Type de juridiction : Cour d’appel.
Juridiction : Cour d’appel de Nîmes
Thématique : Prolongation de rétention administrative et contestation des mesures d’éloignement.
→ RésuméUn étranger, de nationalité algérienne, a reçu un arrêté préfectoral le 16 août 2024 lui imposant de quitter le territoire français sans délai, avec une interdiction de retour de deux ans. Après son interpellation le 18 janvier 2025 pour des infractions liées à la conduite sous l’emprise de stupéfiants, il a été placé en rétention administrative le 20 janvier 2025. Le Préfet des Bouches-du-Rhône a demandé plusieurs prolongations de cette rétention, qui ont été accordées par le tribunal judiciaire de Nîmes.
Le magistrat a prolongé la rétention à plusieurs reprises, notamment le 24 janvier, le 19 février, le 20 mars et le 6 avril 2025, en raison de l’absence de documents de voyage et de la nécessité d’assurer l’éloignement de l’intéressé. L’étranger a interjeté appel de la dernière ordonnance, contestant la légitimité de la prolongation et affirmant qu’il ne constituait pas une menace pour l’ordre public. Lors de l’audience, il a déclaré ne pas avoir de documents d’identité et s’opposer à un retour en Tunisie, affirmant être arrivé en France de manière irrégulière en 2022. Son avocat a soutenu que les conditions de sa rétention n’étaient pas justifiées, tandis que le représentant du Préfet a insisté sur le fait que son comportement constituait une menace pour l’ordre public. Le tribunal a jugé que la prolongation de la rétention était justifiée, en raison des infractions commises par l’étranger et de son statut irrégulier en France. Il a confirmé l’ordonnance de prolongation, soulignant que l’absence de documents et de domicile stable rendait impossible une assignation à résidence. La décision a été rendue le 8 avril 2025, avec la possibilité pour l’étranger de former un pourvoi en cassation. |
Ordonnance N°300
N° RG 25/00322 – N° Portalis DBVH-V-B7J-JRIJ
Recours c/ déci TJ Nîmes
06 avril 2025
[H]
C/
LE PREFET DES BOUCHES-DU-RHONE
COUR D’APPEL DE NÎMES
Cabinet du Premier Président
Ordonnance du 08 AVRIL 2025
(Au titre des articles L. 742-4 et L 742-5 du CESEDA)
Nous, Mme Marine KARSENTI, Conseillère à la Cour d’Appel de Nîmes, désignée par le Premier Président de la Cour d’Appel de Nîmes pour statuer sur les appels des ordonnances du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative, rendues en application des dispositions des articles L 742-1 et suivants du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit de l’Asile (CESEDA), assistée de Mme Ellen DRÔNE, Greffière,
Vu l’arrêté préfectoral ordonnant une obligation de quitter le territoire français en date du 16 août 2024 notifié le même jour, ayant donné lieu à une décision de placement en rétention en date du 20 janvier 2025, notifiée le même jour à 14h15 concernant :
M. [R] [H]
né le 18 Décembre 1995 à [Localité 2]
de nationalité Algérienne
Vu l’ordonnance en date du 24 janvier 2025 rendue par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative portant prolongation du maintien en rétention administrative de la personne désignée ci-dessus ;
Vu la requête reçue au greffe du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative le 04 avril 2025 à 15h16, enregistrée sous le N°RG 25/1768 présentée par M. le Préfet des Bouches-du-Rhône ;
Vu l’ordonnance rendue le 06 Avril 2025 à 12h51 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative sur quatrième prolongation, à titre exceptionnel qui a :
* Déclaré la requête recevable ;
* Ordonné pour une durée maximale de 15 jours commençant à l’expiration du précédent délai de 15 jours déjà accordé, le maintien dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, de M. [R] [H] ;
* Dit que la mesure de rétention prendra fin à l’expiration d’un délai de 15 jours à compter du 06 avril 2025 ;
Vu l’appel de cette ordonnance interjeté par Monsieur [R] [H] le 07 Avril 2025 à 11h25 ;
Vu l’absence du Ministère Public près la Cour d’appel de Nîmes régulièrement avisé ;
Vu la présence de Monsieur [Y] [G], représentant le Préfet des Bouches-du-Rhône, agissant au nom de l’Etat, désigné pour le représenter devant la Cour d’Appel en matière de Rétention administrative des étrangers, entendu en ses observations ;
Vu l’assistance de Monsieur [W] [P] interprète en langue arabe inscrit sur la liste des experts de la cour d’appel de Nîmes ;
Vu la comparution de Monsieur [R] [H], régulièrement convoqué ;
Vu la présence de Me Charlene MOUSSAVOU, avocat de Monsieur [R] [H] qui a été entendue en sa plaidoirie ;
Déclare qu’il est dépourvu de tout document d’identité, qu’il est opposé à un retour en Tunisie, qu’il a remis son passeport tunisien lors de son interpellation, qu’il est arrivé en France irrégulièrement en 2022,
Sollicite l’infirmation de l’ordonnance et sa remise en liberté immédiate.
