »
Dans les motifs de sa décision le tribunal paritaire a notamment écrit :
En l’espèce. Madame [L] souligne le fait que le congé qui lui a été délivré ne mentionnait pas la profession exercée par Monsieur [H] [K], contrairement prescriptions de l’article L. 411-7 du Code Rural et de la Pêche Maritime.
Sur ce point, le défendeur affirme qu’il n’avait pas à en indiquer puisqu’il était étudiant et n’exerçait pas de profession.
Néanmoins, dès lors que le texte précité mentionne expressément que le congé indique la profession du potentiel repreneur, sous peine de nullité, il était nécessaire de préciser que Monsieur [H] [K] était sans profession – à tout le moins – ou étudiant, sans quoi Madame [L] ne pouvait deviner quelle était sa situation personnelle.
En outre, les défendeurs communiquent le contrat de travail de Monsieur [H] [K], conclu le 17 décembre 2020, pour un début d’exécution le jour-même et une fin prévue le 31 août 2023. Il en résulte que ce dernier devait travailler 35 h par semaine, avec 2 310 heures de formation sur une période de trois ans, dans le cadre de son apprentissage auprès de Formasup Auvergne Site VETAGRO SUP.
Par conséquent, au 31 mars 2022, date de la reprise prévue, il était engagé contractuellement, dans le cadre d’un contrat à temps plein, et jusqu’au 31 août 2023.
Il n’était donc pas en capacité de reprendre personnellement l’exploitation comme il a été indiqué dans le congé délivré à Madame [L].
En atteste la pièce 20, versée aux débats par les défendeurs, dont il ressort que Monsieur [H] [K] était à l’étranger, dans le cadre de sa formation, du 27 juin 2022 au 23 juillet 2022 et du 25 juillet 2022 au 20 août 2022.
Or, c’est bien à la date d’effet du congé que doivent s’apprécier les conditions de la reprise, et non pas au jour de la reprise effective, sans quoi la contestation d’un congé ne pourrait jamais prospérer, faute d’éléments certains sur lesquels se fonder.
Par conséquent et sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions devant être remplies pour que le congé soit valide, il convient de constater que ce dernier doit être annulé.
Le contrat de bail liant Madame [X] [O], épouse [L] d’une part, et Monsieur [W] [K] et son épouse, Madame [V] [K], née [R], d’autre part se poursuivra donc, selon les mêmes modalités.
*
M. [W] [K], Mme [V] [K] et Mme [P] [K] ont fait appel de cette décision par lettre RAR reçue au greffe le 21 août 2023. Il est précisé que l’appel porte sur les chefs suivants de la décision :
« ANNULE le congé délivré à Madame [X] [O], épouse [L], le 15 septembre 2020, par Monsieur [W] [K], Madame [V] [K], née [R] et Madame [P] [K],
DIT que le contrat de bail rural conclu entre Monsieur [W] [K], Madame [V] [K], née [R] d’une part et Madame [X] [O], épouse [L], d’autre part, se poursuivra dans les mêmes conditions,
CONDAMNE Monsieur [W] [K], Madame [V] [K], née [R] et Madame [P] [K] à verser à Madame [X] [O], épouse [L], la somme de 2 000 euros (deux mille euros) sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
CONDAMNE Monsieur [W] [K], Madame [V] [K], née [R] et Madame [P] [K] aux entiers dépens de l’instance. »
Dans leurs conclusions communes ensuite du 24 janvier 2025 les consorts [K] demandent à la cour de :
« DÉCLARER les appelants recevables et bien fondés en leur appel ;
INFIRMER le jugement du Tribunal Paritaire des Baux Ruraux de S AINT-FLOUR en date du 21 Juillet 2023, en ce qu’il a :
– ANNULÉ le congé délivré à Madame [X] [O], épouse [L], le 15 septembre 2020, par Monsieur [W] [K], Madame [V] [K], née [R] et Madame [P] [K],
– DIT que le contrat de bail rural conclu entre Monsieur [W] [K], Madame [V] [K], née [R] d’une part et Madame [X] [O], épouse [L], d’autre part, se poursuivra dans les mêmes conditions,
– CONDAMNÉ Monsieur [W] [K], Madame [V] [K], née [R] et Madame [P] [K] à verser à Madame [X] [O], épouse [L], la somme de 2 000 euros (deux mille euros) sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– DÉBOUTÉ les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
– CONDAMNÉ Monsieur [W] [K]. Madame [V] [K]. née [R] et Madame [P] [K] aux entiers dépens de l’instance.
