Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Reims
Thématique : Responsabilités contractuelles et obligations du bailleur : enjeux de la mise à disposition des locaux commerciaux.
→ RésuméDans cette affaire, un dirigeant d’entreprise exerçant dans la fabrication et la commercialisation de billards a conclu un bail dérogatoire avec un bailleur pour un entrepôt commercial. Le bail, initialement d’une durée de 24 mois, a été tacitement reconduit au-delà de sa date d’échéance. En novembre 2018, le locataire a signalé au mandataire de gestion du bailleur que les rideaux métalliques de l’entrepôt n’étaient pas réparés, ce qui l’empêchait d’exercer son activité. Malgré plusieurs relances, les réparations n’ont pas été effectuées dans un délai raisonnable, entraînant un préjudice financier pour le locataire.
En août 2019, le bailleur a assigné le locataire en paiement des arriérés de loyers. Le tribunal a débouté les deux parties de leurs demandes en référé. Par la suite, le locataire a donné congé pour départ à la retraite, et le tribunal a constaté la résiliation du bail, ordonnant son expulsion et condamnant le locataire à verser une indemnité d’occupation. En juillet 2020, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte au bénéfice du locataire. Le bailleur a déclaré une créance privilégiée pour des arriérés de loyers. Le locataire a ensuite assigné le bailleur en dommages et intérêts. Le tribunal a rejeté les demandes du locataire, confirmant que le bailleur n’avait pas manqué à ses obligations de délivrance et d’entretien des lieux. En appel, le bailleur a demandé la confirmation du jugement, tandis que le locataire a contesté cette décision, demandant des dommages et intérêts pour procédure abusive. La cour a finalement confirmé le jugement de première instance, déboutant le locataire de ses demandes et condamnant ce dernier aux dépens. |
ARRET N°
du 25 mars 2025
N° RG 24/00473
N° Portalis DBVQ-V-B7I-FO5L
[I] [Z]
c/
[J] [M]
EN PRESENCE DE :
SELARL BRUNO RAULET, commissaire à l’exécution du plan de M. [I]
Formule exécutoire le :
à :
la SELARL FOSSIER NOURDIN
Me Antoine GINESTRA
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 25 MARS 2025
APPELANT :
d’un jugement rendu le 20 février 2024 par le tribunal judiciaire de REIMS,
Monsieur [Z] [I], né le 21 janvier 1948, à [Localité 5] (MARNE), de nationalité française, retraité et auto-entrepreneur inscrit au Registre du commerce et des sociétés de REIMS sous le numéro304.820.160, bénéficiant d’un plan de redressement d’une durée de 7 ans selon jugement rendu par le tribunal de commerce de REIMS le 28 septembre 2021, demeurant :
[Adresse 2]
[Localité 5],
Représenté par Me Chéryl FOSSIER-VOGT, avocat au barreau de REIMS (SELARL FOSSIER NOURDIN),
INTIME :
Monsieur [M] [J], né le 6 janvier 1978, à [Localité 5] (MARNE), de nationalité française, demeurant
[Adresse 4]
[Localité 5],
Représenté par Me Antoine GINESTRA, avocat au barreau de REIMS,
EN PRESENCE DE :
La société BRUNO RAULET, ès qualité de commissaire à l’exécution du plan de Monsieur [Z] [I], fonctions auxquelles elle a été désignée par jugement du tribunal de commerce de REIMS du 7 juillet 2020, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié de droit au siège :
[Adresse 3]
[Localité 5]’
Représenté par Me Chéryl FOSSIER-VOGT, avocat au barreau de REIMS (SELARL FOSSIER NOURDIN),
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
Madame PILON, conseillère, et Madame POZZO DI BORGO, conseillère, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées. Elles en ont rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre,
Madame Sandrine PILON, conseillère,
Madame Anne POZZO DI BORGO, conseillère,
GREFFIER :
Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier lors des débats,
et Madame Jocelyne DRAPIER, greffier lors de la mise à disposition,
DEBATS :
A l’audience publique du 11 février 2025, où l’affaire a été mise en délibéré au 25 mars 2025,
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 25 mars 2025 et signé par Madame Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre, et Madame Jocelyne DRAPIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSE DU LITIGE :
M. [Z] [I] exerce une activité spécialisée dans la fabrication, la commercialisation et la restauration de billards.
Selon bail dérogatoire au statut des baux commerciaux sous seing privé du 28 octobre 2014, M. [M] [J] a donné en location à M. [I] un entrepôt à usage commercial et industriel, d’une surface de 163 m², et destiné exclusivement à l’usage de menuiserie, situé [Adresse 1] à [Localité 5] (Marne), avec deux emplacements de parking, pour une durée renouvelable de 24 mois et moyennant un loyer mensuel hors taxe de 690 euros.
