Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Besançon
Thématique : Conflit locatif et obligations du bailleur face aux désordres immobiliers.
→ RésuméLe 1er juillet 2017, un bail d’habitation a été signé entre un bailleur, représenté par son mandataire SOLIHA AIS Jura, et une locataire, concernant une maison d’habitation avec un loyer mensuel de 329 euros. En octobre 2022, la locataire a demandé à un commissaire de justice de constater des désordres dans le logement, notamment des fissures et des dégradations structurelles. Un expert en bâtiment a confirmé la nécessité de travaux urgents pour remédier à ces problèmes.
Le 5 janvier 2023, le juge des référés a ordonné au bailleur de réaliser plusieurs travaux conservatoires sous astreinte. En septembre 2023, la locataire a contesté l’exécution de ces travaux et a demandé la liquidation de l’astreinte, qui a été partiellement accordée en janvier 2024, le bailleur n’ayant pas respecté toutes ses obligations. En mars 2024, la locataire a assigné le bailleur en référé, demandant une expertise judiciaire pour évaluer les désordres et les travaux nécessaires, ainsi qu’une indemnisation pour son préjudice de jouissance. Le bailleur a contesté la recevabilité de cette demande, arguant qu’elle était irrecevable en raison de l’autorité de la chose jugée. Le juge des référés a rejeté la demande de la locataire en août 2024, la déclarant irrecevable et condamnant celle-ci à verser des frais au bailleur. La locataire a interjeté appel, soutenant qu’elle avait un intérêt légitime à agir en tant que locataire d’un logement affecté par des désordres. La cour d’appel a infirmé l’ordonnance de première instance, déclarant la locataire recevable dans ses demandes et ordonnant une expertise judiciaire pour évaluer les désordres. Elle a également condamné le bailleur à verser une somme provisionnelle à la locataire pour son préjudice de jouissance, tout en rejetant d’autres demandes. |
Le copies exécutoires et conformes délivrées à
CS/[Localité 8]
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Minute n°
N° de rôle : N° RG 24/01313 – N° Portalis DBVG-V-B7I-EZ4N
COUR D’APPEL DE BESANÇON
1ère chambre civile et commerciale
ARRÊT DU 17 AVRIL 2025
Décision déférée à la Cour : jugement du 29 août 2024 – RG N°12-24-6 – JURIDICTION DE PROXIMITE DE [Localité 7]
Code affaire : 51Z – Autres demandes relatives à un bail d’habitation ou à un bail professionnel
COMPOSITION DE LA COUR :
M. Michel WACHTER, Président de chambre
M. Cédric SAUNIER, Conseiller
Mme Anne-Sophie WILLM, Conseiller
Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DEBATS :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 février 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés devant M. Cédric SAUNIER, conseiller, président de l’audience, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour aux autres magistrats :
M. Michel WACHTER, président de chambre et Mme Anne-Sophie WILLM, conseiller.
L’affaire oppose :
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
Madame [S] [N]
née le 21 Août 1940 à [Localité 10],
demeurant [Adresse 4]
Représentée par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT – PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant
Représentée par Me Max ARNAUD, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
ET :
INTIMÉ
Monsieur [B] [W]
né le 06 Juillet 1963 à [Localité 7],
demeurant [Adresse 3] / FRANCE
Représenté par Me Adrien MAIROT de la SCP LETONDOR – MAIROT – GEERSSEN, avocat au barreau de JURA
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.
EXPOSE DU LITIGE, DE LA PROCEDURE ET DES PRETENTIONS
Le 1er juillet 2017, un bail d’habitation a été régularisé entre M. [B] [W], bailleur représenté par son mandataire SOLIHA AIS Jura et Mme [S] [N], concernant une maison d’habitation située [Adresse 1], moyennant un loyer mensuel de 329 euros sans provisions pour charges.
A la demande de Mme [N], Me [I] [T], commissaire de justice, a établi un procès-verbal le 07 octobre 2022 par lequel il a constaté l’existence de fissures au plafond et sur le sol, le détachement d’une plinthe par rapport au sol, des fissures affectant le crépi extérieur et la dégradation de certaines poutres extérieures.
