Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Bordeaux
Thématique : Validité d’un testament contestée en raison de l’altération des facultés mentales et de l’influence indue.
→ RésuméL’affaire concerne un litige successoral entre deux héritières, à savoir une fille et une belle-fille, suite au décès d’une mère. Les époux, sans contrat de mariage, ont eu deux enfants. En 1999, par acte notarié, les époux ont donné la nue-propriété de deux immeubles à leurs filles. Après le décès du mari en 2004, la mère a effectué plusieurs donations et a rédigé des testaments, dont un en 2012, désignant une fille comme légataire universelle.
En 2012, la mère a été placée sous sauvegarde de justice, puis sous curatelle renforcée, avant que cette mesure ne soit transformée en tutelle en 2014. Un testament olographe a été établi en 2015, stipulant des legs à ses petits-enfants et à sa fille, tout en mentionnant des préjudices causés par l’aînée. La mère est décédée en 2016, laissant ses deux filles pour recueillir sa succession. Le notaire en charge de la succession a tenté de convoquer l’une des héritières, sans succès. En 2017, l’autre héritière a assigné la première en justice pour obtenir un partage judiciaire et contester certains actes. Le tribunal a ordonné une expertise pour évaluer les biens concernés. En janvier 2022, le tribunal a ouvert les opérations de compte et de partage, annulant les testaments de 2012 et 2015, et requalifiant une donation en donation rapportable. L’affaire a été portée en appel par la belle-fille, qui contestait l’annulation du testament de 2012. La cour d’appel a confirmé la décision du tribunal, considérant que la mère n’avait pas la capacité mentale requise pour établir ce testament, en raison de son état de santé et de l’influence exercée par sa fille. La cour a également condamné la belle-fille aux dépens et à verser une indemnité à l’autre héritière. |
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
3ème CHAMBRE FAMILLE
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ARRÊT DU : 25 MARS 2025
N° RG 22/01117 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MSOT
[L] [R] épouse [K]
c/
[D] [R] divorcée [E]
Nature de la décision : AU FOND
29A
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 janvier 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX (chambre 1, RG n° 17/08223) suivant déclaration d’appel du 04 mars 2022
APPELANTE :
[L] [R] épouse [K]
née le [Date naissance 3] 1950 à [Localité 12]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Emmanuelle GERARD-DEPREZ de la SELAS DEFIS AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
[D] [R] divorcée [E]
née le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 12]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 6]
Représentée par Me Marie-Caroline CAZERES, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 11 février 2025 en audience publique, devant la Cour composée de :
Présidente : Hélène MORNET
Conseillère : Danièle PUYDEBAT
Conseillère : Isabelle DELAQUYS
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Véronique DUPHIL
Le rapport oral de l’affaire a été fait à l’audience avant les plaidoiries.
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE
1- Mme [J] [P] et M. [Y] [R] se sont mariés le [Date mariage 11] 1947 à [Localité 18] (40), sans contrat de mariage.
Deux enfants sont issues de leur union :
– Mme [D] [R].
– Mme [L] [R], aujourd’hui épouse [K].
2- Par acte notarié de donation partage dressé 16 décembre 1999 par Maître [N], notaire à [Localité 12] (33), Mme [J] [P] et son époux ont donné :
– la nue-propriété d’un immeuble situé [Adresse 8] à [Localité 12] à Mme [D] [R],
– la nue-propriété d’un immeuble situé [Adresse 7] à [Localité 12] à Mme [L] [K].
Les époux ont par ailleurs adopté le régime de la communauté universelle selon acte dressé le même jour par Maître [N] et homologué par jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux le 6 juillet 2000.
3- M. [Y] [R] est décédé le [Date décès 5] 2004 à [Localité 12].
4- Par acte notarié de donation par préciput et hors part du 21 avril 2004 reçu par Maître [N], Mme [J] [R] a donné à Mme [L] [K] la pleine propriété d’un bien immobilier situé à [Localité 16] (33), [Adresse 19].
5- Par acte notarié de donation partage du 8 juillet 2004 reçu par Maître [N], Mme [J] [P] a donné à ses deux filles :
– la moitié indivise en pleine propriété d’un immeuble situé à [Adresse 15], cadastré section AN n° [Cadastre 10], sous condition de loger [J] [R] jusqu’au jour de son décès,
– la moitié indivise d’une parcelle de terrain à usage de passage d’un immeuble situé à [Adresse 15], cadastré section AN n° [Cadastre 9].
6- Par testament olographe du 24 juin 2012, Mme [J] [R] a institué Mme [D] [R] légataire générale et universelle.
7- Le 24 octobre 2012, Mme [J] [R] a établi un testament authentique reçu par Maître [N], notaire, ainsi libellé :
« Je lègue à titre particulier et hors part successorale à Mme [K] [L], ma fille la somme de 120 000 euros à prélever sur les premiers fonds de ma succession.
Ce legs lui est consenti en vue de la dédommager pour les années qu’elle a passé dans l’entreprise familiale et dans laquelle elle a travaillé sans être rémunérée.
Le surplus de tous mes biens, meubles et immeubles, sera réparti entre mes deux filles par égales parts entre elles.
Je révoque toutes dispositions testamentaires antérieures. »
8- À la requête de Mme [D] [R], Mme [J] [R] a été placée sous sauvegarde de justice le 6 novembre 2012 puis sous curatelle renforcée par jugement du 28 février 2013 du juge des tutelles de Bordeaux. Par jugement du 30 janvier 2014, la mesure de curatelle a été transformée en mesure de tutelle.
