Cour d’appel de Poitiers, 14 janvier 2025, RG n° 23/00657
Cour d’appel de Poitiers, 14 janvier 2025, RG n° 23/00657

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Poitiers

Thématique : Responsabilité et garanties en matière de construction : enjeux d’assurance et préjudices immatériels

Résumé

Contexte de l’affaire

La SARL Drapeau Conception a été engagée par les époux [T] pour la maîtrise d’œuvre de la construction d’une maison en Vendée, avec un contrat signé le 4 février 2011. La réception des travaux a eu lieu le 15 octobre 2012. Les époux [T] ont ensuite signalé des désordres, notamment un bruit de vent excessif dans les chambres, et ont assigné la société Drapeau Construction ainsi que les entreprises responsables des menuiseries pour expertise.

Procédures judiciaires

Le tribunal de grande instance des Sables d’Olonne a ordonné une expertise par ordonnance de référé le 28 septembre 2015. Par la suite, la SARL Drapeau Conception a demandé que l’expertise soit étendue à AXA France Iard et à la MAAF, les assureurs concernés. Le rapport d’expertise a été déposé le 23 février 2018. En avril 2019, les époux [T] ont assigné plusieurs parties, dont Drapeau Construction et AXA France Iard, pour obtenir réparation de leurs préjudices.

Décisions du tribunal

Le jugement du 17 janvier 2023 a condamné plusieurs sociétés, dont Drapeau Conception et AXA France Iard, à indemniser les époux [T] pour divers préjudices liés aux désordres de construction. Les montants des condamnations ont varié selon les types de travaux nécessaires pour remédier aux problèmes identifiés. Le tribunal a également statué sur la responsabilité des assureurs et a rejeté certaines demandes de garantie.

Appel de la SMABTP

La société SMABTP a interjeté appel le 14 mars 2023, contestant la décision qui l’obligeait à garantir AXA France Iard pour la condamnation liée au préjudice de jouissance des époux [T]. SMABTP a soutenu qu’elle n’était pas l’assureur au moment de la réclamation, qui avait été formulée antérieurement à son contrat d’assurance.

Arguments des parties

La SMABTP a fait valoir que la réclamation des époux [T] datait de 2015, avant qu’elle ne devienne l’assureur de Drapeau Construction. AXA France Iard a, de son côté, soutenu qu’elle avait été l’assureur de Drapeau Construction jusqu’en 2013 et que la garantie devait s’appliquer. Les deux parties ont présenté des arguments juridiques concernant la nature de la réclamation et la responsabilité des assureurs.

Décision de la cour d’appel

La cour d’appel a infirmé le jugement de première instance concernant la garantie de la SMABTP, concluant que Drapeau Construction avait connaissance des faits dommageables au moment de la souscription de son contrat d’assurance avec SMABTP. La cour a également débouté AXA France Iard de ses demandes contre SMABTP et a condamné AXA à payer des frais irrépétibles à SMABTP.

Conséquences financières

La cour a ordonné qu’AXA France Iard supporte les dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’une indemnité pour frais irrépétibles en faveur de SMABTP. Les montants des condamnations et les intérêts ont également été précisés, avec des implications financières significatives pour AXA France Iard.

ARRET N°1

N° RG 23/00657 – N° Portalis DBV5-V-B7H-GYHK

S.A. SMABTP

C/

SARL DRAPEAU CONCEPTION

S.A. AXA FRANCE IARD

Loi n° 77-1468 du30/12/1977

Copie revêtue de la formule exécutoire

Le à

Le à

Le à

Copie gratuite délivrée

Le à

Le à

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 14 JANVIER 2025

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/00657 – N° Portalis DBV5-V-B7H-GYHK

Décision déférée à la Cour : jugement du 17 janvier 2023 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP des SABLES D’OLONNE.

