Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Reims
Thématique : Indemnisation et détention provisoire : limites et conditions.
→ RésuméUn demandeur, né en 1995 et de nationalité française, a sollicité une indemnisation pour les préjudices subis lors d’une détention provisoire. Il a été incarcéré le 10 septembre 2023 à la suite d’une comparution immédiate pour des faits de violence sur son concubin et d’usage de produits stupéfiants. Après avoir demandé un délai pour préparer sa défense, il a été condamné le 16 octobre 2023 à 20 mois d’emprisonnement, dont 8 mois avec sursis, tout en restant en détention. Le 14 février 2024, il a été relaxé des accusations de violence, mais condamné à une amende pour usage de stupéfiants. La durée de sa détention, de 154 jours, a été contestée par le demandeur, qui a estimé avoir subi un préjudice moral de 15 000 euros et un préjudice matériel de 79 051,20 euros, en raison de la perte de salaire et de l’absence de cotisation retraite.
L’agent judiciaire de l’État, en tant que défendeur, a contesté la recevabilité de la requête, arguant que la durée de détention était conforme à la peine encourue pour l’infraction d’usage de stupéfiants, qui ne justifiait pas d’indemnisation. Il a également souligné que la jurisprudence stipule que seul le préjudice excédant la durée maximale de détention pour l’infraction retenue est indemnisable. La procureure générale a soutenu cette position, affirmant que la détention subie était compatible avec la peine prononcée. En délibérant, le tribunal a jugé la requête irrecevable, précisant que la détention du demandeur était conforme aux dispositions légales en vigueur. Ainsi, la demande d’indemnisation a été rejetée, et le demandeur a été condamné aux dépens. |
DECISION N°
DOSSIER N° : N° RG 24/00077 – N° Portalis DBVQ-V-B7I-FQZ6-16
[Y] [X]
c/
MINISTERE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES ( AJE )
MADAME LA PROCUREURE GENERALE
Expédition certifiée conforme revêtue de la formule exécutoire
délivrée le
à
Me Estelle FALLET
Me Edouard COLSON
DECISION PREVUE PAR L’ARTICLE 149-1
DU CODE DE PROCEDURE PENALE
L’AN DEUX MIL VINGT CINQ,
Et le 3 avril,
Nous, Alexandra PETIT, conseillère en charge du Secrétariat général du premier Président, faisant fonction de premier Président, en présence de Madame Dominique LAURENS, procureure générale près la cour d’appel de REIMS, assistée de Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier, qui a signé la minute avec le premier président
A la requête de :
Monsieur [Y] [X]
né le [Date naissance 1] 1995 à [Localité 7]
de nationalité Française
Cher Monsieur [Z] [J]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Me Estelle FALLET, avocat au barreau de REIMS, substituée par Me LABCIR avocat au barreau de REIMS
DEMANDEUR
et
MINISTERE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES ( AJE )
Direction des Affaires Juridiques
Sous-direction du Dt privé [Adresse 6]
[Localité 5]
représenté par Me Edouard COLSON, avocat au barreau de REIMS
MADAME LA PROCUREURE GENERALE
[Adresse 2]
[Localité 4]
Comparante
DÉFENDEURS
A l’audience publique du 13 février 2025, où l’affaire a été mise en délibéré au 3 avril 2025, statuant sur requête de [Y] [X], représenté par Me LABCIR a été entendue en ses demandes,
Me Edouard COLSON avocat de l’Agent judiciaire de l’état a été entendu en sa plaidoirie,
Madame la procureure générale a été entendue en ses observations ;
Me LABCIR a eu la parole en dernier
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par requête déposée le 25 juillet 2024, M. [Y] [X] a sollicité l’indemnisation de préjudices résultant d’une détention provisoire.
Il expose qu’il a été déféré, dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate, devant le juge délégué le 10 septembre 2023 pour des faits de violence sans incapacité sur concubin et usage de produits stupéfiants et incarcéré, après qu’il ait demandé un délai pour préparer sa défense, jusqu’à l’audience au fond tenue le 16 octobre 2023. A cette date, il indique qu’il a été condamné à la peine de 20 mois d’emprisonnement dont 8 assortis d’un sursis probatoire pendant deux ans, avec maintien en détention.
Il ajoute qu’il a interjeté appel de ce jugement et que par arrêt du 14 février 2024, la chambre des appels correctionnels l’a relaxé pour les faits de violences sans incapacité sur concubin, mais condamné à une amende de 300 euros pour les faits d’usage de produits stupéfiants, décision aujourd’hui définitive.
Il indique que la durée de la détention endurée à tort, entre le 10 septembre 2023 et le 14 février 2024, est de 154 jours.
Il estime avoir subi un préjudice moral, estimé à 15 000 euros, résultant,
– Du choc carcéral, même s’il avait déjà été incarcéré auparavant,
– Du sentiment d’injustice face à des propos mensongers le mettant en cause,
– De l’impossibilité de voir sa fille de 7 ans pendant son incarcération,
– Des conditions de détention difficiles en lien avec une surpopulation carcérale,
– De l’impossibilité de poursuivre son travail et les liens avec ses collègues.