Par ailleurs, M. [H] [J], expert en bâtiment sollicité par Mme [N], a établi un rapport privé daté du 02 novembre 2022 constatant notamment le pourrissement de la panne sablière, le basculement du mur de la chambre qui se détache du bâtiment principal lié à l’affaissement du sol aggravé par une accumulation d’eau de ruissellement non canalisée et une rénovation de toiture sans étude structure ayant augmenté considérablement le poids de l’immeuble. Il préconisait un étayage sans délai du mur concerné ainsi que la réalisation d’une étude de sol et d’une étude structure.
Saisi par Mme [N] le 25 octobre précédent, le jugé des référés du tribunal de proximité de Dole a, par ordonnance rendue le 05 janvier 2023, ordonné à M. [W] de faire procéder à ses frais aux travaux ‘conservatoires’ suivants, sous astreinte de 100 euros par jour :
– faire procéder à la vérification de la panne sablière par une entreprise spécialisée et au traitement adapté de la charpente, dans le délai de quatre mois à compter de la signification de la décision ;
– mettre en place un étai contre le mur de la chambre donnant sur la cour, dans le délai d’un mois à compter de la signification de la décision ;
– changer les carreaux fissurés situés entre le montant des portes de chambre, dans le délai d’un mois à compter de la signification de la décision ;
– mettre en place des étais contre la poutre verticale derrière la maison reliant la chambre sur cour et la chambre sur le jardin, dans le délai d’un mois à compter de la signification de la décision ;
– procéder au raccordement et à la réparation de la VMC sur une sortie de toiture, dans le délai de quatre mois à compter de la signification de la décision ;
– faire évacuer les eaux de pluie conformement au PLU et faire procéder à un sondage du sol à cet endroit, dans le délai de quatre mois à compter de la signification de la décision.
Par acte signifié le 14 septembre 2023, Mme [N], contestant la réalisation des travaux devant le juge de l’exécution de [Localité 9], a sollicité la liquidation de l’astreinte à la somme de 12 100 euros ainsi que la communication sous astreinte du rapport de sondage de sol et du rapport de bon fonctionnement de la panne sablière.
Par jugement du 31 janvier 2024, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Lons le Saunier a notamment prononcé la liquidation de l’astreinte à hauteur de 4 000 euros, en retenant que M. [W] avait réalisé quatre des six obligations mises à sa charge en ce qu’il n’avait pas fait procéder à la vérification de la panne sablière et au traitement adapté de la charpente, les travaux ayant néanmoins été commandés, et n’avait pas fait procéder à un sondage du sol à l’endroit d’évacuation de eaux de pluie.
Par acte signifié le 12 mars 2024, Mme [N] a assigné M. [W] devant le juge des référés du tribunal de proximité de Dole en sollicitant :
– l’organisation d’une expertise judiciaire visant à la description des désordres affectant la maison, l’établissement de leurs causes et conséquences et la description des travaux réparatoires nécessaires ;
– qu’il soit enjoint à M. [W] de communiquer le rapport de l’expertise réalisée le 18 décembre 2023 par M. [X], pour la société Polyexpert, à la demande de la société Pacifica, ainsi que l’acceptation ou le refus de prise en charge s’en étant suivi et le rapport d’intervention de la société B3G2 ayant procédé au sondage du sol ;
– la condamnation de M. [W] à lui payer la somme provisionnelle de 6 000 euros au titre de l’indemnisation de son préjudice de jouissance.
M. [W] invoquait en première instance la nullité de l’assignation et l’irrecevabilité des demandes pour défaut d’intérêt à agir et formait une demande indemnitaire.
Par ordonnance du 29 août 2024, le juge des référés a :
– rejeté la demande de nullité de l’assignation ;
– ‘accueilli’ M. [W] en sa fin de non recevoir ;
En conséquence,
– déclaré Mme [N] irrecevable en ses demandes, l’en déboutant ;
– rejeté la demande de dommages-intérêts formée par M. [W] pour procédure abusive ;
– dit n’y avoir lieu au prononcé d’une amende civile ;
– débouté les parties de leurs autres demandes ;
– condamné Mme [N] à verser à M. [W] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné Mme [N] aux dépens.