APPELANTE :

S.A. SMABTP

[Adresse 4]

[Localité 3]

ayant pour avocat Me Grégoire TERTRAIS de la SELARL ATLANTIC JURIS, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON

INTIMEE :

S.A. AXA FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 6]

ayant pour avocat Me Marie-thérèse SIMON-WINTREBERT, avocat au barreau de POITIERS

PARTIE INTERVENANTE

SARL DRAPEAU CONCEPTION

[Adresse 1]

[Localité 5]

ayant pour avocat Me Henri-noël GALLET de la SCP GALLET-ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 07 Novembre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre qui a présenté son rapport

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Monsieur Philippe MAURY, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,

ARRÊT :

– Contradictoire

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ :

La SARL Drapeau Conception, alors assurée auprès de la compagnie AXA, s’est vu confier par les époux [T] selon contrat signé le 4 février 2011 la maîtrise d’oeuvre de la construction d’une maison sur un terrain leur appartenant à [Localité 7], en Vendée, dont la réception a été prononcée le 15 octobre 2012.

Déclarant déplorer des désordres tenant à un fort bruit de vent perceptible à l’intérieur de l’habitation dans les chambres donnant sur l’océan, M. et Mme [T] ont fait assigner aux fins d’expertise devant le juge des référés par actes des 23 et 25 juin 2015 la société Drapeau Construction et les entreprises ayant réalisé les menuiseries extérieures et les menuiseries intérieures.

Le président du tribunal de grande instance des Sables d’Olonne a fait droit à cette demande par ordonnance de référé du 28 septembre 2015 commettant madame [K], ensuite remplacée par M. [B].

La SARL Drapeau Conception a ultérieurement obtenu du juge des référés que les opérations d’expertise soient étendues à la société AXA France Iard, selon ordonnance du 29 février 2016, et à la MAAF, assureur de la société Serrurerie Luçonnaise, selon ordonnance du 27 mars 2017.

M. [B] a déposé son rapport définitif le 23 février 2018.

Les époux [T] ont fait assigner par actes du 16 avril 2019 la SARL Drapeau Construction et la société AXA France Iard, la SAS Serrurerie Luçonnaise et la MAAF, la SAS [M] et la MMA, et la société Roxo Étanchéité Rénovation, aux fins de les entendre condamner à les indemniser de leurs préjudices.

La société AXA France Iard a fait assigner en intervention forcée par acte du 15 novembre 2021 la compagnie SMABTP, auprès de laquelle la société Drapeau Construction avait souscrit une assurance de responsabilité civile de 2018 à 2020, pour l’entendre condamner à la relever et garantir de toute condamnation qui viendrait à être prononcée contre elle en principal, frais et accessoires.

La SMABTP a conclu au rejet de cette demande au motif que sa garantie hors responsabilité décennale invoquée par AXA n’était pas mobilisable puisqu’elle n’était pas l’assureur de la société Drapeau Création à la date de la réclamation des maîtres de l’ouvrage, située selon elle au jour de l’assignation en référé expertise délivrée les 23/25 juin 2015.

Les instances ont été jointes.

Par jugement du 17 janvier 2023, le tribunal, entre-temps devenu tribunal judiciaire, des Sables d’Olonne, a, notamment :

* condamné in solidum les sociétés Drapeau Conception, AXA France Iard et [V] [M] à payer aux époux [T] la somme de 40.893,77 euros TTC au titre de la reprise des désordres affectant les coffres des volets roulants et stores et du mobilier dégradé

* condamné in solidum les sociétés Drapeau Conception et Serrurerie Luçonnaise à payer aux époux [T] la somme de 4.400 euros TTC au titre des travaux de révision des menuiseries extérieures

* condamné in solidum les sociétés Drapeau Conception et Roxo Étanchéité Rénovation à payer aux époux [T] la somme de 3.573,87 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres des toitures terrasses

* condamné in solidum la société Drapeau Conception et la compagnie AXA France Iard à payer aux époux [T] la somme de 5.939,64 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres d’infiltrations du garage

