Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Nîmes
Thématique : Prolongation de rétention administrative : enjeux et procédures.
→ RésuméL’affaire concerne un individu de nationalité marocaine, désigné ici comme un étranger, qui a été condamné le 30 août 2024 par le tribunal correctionnel de Nîmes à une peine d’emprisonnement et à une interdiction de territoire français pour une durée de dix ans. Suite à cette condamnation, une mesure d’éloignement a été prononcée à son encontre, et il a été placé en rétention administrative le 8 janvier 2025.
Le Préfet du Gard a sollicité plusieurs prolongations de la rétention administrative, en raison de l’impossibilité d’exécuter la décision d’éloignement, notamment en raison de l’absence de documents d’identité et de voyage. Le magistrat du tribunal judiciaire de Nîmes a accordé ces prolongations, la dernière étant demandée le 23 mars 2025, pour une durée de quinze jours. L’étranger a interjeté appel de cette ordonnance, soutenant qu’il n’était pas opposé à un retour au Maroc et que sa situation de santé, ainsi que l’absence de reconnaissance par les consulats, rendaient sa rétention inappropriée. Lors de l’audience, l’avocat de l’étranger a fait valoir que les certificats médicaux attestant de troubles psychologiques ne justifiaient pas la prolongation de la rétention. Cependant, le Préfet a maintenu que la présence de l’étranger sur le territoire français constituait une menace pour l’ordre public, en raison de sa condamnation récente. Le tribunal a finalement déclaré l’appel recevable, mais a confirmé l’ordonnance de prolongation de la rétention, considérant que les conditions légales pour une telle mesure étaient remplies. L’étranger, dépourvu de documents d’identité et sans domicile stable, ne pouvait pas bénéficier d’une assignation à résidence, rendant ainsi nécessaire la poursuite de sa rétention en vue de son éloignement. |
Ordonnance N°271
N° RG 25/00292 – N° Portalis DBVH-V-B7J-JQ43
Recours c/ déci TJ Nîmes
25 mars 2025
[J]
C/
LE PREFET DU GARD
COUR D’APPEL DE NÎMES
Cabinet du Premier Président
Ordonnance du 27 MARS 2025
(Au titre des articles L. 742-4 et L 742-5 du CESEDA)
Nous, Mme Marine KARSENTI, Conseillère à la Cour d’Appel de Nîmes, désignée par le Premier Président de la Cour d’Appel de Nîmes pour statuer sur les appels des ordonnances du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative, rendues en application des dispositions des articles L 742-1 et suivants du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit de l’Asile (CESEDA), assistée de Mme Ellen DRÔNE, Greffière,
Vu l’interdiction de territoire français prononcée le 30 août 2024 par le tribunal correctionnel de Nîmes et notifiée le même jour, ayant donné lieu à une décision de placement en rétention en date du 08 janvier 2025, notifiée le même jour à 09h28 concernant :
M. [G] [J]
né le 28 Août 1991 à [Localité 2]
de nationalité Marocaine
Vu l’ordonnance en date du 12 janvier 2025 rendue par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative portant prolongation du maintien en rétention administrative de la personne désignée ci-dessus ;
Vu la requête reçue au greffe du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative le 23 mars 2025 à 15h38, enregistrée sous le N°RG 25/01525 présentée par M. le Préfet du Gard ;
Vu l’ordonnance rendue le 25 Mars 2025 à 11h44 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative sur quatrième prolongation, à titre exceptionnel qui a :
* Déclaré la requête préfectorale recevable ;
* Ordonné pour une durée maximale de 15 jours commençant à l’expiration du précédent délai de 15 jours déjà accordé, le maintien dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, de M. [G] [J] ;
* Dit que la mesure de rétention prendra fin à l’expiration d’un délai de 15 jours à compter du 24 mars 2025 ;
Vu l’appel de cette ordonnance interjeté par Monsieur [G] [J] le 26 Mars 2025 à 11h39 ;
Vu l’absence du Ministère Public près la Cour d’appel de Nîmes régulièrement avisé ;
Vu la présence de Monsieur [R] [B], représentant le Préfet du Gard, agissant au nom de l’Etat, désigné pour le représenter devant la Cour d’Appel en matière de Rétention administrative des étrangers, entendu en ses observations ;
Vu la comparution de Monsieur [G] [J], régulièrement convoqué ;
Vu la présence de Me Wafae EZZAITAB, avocat de Monsieur [G] [J] qui a été entendue en sa plaidoirie ;
Déclare qu’il n’est titulaire d’aucun document d’identité, qu’il n’est pas opposé à un retour au Maroc,
Sollicite l’infirmation de l’ordonnance querellée et sa remise en liberté immédiate.
