Cour d’appel de Metz, 3 avril 2025, RG n° 23/01204
Cour d’appel de Metz, 3 avril 2025, RG n° 23/01204

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Metz

Thématique : Rupture brutale de crédit et conséquences sur l’activité commerciale.

Résumé

Un acheteur et une vendeuse ont acquis un fonds de commerce de tabac le 7 mars 2005, avec le soutien financier de la SA Banque CIC Est, qui a accordé plusieurs autorisations de découvert. En janvier 2009, la banque a brutalement mis fin à l’autorisation de découvert, ce qui a conduit la vendeuse, représentée par un mandataire liquidateur, et l’acheteur à intenter une action en justice contre la banque pour obtenir des dommages-intérêts.

Le tribunal de grande instance de Strasbourg a, par jugement du 26 août 2011, condamné la banque à verser 50 000 euros de dommages-intérêts à la vendeuse, tout en réservant la décision sur d’autres demandes d’indemnisation. La cour d’appel de Colmar a confirmé ce jugement le 18 décembre 2013. Par la suite, la vendeuse et l’acheteur ont de nouveau assigné la banque pour obtenir des dédommagements supplémentaires, mais le tribunal a rejeté leurs demandes le 18 novembre 2016, en raison de l’absence de lien de causalité entre la rupture des concours bancaires et les pertes subies.

Les parties ont interjeté appel, et la cour d’appel de Colmar a infirmé le jugement de 2016 le 19 septembre 2018, condamnant la banque à verser des dommages-intérêts. Cependant, la Cour de cassation a cassé cet arrêt en avril 2023, renvoyant l’affaire devant la cour d’appel de Metz.

En juin 2023, la vendeuse a saisi la cour d’appel pour reprendre l’instance. Les prétentions de la vendeuse incluent des demandes de dommages-intérêts pour la perte du fonds de commerce et des revenus, tandis que la banque conteste la validité des demandes et réclame le paiement de créances dans le cadre de la liquidation judiciaire de la vendeuse. La cour a confirmé le jugement de 2016, rejetant les demandes de la vendeuse et de l’acheteur, et a condamné ces derniers aux dépens.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 23/01204 – N° Portalis DBVS-V-B7H-F7FQ

Minute n° 25/00055

[T] EPOUSE [D]

C/

[D], S.A. BANQUE CIC EST

Tribunal de Grande Instance à compétence commerciale de STRASBOURG

18 Novembre 2016

————

Cour d’appel de Colmar

Arrêt du 19 septembre 2018

————

Cour de cassation

Arrêt du 13 avril 2023

COUR D’APPEL DE METZ

CHAMBRE COMMERCIALE

RENVOI APRES CASSATION

ARRÊT DU 03 AVRIL 2025

DEMANDEUR A LA REPRISE D’INSTANCE :

Madame [G] [T] ex-épouse [D], en liquidation judiciaire, représentée par Maître [Z] [O], mandataire liquidateur domicilié [Adresse 3]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Jean-luc HENAFF, avocat postulant au barreau de METZ, et Me Baptiste LUTTRINGER, avocat plaidant du barreau de STRASBOURG

DEFENDEUR A LA REPRISE D’INSTANCE :

Monsieur [P] [D]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Jean-luc HENAFF, avocat au barreau de METZ

S.A. BANQUE CIC EST représentée par son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Gilles ROZENEK, avocat postulant au barreau de METZ, et Me Rita BADER, avocat plaidant du barreau de STRASBOURG

DATE DES DÉBATS : A l’audience publique du 07 Novembre 2024 l’affaire a été mise en délibéré, pour l’arrêt être rendu le 03 Avril 2025, en application de l’article 450 alinéa 3 du code de procédure civile.

GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Nejoua TRAD-KHODJA

COMPOSITION DE LA COUR :

PRÉSIDENT : Mme FLORES, Présidente de Chambre

ASSESSEURS : Mme DEVIGNOT,Conseillère

Mme DUSSAUD,Conseillère

ARRÊT : Contradictoire

Rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme FLORES, Présidente de Chambre et par Mme Cindy NONDIER, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

M. [P] [D] et Mme [G] [D] ont acquis le 7 mars 2005 un fonds de commerce de tabac et activités diverses pour l’acquisition et le fonctionnement duquel la SA Banque CIC Est (ci-après « le CIC ») a consenti différents concours et, notamment, le 21 juillet 2006 une autorisation de découvert de 20 000 euros sur le compte courant professionnel de Mme [G] [D] garantie par l’engagement de caution de M. [P] [D] et le 28 septembre 2007 une autorisation de découvert de 60 000 euros garantie par la caution solidaire des époux [D].

