Cour d’appel de Rennes, 25 mars 2025, RG n° 25/01026
Cour d’appel de Rennes, 25 mars 2025, RG n° 25/01026

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Rennes

Thématique : Exécution provisoire : conditions et conséquences excessives en matière locative

Résumé

En 2017, une locataire et sa fille ont signé un bail pour une maison à usage d’habitation, avec un loyer mensuel de 660 euros, plus 20 euros de charges. En septembre 2022, les bailleuses ont assigné les locataires en résiliation de bail en raison d’un arriéré locatif. Le tribunal judiciaire a prononcé la résiliation du bail le 25 janvier 2024, ordonné l’expulsion des locataires, et condamné la locataire principale à verser un montant d’arriéré locatif, ainsi qu’une indemnité d’occupation mensuelle.

Les locataires ont interjeté appel de ce jugement en mars 2024, demandant l’arrêt de l’exécution provisoire et contestant le montant de l’arriéré locatif, qu’elles estimaient erroné. Elles ont également soutenu que la déclaration d’impayé faite auprès de la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) était incorrecte, ce qui aurait entraîné une perte d’allocations pour elles. Elles ont fait valoir que leur situation financière était sur le point de s’améliorer, notamment grâce à une augmentation de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) prévue pour avril 2025.

Les bailleuses ont répliqué en soulignant que les locataires avaient bénéficié de délais supplémentaires pour quitter le logement et que l’arriéré locatif continuait d’augmenter. Elles ont également mentionné que les locataires n’avaient pas fait valoir d’observations sur l’exécution provisoire lors de la première instance.

Lors de l’audience de mars 2025, le tribunal a rejeté la demande d’arrêt de l’exécution provisoire, considérant que les locataires n’avaient pas démontré de conséquences manifestement excessives postérieures au jugement initial. De plus, l’arriéré locatif demeurait important, malgré les paiements effectués. Les locataires ont été dispensées de toute condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile en raison de leur situation financière difficile.

Référés Civils

ORDONNANCE N°

N° RG 25/01026 – N° Portalis DBVL-V-B7J-VVXB

Mme [J] [F]

Mme [T] [G] épouse [F]

C/

Mme [K] [D] épouse [P]

Mme [Z] [D] épouse [N]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

DU 25 MARS 2025

Monsieur THOMAS VASSEUR, Premier président de chambre délégué par ordonnance de Monsieur le Premier Président,

GREFFIER

Madame Elise BEZIER, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS

A l’audience publique du 4 mars 2025

ORDONNANCE

Contradictoire, prononcée publiquement le 25 mars 2025, par mise à disposition date indiquée à l’issue des débats

Vu l’assignation en référé délivrée le 19 février 2025

ENTRE

Madame [J] [F]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Madame [T] [G] épouse [F]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Toutes deux représentées par Me Aude NORMANT, avocat au barreau de RENNES

ET

Madame [K] [D] épouse [P]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Madame [Z] [D] épouse [N]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Toutes deux représentées par Me Séverine NIVAULT de la SELARL SELARL D’AVOCATS MAIRE – TANGUY – SVITOUXHKOFF – HUVELIN – GOURDIN – NIVAULT – GOMBAUD, substituée par Me Lucie LE GUILLANT, avocates au barreau de VANNES

EXPOSÉ DU LITIGE

Au cours de l’année 2017, Mme [T] [F] et sa fille, Mme [J] [F], ont pris à bail auprès de Mmes [K] et [Z] [D] une maison à usage d’habitation à [Localité 3], pour un loyer mensuel de 660 euros, outre 20 euros de charges.

Au mois de septembre 2022, Mmes [D] ont fait assigner Mmes [F] en résiliation du bail.

Par jugement du 25 janvier 2024, le tribunal judiciaire de Vannes a :

prononcé la résiliation du bail ;

ordonné l’expulsion de Mmes [F] ;

condamné Mme [T] [F] à verser à Mmes [D] la somme de 2.481 euros au titre de l’arriéré locatif au 31 octobre 2023, solidairement avec Mme [J] [F] dans la limite de la somme de 1.622,65 euros ;

débouté Mmes [F] de leur demande de délai de paiement ;

condamné in solidum Mmes [F] au paiement d’une indemnité d’occupation de 680 euros par mois à compter du jour de la résiliation ;

débouté Mmes [F] de leur demande de dommages-intérêts ;

condamné solidairement Mmes [F] à verser à Mmes [D] la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamné in solidum Mmes [F] aux dépens.

