Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Aix-en-Provence
Thématique : Transport d’oeuvres d’art : les délais pour agir
→ RésuméExposé du litigeM. [R] [E], directeur du Musée Naval de [Localité 3], est propriétaire d’une maquette en bois du bateau « Santa Maria » de Christophe Colomb, acquise pour 25 000 euros. Cette maquette a été exposée au musée océanographique de [Localité 3] jusqu’au 27 février 2009. Transport et stockage de la maquetteLe 20 janvier 2009, un devis a été établi par la SAS Imperial Levage pour le transport et le stockage de la maquette. Le 27 février 2009, la maquette a été enlevée et stockée par la SAS Imperial Levage. Une facture de 6 578 euros a été réglée en avril 2009. En novembre 2011, la maquette a été déplacée vers un nouveau local, où des dégradations ont été constatées. Expertise et assignationUne expertise a été réalisée par un expert d’art en janvier 2012, et M. [R] [E] a assigné la SAS Imperial Levage en janvier 2014 pour obtenir réparation. Le tribunal a ordonné une expertise judiciaire en 2018, qui a confirmé les dégradations. Jugement du tribunalLe tribunal judiciaire de Grasse a rendu un jugement en janvier 2021, déclarant la SAS Imperial Levage responsable des dommages et condamnant la société à verser 35 000 euros à M. [R] [E] pour le préjudice subi, ainsi qu’à payer des frais d’expertise et d’autres indemnités. Appel de la SAS Imperial LevageLa SAS Imperial Levage a interjeté appel, contestant la responsabilité et demandant le paiement de 10 176 euros pour ses prestations. Elle a soutenu n’avoir commis aucune faute et a invoqué des moyens de défense basés sur la réception de la maquette et la force majeure. Réponse de M. [R] [E]M. [R] [E] a demandé la confirmation du jugement et a soutenu que la SAS Imperial Levage avait commis des fautes dans le stockage et le transport de la maquette, entraînant des dommages irréparables. Décision de la courLa cour a confirmé le jugement du tribunal, rejetant les demandes de la SAS Imperial Levage et condamnant la société à payer les dépens et une indemnité supplémentaire à M. [R] [E] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. |
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 05 MARS 2025
N° 2025/ 101
Rôle N° RG 21/01819 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BG5D4
S.A.S. IMPERIAL LEVAGE
C/
[R] [E]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Sonia OULED-CHEIKH
Me Hervé BOULARD
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de GRASSE en date du 05 Janvier 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 14/00631.
APPELANTE
S.A.S. IMPERIAL LEVAGE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège,
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Sonia OULED-CHEIKH, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE et assisté par Me Thierry MUNOS, avocat au barreau de MARSEILLE,
INTIME
Monsieur le Professeur [R] [E]
né le 06 Juin 1931, demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Hervé BOULARD de la SCP SCP PETIT-BOULARD-VERGER, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 06 Janvier 2025 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Mme OUVREL, conseillère, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre
Madame Catherine OUVREL, Conseillère
Madame Louise DE BECHILLON, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Mars 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Mars 2025,
Signé par Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [R] [E], également directeur du Musée Naval de [Localité 3], est propriétaire d’une maquette en bois du Nord non vernis du bateau « Santa Maria » de Christophe Colomb, mesurant 6 m de hauteur, 6,30 m de longueur et 3,50 m de largeur, acquise moyennant le prix de 25 000 euros.
Cette maquette a été exposée au musée océanographique de [Localité 3] du 14 mars 2005 au 27 février 2009.
Le 20 janvier 2009, un devis a été établi par la SAS Imperial Levage, société de transport routier spécialisée dans le levage et la manutention, prévoyant la confection d’un platelage, la manutention, le transport à son entrepôt et le déchargement de la maquette, ainsi que son stockage dans un container maritime et recouvert d’un film plastique.
Le 27 février 2009, l’enlèvement, le transport et le stockage dans les locaux de la SAS Imperial Levage ont été effectués.
Le 28 février 2009, une facture n°900094 a été émise par la SAS Imperial Levage pour un montant de 6 578 euros TTC, somme qui a été entièrement réglée en avril 2009.
