Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Metz
Thématique : Vente automobile : nullité et restitution en raison de vices du consentement
→ RésuméRappel des faitsLe 11 août 2020, une acheteuse a acquis un véhicule Peugeot 3008 auprès d’un vendeur professionnel, la société Toon’s Detailing, pour un montant de 18.150,76 euros. Problèmes rencontrésSuite à une panne le 26 juin 2021, le vendeur a repris le véhicule sans remettre la carte grise à l’acheteuse. Cette dernière a découvert que le kilométrage affiché sur le véhicule ne correspondait pas à celui mentionné sur une facture de réparation antérieure. Malgré un accord verbal pour résoudre la vente, le vendeur n’a pas restitué le prix d’achat. Procédure judiciaireL’acheteuse a assigné le vendeur devant le tribunal judiciaire le 2 mai 2022, demandant la restitution du prix d’achat, des dommages-intérêts pour préjudice de jouissance, et des frais de justice. Le vendeur n’a pas comparu. Par jugement du 27 octobre 2022, le tribunal a débouté l’acheteuse de toutes ses demandes. Appel de la décisionL’acheteuse a interjeté appel le 21 novembre 2022, demandant l’infirmation du jugement. Elle a pris des conclusions le 20 février 2023, sollicitant la nullité du contrat ou la résolution judiciaire, ainsi que la restitution du prix et des dommages-intérêts. Arguments des partiesL’acheteuse a soutenu qu’elle était une consommatrice et que le vendeur, en tant que professionnel, devait respecter des obligations d’information. Elle a également évoqué un vice du consentement en raison de la dissimulation du kilométrage réel. Le vendeur n’a pas constitué avocat pour répondre aux arguments. Décision de la cour d’appelLe 16 avril 2024, la cour d’appel a ordonné la réouverture des débats et a invité les parties à clarifier la législation applicable. Par la suite, la cour a statué sur le fond, constatant que le vendeur avait manqué à ses obligations de délivrance, justifiant ainsi la résolution du contrat. CondamnationsLa cour a condamné le vendeur à restituer à l’acheteuse la somme de 18.150,76 euros avec intérêts, ainsi qu’à verser 1.399,94 euros pour préjudice de jouissance. Le vendeur a également été condamné aux dépens et à rembourser les frais irrépétibles de l’acheteuse. |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° RG 22/02639 – N° Portalis DBVS-V-B7G-F3HW
Minute n° 24/00296
[D]
C/
S.A. TOON’S DETAILING
Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de METZ, décision attaquée en date du 27 Octobre 2022, enregistrée sous le n° 2022/01219
COUR D’APPEL DE METZ
1ère CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 24 DECEMBRE 2024
APPELANTE :
Madame [E] [D]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Déborah BEMER, avocat au barreau de METZ
INTIMÉE :
S.A. TOON’S DETAILING Société de droit luxembourgeois, représentée par son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 5]
Non représentée
DATE DES DÉBATS : A l’audience publique du 10 Octobre 2024 l’affaire a été mise en délibéré, pour l’arrêt être rendu le 24 Décembre 2024.
GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Cindy NONDIER
COMPOSITION DE LA COUR :
PRÉSIDENT : M. DONNADIEU, Président de Chambre
ASSESSEURS : Mme FOURNEL,Conseillère
M. MAUCHE,Conseillère
ARRÊT : Réputé contradictoire
Rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par M. Christian DONNADIEU, Président de Chambre et par Mme Cindy NONDIER, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [E] [D] a acquis le 11 août 2020 un véhicule Peugeot 3008 immatriculé [Immatriculation 6] auprès de la société de droit luxembourgeois Toon’s Detailing, spécialisée dans la vente de véhicules automobiles, pour un montant de 18.150,76 euros.
