Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Lyon
→ RésuméLe 9 mars 2015, un cadreur, [X] [R], a tragiquement perdu la vie lors d’un tournage en Argentine, suite à la collision de deux hélicoptères. La caisse primaire d’assurance maladie a reconnu cet événement comme un accident du travail. L’épouse de la victime a alors saisi le tribunal pour faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur, la société [14]. Le tribunal a conclu que l’employeur avait conscience des risques liés à l’accident et n’avait pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des employés. En conséquence, des indemnités ont été allouées aux ayants droit de [X] [R].
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Dans le cadre de l’émission Dropped (deux hélicoptères utilisés sur le tournage d’une nouvelle émission de téléréalité de TF1 entrés en collision en Argentine, entraînant la mort des dix passagers), le producteur de l’émission a été reconnu coupable de faute inexcusable.
En vertu du contrat de travail liant le producteur (employeur) à son salarié (cameraman), l’employeur est tenu envers ce dernier d’une obligation de sécurité de moyen renforcée en ce qui concerne les accidents du travail. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié. Il suffit, pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, qu’elle en soit la cause nécessaire, alors même que d’autres facteurs ont pu concourir à la réalisation du dommage. L’employeur ne peut s’affranchir de son obligation de sécurité par la conclusion d’un contrat prévoyant qu’un tiers assurera cette sécurité. Le manquement à l’obligation de moyen renforcée précitée a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver, la conscience du danger s’appréciant au moment ou pendant la période de l’exposition au risque. En la cause, peu importe les éléments statistiques dont excipe l’employeur sur l’absence de dangerosité particulière des déplacements en hélicoptère, le manquement à l’obligation de sécurité devant s’apprécier de manière concrète, au cas particulier. En premier lieu, le poste de cadreur occupé par le cadreur n’était par nature un poste à risques, étant précisé que le salarié n’était pas censé effectuer un travail en hauteur au sens de la législation du travail. Toutefois, il ressort des éléments du dossier et notamment du rapport de la JIAAC que le jour de l’accident litigieux, l’employeur, contrairement à ce qu’il prétend, a pris la décision d’organiser le vol à basse altitude de deux hélicoptères transportant des passagers, dont le cadreur, en formation rapprochée, comme il ressort de la trajectoire reconstituée des appareils et du faible intervalle de décollage entre eux. Le minutage de l’accident, 1,40 mn après le décollage selon le rapport JIAAC, confirme le choix d’une jonction rapide des deux appareils. Or, l’intervalle de départ entre les deux aéronefs et le parcours suivi par ceux-ci ne s’expliquent que si le vol, qui était filmé depuis le sol, a été scénarisé et s’il a été expressément demandé aux pilotes de voler en formation rapprochée dans le temps et dans l’espace. Il est patent que l’organisation de ce vol correspond à un scénario défini par la société de production qui souhaitait réaliser des prises de vue dudit vol dans le cadre du tournage de l’émission d’aventure Dropped. En opérant ce choix auquel il n’était nullement contraint, l’employeur a, en toute conscience, fait courir un risque aux passagers de l’hélicoptère. Et il importe peu que son choix n’ait pas été interdit pour les vols civils. Il est à l’origine directe et certaine de la collision entre les deux appareils ayant entraîné le décès de la victime et de 9 autres personnes. De plus, la procédure d’information ouverte en France, ainsi que les auditions qui ont été réalisées dans ce cadre, ont révélé les lacunes dans la planification de l’opération, à l’origine de l’accident, les caractéristiques de la collision ayant permis d’admettre que les pilotes n’ont pas eu le temps suffisant pour tenter une manoeuvre d’évitement. De même, ce type de vol n’a pas été évalué dans le plan de sécurité initial qui ne fait état que de risques de chute depuis une porte et de percussion par le rotor de queue. En outre, aucun vol d’essai sans passager n’a été préalablement