Son avocat se rapporte à la déclaration d’appel, rappelle que la délivrance de documents de voyage à bref délai n’est nullement établie : M. [J] n’a pas été reconnu par la Tunisie, ni par le Maroc et la préfecture reste dans l’attente de la réponse des autorités algériennes. Elle relève que la menace à l’ordre public ne saurait être établie par une unique condamnation et qu’il présente des problèmes de santé.
M. [J] produit un certificat médical de l’UMCRA du 6 mars 2025 relevant une détresse psychologique et des certificats du 20 février 2025 et du 12 février 2025 attestant d’un suivi psychologique. M. [J] produit un ECG et des analyses biologiques du 3 septembre 2024.
Le Préfet requérant sollicite la confirmation de l’ordonnance entreprise.
SUR LA RECEVABILITE DE L’APPEL :
L’appel interjeté par Monsieur [J] sur une ordonnance rendue par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes a été relevé dans les délais légaux et conformément aux dispositions des articles L.743-21 et R.743-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Il est donc recevable.
SUR LE FOND :
L’article L. 742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que, « A titre exceptionnel, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparait dans les quinze derniers jours :
1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;
2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :
a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;
b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;
3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.
Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.
L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.
Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.
Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours. »
L’article L.741-3 du même code dispose quant à lui qu’il appartient au juge judiciaire d’apprécier la nécessité du maintien en rétention et de mettre fin à la rétention administrative, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient : « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration exerce toute diligence à cet effet. »
Sur la délivrance de documents de voyage à bref délai :
En l’espèce, Monsieur [J] ne disposait au moment de sa levée d’écrou, d’aucun justificatif en original de son identité ni d’aucun document de voyage et n’en a pas davantage communiqué depuis aux autorités administratives, de telle sorte qu’il est nécessaire de l’identifier formellement avant de pouvoir procéder à son éloignement effectif.
Si M. [J] a affirmé être de nationalité marocaine, il n’a pas été identifié par SCOPOL [Localité 4] comme un ressortissant marocain le 6 novembre 2024. Sa conjointe ayant déclaré dans le cadre de la procédure pénale qu’il était de nationalité algérienne, le consulat d’Algérie ainsi que le consulat de Tunisie ont été saisis d’une demande d’identification et de laissez-passer le 9 janvier 2025. M. [J] a été entendu par les autorités consulaires tunisiennes le 16 janvier 2025 et algériennes le 22 janvier 2025. Il a refusé de s’entretenir avec les autorités consulaires algériennes. Une relance a été adressée aux deux consulats le 4 février 2025. Le 22 février 2025, les autorités tunisiennes ont répondu ne pas reconnaitre M. [J]. Une relance a été adressée le 6 mars 2025 aux autorités algériennes.
Malgré les diligences, le dynamisme et la bonne foi non contestée des services de la préfecture, qui ont saisi les autorités consulaires et procédé aux relances utiles, il y lieu de constater que les échanges avec le consulat ne permettent pas d’établir que la délivrance d’un laissez-passer consulaire va intervenir à bref délai, dans la mesure où le consulat d’Algérie n’a encore apporté aucune réponse et où le préfet ne fait valoir aucune circonstance particulière qui permettrait d’être informé sur délais et les conditions de délivrance d’un laissez-passer.
L’administration ne peut donc se fonder sur le 3° de l’article L. 742-5 du code précité pour solliciter une prolongation.
Sur la menace à l’ordre public :
La quatrième prolongation de la rétention administrative ne peut être ordonnée que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque l’étranger constitue une menace grave pour l’ordre public.
La rédaction de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, qui prévoit plusieurs cas de prolongation exceptionnelle de la rétention, fait apparaître la menace à l’ordre public comme un motif autonome de prolongation.
L’emploi de l’adverbe « également » dans le dernier alinéa de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers indique que la menace à l’ordre public constitue un cas supplémentaire et indépendant de prolongation exceptionnelle de la rétention, s’ajoutant aux hypothèses énumérées aux 1° à 3°. Cette autonomie du motif tiré de la menace à l’ordre public permet au juge judiciaire d’ordonner la prolongation sur ce seul fondement, sans qu’il soit nécessaire de caractériser l’une des autres situations prévues par le texte.
