Cour d’appel de Rennes, 25 mars 2025, RG n° 24/02304
Cour d’appel de Rennes, 25 mars 2025, RG n° 24/02304

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Rennes

Thématique : Qualité à agir et droit de retrait : enjeux de la cession de créances dans le recouvrement.

Résumé

Dans cette affaire, un couple d’emprunteurs a acquis un bien immobilier en 2007, financé par un crédit immobilier auprès d’une banque. Ce crédit a été remboursé de manière irrégulière à partir de 2015, et est resté totalement impayé depuis 2018. En conséquence, la banque a délivré plusieurs commandements de payer, entraînant la saisie du bien immobilier en 2021.

La banque a ensuite cédé sa créance à un fonds de titrisation, qui a désigné une société de recouvrement pour agir en son nom. Les emprunteurs ont contesté la validité de cette cession, invoquant leur droit de retrait en vertu de l’article 1699 du code civil, et ont demandé des éléments pour évaluer ce droit. Le juge de l’exécution a ordonné la production de documents pour établir la légitimité de la créance cédée.

Au cours des audiences, la société de recouvrement n’a pas fourni les pièces demandées, ce qui a conduit le juge à déclarer ses demandes irrecevables. Les emprunteurs ont interjeté appel, soutenant que la société n’avait pas prouvé sa qualité de créancier. En réponse, la société a affirmé que la cession était valide et que les créances étaient individualisées.

Le tribunal a finalement jugé que le droit de retrait était applicable, car les emprunteurs avaient contesté la créance et qu’un procès était en cours au moment de la cession. Le tribunal a déterminé la valeur de la créance cédée et a ordonné le paiement de cette somme par les emprunteurs, rendant ainsi la procédure de saisie immobilière sans objet. Les dépens ont été répartis entre les parties, chacune supportant ses propres frais.

1ère Chambre B

ARRÊT N°

N° RG 24/02304

N° Portalis

DBVL-V-B7I-UWLI

(Réf 1ère instance : 21/00034)

SAS EOS FRANCE

C/

Mme [H] [M] épouse [N]

M. [P] [N]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 25 MARS 2025

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Président : Madame Véronique VEILLARD, présidente de chambre

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, président de chambre

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, conseillère

GREFFIER

Madame Morgane LIZEE lors des débats et Madame Elise BEZIER lors du prononcé,

DÉBATS

A l’audience publique du 7 octobre 2024, devant Madame Véronique VEILLARD, magistrate rapporteur, tenant seule l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT

Contradictoire, prononcé publiquement le 25 mars 2025 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré initialement prévu le 3 décembre 2024

APPELANTE

S.AS EOS FRANCE, immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 488.825.217, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,agissant en vertu d’une lettre de désignation en date du 17.01.2022 en qualité de représentant-recouvreur du Fonds Commun de Titrisation FONCRED V, représenté par la Société FRANCE TITRISATION, SAS immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 353.053.531, le fonds commun de Titrisation FONCRED V représenté par la Société France TITRISATION venant aux droits de la Société Générale, SA enregistrée au RCS de PARIS sous le numéro 552.120.222 suivant acte de cession de créances en date du 3 août 2022

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Hélène DAOULAS de la SELARL DAOULAS-HERVE ET ASS., avocat au barreau de QUIMPER

INTIMÉS

Madame [H] [M] épouse [N]

née le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Monsieur [P] [N]

né le [Date naissance 3] 1956 à [Localité 8]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Tous deux représentés par Me Maud MULOT de la SELARL SELARL MAUD MULOT, avocat au barreau de QUIMPER

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. Suivant acte notarié du 17 novembre 2007 au rapport de maître [G] [X], notaire associé à [Localité 9], M. et Mme [N] ont fait l’acquisition au prix de 200.000 € d’un bien immobilier situé [Adresse 5], financé par un crédit immobilier incluant les frais de vente et souscrit à la Société Générale pour un montant total de 220.000 €.

2. Une inscription de privilège de prêteur de deniers et une inscription d’hypothèque conventionnelle rechargeable ont été publiées et enregistrées le 12 décembre 2007 au Service de la Publicité Foncière de [Localité 10] sous les volumes n° 2904P01 2007V3204 et 2904P01 2007V3205.

3. L’emprunt a été irrégulièrement remboursé à compter de septembre 2015 et est demeuré totalement impayé depuis avril 2018. La Société Générale a délivré différents commandements de payer les 16 avril 2018, 27 février 2020, 3 mars 2020 et 26 novembre 2021.

4. La créance de l’établissement bancaire s’établissait à 258.464.17 € au 26 janvier 2021.

5. Suivant commandement du 25 mai 2021 délivré par la Selarl Lexis, huissier de justice à [Localité 6], publié au Service de la Publicité Foncière de [Localité 10] 1 le 7 juin 2021 volume 2021 S n° 37, la Société Générale a fait procéder à la saisie de ce bien immobilier.

6. Par acte du 28 juin 2021, un procès-verbal de description a été dressé par maître [L], huissier de justice à [Localité 11].