Faisant valoir que, à la suite d’une panne survenue le 26 juin 2021 la société Toon’s Detailing avait repris le véhicule, dont la carte grise ne lui avait jamais été remise, et qu’elle s’était en outre rendu compte à cette occasion que le kilométrage affiché sur le véhicule n’était pas celui mentionné sur une facture de réparation antérieure à la vente, et exposant que malgré l’accord initial de la société Toon’s Detailing sur une résolution de la vente, celle-ci ne lui avait jamais restitué le prix de vente du véhicule, Mme [E] [D] a assigné devant le tribunal judiciaire la S.A. de droit luxembourgeois Toon’s Detailing par acte signifié le 02 mai 2022 selon les formalités prévues au règlement CE n° 1393/2007 du 13 novembre 2017, afin d’obtenir condamnation de cette société, sur le fondement de l’article 1103 du code civil, à lui payer les sommes de :
18.150,76 euros correspondant au prix d’achat du véhicule, avec intérêts légaux à compter de la signification de l’assignation,
6.020 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de jouissance, somme à parfaire à hauteur de 20 euros par jour jusqu’à la date du jugement à intervenir,
2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Bien que régulièrement assignée la société de droit luxembourgeois Toon’s Detailing n’a pas comparu ni constitué avocat.
Par jugement réputé contradictoire du 27 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Metz a :
Débouté Mme [E] [D] de sa demande de restitution de la somme de 18 150,76 euros ;
Débouté Mme [E] [D] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice de jouissance ;
Débouté Mme [E] [D] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Laissé les dépens à la charge de Mme [E] [D] ;
Rappelé que l’exécution provisoire du jugement est de droit.
Le tribunal a retenu sa compétence en application des articles 5.1. de la convention de Bruxelles et 7.1 du règlement Bruxelles I bis, dès lors que le lieu de livraison du véhicule était le domicile de Mme [D], situé en France.
Ayant rappelé que selon l’article 4 du code de procédure civile, l’objet du litige est déterminé par les prétentions des parties, le tribunal a relevé que, si Mme [D] avait exposé dans son assignation avoir découvert que le kilométrage réel du véhicule n’était pas celui affiché, elle n’avait saisi cependant le tribunal d’aucune demande à ce titre et ne fondait sa demande en restitution du prix de vente que sur l’obligation de restitution dont serait tenue selon elle la société Toon’s Detailing, en alléguant des dispositions de l’article 1103 du code civil et de l’accord de cette société sur ce point.
Or le tribunal a constaté que la vente litigieuse était parfaite, le contrat ayant été exécuté de manière réciproque par chacune des parties. Il a rappelé que les contrats, qui font la loi des parties ne pouvaient être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties et pour les causes que la loi autorise, et a relevé que les courriers produits, contradictoires, ne faisaient pas preuve d’un accord de la société Toon’s Detailing sur la restitution du prix et donc sur la résolution amiable de la vente.
Il en a conclu que Mme [D] échouait à faire la preuve d’une convention passée entre les parties prévoyant une résolution amiable de la vente, observant que sauf à s’écarter de l’article 4 précité le tribunal ne pouvait statuer que sur les prétentions telles que formulées par Mme [D].
Le tribunal a également rejeté la demande de Mme [D] au titre d’un préjudice de jouissance, dès lors que celle-ci n’invoquait aucune action en responsabilité et ne procédait à aucune démonstration sur la faute qui aurait été commise par la société Toon’s Detailing, alors au contraire qu’elle exposait que cette société aurait repris le véhicule aux fins de réparation. Il a en conséquence également rejeté sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 21 novembre 2022, Mme [D] a interjeté appel du jugement aux fins d’obtenir son infirmation en ce qu’il :
L’a déboutée de sa demande de restitution du prix à savoir 18.150,76 euros ;
L’a déboutée de sa demande d’indemnisation du préjudice de jouissance ;
L’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
A laissé les dépens à sa charge ;
Rappelé que l’exécution provisoire était de droit.
Mme [E] [D] a pris à hauteur d’appel des conclusions en date du 20 février 2023 par lesquelles elle sollicitait l’infirmation du jugement, à titre principal la nullité du contrat, à titre subsidiaire la résolution judiciaire de celui-ci et en tout état de cause la condamnation de la SA Toon’s Detailing à lui restituer la somme de 118.150,76 euros et à lui payer une somme de 6.020 euros à titre de dommages-intérêts.
