Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Nouméa
Thématique : Conditions suspensives et responsabilité contractuelle : enjeux d’un projet de construction.
→ RésuméUn kinésithérapeute, en collaboration avec un partenaire professionnel de santé, a projeté de créer un centre de soins en Nouvelle-Calédonie, impliquant la constitution d’une Société Civile d’Attribution. Ils ont signé un contrat de construction avec la société BAT ACTI pour un montant total de 122.700.632 Frs CFP HT, avec des conditions suspensives liées à l’obtention d’un prêt et à l’acquisition d’un terrain. Le contrat stipulait que l’acompte de 5 % serait dû uniquement après l’obtention du financement.
Les deux partenaires ont entrepris des démarches pour obtenir le prêt et acquérir le terrain, mais des retards ont eu lieu. En mars 2019, la société BAT ACTI a estimé que les conditions suspensives étaient réalisées et a cité les partenaires devant le tribunal pour obtenir le paiement d’une facture d’acompte et d’autres sommes liées au projet. Le tribunal de première instance a rejeté l’exception de prescription et a condamné les partenaires à payer la société BAT ACTI, considérant qu’ils n’avaient pas poursuivi le projet, ce qui avait causé un préjudice financier à la société de construction. Les partenaires ont interjeté appel, arguant que le contrat était devenu caduc en raison de la non-réalisation des conditions suspensives et que la clause pénale n’était pas applicable. Ils ont également contesté la solidarité dans la dette, affirmant que l’autre partenaire était principalement responsable. La société BAT ACTI a soutenu que les conditions avaient été tacitement prorogées et que les partenaires avaient agi de manière dolosive en maintenant l’illusion de la poursuite du projet. En appel, la cour a confirmé le rejet de la prescription, mais a infirmé le jugement de première instance sur le surplus, déboutant la société BAT ACTI de toutes ses demandes, considérant que la non-réalisation des conditions suspensives n’était pas imputable aux partenaires. |
N° de minute : 2025/59
COUR D’APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 31 mars 2025
Chambre Civile
N° RG 23/00295 – N° Portalis DBWF-V-B7H-UFK
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Septembre 2023 par le Tribunal de première instance de la section détachée de KONE (RG n° :21/496)
Saisine de la cour : 21 Septembre 2023
APPELANTS
M. [Z] [M]
né le 12 Février 1963 à [Localité 6]
demeurant [Adresse 3]
Représenté par la SELARL CHEVALIER AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA
M. [E] [B]
né le 11 Avril 1991 à [Localité 8]
demeurant [Adresse 2]
Représenté par la SARL NICOLAS MILLION, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉS
La Société BAT-ACTI, prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 4]
Représentée par la SELARL BEAUMEL SELARL D’AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA
AUTRE INTERVENANTE
LA SELARL [C] [P], ès qualités de mandataire judiciaire, désignée dans le cadre de la procédure de sauvegarde ouverte à l’égard de la société BAT-ACTI
Siège social : [Adresse 1]
31/03/2025 : Copie revêtue de la formule exécutoire – Me CHEVALIER ; Me MILLION ;
Expédition – Me BEAUMEL ; [C] [P] ;
– Copie TPI SD KONE ; Copie CA
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 28 Octobre 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
M. François GENICON, Président de chambre, président,
Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,
Mme Zouaouïa MAGHERBI, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Marie-Claude XIVECAS.
Greffier lors des débats : Mme Mikaela NIUMELE
Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO
ARRÊT :
– contradictoire,
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour le 20/01/2025 date à laquelle le délibéré a été prorogé au 27/02/2025 puis au 31/03/2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
– signé par M. François GENICON, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
***************************************
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Monsieur [B], kinésithérapeute, avait pour projet de créer un centre de soins dénommé ‘[5]’ consistant à fédérer différents représentants des professions médicales et paramédicales dans le même lieu. Il était ainsi envisagé de constituer une Société Civile d’Attribution, permettant d’y inclure des partenaires professionnels de santé qui deviendraient propriétaires des locaux au terme de la construction, a des coûts réduits.
A l’origine, le projet était porté par Monsieur [B] mais il a finalement été convenu que celui-ci signerait le compromis de vente du terrain aux côtés de Monsieur [M], partenaire professionnel de santé.