7. Par acte du 27 juillet 2021, la Société Générale a fait assigner M. et Mme [N] à l’audience d’orientation.

8. Le cahier des conditions de vente a été déposé le 29 juillet 2021.

9. Après l’initiation de cette procédure, la Société Générale a, suivant acte de cession de créance du 3 août 2022, cédé au Fonds Commun de Titrisation Foncred V (ci-après le FCT Foncred V) un ensemble de créances dont celle qu’elle détenait à l’encontre de M. et Mme [N].

10. La SAS Eos France, agissant pour le compte du FCT Foncred V en vertu d’une lettre du 17 janvier 2022 la désignant représentant- recouvreur, est intervenue à la procédure par conclusions régularisées devant le juge de l’exécution.

11. M. et Mme [N] ont fait valoir le droit de retrait litigieux de l’article 1699 du code civil et ont sollicité à cet effet la communication par le cessionnaire de tous éléments permettant de procéder à l’évaluation dudit droit ou, à défaut, d’évaluer les frais et loyaux coûts que le retrayé aurait exposés par ailleurs.

12. Par jugement en date du 29 mars 2023, le juge de l’exécution a ordonné la réouverture des débats afin que soit produits par la société Eos France en sa qualité de représentant-recouvreur ‘notamment tous éléments mentionnant le prix auquel a été consentie la cession du 3 août 2022 et les éventuelles modalités statistiques utilisées pour le fixer et le cas échéant le montant des créances cédées.’

13. Le juge de l’exécution a retenu d’une part que la juridiction saisie d’une demande de retrait litigieux avait l’obligation d’apprécier si le prix d’une créance cédée dans un ensemble était ou non déterminable en fonction des éléments d’appréciation précis et concrets produits par les parties (Cass. com., 31 janv. 2012, Cass. com., 20 avr. 2017), ce d’autant que la communication du prix de la créance était sollicitée par les débiteurs.

14. L’affaire est revenue à l’audience du 6 septembre 2023 à l’issue de laquelle, par jugement du 15 novembre 2023, le juge de l’exécution décidait d’une nouvelle réouverture des débats à l’audience du 20 décembre 2023 afin que la SAS Eos France produise :

– l’annexe de l’acte de cession de créance conclue entre la Société Générale et le FCT Foncred V représenté par France Titrisation, dans lequel figurent ‘les créances composant le portefeuille’ dans lequel celles-ci sont désignées et individualisées, ainsi que tout élément justifiant qu’elle était bien titulaire de la créance en question,

– étant rappelé qu’était toujours en cours l’injonction contre la société Eos France d’avoir à produire tous éléments mentionnant le prix auquel avait été consentie la cession du 3 août 2022 et les éventuelles modalités statistiques utilisées pour le fixer et le cas échéant le montant des créances cédées.

15. A l’audience du 20 décembre 2023, la société Eos France, comparante, a fait connaître qu’elle ne produirait pas les pièces visant à déterminer le prix auquel elle avait acquis la créance.

16. Par jugement du 13 mars 2024, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Quimper a :

– déclaré irrecevables les demandes formulées par la société Eos France, agissant en qualité de représentant recouvreur du FCT Foncred V représenté par la société France Titrisation,

– condamné la société Eos France à payer à M. et Mme [N] la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Eos France au paiement des dépens, dont distraction au profit de maître Mulot.

17. Pour statuer ainsi, le juge de l’exécution a considéré, au visa des articles 31 du code de procédure civile et L. 311-2 du code des procédures civiles d’exécution, que l’acte de cession de créances et son tableau libellé en langue anglaise non traduite et dont les lignes étaient caviardées informatiquement, parmi lesquelles figurait de manière lisible le nom des époux [N] précédé d’un numéro composé d’une série de chiffres, n’étaient pas suffisants pour établir la qualité de créancier de FCT Foncred V, et donc d’Eos France en qualité de représentant-recouvreur, que la longue série de chiffres précédant le nom des époux [N] dans l’extrait de tableau correspondait au numéro de contrat de prêt qui n’apparaissait toutefois pas dans l’acte de cession de créance ou dans l’annexe jointe, qu’enfin, le numéro présent dans l’annexe, à savoir le 807013230078, était repris dans des correspondances adressées les 3 octobre 2017 et 31 janvier 2018 au défendeur sans qu’on sache à la lecture desdits courriers qui en était le rédacteur puisque le nom du créancier n’y apparaissait pas, de sorte qu’il s’évinçait de l’ensemble de ces considérations qu’il n’existait aucun élément permettant de s’assurer que le FCT Foncred V était bien le créancier de M. et Mme [N] et que, faute de justifier d’une qualité à agir, il convenait de déclarer irrecevables les demandes présentées par la société Eos France, représentant-recouvreur du FCT Foncred V, et de dire que, consécutivement à cette irrecevabilité, il n’y avait pas lieu à statuer sur la demande de retrait litigieux formée par les défendeurs ainsi que sur les demandes formées à titre subsidiaire.