Bien que la déclaration d’appel et les conclusions justificatives d’appel lui aient été signifiées le 31 mars 2023 selon les formalités prévues au règlement CE n°1393/2007 du 13 novembre 2007 relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, la société de droit luxembourgeois Toon’s Detailing n’a pas constitué avocat.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2023.
Par arrêt avant-dire droit du 16 avril 2024, la cour d’appel de Metz a :
Ordonné le rabat de l’ordonnance de clôture ;
Ordonné la réouverture des débats, tout droit et moyens des parties réservés ;
Invité les parties à s’expliquer sur la législation applicable au présent litige et dans l’hypothèse où la législation luxembourgeoise devrait être retenue, à préciser les fondements juridiques de l’action et des prétentions de Mme [D] en considération de la législation luxembourgeoise sur l’obligation de délivrance
Renvoyé l’affaire à une audience de mise en état,
Réservé les demandes ainsi que les dépens.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions du 11 juillet 2024 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [E] [D] demande à la cour d’appel de :
Dire l’appel formé par Madame [E] [D] recevable et bien fondé,
Ainsi,
Y faire droit,
En conséquence,
Infirmer le jugement rendu le 27 octobre 2022 en toutes ses dispositions, notamment en ce qu’il a débouté Madame [D] de sa demande de restitution de la somme de 18 150,76 euros ; débouté Madame [D] de sa demande d’indemnisation d’un préjudice de jouissance ; débouté Madame [D] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; laissé les dépens à sa charge.
Et statuant de nouveau,
A titre principal,
Prononcer la nullité de la vente intervenue le 11 août 2020 entre Madame [E] [D] et la société Toon’s Detailing Sa concernant le véhicule d’occasion Peugeot 3008
Constater l’existence d’un vice d’un vice du consentement rendant impossible le maintien du contrat conclu entre les parties,
Ainsi, ordonner la restitution du prix de vente de 18 150.76 euros à Madame [E] [D] en raison de la nullité du contrat de vente pour vices du consentement, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l’assignation.
A titre subsidiaire,
Prononcer la résolution judiciaire de la vente intervenue le 11 août 2020 entre Madame [E] [D] et la société Toon’s Detailing SA concernant le véhicule d’occasion Peugeot 3008,
Constater la mauvaise foi de la société Toon’s Detailing SA,
Ainsi,
Condamner la société Toon’s Detailing SA à restituer à Madame [E] [D] la somme de 18 150,76 euros correspondant au prix d’achat du véhicule, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l’assignation.
En tout état de cause,
Constater l’existence du préjudice de jouissance de Madame [E] [D],
Ainsi,
Condamner la société Toon’s Detailing SA à payer à Madame [E] [D] la somme de 6 020,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance, et cela avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l’assignation,
Débouter la société Toon’s Detailing de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
Condamner la société Toon’s Detailing à payer à Madame [E] [D] la somme de 2 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société Toon’s Detailing aux entiers frais et dépens d’instance et d’appel.
En réponse à l’arrêt avant dire droit de la cour, Mme [D] fait valoir qu’elle est une consommatrice, et la société Toon’s Detailing un professionnel de la vente de véhicules. Elle indique que lors de la conclusion du contrat, les parties n’ont pas désigné la loi applicable de sorte qu’il convient de faire application du règlement CE du 17 juin 2008 dit Rome 1 et plus particulièrement de son article 6, lequel édicte des dispositions dérogeant à l’article 4 du même règlement, en prévoyant que le contrat est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle, à la condition, notamment, que le professionnel dirige par tout moyen son activité vers le pays de résidence du consommateur ou vers plusieurs pays dont celui-ci, et que le contrat entre dans le cadre de cette activité.
Elle fait valoir qu’en l’espèce la société Toon’s Detailing, vendeur professionnel de véhicules, ne dirige pas uniquement son activité vers le Grand-Duché du Luxembourg mais propose ses véhicules à la vente vers tous les pays de l’Union Européenne. Elle précise que le véhicule a été immatriculé en France et livré en France de sorte qu’en application de l’article 6 b précité, il convient d’appliquer au contrat la loi du consommateur, à savoir la loi française.
