Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Responsabilité vétérinaire et soins animaliers : enjeux de la négligence et des traitements médicaux.
→ RésuméUne propriétaire d’une jument, dénommée « Naïade du Bois », a sollicité des soins vétérinaires lorsque l’animal ne pouvait plus se relever. Le 19 octobre 2016, un vétérinaire a administré un traitement, mais la jument n’a pas réagi. Le lendemain, un autre vétérinaire a proposé une euthanasie, que la propriétaire a refusée. Malgré des tentatives de soins, la jument est décédée le 22 octobre 2016. La propriétaire a alors assigné le vétérinaire et la clinique vétérinaire, invoquant une faute ayant conduit à la mort de l’animal, notamment un surdosage de phénylbutazone.
Le tribunal de grande instance d’Évry a ordonné une expertise vétérinaire, qui a conclu que l’injection de phénylbutazone, bien que discutable, n’était pas la cause du décès, qui était plutôt lié à l’état pathologique de la jument. En mai 2021, le tribunal a mis hors de cause le vétérinaire, estimant que sa responsabilité ne pouvait être engagée, et a débouté la propriétaire de ses demandes d’indemnisation. La propriétaire a interjeté appel, demandant la responsabilité du vétérinaire et de la clinique pour des soins défectueux. En réponse, le vétérinaire et la clinique ont soutenu que la jument souffrait d’une pathologie incurable et que les soins prodigués étaient appropriés. Ils ont également contesté la valeur des préjudices revendiqués par la propriétaire. La cour d’appel a confirmé le jugement de première instance, considérant que la clinique était responsable des actes de son vétérinaire, mais que ce dernier n’avait pas commis de faute engageant sa responsabilité personnelle. La cour a également rejeté les demandes d’indemnisation de la propriétaire, concluant que le décès de la jument n’était pas dû à une faute des vétérinaires. La propriétaire a été condamnée aux dépens et à verser des frais à la clinique. |
RÉPUBLIQUE FRAN’AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 10
ARRÊT DU 10 AVRIL 2025
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/16867 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEMFM
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Mai 2021 – Tribunal judiciaire d’EVRY – RG n° 20/00513
APPELANTE
Madame [X] [K] [H]
née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 7]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Vincent RIBAUT de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
Ayant pour avocat plaidant Me Jacques DELACHARLERIE, avocat au barreau de L’ESSONNE, substitué à l’audience par Me Daniel BERT, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES
Madame [E] [T]
née le [Date naissance 2] 1983 à [Localité 6]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
S.C.P. [5], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualité audit siège
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentées par Me Stéphane GAILLARD de la SELAS GTA, avocat au barreau de PARIS, toque : R075, substitué à l’audience par Me Noémie GAÏA, avocat au barreau de PARIS.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée le 09 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-Odile DEVILLERS, présidente et chargée du rapport, et Valérie MORLET, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Mme Marie-Odile DEVILLERS, Présidente
Mme Valérie MORLET, Conseillère
Mme Anne ZYSMAN, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Valérie JULLY
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Courinitialement prévue le 13 mars 2025 puis prorogé au 3 avril 2025 et au 10 avril 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Odile DEVILLERS, Présidente et par Joëlle COULMANCE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Mme [X] [H] était propriétaire d’une jument dénommée « Naïade du Bois ».
Le mercredi 19 octobre 2016, la jument étant incapable de se relever, Mme [H], estimant qu’elle avait sa colonne vertébrale bloquée a demandé le passage de l’ostéopathe employée par la [5], qui n’a consenti à venir qu’après que l’animal ait été examiné par un vétérinaire. Le Dr [O] [A], vétérinaire de la clinique, est passée vers midi et a fait à la jument une injection de Metacam intraveineux. Mme [V], l’infirmière ostéopathe, est passée ensuite dans l’après-midi mais n’a pas pu relever la jument malgré ses tentatives.