Les concours bancaires accordés par le CIC ont permis au fonds de commerce de se développer durant plusieurs années, la banque n’ayant émis aucune observation lors des dépassements de découverts autorisés en novembre 2007, mars et avril 2008.

Déplorant la décision brutale du CIC de mettre fin en janvier 2009 à une autorisation de découvert bancaire constante et ancienne, Mme [G] [D] née [T] représentée par Maître [Z] [O], mandataire liquidateur, et M. [P] [D] ont attrait le CIC devant le tribunal de grande instance de Strasbourg.

Par jugement du 26 août 2011, la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg a condamné la banque à payer à Mme [D] la somme de 50 000 euros de dommages-intérêts et réservé ses droits s’agissant de la demande d’indemnisation à raison de la perte du fonds de commerce évalué à 250 000 euros et de la demande d’indemnisation à raison de la perte de marge brute d’exploitation sur quatre ans évaluée à 100 000 euros, l’invitant à produire les bilans de 2006, 2007, 2008 et à justifier de l’impossibilité de revendre le fonds de commerce dans le cadre de la liquidation judiciaire et renvoyé l’affaire à une audience ultérieure à cette fin.

Par arrêt du 18 décembre 2013, la cour d’appel de Colmar a confirmé ce jugement.

Mme [D], représentée par le mandataire liquidateur et M. [D] ont assigné la banque devant le tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins de dédommagement à raison de la perte du fonds de commerce.

Par jugement du 18 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Strasbourg a rejeté les demandes de Mme [G] [D] représentée par Maître [O] ès qualités et de M. [P] [D], motif pris de l’absence de lien de causalité entre le retrait brutal des concours bancaires et respectivement la perte du fonds de commerce, la perte des revenus du fonds de commerce durant 4 ans et les autres préjudices.

Par déclaration du 20 décembre 2016, M. [P] [D] et Mme [G] [D] représentée par Maître [Z] [O] ès qualités, ont interjeté appel aux fins d’infirmation du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Strasbourg le 18 novembre 2016.

Par arrêt du 19 septembre 2018, la Cour d’appel de Colmar a :

infirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu le 18 novembre 2016 par le tribunal de grande instance de Strasbourg, chambre commerciale ;

Statuant à nouveau,

déclaré irrecevable la demande de la SA Banque CIC Est tendant à être dégagée de sa responsabilité à raison de la rupture brutale de l’autorisation de découvert en compte courant eu égard à l’autorité de chose jugée de l’arrêt confirmatif de la cour d’appel de Colmar du 18 décembre 2013 ;

condamné la SA Banque CIC Est à payer :

à Mme [D] représentée par Maître [O], liquidateur, la somme totale de 277 908,35 euros à titre de dommages et intérêts ;

à M. [D] la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts ;

dit que ces indemnités seront augmentées des intérêts au taux légal, capitalisables dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil, à compter du présent arrêt ;

rejeté le surplus des demandes d’indemnisation de la perte du fonds de commerce, de la perte des revenus des 4 dernières années, des frais et honoraires de la procédure d’expulsion ;

rejeté la demande d’indemnisation des frais et honoraires de la procédure de liquidation judiciaire, la demande d’indemnité d’exigibilité anticipée avec intérêts au taux contractuel à compter du 20 août 2010 ;

rejeté la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

rejeté la demande de capitalisation des intérêts pour toute période antérieure à la date du présent arrêt ;

dit n’y avoir lieu à compensation ;

Y ajoutant,

condamné la SA Banque CIC Est aux dépens de l’ensemble de la procédure de première instance et d’appels ;

condamné la SA Banque CIC Est à payer à Mme [D] représentée par Maître [O] ès qualités et à M. [D] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la SA Banque CIC Est.

Mme [D], représentée par Maître [O], liquidateur, a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu le 19 septembre 2018 par la cour d’appel de Colmar.

Par un arrêt rendu le 13 avril 2023, la Cour de cassation a :

cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 19 septembre 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ;

remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Metz ;

condamné M. [D] et Mme [D], représentée par M. [O], liquidateur, aux dépens ;

en application de l’article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande ;

dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Par déclaration du 05 juin 2023, Mme [D], représentée par Maître [O], liquidateur, a saisi la Cour d’appel de céans aux fins de reprise de l’instance après cassation.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 septembre 2024.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS :

Par conclusions du 17 juin 2024, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [D] demande à la Cour d’appel de :

dire recevables et bien fondés Madame [D] en l’ensemble de leurs demandes ;

