Cour d’appel de Grenoble, 1 avril 2025, RG n° 22/04575
Cour d’appel de Grenoble, 1 avril 2025, RG n° 22/04575

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Grenoble

Thématique : Application des règles de travail des conducteurs de messagerie dans le secteur du transport.

Résumé

La société XPO Distribution France, spécialisée dans le transport de marchandises sur palettes, emploie environ 2 600 salariés, dont 1 130 conducteurs. Elle est soumise à la convention collective nationale des transports routiers, qui fixe des durées de travail hebdomadaire différentes selon les catégories de conducteurs. En juin 2020, plusieurs organisations syndicales ont demandé à la direction de la société d’ouvrir des négociations pour que les conducteurs soient reclassés sous le statut de conducteurs de messagerie, soumis à une durée de travail de 35 heures par semaine, au lieu de 43 heures pour les conducteurs longue distance. La société a refusé cette demande.

Les syndicats ont alors assigné la société devant le tribunal judiciaire de Valence, demandant la régularisation de la situation des conducteurs et des dommages-intérêts. En mars 2021, le juge a prononcé la nullité de l’assignation d’un syndicat pour défaut de pouvoir, mais a jugé recevables les demandes des autres syndicats. En décembre 2022, le tribunal a statué que la société exerçait une activité de messagerie et a ordonné l’application de la réglementation relative aux conducteurs de messagerie, avec effet rétroactif. La société a interjeté appel, contestée par les syndicats qui ont également formé un appel incident.

Dans ses conclusions, la société a demandé l’infirmation du jugement, arguant qu’elle n’était pas une entreprise de messagerie. Les syndicats ont demandé la confirmation du jugement et des dommages-intérêts plus élevés. La cour a finalement confirmé le jugement de première instance, enjoignant la société d’appliquer la réglementation relative aux conducteurs de messagerie dans un délai de 90 jours, sous astreinte, et a condamné la société à verser des indemnités aux syndicats pour le préjudice causé.

C 4

N° RG 22/04575

N° Portalis DBVM-V-B7G-LUDG

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY

la SELARL CARTIER GROSDIDIER & NIEUVIARTS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 01 AVRIL 2025

Appel d’une décision (N° RG 20/01570)

rendue par le tribunal judiciaire de Valence

en date du 13 décembre 2022

suivant déclaration d’appel du 20 décembre 2022

APPELANTE :

S.A.S.U. XPO DISTRIBUTION FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 9]

[Localité 1]

représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LX GRENOBLE- CHAMBERY, avocat postulant au barreau de Grenoble

et par Me David GUILLOUET de la SELAS VOLTAIRE, avocat plaidant au barreau de Lille

INTIMEES :

Etablissement FEDERATION GENERALE DES TRANSPORTS ET DE L’ENVIRONNEMENT – CFDT prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 3]

[Localité 7]

Etablissement FEDERATION NATIONALE DES TRANSPORTS ET DE LA LOGISTIQUE FORCE OUVRIERE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 6]

toutes deux représentées par Me Charlotte NIEUVIARTS de la SELARL CARTIER GROSDIDIER & NIEUVIARTS, avocat postulant au barreau de Valence

et par Me Alexandra SOUMEIRE, avocat plaidant au barreau de Paris

Fédération FÉDÉRATION UNSA TRANSPORT agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 5]

non constituée, à qui la déclaration d’appel a été signifiée le 21 mars 2023 à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Jean-Pierre DELAVENAY, président,

Monsieur Frédéric BLANC, conseiller,

Madame Hélène BLONDEAU-PATISSIER, conseillère,

Assistés lors des débats de Mme Carole COLAS, greffière,

DÉBATS :

A l’audience publique du 15 janvier 2025,

Madame Hélène BLONDEAU-PATISSIER, conseillère chargée du rapport ;

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et observations.

Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

EXPOSE DU LITIGE

La société XPO distribution France est une société du groupe XPO Logistics qui exerce une activité principale de transport de marchandises sur palettes.

Elle emploie approximativement 2 600 salariés, dont 1 130 conducteurs, et dispose de 27 sites de distribution, répartis sur l’ensemble du territoire national.

Elle applique la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950.

L’article D.3312-45 du code des transports fixe les durées de travail hebdomadaire des personnels roulants de façon différente, selon leur appartenance à la catégorie  » grands routiers  » ou  » longue distance  » (43 heures), à la catégorie des autres personnels roulants à l’exception des conducteurs de messagerie et des convoyeurs de fonds, ou conducteurs  » courte distance  » (39 heures), ou à celle des conducteurs de messagerie et des convoyeurs de fonds (35 heures).