Au titre du préjudice matériel, il demande la somme de 79 051,20 euros au titre de la perte de salaire et la somme de 5 000 euros au titre de l’absence de cotisation retraite.
Il expose qu’il percevait avant son incarcération un salaire de 1413 euros par mois, salaire qu’il n’a pas perçu pendant son incarcération, d’où un manque à gagner de 7494 euros. Il ajoute qu’à sa sortie de détention, il n’a retrouvé qu’un emploi à temps partiel avec un salaire de 1232,30 euros par mois, d’où une perte annuelle de 2168,40 euros. Il estime que la retraite étant fixée à 62 ans la perte s’élève à la somme globale de 71 557,20 euros.
Il demande en outre la somme de 5000 euros correspondant au fait qu’il n’a pu travailler pendant un trimestre et demi et subira un préjudice du fait de cette absence de cotisation.
Il demande également la condamnation de l’agent judiciaire de l’Etat à lui verser la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’agent judiciaire de l’Etat conclut à titre principal à l’irrecevabilité de la requête. Subsidiairement, au fond, si la requête était déclarée recevable, il demande que le préjudice moral soit ramené à la somme de 10 000 euros au regard des éléments produits concernant la personnalité de M. [X] et les conditions de détention. Il demande que le préjudice matériel soit fixé à la somme de 7300,50 euros correspondant aux pertes de salaire net subies pendant l’incarcération et le rejet de toutes les autres demandes.
Il expose que, selon une jurisprudence constante, seul est indemnisable le préjudice résultant de la durée de la détention provisoire supérieure à celle autorisée pour l’infraction ayant donné lieu à l’infraction.
Il relève, pour écarter les arguments selon lesquels l’usage de produits stupéfiants, n’aurait pas seul conduit à une décision d’incarcération que la jurisprudence indique qu’il n’appartient pas au premier président d’interpréter une décision de placement en détention provisoire, ni de s’interroger sur la probabilité d’un tel placement dans l’hypothèse où seule une partie des faits est retenue au stade de la culpabilité.
Il précise que pour les faits d’usage de produits stupéfiants le code de la santé publique prévoit une peine d’un an d’emprisonnement et ajoute que l’article 145-1 du code de procédure pénale dispose qu’en matière correctionnelle, la détention provisoire ne peut excéder 4 mois, sauf si la personne poursuivie a déjà été condamnée à une peine sans sursis supérieure à un an, ce qui est le cas en l’espèce, le casier judiciaire de M. [X] laissant apparaître plusieurs condamnations supérieures à ce quantum.
Il signale enfin que l’article 143-1 du code de procédure pénale, invoqué par M. [X], n’est pas applicable en l’espèce, la procédure ayant été engagée dans le cadre d’une comparution immédiate.
Il conclut que l’infraction pour laquelle M. [X] a été incarcéré pour une durée de 154 jours, inférieure à la durée d’un an qui constituait le maximum de détention provisoire possible pour les faits pour lesquels il a finalement été reconnu coupable et condamné, de sorte qu’aucune indemnisation n’est possible, la requête étant irrecevable.
Mme la Procureure générale conclut dans le même sens et pour les mêmes raisons que l’agent judiciaire de l’Etat à l’irrecevabilité de la demande. Elle relève que M. [X] a été déclaré coupable de faits d’usage de produits stupéfiants et que la durée de détention provisoire subie pour ces faits est compatible avec celle effectivement purgée.
Par observations complémentaires et à l’audience, M. [X] conteste l’analyse de l’AJE et de la procureure générale quant à l’irrecevabilité de sa demande.
Il rappelle que la jurisprudence s’attache, en cas de poursuites pour plusieurs infractions et de condamnation pour seulement une partie d’entre eux à contrôler la compatibilité entre la ou les infractions ayant donné lieu à condamnation et la détention provisoire et souligne que dans cette hypothèse la détention provisoire subie n’est indemnisable qu’autant qu’elle excède la durée maximale de la détention provisoire que la Loi autorise pour l’infraction retenue, sauf s’il ressort des décisions successives de détention qu’elles ont entendu exclure l’infraction ayant donné lieu à condamnation de leur motivation.
Elle signale que la procédure de comparution immédiate n’a été choisie qu’en raison de la poursuite pour des faits de violences conjugales et qu’elle ne l’aurait jamais été pour les seuls faits d’usage de produits stupéfiants. Elle ajoute que l’infraction d’usage de produits stupéfiants est punie d’une peine d’un an d’emprisonnement et que l’article 143-1 du code de procédure pénale ne permet une détention provisoire que pour les faits punis de 3 ans d’emprisonnement. Elle signale enfin que toutes les décisions en matière de détention sont motivées au regard des faits de violences conjugales ayant donné lieu à relaxe.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
Déclarons irrecevable la requête déposée par M. [Y] [X]
Le condamnons aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé par Alexandra PETIT, conseillère en charge du Secrétariat général du premier Président, faisant fonction de premier Président le 3 avril 2025, en présence de Madame la Procureure générale et du greffier.
Le greffier La conseillère
Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?