Le bail s’est poursuivi tacitement entre les parties au-delà de la date de fin initialement fixée au 27 octobre 2016.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 novembre 2018 adressée à la société Richomme et associés, mandataire de gestion de M. [J], et distribuée le 5 décembre suivant, M. [I] a indiqué, à la suite des avis d’échéance de novembre et décembre 2018, que ses deux rideaux métalliques permettant l’accès au local commercial n’étaient toujours pas réparés et que de ce fait, il ne pouvait exercer son activité et a demandé au bailleur de prendre les dispositions nécessaires.
Après deux courriels des 4 et 6 avril 2019, par courrier daté du 9 avril 2019 adressé à cette même société Richomme, M. [I] a fait valoir qu’au regard des réparations effectuées par M. [J] les 2 et 3 avril 2019, il n’avait pu pénétrer dans son local que le 8 avril 2019 et que les locaux avaient été inaccessibles durant plus de 5 mois, lui occasionnant un préjudice important lié à une absence de chiffre d’affaires. Il a demandé un arrangement amiable consistant en une indemnisation des loyers échus depuis novembre 2018 et des loyers à échoir pour une période identique de 5 mois.
Par exploit du 1er août 2019, M. [J] a fait assigner M. [I] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Reims en paiement des arriérés de loyers et charges d’un montant de 9 216,72 euros, arrêté à août 2019.
Il a, par la suite, interjeté appel de l’ordonnance de référé rendue le 13 novembre 2019 qui a débouté les parties de toutes leurs demandes.
Dans l’intervalle, par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 28 août 2019, M. [I] a donné congé pour cause de départ en retraite invoquant un délai de préavis de six mois au visa de l’article L.145 du code de commerce.
Par arrêt du 26 mai 2020, cette cour a notamment :
– infirmé l’ordonnance de référé du 13 novembre 2019, sauf en ce qu’elle a débouté M. [I] de ses demandes reconventionnelles en dommages et intérêts,
– condamné M. [I] à verser à M. [J] une provision à hauteur de 14 316,56 euros, avec intérêts légaux,
– constaté la résiliation du bail à l’initiative de M. [I] pour cause de départ en retraite au 28 février 2020 et ordonné son expulsion,
– condamné M. [I] à verser à M. [J] une indemnité d’occupation égale au montant du loyer, charges et taxes jusqu’à la libération effective.
Par jugement du 7 juillet 2020, le tribunal de commerce de Reims a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de M. [I] et désigné la SELARL Bruno Raulet en qualité de mandataire judiciaire.
Le 15 septembre 2020, M. [J] a déclaré sa créance à titre privilégié d’un montant total de 21 400,10 euros, comprenant les arrières de loyers et indemnités d’occupation jusque juillet 2020, les frais de procédure et d’exécution.
Par exploit du 8 octobre 2020, M. [I] a fait assigner M. [J] devant le tribunal judiciaire de Reims en paiement de dommages et intérêts à divers titres.
Par ordonnance du 24 septembre 2021, le juge commissaire du tribunal de commerce de Reims, statuant sur la contestation de la créance déclarée par M. [J], a prononcé le sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pendante devant le tribunal judiciaire de Reims.
Par exploit du 20 janvier 2023, M. [J] a fait assigner en intervention forcée la SELARL Bruno Raulet, ès qualités de commissaire à l’exécution du plan de M. [I].
Par ordonnance du 3 avril 2023, le juge de la mise en état a prononcé la jonction des deux procédures.
Par jugement du 20 février 2024, le tribunal judiciaire de Reims a :
– débouté M. [I] de l’intégralité de ses demandes,
– débouté la SELARL Raulet, ès qualités de commissaire à l’exécution du plan de M. [I], de sa demande de mise hors de cause,
– déclaré sans objet la demande de M. [J] tendant à la fixation de sa créance de 21 400,10 euros au passif de M. [I],
– condamné M. [I] à verser à M. [J] la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– condamné M. [I] et la SELARL Raulet, ès qualités de commissaire à l’exécution du plan, à verser à M. [J] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens sous le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– rappelé que le jugement est de plein droit exécutoire par provision.