Par lettre de leur conseil datée du 4 juin 2020, la Fédération Nationale des Transports et de la Logistique Force Ouvrière – UNCP (ci-après la FNTL-UNCP), la Fédération UNSA Transport, l’Union locale CGT d'[Localité 8] et la Fédération générale des transports et de l’environnement – CFDT (ci-après la FGTE-CFDT) ont sollicité auprès du directeur général et du directeur des ressources humaines de la société XPO distribution France l’ouverture d’une négociation aux fins qu’ils ne se voient plus appliquer le statut de conducteur routier courte ou longue distance, soumis à une durée légale de 43 heures par semaine, mais celui de conducteurs de messagerie, soumis à une durée légale de travail de 35 heures par semaine.

Par courriel du 23 juin 2020, la société XPO distribution France a répondu qu’elle ne souhaitait pas ouvrir une négociation sur le sujet.

Par acte d’huissier en date du 22 juin 2020, la FNTL-UNCP, la Fédération UNSA Transport, la FGTE-CFDT et l’Union locale CGT d’Evry ont fait assigner la société XPO distribution France devant le tribunal judiciaire de Valence afin de voir condamner la société XPO distribution France à appliquer la réglementation relative aux conducteurs de messagerie et à régulariser toutes les conséquences de l’absence d’application du statut de conducteur de messagerie pour les années passées, et obtenir paiement de dommages et intérêts.

Par ordonnance en date du 25 mars 2021, le juge de la mise en état, saisi de conclusions d’incident déposées par la société XPO distribution France, a prononcé la nullité de l’assignation délivrée par l’Union locale CGT d'[Localité 8] pour défaut de pouvoir régulier, a rejeté les exceptions de nullité soulevées par la société XPO Distribution France à l’encontre des autres demandeurs et a renvoyé l’affaire en audience collégiale afin qu’il soit statué sur la fin de non-recevoir soulevée par la société XPO distribution France et le cas échéant, sur les questions de fond préalables à son règlement.

Par jugement en date du 28 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Valence, statuant sur l’incident, a jugé l’ensemble des demandes recevables, excepté celle tendant à voir régulariser la situation des salariés au titre des années passées.

Suivant jugement du 13 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Valence a :

– Dit que la société XPO Distribution France exerce une activité de messagerie, au sens des articles D. 3312-36 alinéa 2 et D 3312-45-3° du code des transports ;

– Dit que les conducteurs « Mission commerciale  » et « Véhicule Léger », présents dans l’entreprise, remplissent les conditions fixées par l’article D. 3312-36 du code des transports pour bénéficier du statut de conducteur de messagerie ;

En conséquence,

– Enjoint à la société XPO Distribution France d’appliquer la réglementation relative aux conducteurs de messagerie à tous les conducteurs « Mission commerciale  » et « Véhicule Léger » présents dans l’entreprise, dans un délai de six mois à compter de la signification de la présente

décision et avec effet rétroactif à compter de cette signification ;

– Dit n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte ;

– Condamné la société XPO Distribution France à payer à la FNTL-UNCP, à la Fédération UNSA Transport et à la FGTE-CFDT la somme de 5.000,00 ‘ chacune à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ;

– Condamné la société XPO Distribution France à payer à la FNTL-UNCP, la Fédération UNSA TRANSPORT et la FGTE-CFDT la somme de 2.000,00 ‘ chacune sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société XPO Distribution France aux entiers dépens de l’instance.

Copie exécutoire a été délivrée par le greffe le 13 décembre 2022.

Par déclaration en date du 20 décembre 2022, la société XPO distribution France a interjeté appel à l’encontre dudit jugement.

Les fédérations FNTL-UNCP et la FGTE-CFDT ont formé appel incident.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 8 septembre 2023, la société XPO distribution France sollicite de la cour de :

 » Vu les articles D. 3312-36 alinéa 2 et D. 3312-45 3° du code des transports ;

Vu les pièces versées aux débats ;

Vu la jurisprudence citée à l’appui des présentes conclusions ;

Juger la société XPO Distribution France recevable et bien fondée en son appel ;

Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Valence le 13 décembre 2022 en ce qu’il a dit que la société exerce une activité de messagerie au sens des articles D. 3312-36 alinéa 2 et D. 3312-45-3° du code des transports et que les conducteurs  » Mission commerciale  » et  » Véhicule Léger « , présents dans l’entreprise, remplissent les conditions fixées par l’article D. 3312-36 du code des transports pour bénéficier du statut de conducteur de messagerie ;

Infirmer le jugement en ce qu’il a :

– Enjoint à la société XPO Distribution France d’appliquer la règlementation relative aux conducteurs de messagerie à tous les conducteurs  » Mission commerciale  » et  » Véhicule Léger  » présents dans l’entreprise, dans un délai de six mois à compter de la signification de la décision et avec effet rétroactif à compter de cette signification ;

– Condamné la société à payer à la FNTL-UNCP, à la Fédération UNSA transport et à la FGTE-CFDT la somme de 5.000 ‘ chacune à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ;

– Condamné la société XPO Distribution France à payer à la FNTL-UNCP, à la Fédération UNSA transport et à la FGTE-CFDT la somme de 2.000 ‘ chacune sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné la société XPO Distribution France aux entiers dépens de l’instance ;