Y faisant droit, infirmant en toutes ses dispositions le jugement du 18 novembre 2016 rendue par la Chambre Commerciale du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg, et statuant à nouveau :

condamner la Banque CIC Est à payer à Mme [D], représentée par Maître [O], ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation :

la somme de 495 000,00 euros correspondant à la valeur du fonds de commerce, stock compris ;

la somme de 436  674,00 euros correspondant à la perte des revenus qu’aurait retirés Mme [D] pendant 4 années ;

la somme de 3 956,80 euros correspondant aux frais et honoraires de la procédure de liquidation judiciaire de Mme [D] et réserver le droit de parfaire cette demande après émission par Maitre [O] de son décompte définitif ;

la somme de 3 783,35 euros correspondant aux frais et honoraires de la procédure de référé relative à la résiliation du bail commercial et ses suites ;

une somme totale de 10 031,85 euros au titre de l’indemnité d’exigibilité anticipée avec les intérêts au taux contractuel depuis le 20 août 2010 ;

condamner la Banque CIC Est à payer à Mme [D] une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

dire que les montants ci-dessus porteront intérêts au taux légal du jour de la demande jusqu’au jour du paiement ;

ordonner la capitalisation des intérêts et dire qu’ils porteront à leur tour intérêt dès qu’ils seront dus pour une année entière ;

débouter le CIC Est de ses fins, demandes et conclusions ;

condamner le CIC Est à payer une somme de 15 000 euros à Mme [D] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamner le CIC Est aux entiers frais et dépens.

Par conclusions du 10 avril 2024, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SA Banque CIC Est demande à la Cour d’appel de :

déclarer l’appel de Mme [D] représentée par Maître [O] mandataire liquidateur et l’appel incident de M. [D] mal fondés ;

confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

débouter Mme [D] représentée par Maître [O] mandataire liquidateur et M. [D] de l’ensemble de leurs fins, moyens et conclusions ;

Sur demande reconventionnelle de la SA Banque CIC Est :

déclarer la demande reconventionnelle de la SA Banque CIC Est recevable et fondée ;

En conséquence :

fixer la créance de la SA Banque CIC Est dans la liquidation judiciaire de Mme [D] à  :

À titre chirographaire :

973,06 euros au titre du compte courant ;

108 798,00 euros au titre du prêt n°3304561978110 ;

À titre privilégié :

49 945,45 euros au titre du prêt n°3304561978203, augmentés des intérêts au taux contractuel ;

ordonner la compensation des créances réciproques éventuelles ;

En tout état de cause :

débouter les appelants de l’ensemble de leurs fins moyens et conclusions ;

condamner conjointement et solidairement les appelants à payer à la SA Banque CIC Est une indemnité de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

condamner conjointement et solidairement les appelants aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel ;

Par conclusions récapitulatives du 24 août 2023, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [D] demande à la cour de :

dire recevable et bien-fondé M. [D] en l’ensemble de ses demandes ;

Y faisant droit, infirmant en toutes ses dispositions le jugement du 18 novembre 2016 rendu par la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg, et statuant à nouveau,

condamner la Banque CIC Est à payer à M. [D] une somme de 1 500,00 euros à titre de dommages et intérêts à raison du préjudice financier et moral subi suite aux difficultés financières causées par la rupture abusive des concours par la banque CIC Est ;

condamner la Banque CIC Est à payer à M. [D] une somme de 15 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

dire que les montants ci-dessus porteront intérêts au taux légal du jour de la demande jusqu’au jour du paiement ;

ordonner la capitalisation des intérêts et dire qu’ils porteront à leur tour intérêt dès qu’ils seront dus pour une année entière ;

débouter le CIC Est de ses fins, demandes et conclusions ;

condamner le CIC Est à payer une somme de 15 000,00 euros à M. [D] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamner le CIC Est aux entiers frais et dépens.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 18 novembre 2016 en toutes ces dispositions ;

Et Y ajoutant,

Fixe la créance de la SA Banque CIC Est dans la liquidation judiciaire de Mme [D] à :

À titre chirographaire :

973,06 euros au titre du compte courant ;

108 798,00 euros au titre du prêt n°3304561978110 ;

À titre privilégié :

49 945,45 euros au titre du prêt n°3304561978203,

Et ce avec intérêts contractuels en ce qui concerne les prêts aux taux mentionnés dans la déclaration de créance ;

Rejette la demande de compensation des créances réciproques ;

Condamne Mme [G] [T] épouse [D] et M. [P] [D] aux dépens engagés devant la cour d’appel de Colmar et devant la présente cour;

Condamne Mme [G] [T] épouse [D] et M. [P] [D] à payer à la SA Banque CIC Est la somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des procédures d’appel, y compris au titre des frais engagés devant la cour d’appel de Colmar;

Déboute Mme [G] [T] épouse [D] et M. [P] [D] de leurs demandes au titre des dépens et de l’application de l’article 700 du code de procedure civile.

La greffière, La Présidente de chambre,

 


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