Mmes [F] ont intejeté appel de ce jugement le 14 mars 2024 (RG 24/01522).

Par actes du 19 février 2025, remis à personne pour Mme [K] [D], et à domicile pour Mme [Z] [D], Mmes [F] les ont fait assigner devant la juridiction du premier président de la cour d’appel de Rennes en lui demandant de :

prononcer l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement ;

dire que le sort des dépens de l’instance suivra celui des dépens de la procédure au fond.

Développant lors de l’audience du 4 mars 2025 les termes de leur assignation (il ne sera pas tenu compte des conclusions au fond, destinées à la 5ème chambre de la cour de céans, remises le 21 février 2025 et qui figurent sur l’onglet RPVA de ce référé premier président en doublon avec le dossier de fond n° RG 24/01522), à laquelle elles ajoutent trois pièces nouvelles, Mmes [F] exposent que la décision encourt des moyens sérieux de réformation tenant à ce que le calcul de l’arriéré locatif n’était pas le bon et elles produisent à cet égard des justificatifs de réglement non pris en compte selon elle. Elles ajoutent que la déclaration d’impayé réalisée auprès de la CAF l’a été pour un montant erroné de 691 euros au lieu de 214 euros, alors qu’il n’existe d’impayé pour la CAF qu’au delà d’un montant de deux fois le loyer, de sorte que la déclaration d’impayé a été faite en fraude des droits des locataires, ce qui a engendré une perte d’allocation pour elles, ce dont elles demanderont l’indemnisation. De surcroît, il résulte de cet élément qu’en réalité les bailleresses ont bénéficié d’un trop-perçu.

Elles ajoutent qu’en déclarant à tort un impayé auprès de la CAF, Mmes [D] ont contribué à l’aggravation de leur situation financière et donc à la création d’une nouvelle dette, alors que leur situation était sur le point d’être apurée. Ainsi, le manquement des locataires, déduction faite de la part réglée par la CAF, se porte à un montant de 986 euros arrêté au 31 octobre 2023 et ce manquement n’est pas suffisamment grave pour justifier la résiliation. En outre, l’AAH de Mme [J] [F] va passer de la somme de 971 euros à 1.600 euros en avril 2025, ce qui lui permettra, indique-t-elle, avec sa mère, d’apurer l’arriéré locatif.

S’agissant des conséquences manifestement excessives révélées postérieurement au jugement, Mme [J] [F] décrit ses nombreux problèmes de santé, dont il résulte selon elle qu’une expulsion entraînerait à son égard de graves conséquences et les demanderesses soulignent en outre l’âge de Mme [T] [F]. Elles font valoir qu’elles ont fait une demande de logement social, en vain jusqu’à présent et que les bailleurs privés sont découragés par leur situation.

Soutenant les termes de leurs conclusions remises le 3 mars 2025, Mmes [D] demandent à la juridiction du premier président de :

les déclarer recevables et bien fondées en toutes leurs demandes, fins et conclusions, et en conséquence :

déclarer Mmes [J] et [T] [F] irrecevables en leur demande d’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement rendu par le juge des contentieux de la protection le 25 janvier 2024 ;

en tout état de cause, rejeter leur demande d’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement rendu par le juge des contentieux de la protection le 25 janvier 2024 ;

condamner Mmes [J] et [T] [F], sous la même solidarité, à leur payer la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

condamner les mêmes aux entiers dépens.

Les défenderesses indiquent que Mme [K] [D] a fait donation de la nue-propriété de la maison en cause à sa fille, Mme [Z] [D], et en a conservé l’usufruit et le soin de gérer la location consentie à Mmes [F].

Mmes [D] exposent que par jugement du 11 juin 2024, un juge de l’exécution a accordé à Mmes [F] un délai supplémentaire de six mois pour quitter le logement, à la condition du paiement de l’indemnité d’occupation courant à hauteur de 680 euros mensuels, de sorte qu’elles disposaient d’un délai expirant le 18 décembre 2024 et qu’elles bénéficient désormais de la trêve hivernale jusqu’au 31 mars 2025. Ainsi, elles ont bénéficié en pratique d’un délai de neuf mois et demi. Mmes [D] rappellent qu’elles ont saisi le juge des contentieux de la protection d’une demande de résiliation en raison d’une dette locative au mois de septembre 2022 et que le juge de première instance n’a pu rendre son jugement que le 25 janvier 2024, Mmes [F] s’étant évertuées tout au long de la procédure à solliciter de multiples renvois ou à conclure en toute dernière minute. Elles ajoutent que Mmes [F] ne sollicitaient que des délais de paiement devant le juge des contentieux de la protection et devant le juge de l’exécution et qu’il n’était alors aucunement question d’une demande de délai pour quitter les lieux.