En conséquence, statuant à nouveau :

Juger que la société XPO Distribution France n’est pas une entreprise de messagerie au sens des articles D. 3312-36 alinéa 2 et D. 3312-45 3° du code du travail ;

Juger que les conducteurs  » Mission commerciale  » et  » Véhicule Léger  » ne sont pas des conducteurs de messagerie ne remplissent pas les conditions fixées par l’article D. 3312-36 du Code des transports pour bénéficier du statut de conducteurs de messagerie ;

Débouter la FNTL-UNCP et la FGTE-CFDT de l’ensemble de leurs demandes ;

Condamner solidairement la FNTL-UNCP, la Fédération UNSA transport et la FGTE-CFDT à verser à la société XPO distribution France la somme de 5.000 ‘ sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– Les condamner aux entiers dépens.  »

Aux termes de leurs conclusions notifiées par voie électronique le 19 juin 2023, la FNTL-UNCP et la FGTE-CFDT sollicitent de la cour de :

 » Vu :

L’article 789 du Code de Procédure Civile,

L’article L2132-3 du Code du travail,

L’article 700 du Code de procédure civile,

Vu l’article D 3312-36 alinéa 3 du Code des Transports ;

Vu l’article R 3312-48 du Code des Transports ;

Vu la décision de l’Autorité de la Concurrence n° 15-D-19 rendue le 15 décembre 2015 ;

Vu l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 19 juillet 2018 n°16/01270 ;

La jurisprudence précitée,

Les pièces annexées.

Il est demandé à la Cour de :

Les intimés demandent à la Cour de confirmer le jugement sur les points suivants :

– Dit que la société XPO distribution France exerce une activité de messagerie au sens des articles D 3312-36 alinéa 2 et D 3312-45-3 du code des Transports ;

– Dit que les conducteurs  » Mission commerciale  » et  » Véhicule Léger  » présents dans l’entreprise, remplissent les conditions fixées par l’article D. 3312-36 du code des transports pour bénéficier du statut de conducteur de messagerie ;

– Enjoint la société XPO distribution France d’appliquer la réglementation relative aux conducteurs de messagerie à toutes les conducteurs  » Mission commerciale et  » Véhicule Léger  » présents dans l’entreprise ;

– Condamne la société XPO distribution France à payer à la FNTL-UNCP et la FGTE-CFDT des dommages et intérêts ;

– Condamne la société XPO distribution France à payer à la FNTL-UNCP et la FGTE-CFDT un article 700 ;

– Condamne aux entiers dépens.

Les intimés demandent à la Cour d’infirmer le jugement en ce que :

– Il a débouté les intimés de la demande d’astreinte et demandent à la Cour de condamner la société XPO distribution à appliquer la réglementation relative aux conducteurs de messagerie à ses conducteurs  » Mission Commerciale  » et  » Véhicule Léger  » sous astreinte de 100.000 ‘ par mois de retard à compter de l’arrêt ;

– il a limité les dommages et intérêts alloués à la FNTL-UNCP et la FGTE-CFDT à 5000 ‘ et demandent à la Cour de les condamner aux lieu et place à verser 15.000 ‘ de dommages et intérêts à la FNTL-UNCP ainsi qu’à la FGTE-CFDT ;

– il a limité le montant de l’article 700 à 2000 ‘ à la FNTL-UNCP et la FGTE-CFDT et demandent à la cour de les condamner aux lieu et place à verser 5.660 ‘ au titre de l’article 700 à la FNTL-UNCP ainsi qu’à la FGTE-CFDT.  »

La Fédération UNSA transport, qui s’est vue signifier la déclaration d’appel et les premières conclusions de l’appel par acte de commissaire de justice remis à personne le 21 mars 2023, n’a pas constitué avocat.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient, au visa de l’article 455 du code de procédure civile, de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 17 décembre 2024.

L’affaire, fixée pour être plaidée à l’audience du 15 janvier 2025, a été mise en délibéré au 1er avril 2025.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, dans les limites de l’appel et après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a dit n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société XPO distribution France à appliquer la réglementation relative aux conducteurs de messagerie à tous les conducteurs  » mission commerciale  » et  » véhicule léger  » présents dans l’entreprise dans les 90 jours de la notification du présent arrêt ou de l’acquiescement éventuel, sous astreinte, passé ce délai, de 500 euros par jour de retard pendant six mois ;

CONDAMNE la société XPO distribution France à payer à la la Fédération Nationale des Transports et de la Logistique Force Ouvrière – UNCP et la Fédération générale des transports et de l’environnement – CFDT une indemnité complémentaire de 1 000 euros chacune au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;

CONDAMNE la société XPO distribution France aux dépens d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président, et par Mme Fanny Michon, greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière, Le président,

 


Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?

Merci pour votre retour ! Partagez votre point de vue, une info ou une ressource utile.

Chat Icon