18. La SAS Eos France a interjeté appel par déclaration du 16 avril 2024 de l’ensemble des chefs de jugement.

19. M. et Mme [N] ont interjeté appel incident du rejet de leurs demandes de communication des éléments permettant d’évaluer leur droit de retrait, de caducité, nullité ou radiation du commandement de payer valant saisie et de déchéance du droit aux intérêts.

20. Par ordonnance du 24 avril 2024, la SAS Eos France a été autorisée à assigner à jour fixe à l’audience du 7 octobre 2024, à laquelle l’affaire a été examinée et mise en délibéré prorogé au 25 mars 2025.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

21. La SAS Eos France expose ses prétentions et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 25 septembre 2024 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

– la juger recevable et bien fondée en son appel,

– en conséquence,

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

– statuant à nouveau,

– la juger recevable en ses demandes,

– à titre liminaire, sur le droit de retrait, débouter M. et Mme [N] de leur demande de production de ‘tout élément permettant de procéder à l’évaluation du droit de retrait’,

– les débouter de leur demande de caducité du commandement de saisie immobilière du 25 mai 2021,

– juger qu’il est conforme à l’article R 321-3-3° du code de procédures civiles d’exécution,

– juger que le commandement de payer du 3 mars 2020 est régulier et interruptif de forclusion,

– juger que la créance litigieuse n’est pas forclose,

– juger qu’il a été prononcé une déchéance du terme opposable aux débiteurs,

– constater que le créancier poursuivant, titulaire de créances liquides et exigibles, agit en vertu de titres exécutoires conformes,

– débouter en conséquence M. et Mme [N] de leur demande de radiation du commandement de payer valant saisi immobilière du 25 mai 2021,

– juger prescrite la demande de déchéance du droit aux intérêts résultant de la contestation de l’offre de prêt,

– juger cette demande mal fondée en son principe,

– sur la saisie, fixer à 289.659,02 € au 25 octobre 2023 sauf mémoire le montant de la créance détenue par la société Eos France au titre du prêt formalisé par acte authentique du 17 novembre 2007,

– constater que la saisie pratiquée porte sur des droits saisissables,

– statuer sur les éventuelles contestations et demandes incidentes,

– mentionner le montant de la créance du créancier poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires au jour du jugement (sic) à intervenir,

– déterminer les modalités de poursuite de la procédure,

– en cas de vente forcée de l’immeuble,

– fixer la date de l’audience au cours de laquelle la vente de l’immeuble saisi pourra être sollicitée sur la mise à prix de 95.000 € avec enchères par tranche de 1.000 €,

– fixer la créance à 289.659,02 € sauf mémoire au 25 octobre 2023,

– désigner l’étude d’huissiers [L], huissier de justice à [Localité 11], pour assurer la visite des biens saisis,

– dire que l’huissier pourra se faire assister, si besoin est, de deux témoins, d’un serrurier et de la force publique et d’un expert le cas échéant pour actualiser les diagnostics,

– ordonner l’emploi des dépens en frais privilégiés de vente,

– dans l’hypothèse où la vente amiable serait autorisée,

– fixer le montant du prix en deçà duquel l’immeuble ne peut être vendu,

– ordonner l’emploi des dépens en frais privilégiés de vente,

– taxer les frais de poursuites de la Selarl Daoulas Hervé (Lexajuris),

– dire que dans le cas de la vente amiable, les émoluments de vente seront partagés par moitié entre l’officier ministériel recevant l’acte et l’avocat ayant rédigé et déposé le cahier des conditions de vente, en application de l’article 37b du décret 60-323 du 2 avril 1960 relatif au tarif de la postulation,

– fixer la date de l’audience à laquelle l’affaire sera rappelée pour constater la réalisation de la vente, dans un délai qui ne peut excéder quatre mois,

– en tout état de cause,

– débouter les intimés de toute demande plus ample ou contraire,

– condamner M. et Mme [N] à lui payer une somme de 3.000 € au titre de frais irrépétibles engagés devant la cour,

– juger que les dépens seront passés en frais privilégiés de vente.

22. M. et Mme [N] exposent leurs prétentions et moyens dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 6 octobre 2024 aux termes desquelles ils demandent à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré les demandes de Eos France irrecevables,

– les accueillir en leur appel incident et y faisant droit,

– enjoindre à Eos France de fournir tous éléments permettant de procéder à l’évaluation du droit de retrait,

– à défaut, juger que les conditions des articles L.311-2, L.311-4 et L.311-6 ne sont pas réunies et prononcer la caducité du commandement de saisie immobilière,

– prononcer la prescription de l’action de Eos France,

– à titre subsidiaire,

– prononcer la nullité du commandement de saisie,

– à titre encore plus subsidiaire,

– prononcer la caducité du commandement de saisie,

– ordonner la radiation de ce commandement à la Publicité Foncière,

– à titre plus subsidiaire encore,

– prononcer la déchéance du droit aux intérêts,

– en tout état de cause

– condamner Eos France à leur payer la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Eos France aux dépens dont distraction au profit de maître Mulot.

 


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