* condamné in solidum les sociétés Drapeau Conception, AXA France Iard et [V] [M] à payer aux époux [T] la somme de 6.000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance

* dit n’y avoir lieu à limiter la part de responsabilité de la société Drapeau Construction et rejeté en conséquence la demande de la société AXA France Iard à ce titre

* débouté la société AXA France Iard de sa demande de garantie et relevé indemne contre la société Serrurerie Luçonnaise, la société [V] [M] et la société Roxo Étanchéité Rénovation

* dit que la société AXA France Iard était fondée à opposer à son assurée Drapeau Construction, au titre de la clause de garantie décennale obligatoire, les limites de plafond et de garantie de la police résiliée à effet du 1er mars 2013 ainsi que la franchise applicable aux dommages matériels

* condamné la société SMABTP à garantir et relever indemne la société AXA France Iard du chef de la condamnation prononcée contre cette dernière, au titre de l’indemnisation du préjudice de jouissance subi par les époux [T], à hauteur de la somme de 6.000 euros

* dit que les sommes objet des condamnations ainsi prononcées porteraient intérêts au taux légal à compter du jugement, et ordonna la capitalisation des intérêts dès lors qu’ils seront dus pour une année entière au moins

* condamné in solidum les sociétés Drapeau Conception, AXA France Iard, [V] [M], Serrurerie Luçonnaise et Roxo Étanchéité Rénovation à verser 5.000 euros aux époux [T] au titre de l’article 700 du code de procédure civile

* rejeté les autres demandes d’indemnités pour frais irrépétibles

* débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif

* condamné in solidum les sociétés Drapeau Conception, AXA France Iard, [V] [M], Serrurerie Luçonnaise et Roxo Étanchéité Rénovation aux dépens de l’instance, en ce compris les frais d’expertise

* dit n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire assortissant de droit le jugement.

La société SMABTP a relevé appel le 14 mars 2023.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l’article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique :

* le 20 juin 2024 par la SA SMABTP

* le 3 juillet 2024 par la SA AXA France Iard.

La SA SMABTP demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il la condamne à garantir et relever indemne la société AXA France Iard du chef de la condamnation prononcée contre cette dernière, au titre de l’indemnisation du préjudice de jouissance subi par les époux [T], à hauteur de la somme de 6.000 euros et en ce qu’il la déboute, en rejetant toutes les autres demandes d’indemnités pour frais irrépétibles, de sa demande tendant à voir condamner AXA France Iard à lui verser la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile

Et statuant à nouveau :

-de débouter AXA France Iard de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées contre la SMABTP

-de condamner AXA France Iard à lui verser la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel ainsi qu’aux entiers dépens de première instance liée à son appel en cause, et d’appel.

Elle indique qu’ayant été l’assureur de la société Drapeau Construction en vertu d’un contrat ‘global ingénierie’ du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2020, date à effet de laquelle la police a été résiliée, elle n’est donc pas son assureur en base réclamation, puisque la réclamation au sens de l’article L.251-2 du code des assurances date du 23 juin 2015, date de l’assignation à fin d’expertise délivrée à la société Drapeau Construction à la requête des maîtres de l’ouvrage.

Elle soutient qu’il est de jurisprudence assurée que l’assignation en référé délivrée à l’assuré par le tiers lésé en vue de la désignation d’un expert aux fins de déterminer les responsables des dommages dont le tiers lésé se prétendait victime et d’évaluer les préjudices, constitue la réclamation à laquelle est subordonnée la garantie de l’assureur.

Elle fait valoir que raisonner comme le fait la compagnie AXA, en considérant comme réclamation la date de l’assignation au fond, contrevient aux articles 1964 du code civil et L.124-5 du code des assurances et au caractère nécessairement aléatoire du contrat d’assurance, dès lors qu’à la date de souscription du contrat d’assurance auprès d’elle par la société Drapeau Construction, celle-ci avait connaissance du fait dommageable contre les conséquences duquel la garantie est sollicitée, puisque les époux [T] faisaient état dans l’assignation en référé expertise qu’ils avaient fait délivrer en juin 2015 à l’entreprise de leurs ‘incontestables troubles de jouissance’.

