Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Nîmes
Thématique : Rupture de contrat : enjeux de la procédure et de la preuve dans un contexte managérial contesté.
→ RésuméDans cette affaire, la société Matmut, une compagnie d’assurance, a licencié un salarié, occupant le poste d’adjoint qualité groupe agences, pour faute grave. Le salarié, embauché en 1996, a été mis en cause suite à un courriel anonyme reçu le 22 septembre 2020, dénonçant ses pratiques managériales. Une enquête interne a été menée, révélant des comportements jugés inappropriés, tels que du favoritisme, des humiliations publiques et des attitudes déplacées envers des collaboratrices.
Le 1er décembre 2020, l’employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable au licenciement, suivi d’une mise à pied conservatoire. Le licenciement a été notifié le 24 décembre 2020, en se basant sur les résultats de l’enquête interne. Le salarié a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes, arguant qu’il était sans cause réelle et sérieuse, et a demandé des indemnités. Le conseil de prud’hommes a rendu un jugement le 27 septembre 2022, validant le licenciement pour faute grave, tout en déboutant le salarié de ses demandes d’indemnités. Ce dernier a interjeté appel, soutenant que la procédure disciplinaire avait été mal engagée et que les motifs de licenciement étaient imprécis. Dans ses dernières écritures, le salarié a demandé à la cour d’infirmer le jugement et de condamner la société Matmut à verser des indemnités substantielles. De son côté, l’employeur a demandé la confirmation du jugement initial, arguant que le licenciement était justifié par des comportements managériaux inappropriés. La cour a finalement confirmé le jugement du conseil de prud’hommes, en reconnaissant que le licenciement était justifié par un comportement managérial défaillant, mais a accordé au salarié des indemnités de rupture conformément à la convention collective. Les parties ont été condamnées à supporter leurs propres dépens. |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/03274 – N° Portalis DBVH-V-B7G-ISYP
NR EB
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AVIGNON
27 septembre 2022
RG :F21/00087
[I]
C/
Mutuelle MATMUT
Grosse délivrée le 25 MARS 2025 à :
– Me
– Me
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 25 MARS 2025
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AVIGNON en date du 27 Septembre 2022, N°F21/00087
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Nathalie ROCCI, Présidente, a entendu les plaidoiries, en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Nathalie ROCCI, Présidente
M. Michel SORIANO, Conseiller
Mme Leila REMILI, Conseillère
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l’audience publique du 17 Janvier 2025, où l’affaire a été mise en délibéré au 25 Mars 2025.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANT :
Monsieur [YG] [I]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Stéphanie PRUDHOMME de la SELARL STEPHANIE PRUDHOMME AVOCAT CONSEIL, avocat au barreau d’AVIGNON
INTIMÉE :
Mutuelle MATMUT
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Sylvie SERGENT de la SELARL DELRAN BARGETON DYENS SERGENT ALCALDE, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Maxence VERVOORT de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Nathalie ROCCI, Présidente, le 25 Mars 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
La société Matmut est une compagnie d’assurance soumise aux dispositions de la convention collective des sociétés d’assurances.
M. [YG] [I] (le salarié) a été embauché le 03 décembre 1996 par la société Matmut (l’employeur) suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, en qualité d’agent d’accueil polyvalent.
Après avoir occupé différents postes au sein de la société ( responsable d’unité technique de production en 2001, assistant développement produit en 2008, responsable d’agence en 2010), M. [I] exerçait, au dernier état de la relation contractuelle, et suivant un avenant à son contrat de travail du 26 août 2013, la fonction d’adjoint qualité groupe agences, et percevait, à ce titre une rémunération mensuelle moyenne brute de 4 476,03 euros.
Le 22 septembre 2020, la Matmut était destinataire d’un courriel anonyme mettant en cause la pratique managériale de M. [I].
Une enquête interne était diligentée et un compte-rendu daté du 26 novembre 2020 était remis à l’employeur, constituée d’une synthèse de plusieurs entretiens avec des salariés et collaborateurs de la société.
Le 1er décembre 2020, la société Matmut a convoqué M. [I] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 10 décembre suivant, avec mise à pied à titre conservatoire.