tenté, aucun moyen de communication entre les aéronefs, ou entre ces derniers et le sol, n’a été prévu et il est indifférent que des sociétés tierces soient intervenues pour assurer les prestations techniques et de sécurité lesquelles demeuraient sous la supervision de la société qui conservait la direction et le contrôle de l’opération. Par ailleurs, aucun dossier de formation des pilotes pour des vols en formation comme celui qui a provoqué l’accident, ni aucun briefing des pilotes avant le vol, n’est justifié par l’employeur. C’est donc à bon droit que le juge a considéré que la société de production avait ou aurait dû avoir conscience du danger et qu’elle n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Conformément aux dispositions des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, il retient qu’en cas de faute inexcusable, la majoration de la rente d’accident du travail et les sommes dues en réparation des préjudices subis sont payées directement aux bénéficiaires par la caisse, à charge pour celle-ci de récupérer, auprès de l’employeur, les compléments de rente et indemnités ainsi versés. |
Résumé de l’affaire : Accident Mortel en ArgentineLe 9 mars 2015, un salarié, [X] [R], cadreur pour la société [14], a perdu la vie dans un accident d’hélicoptère en Argentine, lors du tournage d’une émission de télévision. Cet accident a été causé par une collision entre deux hélicoptères en vol, suivie d’un crash. Prise en Charge et EnquêtesLe décès a été reconnu comme un accident du travail par la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône, qui a pris en charge les conséquences au titre de la législation sur les risques professionnels. Une information judiciaire pour homicide involontaire a été ouverte en France, tandis qu’une enquête administrative a été menée par la Junta de Investigacion de Accidentes de Aviacion Civil en Argentine, avec l’assistance du Bureau d’Enquête et d’Analyses. Demande de Reconnaissance de Faute InexcusableAprès un échec de conciliation, l’épouse de la victime, Mme [S] [R], a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon pour faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur. D’autres membres de la famille de la victime ont également intervenu dans la procédure. Jugement du TribunalLe tribunal a rendu un jugement le 24 septembre 2018, déclarant que l’accident était imputable à la faute inexcusable de l’employeur. Il a ordonné la majoration des rentes pour les ayants droit et a alloué des indemnités spécifiques à chaque membre de la famille de la victime. La société [14] a été condamnée à payer des frais supplémentaires. Appel de la Société [14]La société [14] a fait appel de cette décision, et les procédures ont été jointes. La cour a décidé de surseoir à statuer en attendant la décision de la juridiction pénale. Révocation du Sursis à StatuerEn novembre 2023, les consorts [R] ont demandé la révocation du sursis à statuer, citant un arrêt de la Cour de cassation qui avait reconnu la faute inexcusable de la société [14] dans une affaire distincte. La cour d’appel de Lyon a ordonné la révocation du sursis en mars 2024. Demandes des Ayants DroitLes ayants droit de [X] [R] ont demandé à la cour de confirmer le jugement initial, en insistant sur la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [14] et en demandant des indemnités pour préjudice moral. Position de la Société [14]La société [14] a contesté la reconnaissance de sa faute inexcusable, arguant qu’elle avait pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses employés. Elle a également demandé la déclaration d’irrecevabilité de l’intervention de la demi-sœur de la victime. Décision de la Cour d’AppelLa cour a confirmé la faute inexcusable de l’employeur, en se basant sur des éléments de preuve montrant que la société [14] avait conscience des risques liés à l’accident. Elle a également confirmé les indemnités allouées aux ayants droit et a accordé une somme supplémentaire à la demi-sœur de la victime. Conséquences FinancièresLa cour a ordonné la majoration des rentes au maximum prévu par la loi et a statué que les indemnités pour préjudices moraux seraient versées directement aux bénéficiaires par la caisse, qui se retournerait ensuite contre l’employeur pour récupérer les sommes versées. ConclusionLa société [14] a été condamnée à payer les dépens d’appel et une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, confirmant ainsi la responsabilité de l’employeur dans l’accident mortel de [X] [R]. REPUBLIQUE FRANÇAISE 22 octobre 2024