Elle tient pour intempestive l’action en garantie dirigée à son encontre par AXA.

La SA AXA France demande à la cour de débouter la société SMABTP de son appel ainsi que de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre :

-de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la SMABTP de ses demandes de frais irrépétibles

-de condamner la SMABTP à lui verser une indemnité de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel

-de condamner la SMABTP aux entiers dépens de référé, de première instance et d’appel.

Elle expose avoir été l’assureur de responsabilité de Drapeau Construction à compter du 1er janvier 2007, et avoir résilié le contrat le 26 décembre 2012 à effet du 1er janvier 2013.

Elle en infère que seule sa garantie obligatoire restait mobilisable et qu’il appartenait à la société Drapeau Construction de déclarer le sinistre à la SMABTP et elle observe que même si l’appelante ne le produit pas, une demande d’assurance a d’ailleurs été formalisée auprès de la SMABTP par la société Drapeau Construction le 8 septembre 2017.

Elle fait valoir que l’article 4 des conditions particulières du contrat de la SMABTP stipule que sa garantie de responsabilité civile d’exploitation s’applique aux réclamations formulées pendant la période de validité de l’attestation d’assurance, et que cette compagnie est donc bien tenue de garantir les réclamations formulées par les époux [T] dans leur assignation du 23 avril 2019 puisqu’elle était l’assureur de l’entreprise à cette date.

Elle récuse les contestations de l’appelante tirées de l’absence d’aléa, en soutenant que la première réclamation des maîtres de l’ouvrage en indemnisation de leur trouble de jouissance date de leur assignation au fond d’avril 2019, époque où la SMABTP était donc l’assureur de Drapeau Construction, l’assignation antérieure en référé expertise ne pouvant selon elle pas être regardée comme une réclamation puisqu’elle était fondée sur l’article 145 du code de procédure civile et ne préjugeait pas du fond.

Elle soutient que les jurisprudences dont l’appelante se prévaut ne sont pas applicables à l’assurance en matière de construction ; que la SMABTP confond la notion de fait dommageable avec celle de réclamation ; que la réclamation doit tendre à la responsabilité de l’assuré, ce qui en l’espèce ne ressort que de l’assignation au fond et non de l’assignation à fin d’expertise, exempte de réclamation chiffrée..

La SARL DRAPEAU CONSTRUCTION, non intimée sur la déclaration d’appel s’est constituée le 12/09/2023, mais n’a pas conclu.

L’ordonnance de clôture est en date du 4 juillet 2024.

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort, dans les limites de l’appel :

INFIRME le jugement déféré, prononcé le 17 janvier 2023 par le tribunal judiciaire des Sables d’Olonne, en ce qu’il condamne la SMABTP à garantir et relever indemne la société AXA France Iard du chef de la condamnation prononcée contre cette dernière, au titre de l’indemnisation du préjudice de jouissance subi par les époux [T], à hauteur de la somme de 6.000 euros et en ce qu’il la déboute, en rejetant toutes les autres demandes d’indemnités pour frais irrépétibles, de sa demande tendant à voir condamner AXA France Iard à lui verser la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile

statuant à nouveau :

DÉBOUTE la société AXA France Iard de sa demande de garantie dirigée contre la société SMABTP

REJETTE tous ses chefs de demandes dirigés contre la SMABTP

CONDAMNE la société AXA France Iard aux dépens de première instance afférents à son assignation en intervention forcée de la SMABTP ainsi qu’aux dépens d’appel

CONDAMNE la société AXA France Iard à payer en application de l’article 700 du code de procédure civile une somme de 4.000 euros à la SA SMABTP au titre des frais irrépétibles exposés par celle-ci en première instance et en cause d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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