C’est dans ce contexte que Monsieur [M] et Monsieur [B] ont signé le 4 octobre 2018 avec la société BAT ACTI, un contrat de construction d’un centre de soin et d’un appartement de type F2 à [Localité 7], pour le prix total de 122.700.632 Frs CFP HT payable par tranches avec un acompte de 5% (6. 1 35.032 Frs CFP HT) qui devait être acquitté à la signature. Parallèlement, il a été recherché l’achat d’un terrain nu à l’effet d’y implanter le centre de santé et un compromis de vente a finalement été signé sous condition suspensive d’obtention d’un prêt.
Le contrat de construction a été souscrit sous 2 conditions suspensives qui étaient l’obtention d’un prêt, et l’acquisition du terrain d’assiette. Il était également stipulé que les 5 % d’acompte dûs au démarrage des travaux seraient acquittés une fois le financement reçu. En effet, par modification manuscrite contresignée par les parties, la Sarl Bat-ACTI a accepté de reporter le versement de l’acompte à la réception par les défendeurs de l’acceptation du prêt devant permettre de financer les travaux.
Les deux conditions suspensives étaient rédigées comme suit :
– obtention, par le Maître cl’Ouvrage, d’un prêt bancaire d’un montant de 130 062 670 XPF dédié à la réalisation des travaux et dont il s’engage à solliciter l’octroi dans le délai de quinze (15) jours suivant la signature des présentes,
– Confirmation de la propriété de l’assiette foncière des travaux; à ce titre, le Maître d’Ouvrage, s’engage à transmettre au Constructeur son attestation d’acquisition notariale du terrain, objet de la construction, ou tout autre document probatoire, dans un délal de quinze (15) jours suivant la signature des présentes.
Il était stipulé que si l’ensemble des conditions suspensives n’étalt pas réalisé dans le délai de quatre (4) mois suivant la signature des présentes, le présent Contrat serait considéré comme nul et de nuls effets, chacune des parties étant dégagée de ses engagements tels que décrlts dans les présentes. Le cas échéant, les Parties pourront se rapprocher afin de convenir ensemble d’une prorogation du délai de réalisation des conditions suspensives prévues ci-avant. Le Maître d’0uvrage s’engage à transmettre tout élément relatif aux conditions suspensives prévues au Contrat dans un délai de huit (8) jours calendaires ,à première demande du Constructeur et s’engage à justifier du dépôt de la demande de prêt bancaire et le cas échéant de l’acceptatlon ou du refus des banques contactées dans le même delai. Il est cependant précisé que les Parties conviennent, d’un commun accord, que sl les conditions suspenslves n’étaient pas réalisées du fait ou de la faute du Maître l’ouvrage, le Constructeur aura droit, à titre de clause pénale, de conserver à son bénéfice le premier versement effectué par le Maitre d’Ouvrage à la signature des présentes, tel que fixé ci-après, ce que le Maître de l’Ouvrage accepte expressément. Il est préclsé que cette clause est une clause essentielle du contrat sans laquelle le Constructeur n’auralt pas contracté le présent Contrat. Dès la réalisation de l’ensemble des conditions suspensives, le Maître d’0uvrage s’engage à ordonner le démarrage des Travaux dans un delai de quinze (15) jours calendaires à compter de la réalisation de la dernière des condltlons suspensives prévues au present article.>>
Estimant que les conditions suspensives étaient réalisées, la société BAT ACTI a par requête signifiée les 18 et 30 novembre 2021 et enregistrée au greffe du tribunal de première instance de Nouméa le 20 décembre 2021, fait citer Messieurs [M] et [B] aux fins de voir notamment de :
– constater que la condition suspensive d’obtention du prêt de financement des travaux a été réalisée en mars 2019, et en conséquence de quoi,
– condamner solidairement les consorts [Z] [M] et [E] [B] à lui payer la facture n°1 18-1 1-18 du 07 novembre 2018 d’un montant de 6.503.133 Frs CFP TTC, assortie des intérêts au taux légal a compter de mai 2019, date d’exigibilité, outre capitalisation des intérêts,
– condamner solidairement les consorts [Z] [M] et [E] [B] à lui payer le coût d’acquisition et d’immobilisation des stocks et matériels nécessaire au chantier objet du contrat de construction litigieux soit la somme de 6 953.760 F CFP,
– condamner solidairement les consorts [Z] [M] et [E] [B] à lui payer la somme de 361.000 F Frs CFP au titre de l’article 700 du code de procédure civile de Nouvelle Calédonie outre les dépens, en ce compris les frais de LRAR de mise en demeure, avec
Par jugement du 05/09/2023, le tribunal de première instance de Nouméa ( section détachée de KONE) a :
– rejeté l’exception d’irrecevabilité tirée de la prescription soulevée en défense,
– condamné in solidum M. [Z] [M] et M. [E] [B] à payer à la SARL BAT-ACTI la somme de 6 503 133 Fcfp avec intérêts au taux légal à compter du 18/07/2019 au titre de la clause pénale et celle de 6 503 133 Fcfp avec intérêt au taux légal à compter du jugement à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 120 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
Pour se déterminer ainsi, le 1er juge a considéré que les conditions ne s’étaient pas réalisées par la faute des consorts M. [Z] [M] et M. [E] [B] qui n’avaient pas poursuivi le projet et que leur comportement fautif était à l’origine d’un préjudice financier complémentaire pour la société de construction.