Cour d’appel de Lyon RG n° 18/06753 AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
DOUBLE RAPPORTEUR R.G : N° RG 18/06753 – N° Portalis DBVX-V-B7C-L6DK SAS [14] ([14]) C/ [R] [R] [V] [R] [R] [M] CPAM DU RHONE APPEL D’UNE DÉCISION DU : Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LYON du 24 Septembre 2018 RG : 20170427 AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS COUR D’APPEL DE LYON CHAMBRE SOCIALE D PROTECTION SOCIALE ARRÊT DU 22 OCTOBRE 2024 APPELANTE : SAS [14] ([14]) [Adresse 2] [Localité 11] représentée par Me Cédric FISCHER de la SCP FTMS Avocats, avocat au barreau de PARIS INTIMES : [S] [R], agissant tant en son nom personnel qu’ès qualité de représentante légale de son fils mineur [Z] [R], pour être né le 04 Juillet 2014 à [Localité 21] née le 08 Août 1985 à [Localité 15] [Adresse 5] [Localité 3] [I] [V] née le 25 Septembre 1952 à [Localité 18] [Adresse 6] [Localité 9] [D] [R] né le 20 Octobre 1954 à [Localité 20] [Adresse 4] [Adresse 4] [Localité 13] [E] [R] né le 06 Avril 1993 à [Localité 19] (69) [Adresse 12] [Localité 7] [L] [M] épouse [P] née le 09 Novembre 1970 à [Localité 18] (03) [Adresse 1] [Localité 8] représentés par Me Denis ROUANET de la SELARL BENOIT – LALLIARD – ROUANET, avocat au barreau de LYON CPAM DU RHONE [Localité 10] représentée par Mme [B] [H] (Membre de l’entrep.) en vertu d’un pouvoir général DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 24 Septembre 2024 COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS : Présidée par Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente et Nabila BOUCHENTOUF, conseillère, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistées pendant les débats de Christophe GARNAUD, greffier placé COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : – Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente – Nabila BOUCHENTOUF, conseillère – Anne BRUNNER, conseillère ARRET : CONTRADICTOIRE prononcé publiquement le 22 Octobre 2024 par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Présidente, et par Christophe GARNAUD, greffier placé, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire. ********************
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS [X] [R] (le salarié), engagé par la société [14] (la société [14], l’employeur) en qualité de cadreur, a été victime d’un accident mortel le 9 mars 2015, en Argentine, suite à une collision entre deux hélicoptères en vol suivi d’un crash, dans le cadre du tournage de l’émission de télévision [16]. Ce décès a été pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône (la caisse, la CPAM) au titre de la législation sur les risques professionnels par décision du 17 mars 2015. A la suite de cet accident, une information judiciaire a été ouverte au Tribunal judiciaire de Paris du chef d’homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence. Une instruction a également été ouverte par la justice Argentine. Une enquête administrative a par ailleurs été diligentée par l’organisme argentin chargé des enquêtes de sécurité sur les accidents de l’aviation civile, la Junta de Investigacion de Accidentes de Aviacion Civil (la JIAAC), assisté du Bureau d’Enquête et d’Analyses (BEA) pour la sécurité de l’aviation civile. Un rapport sur les faits et les circonstances de l’accident a été rendu public le 15 décembre 2015. Souhaitant voir reconnaître la faute inexcusable de la société [14] et après échec de la tentative de conciliation devant la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône Mme [S] [R], épouse de la victime, agissant pour son compte et pour celui de [Z] [R], son fils mineur, a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon, devenu le pôle social du tribunal judiciaire, par requête du 16 février 2017. Mme [I] [V] et M. [D] [R], parents de la victime, ainsi que M. [E] [R], demi-frère de la victime, sont intervenus volontairement à la procédure. Par jugement du 24 septembre 2018, le tribunal : – rejette la demande de sursis à statuer, – considère que les conditions de