Le 24 décembre 2020, le salarié s’est vu notifier son licenciement pour faute grave, dans les termes suivants:
‘ (…)
Nous vous rappelons ces faits :
Un mail en date du 22 septembre 2020 adressé a la DGA RH RS met en cause vos pratiques, notamment à [Localité 5] (84).
‘ M. [I] se croit au-dessus des lois, dénigre la gente féminine qui n’a principalement que des promotions canapé. Plein de personnes ont subi ces faits et gestes douteux, harcèlement, pression malheureusement certaines personnes ont mordu à l’hameçon’; ‘Cette personne a évolué alors qu’elle n’avait pas les compétences et a créé un réseau basé’ sur du copinage, on fait progresser des personnes par affinité le copain du copain bien sur, aucune promotion pour nous’; ‘Aujourd’hui la coupe est pleine, nous endurons depuis de nombreuses années cette ambiance malsaine et pesante’; ‘ Dans le secteur tout le monde est » au courant de ses agissements, (.) il a entretenu plusieurs relations avec des employées et tenter des choses avec d’autres;’ ‘ la crainte qu’une collaboratrice commette l’irréparable m’invite à ne plus garder pour moi ces comportements ».
Des lors, une enquête a été mise on place afin d’entendre les différentes parties prenantes.
Le 9 novembre 2020, l’ensemble des protagonistes a été informé de la mise en place de cette enquête interne. A ce titre, 27 entretiens ont été réalisés entre le 10 et le 25 novembre 2020.
Le compte rendu de cette enquête a été communique à la DGA RH RS le 26 novembre 2020.
Il ressort de cette enquête les faits suivants :
~ un management partial : les salariés ne seraient pas traités de façon équitable en fonction de la qualité de leur relation avec l’encadrement :
> ;
>;> ;
Un RA mentionne : >
~ des propos ou traitement des collaborateurs perçus comme dévalorisants :
humiliations publiques, propos blessants et humiliants envers plusieurs collaborateurs 1 blagues sur le physique, insultes. ..
> ; > ;
~ des attitudes déplacées à l’égard de jeunes collaboratrices: invitation à déjeuner en tête à tête malgré des refus exprimés, commentaires sur les tenues vestimentaires, relations sexuelles avec des collaboratrices
> ; > ; insistant lourdement (>), insister auprès des jeunes femmes pour manger en tête a tête malgré les refus >> ; > ça voulait dire tous ensemble. Et au moment de partir, je me tourne vers ma RA mais elle m’a dit qu’elle n’était pas conviée >> ;
> ; > ;
~ des agissements excédant les limites du pouvoir de direction, notamment en matière de:
– gestion des congés (…)
– évolution de carrière (…)
– menaces, pression, chantage (…)
~ des comportements déviants qualifiés de pervers avec pour but une valorisation de son propre pouvoir:
>, > ; > ; > ;> ; > ; > ;
(…)
Vous comprendrez que de tels agissements, ayant eu des repercussions importantes sur plusieurs salariés, sont inacceptables et constituent un manquement grave à votre obligation de loyauté inhérente à tout contrat de travail. Ils sont incompatibles avec l’exercice de vos obligations professionnelles.(…)’
Par requête du 15 mars 2021, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes d’Avignon aux fins de contester son licenciement et de voir condamner la société Matmut au paiement d’indemnités de rupture et de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et dans des circonstances brutales et vexatoires.
Par jugement contradictoire rendu le 27 septembre 2022, le conseil de prud’hommes d’Avignon a :
‘
– dit et jugé que le licenciement prononcé par la société Matmut envers M. [I] le 24 décembre 2020 repose sur une cause réelle et sérieuse,
– débouté M. [YG] [I] de ses demandes de dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que :
– la procédure disciplinaire n’a pas été engagée dans le délai de deux mois à compter de la connaissance des faits ;
– qu’il n’a pas été mis en oeuvre dans un délai restreint ;
– que la procédure de licenciement a porté atteinte aux droits de la défense ;
– qu’il est fondé sur des motifs imprécis ;
– débouté M. [I] de l’ensemble de ses demandes en réparation de prétendus dommages et intérêts résultant de son licenciement et de celles qui en déclinent et afférentes à celui-ci ;
– débouté M. [YG] [I] de ses demandes formulées au titre de l’article 700 du CPC ;
– condamné M. [YG] [I] à verser à la société Matmut la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du CPC ;
– condamné M. [YG] [I] aux entiers dépens de l’instance.’