RÉFORMANT,
ÉCARTER le moyen de nullité retenu par les premiers juges ET STATUANT à nouveau :
DÉBOUTER Madame [X] [O] épouse [L] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions dirigées à l’encontre du congé délivré le 15 septembre 2020.
ET VALIDER ledit congé avec toutes ses conséquences et effets de droit.
CONDAMNER Madame [X] [O] épouse [L] à restituer à la libre disposition de Monsieur et Madame [W] [K] et de Madame [P] [K], les parcelles telles que visées au terme du congé pour reprise à fin d’exploiter en date du 15 septembre 2020, sous astreinte de 200 € par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir.
ORDONNER l’expulsion sans délai de Madame [X] [O] épouse [L] et de toutes personnes et bien de son chef avec l’assistance de la force publique s’il échet.
CONDAMNER la même à payer et porter aux concluants une indemnité d’occupation entre la date du 31 mars 2022 et la libération effective des lieux qui sera calculée sur la base du fermage indexé résultant du bail en cours.
La CONDAMNER également à payer et porter au profit des concluants une somme de 6 000 € au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens. »
*
Par télécopie du 23 septembre 2023, le conseil de Mme [X] [L] a fait connaître qu’il se constitue pour elle dans cette procédure.
Dans ses conclusions du 19 janvier 2025, Mme [X] [L] demande à la cour de :
« En application notamment des articles L. 411-47, L. 411-54, L. 411-58, L. 411-59, L. 411-66 Code Rural, 514-1 CRC,
Il est sollicité de la Cour d’Appel de RIOM de :
Confirmer le jugement rendu par le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux de SAINT-FLOUR le 21/07/2023 (RG 51-20-000016)
Et en tout état de cause,
1°/ Ordonner l’annulation du congé-reprise du 15 septembre 2020 présentement contesté.
2°/ Ordonner que Mr [K] [W], Mmes [K] [V] et [K] [P], resteront liés par les dispositions du statut du fermage à l’égard de leur fermière Mme [L] [X], le congé reprise signifié par exploit du 15/09/2020 ne satisfaisant aucunement aux conditions légales de reprise.
3°/ CONDAMNER Mr [K] [W], Mmes [K] [V] et [K] [P] à verser à la preneuse Mme [L] [X] la somme de 5.000 € de dommages et intérêts pour lui avoir fait supporter d’injustes soucis et préjudices (perte de temps, démarches, etc.)
4°/ CONDAMNER Mr [K] [W], Mmes [K] [V] et [K] [P] à verser à la preneuse Mme [L] [X] la somme de 10.000 € en application de l’article 700 code de procédure civile pour lui avoir fait supporter d’injustes frais irrépétibles.
5°/ CONDAMNER les mêmes en tous les dépens. »
*
La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fait ici expressément référence au jugement entrepris ainsi qu’aux dernières conclusions déposées et aux explications orales des parties, étant précisé que le litige se présente céans de la même manière qu’en première instance.
La cause a été entendue par la cour à son audience du lundi 27 janvier 2025.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement ;
Dit n’y avoir lieu à dommages-intérêts ;
Condamne in solidum les consorts [K] à payer à Mme [X] [L] la somme de 3500 EUR en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum les mêmes aux dépens d’appel ;
Déboute les parties de leurs autres demandes.
Le greffier Le président
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