la présomption de faute inexcusable ne sont pas réunies, – dit que l’accident mortel du travail survenu le 9 mars 2015 au préjudice de [X] [R] est imputable à la faute inexcusable de l’employeur, – dit que les rentes attribuées aux ayants droit de [X] [R] doivent être majorées au taux maximum prévu par la loi, – alloue aux ayants droit de M. [R] les sommes suivantes : * Mme [S] [R], veuve : 40 000 euros, * [Z] [R], fils : 30 000 euros, * Mme [I] [V], mère : 20 000 euros, * M. [D] [R], père : 20 000 euros, * M. [E] [R], frère : 10 000 euros, – condamne la société [14] à payer aux consorts [R] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, – déclare le jugement commun et opposable à la caisse, – dit que la caisse assurera le paiement des indemnisations et pourra recouvrer les sommes versées à ce titre ainsi qu’au titre des majorations de rente auprès de l’employeur, – déboute les parties de leurs autres demandes, – statue sans frais ni dépens. Les 27 septembre et 8 octobre 2018, la société [14] a relevé appel de cette décision. Les procédures, enrôlées sous les numéros RG 18/6753 et 18/6854, ont été jointes par ordonnance du 23 octobre 2018. Par arrêt du 4 février 2020, la cour : – sursoit à statuer dans l’attente de la décision définitive de la juridiction pénale à l’issue de l’instruction en cours devant le tribunal judiciaire de Paris, sur renvoi devant la juridiction répressive ou sur non-lieu, – réserve l’ensemble des demandes, – dit que l’affaire sera radiée du rôle des affaires en cours et qu’elle sera enrôlée à nouveau à l’initiative des parties ou à la diligence de la cour, sauf la faculté d’ordonner, s’il y a lieu, un nouveau sursis ou, suivant les circonstances, de révoquer le sursis ou d’en abréger le délai. Mme [L] [M] épouse [P], demi-s’ur de [X] [R], est également intervenue à la procédure. Par lettre du 23 novembre 2023, les consorts [R] ont sollicité la révocation du sursis à statuer au motif que la Cour de cassation avait par un arrêt rendu le 16 novembre 2023 (pourvoi n° 21-20740), dans une affaire distincte, rejeté le pourvoi de la société [14] contre un arrêt prononcé le 22 novembre 2018 par la cour d’appel de Versailles reconnaissant une faute inexcusable de la société [14]. Par conclusions remises au greffe le 12 janvier 2024, la société [14] s’en est rapportée à justice sur cette demande de révocation du sursis à statuer. Par un arrêt en date du 5 mars 2024, la cour d’appel de Lyon a ordonné la révocation du sursis à statuer et renvoyé l’affaire pour être plaidée au fond à l’audience du 24 septembre 2024 à 13h30. Par leurs dernières écritures (n° 3) reçues au greffe le 20 septembre 2024, identiques à celles déposes le 5 février 2024, et reprises oralement sans ajout au cours des débats mais en y retirant la demande de révocation du sursis à statuer, les ayants droit de [X] [R] demandent à la cour de : – confirmer le jugement déféré, sauf en ce qu’il a dit et jugé que les conditions de la présomption de la faute inexcusable n’étaient pas réunies et sur le quantum des dommages et intérêts alloués aux ayants droit de [X] [R], En conséquence, et statuant à nouveau, – les déclarer recevables à agir à l’encontre de la société [14] en reconnaissance de sa faute inexcusable, – dire et juger que l’accident survenu le 9 mars 2015 en Argentine à l’origine du décès de [X] [R] est dû à la faute inexcusable de la société [14] sur le fondement de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, – ordonner la majoration des rentes allouées à Mme [S] [R] et son fils [Z] [R] à hauteur du maximum prévu par l’article L. 452-2 alinéa du code de la sécurité sociale, Y ajoutant, – condamner la société [14] à indemniser le préjudice moral subi par Mme [S] [R] à la somme de 500 000 €, – condamner la société [14] à indemniser le préjudice moral de Mme [S] [R] es qualité de représentant légal de [Z] [R] son enfant mineur pour une somme totale de 250 000 euros, – condamner la société [14] à indemniser le préjudice moral subi par Mme [I] [V], mère de [X] [R], à hauteur de 150 000 euros, – condamner la société [14] à indemniser le préjudice moral subi par M. [D] [R], père de [X] [R], à hauteur de 150 000 euros, – condamner la société [14] à indemniser le préjudice moral subi par M. [E] [R], demi-frère de [X] [R], à hauteur de 50 000 euros, – déclarer recebable l’intervention volontaire de Mme [L] [P], demi-s’ur de [X] [R], – condamner la société [14] à indemniser le préjudice moral subi par Mme [L] [P], demi-s’ur de [X] [R], à hauteur de 50 000 euros, – condamner la société [14] à verser aux ayants droit de [X] [R] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, – condamner la société [14] aux entiers dépens. Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 31 juillet 2024, la société [14] demande à la cour de : – infirmer le jugement déféré, sauf en ce qu’il a dit que les conditions de la présomption de faute inexcusable n’apparaissent pas réunies en l’espèce, en ce qu’il a jugé que l’accident mortel dont [X] [R] avait été victime était imputable à la faute inexcusable de la société [14], dit que les rentes attribuées aux ayants droit de M. [R] doivent être majorées au taux maximum prévu par la loi et dit que la CPAM du Rhône pourra recouvrer les sommes versées au titre de ces indemnisations ainsi qu’au titre des majorations de rente auprès de la société [14]. Statuant à nouveau, – juger que l’accident dont a été victime [X] [R] n’a pas été causé par sa faute inexcusable, À titre subsidiaire – déclarer irrecevable l’intervention volontaire de Mme [L] [P], – débouter Mme [L] [P] de sa demande, En toute hypothèse, – débouter les consorts [R] de l’intégralité de leurs demandes, étant précisé qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les dépens, – débouter la CPAM de ses demandes de remboursement dirigées à son encontre. Aux termes de ses conclusions reçues au greffe le 6 février 2024, et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, la CPAM n’entend pas formuler d’observations sur la demande de révocation du sursis à statuer, ni sur la reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur. Si cette faute était reconnue, elle demande à la cour de juger qu’elle procèdera au recouvrement des sommes engagées à ce titre auprès de l’employeur par application des articles L. 452-2 du code de la sécurité sociale, y compris des frais de l’expertise diligentée. En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées. MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LA RECEVABILITE DE L’INTERVENTION VOLONTAIRE DE LA DEMI-SOEUR DU DEFUNT Selon l’article 954 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d’appel dès lors qu’elles y ont intérêt les personnes qui n’ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité. En l’espèce, la cour déclare recevable l’intervention volontaire en cause d’appel de Mme [L] [P] dès lors qu’elle justifie d’un intérêt à agir pour réclamer l’indemnisation de son préjudice moral résultant de l’accident du travail mortel de son demi-frère. Cette demande présente un lien suffisant avec l’action dirigée en première instance, sur le fondement de la faute inexcusable, contre l’employeur de [X] [R]. SUR LA FAUTE INEXCUSABLE Les ayants droit de [X] [R] recherchent la faute inexcusable de la société [14]. Ils se prévalent, à titre principal, de la présomption de faute inexcusable de l’employeur, considérant que le poste de travail du défunt, à savoir cadreur lors d’un déplacement en hélicoptère, présentait incontestablement des risques et qu’à ce titre, [X] [R] aurait dû bénéficier d’une formation à la sécurité renforcée dont il a été privé. Ils prétendent, subsidiairement, rapporter la preuve de la faute inexcusable de la société [14]. Ils déduisent la conscience du danger par l’employeur de la nature même de l’émission concernée, de l’utilisation récurrente des hélicoptères et des directives de l’employeur sur les plans à réaliser impliquant le recours à la technique du « vol rapproché ». Ils opposent ensuite l’absence de mesures de prévention ou de protection prises par la société [14] en terme, notamment, de formation des pilotes, du non-respect de la réglementation aérienne en vigueur en matière de « vol en formation » en présence de passagers dans les aéronefs et de l’environnement hostile dans lequel se déroulait le tournage de l’émission, outre l’absence de services de secours. Ils excipent, enfin, du lien de causalité direct et certain entre les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité et l’accident mortel de [X] [R]. En réponse, la