Le juge de première instance a considéré :
– au visa des articles 114, 766, 753 et 832 du code de procédure civile et de l’article L. 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire, que la confusion sur l’identité de l’avocat de Mme [N] n’a causé aucun grief à M. [W] qui a pu utilement préparer sa défense et prendre attache avec l’avocat de Mme [N], de sorte que l’assignation n’est pas nulle ;
– au visa des articles 122, 125, 500 du code de procédure civile et de l’article 1353 du code civil, que Mme [N] est irrecevable en sa demande en ce que :
. elle invoque le même rapport d’expertise que celui produit lors de la saisine du juge des référés du 25 octobre 2022 et au sujet des mêmes désordres ;
. elle fait valoir que les travaux réalisés ne sont pas conformes alors que ces travaux ont été ordonnés et qu’aux termes du jugement du juge de l’exécution du 31 janvier 2024 M. [W] a réalisé quatre des six obligations ;
. que tant l’ordonnance de référé du 05 janvier 2023 que le jugement du juge de l’exécution du 31 janvier 2024 ont acquis l’autorité de la chose jugée ;
– que la demande de communication de pièces ne revêt pas un caractère urgent au sens de l’article 834 du code de procédure civile ;
– que la demande liée à la réalisation des travaux de vérification de la panne sablière et de sondage du sol relève de la compétence du juge de l’exécution ;
– que la demande d’expertise ne revêt pas de caractère urgent au sens de l’article 834 du code de procédure civile alors que Mme [N] ne l’avait pas sollicitée dans le cadre de sa première action en référé, que des travaux ont été effectués et qu’elle réside encore dans l’immeuble malgré une proposition de relogement ;
– qu’aucun élément ne caractérise de la part de Mme [N] un abus de droit d’agir en justice ;
– que la procédure abusive n’est pas davantage caractérisée.
-oOo-
Par déclaration du 5 septembre 2024, Mme [N] a relevé appel de l’ordonnance en ce qu’elle a accueilli M. [W] en sa fin de non recevoir, l’a déclarée irrecevable en ses demandes et l’en a déboutée, a débouté les parties de leurs autres demandes et l’a condamnée à verser à M. [W] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 17 décembre 2024, Mme [N] demande à la cour, au visa des articles 11, 145, 834 et 835 alinéa 2 du code de procédure civile, des articles 1719, 1103, 1104 et 1231-1 du code civil, des articles 6 et 7 de la loi du 06 juillet 1989 et de l’article 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, d’infirmer la décision entreprise des chefs critiqués et, statuant à nouveau sur ces points :
– de la juger recevable en ses demandes ;
– d’ordonner une mesure d’expertise judiciaire à ses frais avancés ;
– d’enjoindre à M. [W], sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, de lui communiquer les pièces techniques suivantes :
‘ le rapport d’intervention de la société B3G2 qui a procédé au sondage de sol ;
‘ le rapport et/ou les conclusions de l’expert ‘de l’assureur Pacifica’ suite à l’expertise
d’assurance qui s’est tenu à son domicile le 18 décembre 2023 ;
‘ toute correspondance de ‘l’assureur Pacifica’ acceptant ou refusant la prise en charge du sinistre déclaré par M. [W] au titre de la sécheresse reconnue comme catastrophe naturelle ;
– de se réserver le pouvoir de liquider l’astreinte conformément à l’article L. 131-3 du code de procédure civile ;
– de condamner M. [W] à lui payer la somme provisionnelle de 6 000 euros au titre de son préjudice de jouissance ;
– de le débouter de l’ensemble de ses demandes ;
– de le condamner à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d’appel.