PROCÉDURE D’APPEL
Par requête du 21/09/23,M. [Z] [M] a interjeté appel de cette décision rendue. L’affaire a été enregistré sous le n° 295/23 . Par acte du 17/06/2024, le même, a appelé la selarl [C] [P] en intervention forcée en sa qualité de mandataire judiciaire de la SARL BAT-ACTI, placée sous sauvegarde par jugement du Tribunal Mixte de Commerce du 15/02/20224, ce qui a donné lieu à l’ouverture d’une procédure sous le n° 189/24. La jonction entre les deux procédures a été ordonnée par simple mention au dossier le 02/07/2024.
Dans son mémoire du 12/12/2023, et ses dernières écritures , M. [Z] [M] demande d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
A titre principal : dire l’action prescrite et, à défaut, débouter la SARL BAT-ACTI de l’intégralité de ses demandes; subsidiairement, limiter la condamnation à la somme de 6 503 133 Fcfp au titre de la clause pénale, juger que M. [E] [B] et lui même ne sont pas tenus d’une obligation solidaire laquelle ne se présume pas et dire que M. [E] [B] est le principal responsable du projet de sorte que la part de la dette lui incombant doit être réduite à néant ou au plus à 14 %. En tout état de cause condamner la SARL BAT-ACTI à lui payer la somme de 1 000 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la fixer au passif de la société.
Il fait valoir qu’il n’y a pas eu de prorogation tacite ou expresse de réalisation des conditions suspensives de sorte que le contrat de construction est devenu caduc. Qu’en l’absence de réalisation des conditions suspensives (obtention d’un prêt , acquisition du terrain d’assiette) et de toute faute du maître de l’ouvrage , la clause pénale n’est pas dûe de même que la facture d’acompte puisque le contrat n’a pas d’existence légale. En tout état de cause, la double condamnation à la clause pénale et à des dommages et intérêts ne se justifie pas s’agissant d’indemniser la non exécution du contrat.
M. [E] [B] demande à la Cour dans son mémoire ampliatif du 12/12/2023 et ses dernières écritures du 05/07/2024 d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :
– débouter la SARL BAT-ACTI de l’intégralité de ses demandes; subsidiairement,
– limiter, en cas de condamnation, l’indemnisation de l’intimée à la somme de
6 503 133 Fcfp au titre de la clause pénale et condamner la SARL BAT-ACTI à lui payer la somme de 500 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir que les parties n’ont jamais convenu d’une prorogation tacite du délai de réalisation des conditions suspensives ; que la disposition contractuelle ayant prévu une faculté de prorogation expresse exclue nécessairement toute notion de prorogation tacite ; qu’en l’espèce il n’existe aucune pièce ou échange de courrier ou de mails postérieurs à la survenance du délai butoir démontrant le report tacite du délai ; qu’il s’en suit que la convention est devenue caduque de sorte que la clause pénale n’est pas due ; qu’en tout état de cause, la condition suspensive tenant au financement ne s’est pas réalisée puisque le prêt n’a pas été obtenu et il en est de même de la condition relative à l’acquisition du terrain. M. [E] [B] fait valoir également que l’acompte n’était pas exigible et qu’il n’est pas dû faute de réalisation de la condition d’obtention du prêt.