société [14] conteste, dans un premier temps, l’existence d’un poste à risques et, par suite, l’application de la présomption de faute inexcusable dans l’accident survenu au préjudice de [X] [R]. Elle fait valoir, dans un second temps, qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour préserver la sécurité de ses salariés, de [X] [R] en particulier. Elle précise s’être entourée de professionnels réputés et compétents, et se prévaut notamment du plan de sécurité établi par la société [17], spécialiste de sécurité et de la gestion des risques inhérents aux jeux d’aventure. Elle invoque également la mise en place d’une formation spécifique concernant les risques particuliers susceptibles d’être encourus lors du tournage, notamment lors du transport par hélicoptère. Vu les articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail : En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers ce dernier d’une obligation de sécurité de moyen renforcée en ce qui concerne les accidents du travail. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié. Il suffit, pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, qu’elle en soit la cause nécessaire, alors même que d’autres facteurs ont pu concourir à la réalisation du dommage. L’employeur ne peut s’affranchir de son obligation de sécurité par la conclusion d’un contrat prévoyant qu’un tiers assurera cette sécurité. Le manquement à l’obligation de moyen renforcée précitée a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver, la conscience du danger s’appréciant au moment ou pendant la période de l’exposition au risque. Ici, le caractère professionnel de l’accident du 9 mars 2015 n’est pas contesté par les parties qui divergent, en revanche, sur la faute inexcusable de l’employeur et, en particulier, sur l’application de la présomption de faute inexcusable. La cour relève liminairement que peu importe les éléments statistiques dont excipe l’employeur sur l’absence de dangerosité particulière des déplacements en hélicoptère, le manquement à l’obligation de sécurité devant s’apprécier de manière concrète, au cas particulier. En premier lieu, le jugement sera confirmé, par motifs adoptés, en ce qu’il écarte la présomption de faute inexcusable. La cour retient que le poste de cadreur occupé par [X] [R] n’était par nature un poste à risques, étant précisé que le salarié n’était pas censé effectuer un travail en hauteur au sens de la législation du travail. En second lieu, il ressort des éléments du dossier et notamment du rapport de la JIAAC que le jour de l’accident litigieux, l’employeur, contrairement à ce qu’il prétend, a pris la décision d’organiser le vol à basse altitude de deux hélicoptères transportant des passagers, dont [X] [R], en formation rapprochée, comme il ressort de la trajectoire reconstituée des appareils et du faible intervalle de décollage entre eux. Le minutage de l’accident, 1,40 mn après le décollage selon le rapport JIAAC, confirme le choix d’une jonction rapide des deux appareils. La cour considère que l’intervalle de départ entre les deux aéronefs et le parcours suivi par ceux-ci ne s’expliquent que si le vol, qui était filmé depuis le sol, a été scénarisé et s’il a été expressément demandé aux pilotes de voler en formation rapprochée dans le temps et dans l’espace. Il est patent que l’organisation de ce vol correspond à un scénario défini par la société [14] qui souhaitait réaliser des prises de vue dudit vol dans le cadre du tournage de l’émission d’aventure [16]. En opérant ce choix auquel il n’était nullement contraint, l’employeur a, en toute conscience, fait courir un risque aux passagers de l’hélicoptère. Et il importe peu que son choix n’ait pas été interdit pour les vols civils. Il est à l’origine directe et certaine de la collision entre les deux appareils ayant entraîné le décès de la victime et de 9 autres personnes. De plus, la procédure d’information ouverte en France, ainsi que les auditions qui ont été réalisées dans ce cadre, ont révélé les lacunes dans la planification de l’opération, à l’origine de l’accident, les caractéristiques de la collision ayant permis d’admettre que les pilotes n’ont pas eu le temps suffisant pour tenter une manoeuvre d’évitement. De même, ce type de vol n’a pas été évalué dans le