-oOo-
Aux termes de ses premières et dernières conclusions transmises le 21 novembre 2024, M. [W] demande à la cour, au visa des articles 114, 766, 753, 122, 31, 32-1, 145, 834 et 835 du code de procédure civile, de confirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a déclarée Mme [N] irrecevable en ses demandes et, à titre subsidiaire, de la débouter de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions et de la condamner à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens avec distraction.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l’exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 30 janvier 2025 et l’affaire a été appelée à l’audience du 20 février 2025. La décision a été mise en délibéré au 17 avril 2025.
En application de l’article 467 du code de procédure civile, le présent arrêt est contradictoire.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME, dans les limites de l’appel, l’ordonnance du 29 août 2024 rendue par le juge des référés du tribunal de proximité de Dole ;
STATUANT A NOUVEAU et Y AJOUTANT
DECLARE les demandes formées par Mme [S] [N] recevables ;
ORDONNE une expertise judiciaire et dans cette perspective :
Désigne M. [Z] [D], demeurant [Adresse 5], courriel [Courriel 6], téléphone [XXXXXXXX02], avec mission de :
1. se rendre sur les lieux des désordres après y avoir convoqué les parties ;
2. examiner les désordres allégués dans les conclusions d’appel et, le cas échéant, sans
nécessité d’extension de mission, tous désordres connexes ayant d’évidence la même cause mais révélés postérieurement aux conclusions, sans préjudice des dispositions de
l’article 238 alinéa 2 du code de procédure civile ;
3. les décrire, en indiquer la nature, l’importance, la date d’apparition, en rechercher la ou les causes ;
4. se faire remettre par les parties toutes pièces utiles à l’accomplissement de sa mission ;
5. fournir tout renseignement de fait permettant au tribunal de statuer sur les éventuelles
responsabilités encourues et sur les comptes entre les parties ;
6. après avoir exposé ses observations sur la nature des travaux propres à remédier aux
désordres, et leurs délais d’exécution, chiffrer, à partir des devis fournis par les parties,
éventuellement assistées d’un maître d »uvre, le coût de ces travaux ;
7. fournir tous éléments de nature à permettre ultérieurement à la juridiction saisie d’évaluer les préjudices de toute nature, directs ou indirects, matériels ou immatérielsrésultant des désordres, notamment le préjudice de jouissance subi ou tout autre pouvant résulter des travaux de remise en état ;
8. dire si des travaux urgents sont nécessaires soit pour empêcher l’aggravation des désordres et du préjudice qui en résulte, soit pour prévenir les dommages aux personnes ou aux biens ; dans l’affirmative, à la demande d’une partie ou en cas de litige sur les travaux de sauvegarde nécessaires, décrire ces travaux et en faire une estimation sommaire dans un rapport intermédiaire qui devra être déposé aussitôt ;
9. s’adjoindre tout spécialiste de son choix en cas de difficulté ne relevant pas de sa compétence ;
10. faire toutes observations utiles au règlement du litige ;
11. déposer son rapport définitif dans les six mois de sa désignation
DIT qu’en cas de difficulté, l’expert s’en réfèrera au juge charge du contrôle des expertises du tribunal de proximité de Dole ;
FIXE la provision à consigner au greffe du tribunal de proximité de Dole, à titre d’avance sur les honoraires de l’expert, dans le délai imparti par la Cour, et mettre celle-ci à la charge de Madame [S] [N] à la somme de 3 000 euros ;
DIT n’y avoir lieu à référé concernant la demande formée par Mme [S] [N] tendant à la condamnation de M. [B] [W] à communiquer des pièces sous astreinte ;
CONDAMNE M. [B] [W] à payer à Mme [S] [N] la somme provisionnelle de 1 000 euros en indemnisation de son préjudice de jouissance, avec rejet du surplus de la demande ;
CONDAMNE M. [B] [W] aux dépens de première instance et d’appel ;
ACCORDE aux avocats de la cause qui l’ont sollicité, le droit de se prévaloir des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
DEBOUTE M. [B] [W] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile et le condamner à verser à Mme [S] [N] la somme de 1 500 euros sur ce fondement, avec rejet du surplus de la demande.
Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,
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