S’il convient de rappeler que la commission d’une infraction pénale n’est pas de nature, à elle seule, à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public, la réalité de la menace doit être appréciée à la date considérée. Cette menace est caractérisée dès lors qu’elle survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, sans qu’il soit nécessaire de rechercher si un trouble à l’ordre public nouveau est intervenu au cours de la dernière période de rétention. En effet, ce n’est pas l’acte troublant l’ordre public qui est recherché, mais bien la réalité de la menace.
En l’espèce, M. [J] a été condamné le 30 août 2024 par le tribunal correctionnel de Nîmes à 8 mois d’emprisonnement avec maintien en détention ainsi qu’à la peine complémentaire d’interdiction de porter une arme pendant 5 ans et à une interdiction du territoire français pendant 10 ans pour des appels téléphoniques malveillants à l’égard de sa conjointe. Il a été incarcéré du 30 août 2024 au 8 janvier 2025.
La qualification des faits récents pour lesquels M. [J] a été condamné et les peines prononcées à son égard, tant par leur nature que par leur quantum, associées au prononcé d’une interdiction du territoire pendant 10 ans, permettent d’établir, en l’absence de toute manifestation de réhabilitation de l’intéressé, que la présence de M. [J] sur le territoire français constitue une menace pour l’ordre public.
A ce titre, la prolongation de la mesure de rétention se justifie afin qu’il soit procédé à son éloignement.
Sur l’incompatibilité de l’état de santé de M. [J] avec la mesure de rétention :
La pathologie cardiaque alléguée par M. [J] n’est pas établie pas les examens médicaux produits. Si les certificats médicaux produits font état de troubles anxieux et attestent d’un suivi psychologique, ils n’établissent pas une incompatibilité de l’état de santé de M. [J] avec la rétention. Il n’est pas établi que les soins auxquels M. [J] peut avoir accès au centre de rétention, en lien avec le milieu hospitalier, seraient insuffisants ou inadaptés.
Ce moyen sera rejeté.
SUR LA SITUATION PERSONNELLE DE MONSIEUR [J] :
Monsieur [J], présent irrégulièrement en France est dépourvu de passeport et de pièces administratives pouvant justifier de son identité et de son origine, de telle sorte qu’une assignation à résidence judiciaire est en tout état de cause exclue par les dispositions de l’article L743-13 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Il ne justifie de plus d’aucune adresse ni domicile stables en France, ne démontre aucune activité professionnelle et ne dispose d’aucun revenu ni possibilité de financement pour assurer son retour dans son pays.
Il est l’objet d’une mesure d’éloignement en vigueur, telle que précitée, et qui fait obstacle à sa présence sur le sol français. Il a fait l’objet d’un arrêté portant obligation de quitter le territoire français avec une interdiction de retour de 3 ans notifié le 9 août 2022 par la préfecture de Seine Saint Denis, à laquelle il ne s’est pas conformé.
La prolongation de sa rétention administrative se justifie afin de procéder à son éloignement.
Il convient donc de confirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort,
Vu l’article 66 de la constitution du 4 octobre 1958,
Vu les articles L.741-1, L742-1 à L743-9 ; R741-3 et R.743-1 à L.743-19 et L.743-21 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu le décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024 pris pour l’application du titre VII de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, relatif à la simplification des règles du contentieux ;
CONSTATANT qu’aucune salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n’est disponible pour l’audience de ce jour ;
DECLARONS recevable l’appel interjeté par Monsieur [G] [J] ;
CONFIRMONS l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
RAPPELONS que, conformément à l’article R.743-20 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile, les intéressés peuvent former un pourvoi en cassation par lettre recommandée avec accusé de réception dans les deux mois de la notification de la présente décision à la Cour de cassation [Adresse 1].
Fait à la Cour d’Appel de Nîmes,
Le 27 Mars 2025 à
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
‘ Notification de la présente ordonnance a été donnée ce jour au Centre de rétention administrative de [Localité 3] à M. [G] [J].
Le à H
Signature du retenu
Copie de cette ordonnance remise, ce jour, par courriel à :
Monsieur [G] [J], pour notification par le CRA,
Me Wafae EZZAITAB, avocat,
Le Préfet du Gard,
Le Directeur du CRA de [Localité 3],
Le Ministère Public près la Cour d’Appel de Nîmes,
Le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes.
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