plan de sécurité initial du 23 février 2015 qui ne fait état que de risques de chute depuis une porte et de percussion par le rotor de queue. En outre, aucun vol d’essai sans passager n’a été préalablement tenté, aucun moyen de communication entre les aéronefs, ou entre ces derniers et le sol, n’a été prévu et il est indifférent que des sociétés tierces soient intervenues pour assurer les prestations techniques et de sécurité lesquelles demeuraient sous la supervision de la société [14] qui conservait la direction et le contrôle de l’opération. Par ailleurs, aucun dossier de formation des pilotes pour des vols en formation comme celui qui a provoqué l’accident, ni aucun briefing des pilotes avant le vol, n’est justifié par l’employeur. C’est donc à bon droit que le premier juge a considéré que la société [14] avait ou aurait dû avoir conscience du danger résultant pour [X] [R] du vol en formation rapprochée de l’hélicoptère dont il était passager et qu’elle n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Les conditions de la faute inexcusable sont ainsi réunies et la société [14] ne justifie pas d’une cause totalement étrangère qui serait seule à l’origine de l’accident litigieux. La société excipe du caractère imprévisible dudit accident mais ne procède que par voie d’affirmation, le rapport d’investigation dont elle se prévaut n’émettant que des hypothèses (« pilotes vraisemblablement éblouis par le soleil ») tandis que celui de la JIAAC relève de nombreux défauts de sécurité imputables à l’employeur. Peu importe de surcroît que d’autres fautes aient pu concourir au dommage dès lors que celle de l’employeur en a été, en l’occurrence, la cause nécessaire, aucune faute inexcusable du salarié n’étant par ailleurs démontrée. La cour observe enfin que le décès de [X] [R] n’est pas lié au temps d’intervention des secours et que les conditions météorologiques n’ont eu aucune incidence sur ledit accident. En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu la faute inexcusable de l’employeur. SUR LES CONSEQUENCES DE LA FAUTE INEXCUSABLE Comme l’a jugé le tribunal, la majoration de la rente sera fixée au maximum, dans les conditions énoncées à l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, et suivra l’évolution du taux d’incapacité de la victime. Concernant la réparation des préjudices moraux des ayants droit de [X] [R], la cour, au vu des pièces versées aux débats, confirme la décision attaquée en ce qu’elle octroie à chacun d’eux les sommes suivantes : * Mme [S] [R], veuve : 40 000 euros, * [Z] [R], fils : 30 000 euros, * Mme [I] [V], mère : 20 000 euros, * M. [D] [R], père : 20 000 euros, * M. [E] [R], demi-frère : 10 000 euros, Ajoutant, la cour reçoit l’intervention volontaire de Mme [L] [P], demi-s’ur du défunt, et lui octroie une indemnité de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral. Le jugement est encore confirmé en ce que, conformément aux dispositions des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, il retient qu’en cas de faute inexcusable, la majoration de la rente d’accident du travail et les sommes dues en réparation des préjudices subis sont payées directement aux bénéficiaires par la caisse, à charge pour celle-ci de récupérer, auprès de l’employeur, les compléments de rente et indemnités ainsi versés. SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES La caisse étant dans la cause, Il n’y a pas lieu de lui déclarer le présent arrêt commun et opposable, cette demande étant sans objet. La décision attaquée sera confirmée en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens. La société [14], qui succombe, supportera les dépens d’appel et une indemnité au visa de l’article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS :
La cour, Reçoit Mme [L] [P] en son intervention volontaire, Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, Y ajoutant, Condamne la société [14] à verser à Mme [L] [P] une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société [14] et la condamne à payer complémentairement en cause d’appel aux ayants droit de [X] [R], à savoir Mme [S] [R], épouse de la victime, agissant pour son compte et pour celui de M. [Z] [R], son fils mineur, Mme [I] [V] et M. [D] [R], parents de la victime, M. [E] [R], demi-frère de la victime, et Mme [L] [P], demi-s’ur de la victime, la somme de 5 000 euros, Dit n’y avoir lieu de déclarer le présent arrêt commun et opposable à la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône, Condamne la société [14] aux dépens d’appel. LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE |
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Quel était le contexte de l’accident mortel en Argentine ?L’accident mortel s’est produit le 9 mars 2015, lorsque [X] [R], un cadreur engagé par la société [14], a perdu la vie dans une collision entre deux hélicoptères. Cet incident a eu lieu dans le cadre du tournage d’une émission de télévision, « Dropped », diffusée par TF1. Les deux hélicoptères, transportant des passagers, ont été impliqués dans un vol à basse altitude, ce qui a conduit à un crash tragique. L’accident a causé la mort de [X] [R] ainsi que de neuf autres personnes à bord. L’enquête a révélé que l’employeur avait organisé ce vol en formation rapprochée, ce qui a été déterminé comme un choix conscient et risqué, contribuant directement à la collision. Quelles ont été les conséquences juridiques de cet accident ?Suite à l’accident, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône a reconnu le décès de [X] [R] comme un accident du travail, prenant en charge les conséquences financières. Une information judiciaire pour homicide involontaire a été ouverte en France, tandis qu’une enquête administrative a été menée en Argentine par la Junta de Investigacion de Accidentes de Aviacion Civil (JIAAC). L’épouse de la victime, Mme [S] [R], a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon pour faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur. Le tribunal a rendu un jugement le 24 septembre 2018, déclarant que l’accident était imputable à la faute inexcusable de la société [14]. Cette décision a entraîné la majoration des rentes pour les ayants droit et l’allocation d’indemnités spécifiques à chaque membre de la famille de la victime. Comment la cour a-t-elle évalué la faute inexcusable de l’employeur ?La cour a évalué la faute inexcusable de l’employeur en se basant sur plusieurs critères. Selon l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, l’employeur a une obligation de sécurité de moyen renforcée envers ses salariés. Il a été établi que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel [X] [R] était exposé. La cour a noté que, bien que le poste de cadreur ne soit pas par nature un poste à risques, l’organisation du vol à basse altitude en formation rapprochée représentait un risque significatif. Les éléments du dossier, notamment le rapport de la JIAAC, ont montré que l’employeur avait pris la décision d’organiser ce vol, ce qui a été considéré comme un manquement à son obligation de sécurité. Quelles indemnités ont été allouées aux ayants droit de la victime ?Le tribunal a alloué des indemnités spécifiques aux ayants droit de [X] [R] en reconnaissance de leur préjudice moral. Les sommes allouées étaient les suivantes : – Mme [S] [R], veuve : 40 000 euros De plus, la cour a reçu l’intervention de Mme [L] [P], demi-sœur de la victime, et lui a octroyé une indemnité de 10 000 euros pour son préjudice moral. Ces indemnités ont été fixées en tenant compte de la gravité de la perte et de l’impact émotionnel sur les proches de la victime. Quelle a été la position de la société [14] concernant la faute inexcusable ?La société [14] a contesté la reconnaissance de sa faute inexcusable, arguant qu’elle avait pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses employés. Elle a fait valoir qu’elle avait engagé des professionnels compétents pour établir un plan de sécurité et qu’une formation spécifique avait été mise en place pour les risques liés au tournage. Cependant, la cour a rejeté ces arguments, soulignant que l’employeur avait conscience des risques associés à l’organisation du vol en formation rapprochée. La cour a conclu que la société [14] n’avait pas pris les mesures adéquates pour protéger [X] [R] et que sa décision d’organiser le vol à basse altitude était à l’origine de l’accident. Ainsi, la cour a confirmé la faute inexcusable de l’employeur, entraînant des conséquences financières pour la société. |
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