Mme [H] a rappelé la clinique le lendemain, jeudi 20 octobre et c’est le docteur FrédéricThirouin qui est passé vers midi, et qui ayant considéré, selon ses termes, que la jument était ‘dans un état lamentable’ a suggéré à sa propriétaire une euthanasie qui a été refusée. Sur l’insistance de Mme [H], il a néanmoins, d’après la facture de soins, injecté de l’Energidex en solution et fait une perfusion de Ringer Lactate 2×5 l Vetimune, Matacam Équin 20.
Le surlendemain, samedi 21 octobre, Mme [H] a appelé la clinique dans la matinée. Le docteur [E] [T] s’est présentée vers midi et a recommandé également une euthanasie, toujours refusée par la propriétaire, puis a proposé une perfusion également refusée. Elle a alors pratiqué une injection de phenylbutazone, pour atténuer la souffrance pendant les manipulations, et a prescrit et administré du Domosedan à faible dose (sédatif) pour réduire les risques de blessures des participants lors de la tentative de retournement envisagée. Celle-ci a échoué et Mme [T] est repartie, en laissant le catheter en place et 2 poches de 5 litres de soluté de Ringer lactate pour que Mme [H] puisse les administrer en perfusion, ce qu’elle n’a pas fait.
La jument est décédée après le départ du docteur [T].
Invoquant la faute de Mme [E] [T] à l’origine du décès, consistant notamment en un surdosage de phénylbutazone qu’elle qualifie d’euthanasie, Mme [X] [H] a, par acte d’huissier en date du 10 décembre 2018, fait assigner Mme [E] [T] et la Scp Couderc-Le Fol-Picot-[D], exerçant sous l’appellation la [5] (ci-après la [5]) devant le juge des référés du tribunal de grande instance d’Evry aux fins de voir ordonner une expertise vétérinaire et aux fins de voir les deux défendeurs condamnés à lui payer une provision d’un montant de 5.000 euros à valoir sur son préjudice outre la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance en date du 22 février 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance d’Evry a ordonné une mesure d’expertise et a désigné M. [W] [B], ultérieurement remplacé par M. [C] [I], pour y procéder. Il a par ailleurs débouté Mme [X] [H] du surplus de ses demandes, notamment de provision.
L’expert judiciaire a déposé son rapport définitif le 5 juillet 2019.
Il a conclu :
‘En l’état de l’expertise et des informations portées à ma connaissance, je constate que l’administration d’une injection unique de phénylbutazone en dose de charge de 8,8 mg/kg par voie veineuse constituait une infraction au Code de santé publique, non assortie de sanctions prévues, et une réponse discutable mais défendable, à une situation médicale et globale catastrophique, qui ne pouvait que mener au décès de l’animal.
Dans ces conditions, il appartient au Juge de décider si cette infraction administrative, par ailleurs justifiable en regard de considérations médicales, scientifiques, et de circonstances, est de nature à entraîner une part de responsabilité, dans un décès qu’il ne me parait pas possible d’attribuer à cette injection, et dont les causes sont à rechercher dans l’état physio-pathologique de l’animal’.
Par acte d’huissier de justice en date du 8 novembre 2019, Mme [X] [H] a fait assigner Mme [E] [T] et la [5] devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire d’Evry, aux fins d’obtenir l’indemnisation de son préjudice matériel et moral. Elle demandait la condamnation solidaire du docteur vétérinaire [E] [T] et de la clinique vétérinaire à lui payer:
-10.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;
– 8.000 euros au titre de son préjudice matériel ;
-10.000 euros au titre de son préjudice affectif ;
– 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
Par jugement en date du 31 mai 2021, le tribunal judiciaire d’Evry a :
– Prononcé la mise hors de cause de Mme [E] [T], vétérinaire salariée de la [5] ;
– Débouté Mme [H] de l’intégralité de ses demandes ;
– Condamné Mme [H] à payer à Mme [T] et la [5] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné Mme [H] aux entiers dépens de l’instance :
– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;
– Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le tribunal a jugé que Mme [T] étant salariée, sa responsabilité ne pouvait être engagée qu’en cas de faute détachable de sa qualité de salariée de la clinique, et estimé que ce n’était pas le cas en l’espèce. Il a jugé que la preuve était rapportée par les pièces médicales et confirmée par l’expert que la jument souffrait de fourbure (maladie fréquemment rencontrée chez le cheval qui se caractérise par une inflammation et une congestion du pied, touchant préférentiellement les antérieurs et qui est la deuxième cause de mortalité chez les chevaux).