Par déclaration du 22 mars 2024, M. [I] a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de leurs conclusions transmises par la voie électronique le 18 juin 2024, M. [I] et la SELARL Bruno Raulet, ès qualités de commissaire à l’exécution du plan de M. [I], partie intervenante, demandent à la cour de :
– infirmer le jugement, sauf en ce qu’il a déclaré sans objet la demande de M. [J] tendant à la fixation de sa créance de 21 400,10 euros au passif de M. [I],
statuant à nouveau,
– débouter M. [J] de l’ensemble de ses demandes,
– le condamner à payer à M. [I] la somme de 50 000 euros au titre du préjudice commercial,
– le condamner à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros au titre du préjudice moral,
sur les loyers,
– le condamner à payer à M. [I] la somme de 16 255,34 euros à titre de dommages et intérêts pour la période du bail commercial située entre le mois de mai 2017 et le mois d’octobre 2018,
– le condamner à payer à M. [I] la somme de 5 424,80 euros à titre de dommages et intérêts pour la période du bail commercial située entre le mois de novembre 2018 et le mois d’avril 2019,
– ordonner la compensation judiciaire entre la dette de loyers de M. [I] pour la période située entre le mois de novembre 2018 et le mois d’avril 2019 et la créance de dommages et intérêts d’un montant de 5424,80 euros pour la même période,
en tout état de cause,
– condamner M. [J] à payer à M. [I] au titre de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 3 000 euros pour les frais irrépétibles de première instance et celle de 3 000 euros pour ceux à hauteur d’appel ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel,
– condamner M. [J] à payer à la SELARL Bruno Raulet, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 2 000 euros pour les frais irrépétibles de première instance et celle de 2 000 euros pour ceux à hauteur d’appel ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.
Ils soutiennent que le jugement de redressement judiciaire ayant mis un terme à la procédure collective bénéficiant à M. [I], le commissaire à l’exécution du plan, une fois l’intéressé revenu in bonis, n’a plus aucune fonction de représentation dans les procédures en cours, de sorte que la SELARL Raulet devait être mise hors de cause dès la première instance.
Ils affirment que les dommages affectant les volets roulants sont suffisamment caractérisés, ont empêché l’usage normal du local, conformément à sa destination, et que le bailleur, tenu d’entretenir les rideaux en cause et de procéder à leur remplacement, a manqué à son obligation de délivrance conforme du bien loué en empêchant le locataire de pouvoir accéder aux lieux.
Ils font valoir que cette violation ouvre droit à indemnisation du préjudice tant moral qu’économique, en raison de la perte de chiffre d’affaires et des prestations de retraite subie, directement liée à cette faute,
Ils exposent enfin qu’aucun loyer n’est dû lorsque le bailleur méconnaît son obligation de délivrance et empêche l’exploitation du local commercial de sorte qu’il doit être condamné à lui restituer le montant des loyers perçus durant la période où il n’a pu exploiter son local dans des conditions normales, ce montant devant se compenser avec la somme qu’il reconnaît devoir au titre des loyers pour la période suivante.
Aux termes de ses conclusions transmises par la voie électronique le 18 septembre 2024, M. [J] demande à la cour de :
– juger M. [I], recevable mais mal fondé en son appel,
– le débouter de toutes ses demandes,
– juger que la SELARL Bruno Raulet n’étant pas partie dans le cadre de la procédure d’appel, toutes demandes formées en son nom sont à la fois irrecevables et subsidiairement mal fondées et juger qu’elles doivent être rejetées,
– confirmer le jugement,
– rejeter toutes les demandes adverses ou contraires,
– condamner M. [I] à lui verser une indemnité de 10 000 euros pour appel abusif et injustifié,
– le condamner à lui verser la somme de 7 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens sous le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Il soutient qu’aucun manquement à ses obligations légales ou conventionnelles n’est établi relevant que le locataire a pris les lieux, en l’état, en toute connaissance de cause et qu’il lui appartenait d’entretenir ceux-ci en bon état de réparation locative ce qu’il a échoué à faire concernant les volets métalliques. Il relève au surplus qu’il ne justifie pas d’une impossibilité totale d’exploiter les locaux du fait des défectuosités dont il se plaint.
Il affirme que les préjudices dont il demande la réparation ne sont justifiés par aucune pièce probante prouvant leur existence, leur quantum et leur lien de causalité avec les manquements imputés.
Il fait valoir enfin que M. [I] a abusé de son droit d’ester en justice à hauteur d’appel en lui causant un préjudice dont il doit être indemnisé.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 21 janvier 2025 et l’affaire a été renvoyée pour être plaidée à l’audience du 11 février 2025.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Déclare irrecevable l’intervention volontaire de la SELARL Bruno Raulet ;
Confirme le jugement querellé sauf en ce qu’il a condamné M. [Z] [I] à payer à M. [M] [J] la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de M. [M] [J] ;
Rejette la demande de dommages et intérêts pour appel abusif de M. [M] [J] ;
Condamne M. [Z] [I] aux dépens d’appel sous le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
Condamne M. [Z] [I] à payer à M. [M] [J] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [Z] [I] et la SELARL Bruno Raulet de leur demande formée à ce titre.
Le greffier, La présidente de chambre,
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