9- [J] [R] a établi un testament olographe le 27 mai 2015 dans les termes suivants :
« Ma petite-fille [K]-[G] [O] et mon arrière-petit-fils [W] [U] reçoivent à mon décès la somme de 120 000 euros pour [O] et pour [U] 100 000 euros sur un compte rémunéré et débloqué à sa majorité, soit un total de 220 000 euros. Si pour une raison quelconque [U] ne pouvait bénéficier de cette somme, celle-ci reviendra en totalité à [G] [Z] sa cousine, fille de [O].
Ceci pour compenser le préjudice causé par Mme [E] [D], ma fille aînée, cette dernière avec menaces à mon encontre, avant fin 2011, détournait à son profit l’assurance-vie que j’avais souscrite à mes petites filles en 2004. Egalement 50 000 euros à ma fille [K] [L]. »
10- Mme [J] [P] veuve [R] est décédée le [Date décès 4] 2016 à [Localité 17] (33) en laissant ses deux filles pour recueillir sa succession.
11- Maître [N], notaire saisi du règlement de la succession d'[J] [R], a fait sommation à Mme [D] [R] d’avoir à se présenter à un rendez-vous du 26 septembre 2017, en vain.
12- Par assignation du 14 octobre 2017, Mme [D] [R] a assigné Mme [L] [K] devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, devenu tribunal judiciaire, par acte d’huissier du 14 octobre 2017, aux fins de partage judiciaire et de contestation de différents actes.
13- Par ordonnance du 22 octobre 2018, le juge de la mise en état a ordonné une expertise aux fins d’évaluer :
– l’immeuble situé à [Localité 16], en indiquant sa valeur actuelle selon son état au jour de la donation du 21 avril 2004,
– l’immeuble situé à [Localité 14],
– la moitié indivise de la parcelle de terrain à usage de passage, cadastré section AN n° [Cadastre 9].
Le rapport d’expertise a été déposé le 14 mai 2019.
14- Par jugement du 18 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a en substance :
– ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de Mme [J] [P] veuve [R], née à [Localité 18] et décédée le [Date décès 4] 2016 à [Localité 17],
– désigné pour y procéder le président de la chambre des notaires de la Gironde avec faculté de délégation à tout notaire de cette chambre, à l’exception de tout notaire de l’étude de Maître [B] [N], notaire à [Localité 12], vainement intervenu dans le cadre amiable,
– commis le juge de la mise en état de la première chambre civile du tribunal de grande instance de Bordeaux en qualité de juge commis pour surveiller les opérations à accomplir,
– annulé le testament authentique établi par [J] [P] veuve [R] le 24 octobre 2012,
– annulé le testament olographe établi par Mme [J] [P] veuve [R] le 27 mai 2015,
– requalifié la donation partage du 8 juillet 2004 en donation entre vifs laquelle est rapportable,
– dit que la valeur de vénale actuelle du bien situé à [Localité 16] (lieu-dit [Adresse 19]), dans son état au jour de la donation est de 290.000 euros,
– donné acte à Mme [D] [R] de sa volonté de voir procéder à la réduction en cas d’atteinte à la réserve,
– rejeté la demande tendant à autoriser Mme [L] [K] à vendre seule le bien immobilier situé à [Adresse 15] au prix minimum de 900.000 euros,
– ordonné à Mme [L] [K] de remettre à Mme [D] [R] les clés du bien immobilier situé à [Adresse 15],
– rejeté la demande de dommages et intérêts formée par Mme [L] [K],
– rejeté les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté la demande d’exécution provisoire,
– ordonné l’emploi des dépens en frais privilégiés de partage successoral.
Procédure d’appel :
15- Par déclaration du 4 mars 2022, Mme [L] [K] a formé appel du jugement de première instance en ce qu’il a annulé le testament authentique établi par Mme [J] [P] le 24 octobre 2012 et donné, par voie de conséquence, effet au testament du 24 juin 2012.
16- Par ordonnance du 2 mai 2023, le président de la chambre de la famille de la cour d’appel de Bordeaux a enjoint aux parties de rencontrer un médiateur et désigné pour y procéder l’association [20]
Il n’a pas été donné suite à l’injonction.
17- Selon dernières conclusions du 2 juin 2022, Mme [L] [K] demande à la cour de dire et juger Mme [L] [K] recevable et bien fondée en son appel et, y faisant droit,
– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a annulé le testament établi le 24 octobre 2012 par Mme [J] [P] devant Maitre [N] notaire à [Localité 12],
statuant à nouveau,
– constater la validité de ce testament et la révocation des dispositions testamentaires antérieures,
– confirmer pour le surplus le jugement entrepris,
– condamner Mme [D] [R] à une indemnité de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonner l’emploi des dépens en frais privilégiés en frais de partage.
18- Selon dernières conclusions du 31 août 2022, Mme [D] [R] demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
En conséquence,
– débouter Mme [L] [K] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner Mme [L] [K] à verser à Mme [D] [R] la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
19- Pour un plus ample exposé des moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 janvier 2025.
L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 11 février 2025.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l’appel,
Confirme le jugement rendu le 18 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Bordeaux ;
Y ajoutant,
Condamner Mme [L] [K] aux dépens exposés en cause d’appel ;
Condamne Mme [L] [K] à verser à Mme [D] [R] la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Hélène MORNET, présidente, et par Véronique DUPHIL, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
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