Par conclusions au nom de la SARL BAT-ACTI placée sous sauvergarde, la SARL BAT-ACTI demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
A défaut et à titre principal :
– juger que les parties ont convenu de proroger tacitement le délai contractuel de réalisation des conditions suspensives,
– juger que la condition suspensive d’obtention du prêt de financement des travaux a été réalisée en mars 2019 ; à défaut juger que la non réalisation de la condition d’obtention du financement est imputable au fait unilatéral et fautif des consorts M. [E] [B] et M. [Z] [M] ;
– juger que le fait pour les consorts M. [E] [B] et M. [Z] [M] de maintenir la SARL BAT-ACTI ans dans l’illusion que le temps écoulé ne préjudiciait pas à la poursuite du projet de construction constitue une maneouvre dolosive ;
– juger que la mention pour paiement dès réception de l’acceptation du prêt bancaire >> ajoutée par les appelants est abusive et léonine privant la SARL BAT-ACTI de tout paiement au titre des diligences préalables accomplies à savoir celles requises par la banque pour consentir une offre
– juger que la solidarité des co-contractants ressort du contrat ;
En conséquence :
– condamner solidairement les consorts [Z] [M] et [E] [B] à lui payer au titre de la clause pénale la facture n°1 18-1 1-18 du 07 novembre 2018 d’un montant de 6.503.133 Frs CFP TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter de mai 2019, date d’exigibilité, outre capitalisation des intérêts,
– condamner solidairement les consorts [Z] [M] et [E] [B] à lui payer au titre de la clause pénale la facture n°1 18-1 1-18 du 07 novembre 2018 d’un montant de 6.503.133 Frs CFP TTC, assortie des intérêts au taux légal a compter de mai 2019, date
– condamner solidairement les consorts [Z] [M] et [E] [B] à lui payer des dommages et intérêts de :
* 6 953 760 F CFP au titre du coût d’acquisition des matériels et engins nécessaires au chantier ;
* 442 470 FCFP au titre du coût de l’étude béton de ABAC selon devis du 15/11/2018
A titre subsidiaire ,
– Juger que la SARL BAT-ACTI subit un préjudice financier constitué par la perte de chance de réaliser la phase suivante s’achevant avec la purge des recours contre le permis de construire en raison du comportement fautif des co contractants
– condamner solidairement les consorts [Z] [M] et [E] [B] à lui payer la somme de 4 601 274 FCFP au titre de la perte de chance
– les condamner solidairement à lui payer la somme de 631.000 F Frs CFP au titre des frais irrépétibles de 1ère instance et 434 600 FCFP au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais d’appel outre les dépens, en ce compris les frais de mise en demeure,
La SARL BAT-ACTI dénie toute acquisition de la prescription s’agissant d’un contrat souscrit pour les besoins professionnels de messieurs [Z] [M] et [E] [B].
Sur le fond, elle soutient que les conditions suspensives ne se sont pas réalisées par le fait fautif des maîtres de l’ouvrage. Elle fait valoir,d’une part, qu’il y a bien eu prorogation du délai butoir de réalisation des conditions, les consorts [M] et [B] ayant pris soin de l’informer de l’avancée des démarches et d’autre part que la banque a bien donné un accord de principe pour le financement des travaux. Elle estime dans ces conditions que la facture d’acompte est due à la fois au titre de la clause pénale mais également parce qu’elle considère que la clause soumettant le paiement à l’obtention du prêt est une clause léonine qui doit être écartée puisqu’à défaut elle permettrait aux maîtres de l’ouvrage de se dégager de tout engagement pour les actes accomplis préalables au dépôt du permis de construire.
Enfin, elle considère que messieurs [Z] [M] et [E] [B] sont engagés solidairement aux termes du contrat même si aucune disposition expresse ne prévoit une telle solidarité .
La selarl [C] [P] appelée en la cause n’a pas conclu et n’a pas constitué avocat.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement en ce qu’il a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription ;
L’infirme sur le surplus et statuant à nouveau :
Déboute la SARL BAT-ACTI de toutes ses demandes ;
Y ajoutant,
Dit n’y avoir lieu à l’indemnité sur le fondement de l’article 700 tant en appel qu’en première instance.
Dit que chaque partie supportera ses propres dépens d’appel et de première instance
Le greffier, Le président.
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