Subsidiairement et à supposer la loi luxembourgeoise applicable, Mme [D] se réfère à l’article 5 de la loi du 21 avril 2004 ayant transposé dans le droit luxembourgeois la directive 1999/44/CE sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, cet article prévoyant qu’en cas de défaut de conformité le consommateur a la possibilité de rendre le bien et de se faire restituer le prix.
Au fond, Mme [D] déclare solliciter à titre principal la nullité du contrat de vente pour vice du consentement, et se réfère expressément à l’article 1137 du code civil relatif au dol.
Elle expose avoir rapidement constaté, après la vente, l’extrême mauvaise foi du vendeur qui refusait de lui délivrer une carte grise à son nom. Elle ajoute surtout que le véhicule affichait 41.038 km au compteur alors qu’il s’est avéré qu’il en avait en réalité plus de 74.626 depuis septembre 2019, date d’une facture retrouvée au fond du vide-poche du véhicule.
Elle fait valoir que le compteur kilométrique a été modifié, et que si elle avait connu le kilométrage véritable du véhicule elle ne l’aurait certainement pas acquis, ou sinon pour un prix nettement inférieur.
Elle affirme ainsi avoir été volontairement trompée par la société Toon’s Detailing, vendeur professionnel, qui lui a volontairement caché une information essentielle et elle considère que la man’uvre dolosive est constituée.
A titre subsidiaire elle sollicite la résolution judiciaire du contrat en soutenant que de jurisprudence constante l’acheteur trompé par son vendeur professionnel a la possibilité d’agir sur le fondement de l’action en nullité ou en résolution.
Elle indique avoir tenté d’obtenir à l’amiable une telle résolution, avec laquelle le vendeur était initialement d’accord avant de se raviser. Elle souligne qu’à l’heure actuelle la société Toon’s Detailing est toujours en possession du véhicule, et rappelle que selon l’article 1227 du code civil la résolution peut en toute hypothèse être demandée en justice, et que selon l’article 1229 la résolution met fin au contrat et oblige les parties à restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procurées l’une à l’autre.
Elle conclut que la tromperie dont elle a été l’objet doit pouvoir être réparée, et que le vendeur n’a pas respecté ses obligations légales d’information et de délivrance conforme.
Quant à son préjudice de jouissance, Mme [D] se fonde sur l’article 1228 du code civil qui permet au juge saisi d’une demande en résolution d’accorder des dommages-intérêts, et elle expose qu’à compter du 1er juillet 2021 elle s’est retrouvée sans véhicule alors qu’elle travaillait loin de son domicile et parcourait chaque jour de nombreux kilomètres. Elle indique avoir d’abord loué des véhicules, avant d’en racheter un nouveau le 27 avril 2022.
Elle soutient avoir également continué à payer l’assurance du véhicule Peugeot 3008 jusqu’au 31 août 2022, et réclame finalement une somme de 6.020 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de jouissance.
La S.A Toon’s Detailing n’a pas constitué avocat.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 19 septembre 2024.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
Prononce la résolution judiciaire de la vente intervenue le 11 août 2020 entre Mme [E] [D] et la société de droit luxembourgeois Toon’s Detailing SA, portant sur le véhicule Peugeot 3008 n° de série VF3MJAHXHGS279165,
Condamne la société Toon’s Detailing SA à restituer à Mme [E] [D] la somme de 18 150,76 euros avec intérêts au taux légal à compter du 02 mai 2022,
Condamne la société Toon’s Detailing SA à verser à Mme [E] [D] une somme de 1399,94 euros à titre de dommages-intérêts pour son préjudice de jouissance, avec intérêt légaux à compter du présent arrêt,
Condamne la société Toon’s Detailing SA aux entiers dépens de première instance,
Condamne la société Toon’s Detailing SA à verser à Mme [E] [D] une somme de 1000 euros en remboursement des frais irrépétibles exposés en première instance,
Y ajoutant,
Condamne la société Toon’s Detailing SA aux entiers dépens d’appel,
Condamne la société Toon’s Detailing SA à verser à Mme [E] [D] une somme de 1000 euros en remboursement des frais irrépétibles exposés à hauteur d’appel.
La Greffière Le Président de chambre
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