Mmes [D] indiquent que si Mmes [F] ont repris aujourd’hui le versement complet du montant de l’indemnité d’occupation, depuis le mois de juillet 2024 seulement, c’est parce que le juge de l’exécution en avait fait une condition indispensable pour bénéficier des six mois supplémentaires octroyés pour quitter le logement et qu’auparavant, elles ne réglaient mensuellement qu’une somme de 415 euros pour une indemnité fixée à 680 euros par le tribunal. Elles ajoutent que Mmes [D] ne démontrent pas avoir saisi la CAF d’un recours quelconque pour voir leurs droits rétablis.

Mmes [D] indiquent qu’au 6 mai 2024, l’arriéré locatif s’élevait à la somme de 4.436 euros. Elles considèrent qu’il s’infère de l’ensemble de ces éléments des manquements graves aux obligations du bail qui justifient que soit confirmée la décision de résiliation.

S’agissant de la condition tenant aux conséquences manifestement excessives, Mmes [D] indiquent que Mmes [F] n’ont pas fait valoir d’observations sur l’exécution provisoire attachée de plein droit à la décision à intervenir et elles ajoutent que l’expulsion d’un locataire est la conséquence logique d’un jugement de résiliation du bail, celle-ci étant une conséquence d’autant moins excessive que Mmes [F] avaient obtenu des délais supplémentaires du juge de l’exécution. Par ailleurs, en disposant d’une pension de 1.600 euros d’AAH pour Mme [J] [F] et d’une retraite de 1.048 euros pour sa mère, alors qu’elles n’ont toutes deux pas d’enfants à charge, les demanderesses ne sont pas, selon Mmes [D], face à des conséquences manifestement excessives. Elles ajoutent que Mme [K] [D] aura prochainement 85 ans et qu’elle doit faire face à de multiples procédures de la part de ses locataires, outre le fait que tout dernièrement encore, au mois d’avril 2024, elle a reçu un courrier de Mmes [F] pour se plaindre de nouveau, cette fois du fonctionnement de la chaudière.

Lors de l’audience du 5 mars 2025, compte-tenu de ce que le dernier arrêté locatif produit, en l’occurrence par Mmes [D], date du mois de mai 2024, cet arrêté faisant état d’une somme due de 4.336 euros, et compte-tenu également de l’indication par Mmes [F] de ce qu’elles ont quasiment totalement apuré l’arriéré locatif, les parties se sont vues accorder l’autorisation de produire une note en délibéré sous huitaine afin de donner à la juridiction de céans une indication plus récente du montant de l’arriéré locatif.

Par note en délibéré du 7 mars 2025, Mmes [D] exposent que depuis le mois de mai 2024, les demanderesses ont réglé la somme de 450 euros, sur les 680 dus, au titre du mois de juin 2024 et que depuis lors, elles ont repris le montant de l’indemnité d’occupation pour son montant intégral, soit la somme de 680 euros par mois. Cependant, elles indiquent dans cette note en délibéré que l’arriéré locatif s’élève désormais à la somme de 4.928,65 euros (ce qui ne correspond pourtant pas au montant de l’arriéré locatif dû au mois de mai 2024 auquel seraient ajoutés les 230 euros manquants du mois de juin 2024).

Par note en délibéré du 7 mars 2025 également, Mmes [F] produisent elles-même un tableau récapitulatif dont il ressort que l’arriéré locatif au mois de février 2025 serait de 4.154 euros. Elles indiquent que le décompte de Mmes [D] est erroné sur les points suivants :

au mois de décembre 2022, c’est un versement de 442 euros, et non pas de 265 euros, qui a été effectué par la CAF ;

au mois de février 2023, un versement de 300 euros par la Fondation Saint-Vincent de Paul n’a pas été pris en compte ;

pour le calcul des charges, sur les années de 2018 à 2023, il existe un trop-perçu de 270,20 euros.

PAR CES MOTIFS

Rejette la demande d’arrêt de l’exécution provisoire formée par Mmes [F] ;

Condamne Mmes [F] aux dépens ;

Rejette la demande formée par Mmes [D] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


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