Son avocat se désiste de l’irrégularité tirée de l’incompétence du signataire de la requête en prolongation de la rétention et soutient les autres moyens développés dans sa déclaration d’appel.
Le Préfet requérant pris en la personne de son représentant demande la confirmation de l’ordonnance dont appel. Il fait valoir que les conditions d’interpellation de M. [H] caractérisent une menace à l’ordre public.
SUR LA RECEVABILITE DE L’APPEL :
L’appel interjeté par Monsieur [H] sur une ordonnance rendue par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes a été relevé dans les délais légaux et conformément aux dispositions des articles L.743-21 et R.743-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Il est donc recevable.
SUR LE FOND :
L’article L. 742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que, « A titre exceptionnel, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparait dans les quinze derniers jours :
1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;
2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :
a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;
b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;
3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.
Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.
L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.
Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.
Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours. »
L’article L.741-3 du même code dispose quant à lui qu’il appartient au juge judiciaire d’apprécier la nécessité du maintien en rétention et de mettre fin à la rétention administrative, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient : « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration exerce toute diligence à cet effet. »
En l’espèce, la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée, il appartient donc à l’administration sollicitant la prolongation d’établir que la délivrance des documents de voyage doit intervenir à bref délai.
Le consulat de Tunisie dont Monsieur [H] se déclare ressortissant, a été saisi d’une première demande d’identification et de laissez-passer consulaire dès le placement en rétention de ce dernier, le 20 janvier 2025. M. [H] a été entendu par les autorités consulaires tunisiennes le 20 février 2025. Cette demande a été renouvelée le 18 mars 2025 et le 4 avril 2025.
Malgré les diligences, le dynamisme et la bonne foi non contestée des services de la préfecture, qui ont saisi les autorités consulaires et procédé aux relances utiles, il y lieu de constater que les échanges avec le consulat ne permettent pas d’établir que la délivrance d’un laissez-passer consulaire va intervenir à bref délai, dans la mesure où le consulat n’a encore apporté aucune réponse et où le préfet ne fait valoir aucune circonstance particulière qui permettrait d’être informé sur délais et les conditions de délivrance d’un laissez-passer.
L’administration ne peut donc se fonder sur le 3° de l’article L. 742-5 du code précité pour solliciter une prolongation.
Sur la menace à l’ordre public :
La quatrième prolongation de la rétention administrative ne peut être ordonnée que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque l’étranger constitue une menace grave pour l’ordre public.
La rédaction de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, qui prévoit plusieurs cas de prolongation exceptionnelle de la rétention, fait apparaître la menace à l’ordre public comme un motif autonome de prolongation.
L’emploi de l’adverbe « également » dans le dernier alinéa de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers indique que la menace à l’ordre public constitue un cas supplémentaire et indépendant de prolongation exceptionnelle de la rétention, s’ajoutant aux hypothèses énumérées aux 1° à 3°. Cette autonomie du motif tiré de la menace à l’ordre public permet au juge judiciaire d’ordonner la prolongation sur ce seul fondement, sans qu’il soit nécessaire de caractériser l’une des autres situations prévues par le texte.