Il a considéré que certes Mme [T] avait injecté à la jument un produit qui ne disposait plus d’une autorisation de mise sur le marche (AMM), mais dont les avantages thérapeutiques sont connus et les risques limités, que le cheval qui ne s’était pas levé depuis quatre jours, était en toutes hypothèses condamné et que la preuve du décès à cause du phénylbutazone n’était pas établie.
Par déclaration du 24 septembre 2021, Mme [X] [H] a interjeté appel de ce jugement.
Par dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 10 décembre 2024, Mme [X] [H] demande à la cour de :
– Infirmer le jugement en toutes ses dispositions
Statuant à nouveau et y ajoutant,
– Déclarer le docteur [T] ‘personnellement responsable des soins vétérinaires défectueux qu’elle a prodigués et du produit médicamenteux non moins défectueux qu’elle a injecté à la jument le 22 octobre 2016 ainsi que de la mort de Naïade du bois survenue immédiatement après et de l’ensemble des conséquences dommageables de ses actes professionnels, auraient-ils consisté en des négligences, carences et abstentions’ ;
– Déclarer la SCP Couderc-Le Fol-Picot-[D] intimée exerçant l’art vétérinaire sous le nom commercial [5], responsable des soins vétérinaires défectueux donnés à Naïade du bois le 19 et le 20 octobre 2016, de l’absence de soins prodigués le 21 octobre 2016 ainsi que de l’ensemble des conséquences dommageables des actes professionnels ‘ auraient-ils consisté en des négligences, carences et abstentions ‘ de ses vétérinaires associés et préposés, incluant, à titre subsidiaire, ceux du docteur [T] du 22 octobre 2016 tels qu’énumérés ci-dessus dans l’hypothèse où la cour estimerait ne pas devoir l’en déclarer personnellement responsable ;
– En conséquence, condamner solidairement les parties intimées en la personne physique du docteur [T] et en la personne morale de la SCP Couderc-Le Fol-Picot-[D] exerçant l’art vétérinaire sous le nom commercial [5], à verser à Mme [X] [H], appelante, les sommes suivantes :
. 20.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;
. 8.000 euros au titre de son préjudice matériel ;
. 20.000 euros pour son préjudice affectif ;
. 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– Condamner les mêmes parties intimées à supporter les entiers dépens de l’instance, qui comprendront les frais d’expertise judiciaire à hauteur de 4.618 euros ;
– Les débouter de l’intégralité de leurs demandes dont celles présentées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’au titre des dépens de l’instance.
Mme [H] prétend que le jugement est exclusivement fondé sur le rapport d’expertise, qu’elle estime dépourvu de force probante (notamment parce qu’il contient des passages en anglais et qu’il aurait dénaturé des faits). Elle destime qu’il y a eu dénaturation des documents versés aux débats.
Elle conteste la mise hors de cause de Mme [E] [T] en raison de l’indépendance des professions médicales et de l’existence d’une faute grave.
Elle demande que soit constatée la responsabilité de la clinique de l’Orge: responsabilité en qualité de fournisseur de soins pour manquement à son obligation déontologique de moyen d’établir un diagnostic et un protocole de soins, de mettre en ‘uvre une solution d’attente, manquement contractuel ou délictuel à son obligation de résultat de proposer des médicaments exempts de tout défaut.
