Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Nouméa
Thématique : Responsabilité contractuelle et manquements d’un commissionnaire en douane.
→ RésuméLa société spécialisée dans l’impression, la découpe et l’emballage, désignée ici comme l’importateur, a mandaté un commissionnaire en douane pour gérer ses formalités douanières. En 2011, une vérification des déclarations d’importation a révélé des irrégularités, notamment des déclarations en exonération de taxe pour des marchandises non éligibles. Suite à un jugement en 2015, l’importateur, son gérant et le commissionnaire ont été déclarés coupables de fausse déclaration douanière et condamnés à payer une somme importante correspondant aux droits et taxes éludés.
L’importateur a alors poursuivi le commissionnaire en justice, lui reprochant de ne pas avoir respecté ses obligations de diligence, de renseignement et de conseil. En 2017, une requête a été déposée pour obtenir des dommages et intérêts, mais l’affaire a été radiée puis réinscrite. En 2023, le tribunal de première instance a débouté l’importateur de ses demandes, estimant qu’il n’avait pas prouvé l’étendue de la mission confiée au commissionnaire. L’importateur a interjeté appel, demandant la réformation de la décision et la reconnaissance de la responsabilité du commissionnaire pour ses manquements. Il a soutenu que le commissionnaire avait commis des erreurs dans les déclarations douanières, entraînant des conséquences financières. De son côté, le commissionnaire a plaidé qu’il avait agi selon les instructions de l’importateur et qu’il n’était pas responsable des erreurs de déclaration. La cour d’appel a finalement reconnu que le commissionnaire avait effectivement commis des manquements à ses obligations, mais a débouté l’importateur de sa demande de remboursement des droits éludés, faute de preuves. En revanche, elle a accordé des dommages et intérêts pour le préjudice moral subi par l’importateur, en raison de la détérioration de sa réputation auprès des services douaniers. |
N° de minute : 2025/58
COUR D’APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 31 mars 2025
Chambre civile
N° RG 23/00196 – N° Portalis DBWF-V-B7H-T7Y
Décision déférée à la cour : Jugement rendue le 22 mai 2023 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° 20/1040)
Saisine de la cour : 29 juin 2023
APPELANT
S.A.R.L. ARTYPO, représentée par ses co-gérants en exercice
Siège social : [Adresse 2]
Représentée par Me Patrice TEHIO, membre de la SELARL TEHIO, avocat au barreau de NOUMEA, substitué par Maître CALMET, du même barreau
INTIMÉ
S.A.R.L. DOUANE AGENCE, prise en la personne de son représentant légal en exercice
Siège social : [Adresse 1]
Représentée par Me Frédéric DESCOMBES, membre de la SELARL D’AVOCATS D&S LEGAL, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 1er Juillet 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,
Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseillère,
Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,
qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Marie-Claude XIVECAS.
31/03/2025 : Copie revêtue de la forme exécutoire : – Me TEHIO ;
Expéditions : – Me DESCOMBES ;
– Copie CA ; Copie TPI
Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE
Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO
ARRÊT :
– contradictoire,
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, le délibéré fixé au 09/09/2024, ayant été prorogé au 10/10/2024, au 04/11/2024, au 05/12/2024, au 23/01/2025, au 27/02/2025 puis au 31/03/2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
– signé par M. Philippe ALLARD, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
***************************************
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
La société NOUVELLE ARTYPO dénommée ici, ARTYPO, a pour principale activité l’impression, la découpe et l’emballage de différents types d’imprimés à partir de papiers ou adhésifs en feuilles ou rouleaux ; elle doit importer régulièrement des matières premières. Elle déclare avoir mandaté la société DOUANE AGENCE afin de lui confier l’ensemble des formalités de douane concernant le détail des marchandises importées ou exportées dans le cadre de ses activités. Elle explique que suite à une vérification des déclarations d’importations par le service des douanes en 2011, plusieurs irrégularités ont été relevées. Des marchandises importées ne figurant pas sur la liste des produits exonérés de TGI par l’arrêté du 26 février 2008 ont néanmoins fait l’objet d’une déclaration en exonération de taxe. Elle indique que suivant arrêt confirmatif rendu par la chambre des appels correctionnels de Nouméa le 14 avril 2015, elle a été déclarée coupable avec M. [K], son gérant, et la société DOUANE AGENCE du délit douanier de fausse déclaration et sur l’action civile, condamnée solidairement avec M. [K] au paiement de la somme de 26.320.392 FCFP correspondant au montant des droits et taxes éludés.
Faisant grief à la société DOUANE AGENCE d’avoir manqué à son obligation de veiller au respect des réglementations douanières, à son obligation de renseignement, ainsi qu’à son obligation de conseil, et estimant que la responsabilité contractuelle du commissionnaire en douane devait être retenue, la société ARTYPO, par requête enregistrée le 23 octobre 2017, a attrait la société DOUANE AGENCE aux fins de la voir condamner au paiement de la somme de 26.320.392 FCFP à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, outre celle de 500.000 FCFP sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’affaire a été radiée suivant ordonnance du juge de la mise en état en date du 5 septembre 2018, puis réinscrite au rôle suite aux conclusions déposées par la société requérante le 29 avril 2020.
Selon ordonnance en date du 28 décembre 2020, le juge de la mise en état a rejeté l’exception de péremption soulevée, invité les parties à formuler dans le dispositif de leurs ultimes conclusions récapitulatives le dernier état de leurs demandes, et renvoyé la cause à l’audience de mise en état.