S’il convient de rappeler que la commission d’une infraction pénale n’est pas de nature, à elle seule, à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public, la réalité de la menace doit être appréciée à la date considérée. Cette menace est caractérisée dès lors qu’elle survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, sans qu’il soit nécessaire de rechercher si un trouble à l’ordre public nouveau est intervenu au cours de la dernière période de rétention. En effet, ce n’est pas l’acte troublant l’ordre public qui est recherché, mais bien la réalité de la menace.
En l’espèce, M. [H] a été interpellé le 18 janvier 2025 à [Localité 1] pour des faits de conduite d’un véhicule après avoir fait usage de produits stupéfiants et défaut de permis de conduire. Les analyses toxicologiques, qui lui ont été notifiées, attestent de la consommation de cannabis et de la présence de cannabis dans le sang de M. [H] au moment de son interpellation. M. [H] a été interpellé alors qu’il circulait sur un axe routier en sens interdit. Il n’a pas contesté à l’audience la conduite de son véhicule alors qu’il était sous l’empire de produits stupéfiants, en l’espèce le cannabis.
L’absence de condamnation pénale n’exclut pas la caractérisation d’une menace pour l’ordre public, particulièrement lorsque les faits sont établis par des procès-verbaux d’interpellation en flagrance dont les éléments matériels objectifs suffisent à démontrer la réalité des agissements reprochés et, en conséquence, la menace qu’ils constituent pour l’ordre public.
C’est donc à juste titre que le premier juge a relevé la menace à l’ordre public représentée par le comportement de l’intéressé.
Ce motif suffit à autoriser la prolongation sollicitée.
SUR LA SITUATION PERSONNELLE DE MONSIEUR [H] :
Monsieur [H], présent irrégulièrement en France est dépourvu de passeport et de pièces administratives pouvant justifier de son identité et de son origine de telle sorte qu’une assignation à résidence judiciaire est en tout état de cause exclue par les dispositions de l’article L743-13 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Il ne justifie de plus d’aucune adresse, ni domicile stables en France, ne démontre aucune activité professionnelle et ne dispose d’aucun revenu ni possibilité de financement pour assurer son retour dans son pays.
Il est l’objet d’une mesure d’éloignement en vigueur, telle que précitée, et qui fait obstacle à sa présence sur le territoire français.
La prolongation de sa rétention administrative se justifie afin de procéder à son éloignement.
Il convient de confirmer l’ordonnance querellée en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort,
Vu l’article 66 de la constitution du 4 octobre 1958,
Vu les articles L.741-1, L742-1 à L743-9 ; R741-3 et R.743-1 à L.743-19 et L.743-21 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu le décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024 pris pour l’application du titre VII de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, relatif à la simplification des règles du contentieux ;
CONSTATANT qu’aucune salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n’est disponible pour l’audience de ce jour ;
DECLARONS recevable l’appel interjeté par Monsieur [R] [H] ;
CONFIRMONS l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
RAPPELONS que, conformément à l’article R.743-20 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile, les intéressés peuvent former un pourvoi en cassation par lettre recommandée avec accusé de réception dans les deux mois de la notification de la présente décision à la Cour de cassation 5 quai de l’Horloge 4ème étage, 75055 PARIS CEDEX 05.
Fait à la Cour d’Appel de Nîmes,
Le 08 Avril 2025 à
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
‘ Notification de la présente ordonnance a été donnée ce jour au Centre de rétention administrative de [Localité 3] à M. [R] [H], par l’intermédiaire d’un interprète en langue arabe.
Le à H
Signature du retenu
Copie de cette ordonnance remise, ce jour, par courriel à :
Monsieur [R] [H], pour notification par le CRA,
Me Charlene MOUSSAVOU, avocat,
Le Préfet des Bouches-du-Rhône,
Le Directeur du CRA de [Localité 3],
Le Ministère Public près la Cour d’Appel de Nîmes,
Le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes.
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