Par acte du 10 octobre 2022, M. [I] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 28 septembre 2022.
En l’état de ses dernières écritures en date du 03 septembre 2024, le salarié demande à la cour de :
‘
– Révoquer l’ordonnance de clôture rendue le 17 mai 2024 afin de respecter le principe du contradictoire et les droits de la défense,
– Infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
– Dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que la procédure disciplinaire n’a pas été engagée dans le délai de deux mois à compter de la connaissance des faits,
– Dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse pour ne pas avoir été mis en ‘uvre dans un délai restreint,
– Dire et juger que le licenciement est nul et dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que la procédure de licenciement a porté atteinte aux droits de la défense,
– Dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce qu’il est fondé sur des motifs imprécis,
Par conséquent,
– Condamner la société MATMUT au paiement des sommes suivantes :
– 63 491.19 €, en application de la convention collective nationale des sociétés d’assurance, et compte tenu de la majoration due à l’âge de M. [I] (0.50% par année en tant que non cadre et 0.75% par année en tant que cadre),
– 13 428.09 € au titre du préavis,
– 1 342.81 € au titre de congés payés sur préavis
– 78 330.52 € à titre de dommages et intérêts en application du barème Macron, (17.5 x 4 476.03 €)
– 13 428.09 € en réparation du préjudice consécutif à la brutalité et au caractère vexatoire de la rupture du contrat de travail,
– 5000 € en application de l’article 700 du CPC,
– Condamner la Société MATMUT aux entiers dépens.’
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 10 mars 2023, l’employeur demande à la cour de :
‘
– Confirmer en toutes ces dispositions la décision du Conseil de prud’hommes d’AVIGNON du 27 septembre 2022,
En conséquence :
– Juger parfaitement régulier et fondé en droit comme en fait le licenciement pour faute grave notifié à M. [YG] [I],
En conséquence,
– Débouter M. [YG] [I] de toutes ses demandes, fins et prétentions à ce titre,
Si, par extraordinaire, la Cour devait entrer en voie de condamnation contre la MATMUT,
– Juger que M. [YG] [I] n’apporte pas la preuve de l’existence et de l’étendue des préjudices invoqués,
En conséquence,
– Réduire au strict minimum le quantum des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à savoir 3 mois de salaire (soit la somme de 13 428,09 €) en application de l’article L.1235-3 du Code du travail,
– Juger infondée la demande pécuniaire de M. [YG] [I] relative à la supposée exécution fautive par la MATMUT du contrat de travail,
En conséquence,
– Débouter M. [YG] [I] de ses demandes indemnitaires à ce titre,
– Juger infondée la demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,
En conséquence,
– Débouter M. [YG] [I] de sa demande à ce titre,
En tout état de cause,
– Débouter M. [YG] [I] de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Condamner, à titre reconventionnel, M. [YG] [I] à verser à la MATMUT la somme de 4 000 € prise en application de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais exposés à hauteur d’appel, en sus de la condamnation prononcée par le Conseil de Prud’hommes à hauteur de 1500 euros au titre des frais exposés en première instance
– Condamner M. [YG] [I] aux entiers dépens.’
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 17 mai 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 13 août 2024, laquelle a été révoquée au 19 décembre 2024. L’affaire initialement fixée à l’audience du 13 septembre 2024 a été renvoyée à l’audience du 17 janvier 2025.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile;
Dans la limite de la dévolution,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a rejeté les demandes de M. [I] au titre des indemnités de rupture et sauf sur l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Statuant à nouveau sur ces chefs et y joutant
Condamne la société Matmut à payer à M. [I] les sommes suivantes:
* 63 491, 19 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement en application de la convention collective nationale des sociétés d’assurance
* 13 428, 09 euros à titre d’indemnité de préavis.
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et d’appel
Condamne chacune des parties à conserver la charge de ses propres dépens de première instance et d’appel.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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