Elle recherche la responsabilité contractuelle de la clinique en invoquant d’une part un manquement à une obligation déontologique de moyens d’établir un diagnostic ou un protocole de soins et de mettre en oeuvre une solution d’attente et d’autre part un manquement contractuel à son obligation de résultat de proposer des médicaments exempts de tout défaut. Elle estime par ailleurs qu’il y a eu dénaturation des documents versés aux débats par l’expert et repris par le tribunal.
Soutenant avoir subi un préjudice du fait de l’injection de substance létale sans information, des risques et de l’absence de soins, elle demande le remboursement du prix de la jument et des frais d’équarrissage, un préjudice moral et un préjudice affectif.
Par dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 25 novembre 2024, Mme [E] [T] et la [5] demandent à la cour de :
‘A titre liminaire,
– En raison de l’absence de récapitulation des prétentions et moyens au sein des conclusions de l’appelante sous forme de dispositif, rejeter l’ensemble des demandes de Mme [X] [H],
En tout état de cause ;
Constatant :
– que le rapport d’expertise du docteur [I] n’est entaché d’aucune irrégularité de fond ou de forme,
– que le docteur [E] [T] exerce en tant que praticienne salariée de la [5] et qu’elle n’avait pas agi à des fins étrangères à sa mission dans le cadre de la prise en charge de la jument Naïade du bois,
– que les fourbures dont souffrait Naïade du bois au moment de la prise en charge du docteur [E] [T] et de la [5] étaient incurables,
– que l’injection de phénylbutazone même hors AMM n’était pas fautive car constituant le seul moyen de soulager l’animal et qu’elle n’a pas causé le décès de la jument le 22 octobre 2016, lequel était inéluctable,
– que la valeur marchande de Naïade du bois au moment de son décès, s’agissant d’un cheval incapable de se relever et souffrant de fourbure depuis de nombreuses années, était nulle,
– que Mme [X] [H] ne rapporte aucun élément permettant de quantifier un quelconque préjudice moral, s’agissant du décès d’un cheval dont elle n’a jamais fait soigner l’affection ayant conduit à son décès,
– Confirmer l’ensemble des dispositions du jugement du tribunal judiciaire d’Evry rendu le 31 mai 2021,
En conséquence,
– Débouter Mme [X] [H] de l’ensemble de ses demandes à l’égard du docteur [T] comme de la [5], qui ne peuvent être déclarés responsables de la mort de Naïade du bois,
– Rejeter la demande de condamnation des concluants à verser à la demanderesse la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner Mme [X] [H] à verser aux concluants la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance,
– Condamner Mme [X] [H] à verser aux concluants la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés dans le cadre de la procédure d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens.
– Condamner Mme [X] [H] aux entiers dépens, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile’.
Elles font valoir que le cheval acheté en 2005 avait été soigné pour des fourbures en 2009, qu’en 2015, les radios montraient encore des fourbures, qu’en octobre 2016, la jument était en très mauvais état et que sa propriétaire refusait les soins. Elles se fondent sur le rapport de l’expert qui conclut que l’injection était discutable mais défendable et que le cheval n’est pas mort de celle-ci mais de sa pathologie non soignée depuis des années et de son mauvais état dès avant l’intervention des vétérinaires.
Elles font valoir que ce n’est qu’en appel que Mme [H] demande la nullité du rapport.
Pour un exposé intégral des prétentions et moyens, en application du deuxième alinéa de l’article 446-2 et de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à leurs conclusions écrites qu’elles ont respectivement soutenues et qui seront développées plus loin lors de l’examen plus précis des demandes. La cour renvoie aux conclusions précitées des parties pour ce qui concerne l’exposé détaillé de leurs moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile .
La clôture a été prononcée le 8 janvier 2025.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement du tribunal judiciaire d’Evry du 31 mai 2021 en toutes ses dispositions,
Condamne Mme [X] [H] aux dépens d’appel conformément à l’article 699 du code de procédure civile
Condamne Mme [X] [H] à payer à Mme [E] [T] et à la [5] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,
Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?