Aux termes de ses dernières conclusions, la société ARTYPO a sollicité la condamnation de la société DOUANE AGENCE au paiement de la somme de 26.320.392 FCFP, majorée des intérêts au taux légal à compter du 18 septembre 2015, outre celle de 500.000 FCFP en réparation de son préjudice moral et atteinte à sa notoriété, ainsi que la somme de 1.000.000 FCFP au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Par jugement du 22 mai 2023, le tribunal de première instance de Nouméa a débouté la société ARTYPO de ses demandes et l’a condamnée à payer à la société DOUANE AGENCE la somme de 200 000 FCFP sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour se déterminer ainsi, le premier juge a considéré que la société ARTYPO ne démontrait pas l’étendue de la mission confiée au déclarant en l’absence de production du contrat de sorte qu’il n’était pas en mesure de se prononcer sur une éventuelle responsabilité au regard des obligations contractuelles de la société DOUANE AGENCE.
PROCÉDURE D’APPEL
Par requête du 29 juin 2023, la société ARTYPO a interjeté appel de cette décision et demande à la Cour dans son mémoire ampliatif du 13 septembre 2023 et ses dernières écritures du 20 décembre 2023 de réformer la décision en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :
– juger que la société DOUANE AGENCE a commis des manquements graves à ses obligations en réalisant de fausses déclarations en douanes ;
– juger que la société DOUANE AGENCE n’a pas rempli des obligations de renseignement et de conseil envers son mandant ;
– dire que ces manquements sont la cause exclusive du redressement douanier et la déclarer responsable des conséquences financières ;
– la condamner en conséquence à lui payer les sommes de
26 320 392 FCFP, montant des droits éludés avec intérêts au taux légal à compter du paiement auprès du budget de la Nouvelle-Calédonie, soit à compter du 18 septembre 2015
1 809 758 FCFP au titre des frais supplémentaires engagés pour le paiement du redressement
500 000 FCFP au titre du préjudice moral
1 000 000 FCFP sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que dès 1998, en raison de la complexification des procédures douanières, elle a recouru à un spécialiste en la personne de la société DOUANE AGENCE chargée de toutes les formalités de douane ; que sa mission était double :
* établir et procéder aux dépôts des demandes d’agrément, d’extension et de renouvellement d’agrément ;
* procéder aux déclarations douanières en recherchant les positions douanières de matières premières qui remplissent les critères d’éligibilité du privilège d’exonération de la TGI.
Elle considère que le contrôle douanier montre qu’il n’y a pas eu inadéquation entre les positions tarifaires déclarées et les marchandises elles-mêmes mais bien qu’une exonération de TGI a été sollicitée pour des matières premières ne figurant pas sur la liste des matières premières bénéficiant du régime fiscal privilégié.
Elle en déduit que l’infraction ne résulte pas d’un mauvais renseignement donné par la société ARTYPO mais de l’application de taxes préférentielles à des produits qui ne pouvaient en bénéficier.
Par écritures responsives, la société DOUANE AGENCE demande à la cour de confirmer le jugement et en conséquence de débouter la société ARTYPO de ses demandes et la condamner à payer la somme de 1 260 000 FCFP sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir qu’elle n’a pas commis de faute puisque c’était son mandant, la société ARTYPO, qui lui donnait des instructions en indiquant par mail ou et sur chaque facture fournisseur la désignation de la marchandise et la position tarifaire à appliquer et l’exonération de TGI ; qu’elle-même vérifiait avec les diligences requises que la position tarifaire indiquée par la société ARTYPO (SH) sur la facture fournisseur ou l’attestation d’exonération fournie avec les instructions par mail, correspondait bien à la désignation de la marchandise ainsi qu’à sa dénomination commerciale.
La société DOUANE AGENCE estime qu’il ne peut lui être reproché d’avoir dédouané une marchandise sous la position tarifaire indiquée par son client ; qu’en l’espèce, c’est la société ARTYPO qui l’avait informée qu’elle remplissait les conditions ouvrant droit à exonération de TGI et qui lui avait adressé une attestation d’exonération en ce sens en omettant, sciemment ou non, de transmettre la demande de renouvellement de l’agrément qui aurait conduit la société DOUANE AGENCE à ne pas appliquer l’exonération dont a bénéficié la société ARTYPO ; qu’ayant satisfait à ses obligations, sa responsabilité ne peut être engagée ; que la société ARTYPO préparait et présentait elle-même la demande auprès de la Direction des affaires économiques en vue de bénéficier d’un agrément au régime fiscal privilégié ; que c’est ARTYPO qui identifiait et listait les matières premières qu’elle importait et pour lesquelles elle sollicitait le bénéfice de l’agrément ou de son renouvellement, et qu’elle lui adressait ensuite le formulaire complété par ses soins pour simple vérification des chiffres de la position tarifaire correspondant à chaque matière première. Précisant n’être tenue qu’à une obligation de moyen, elle indique que sa responsabilité ne saurait en outre être engagée sans faute prouvée, et que le préjudice allégué n’est pas rapporté.
Vu l’ordonnance de clôture
Vu l’ordonnance de fixation.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme la décision en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
Dit que la société DOUANE AGENCE a commis des manquements à ses obligations en réalisant des déclarations erronées en douane ;
Déboute la société ARTYPO de ses demandes en paiement des droits éludés et en paiement des frais supplémentaires ;
Condamne la société DOUANE AGENCE à payer à la société ARTYPO la somme de 400 000 FCFP à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ;
Condamne la société DOUANE AGENCE à payer à la société ARTYPO la somme de 400 000 FCFP sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société DOUANE AGENCE aux dépens d’appel et de première instance.
Le greffier, Le président.
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