Le 4 novembre 2011, la maquette était de nouveau déplacée par la SAS Imperial Levage jusqu’au local du parc d’activité logistique de [Localité 4], mis à la disposition du musée naval, pour stockage.
A l’occasion de ce nouveau déplacement, des dégradations ont été constatées sur la maquette et la société d’assurances Axa a confié à M. [Y], expert d’art, la réalisation d’une expertise amiable au terme de laquelle ce dernier a rendu son rapport le 24 janvier 2012.
Par assignation du 14 janvier 2014, M. [E] a fait citer la SAS Imperial Levage devant le tribunal de grande instance de Grasse afin d’obtenir l’indemnisation de son préjudice.
Par jugement de nature mixte du 24 novembre 2016, cette juridiction a ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de faire connaître leurs observations sur la réalisation d’une expertise judiciaire.
Dans cette même décision, le tribunal a statué sur deux fins de non-recevoir soulevées par la SAS Imperial Levage, s’agissant d’un défaut de qualité à agir du demandeur et d’une prescription, en les rejetant toutes deux.
Par un second jugement avant dire droit rendu le 11 juin 2018, le tribunal de grande instance de Grasse a constaté qu’il n’y avait pas lieu de statuer à nouveau sur les fins de non-recevoir et a ordonné une expertise de la maquette du bateau « Santa Maria » confiée à M. [C] qui a rendu son rapport le 26 avril 2019.
Par jugement contradictoire rendu le 5 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Grasse a :
‘ déclaré la SAS Imperial Levage irrecevable en ses demandes de fins de non-recevoir qui se heurtent à l’autorité de la chose jugée,
‘ dit que la SAS Imperial Levage a commis une faute engageant sa responsabilité à l’égard de M. [E], directement à l’origine de son préjudice,
‘ condamné la SAS Imperial Levage à payer à M. [E] la somme de 35 000 euros en réparation du préjudice subi,
‘ condamné la SAS Imperial Levage à payer à M. [E] une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ condamné la SAS Imperial Levage aux entiers dépens en ce compris le coût de l’expertise judiciaire,
‘ débouté la SAS Imperial Levage de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ ordonné l’exécution provisoire de la décision sur le tout.
Pour condamner la SAS Imperial Levage au paiement de la somme de 35 000 euros, le tribunal a considéré qu’elle avait été négligente tant dans l’opération de stockage de la maquette réalisée dans des conditions non conformes aux stipulations contractuelles, que dans l’opération de transport réalisée par un temps très pluvieux alors que la maquette n’avait pas été protégée comme prévu. De plus, il a retenu une indemnisation portant sur le coût de fabrication d’une nouvelle maquette, dans la mesure où elle était moins onéreuse que le coût de restauration, sur le fondement des conclusions de l’expertise judiciaire.
Par déclaration transmise au greffe le 8 février 2021, la SAS Imperial Levage a relevé appel de cette décision en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle l’a déclarée irrecevable en ses demandes de fins de non-recevoir qui se heurtent à l’autorité de la chose jugée.
Par conclusions transmises le 10 mai 2021 au visa des articles 133-1 et 133-3 du code de commerce et de l’article 564 du code de procédure civile, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la SAS Imperial Levage demande à la cour de :
A titre principal :
‘ infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
En conséquence,
‘ débouter M. [E] de l’intégralité de ses demandes,
‘ condamner M. [E] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile de première instance,
‘ condamner M. [E] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
‘ condamner M. [E] au paiement des dépens de première instance comprenant les frais d’expertise et ceux d’appel,
A titre subsidiaire :
‘ juger que les sommes qui lui sont dues pour le stockage de la maquette puis sa manutention et son transport s’élèvent à 10 176 euros,
‘ ordonner la compensation de la somme de 10 176 euros avec l’indemnisation due à M. [E],
‘ débouter M. [E] de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel,
‘ condamner M. [E] au paiement des dépens d’appel.
A titre principal, elle soutient n’avoir commis aucune faute dans l’exécution du contrat dès lors que le contrat prévoyait que la maquette serait entourée d’un film plastique lors de son stockage, ce qui a bien été effectué, et non lors du transport, ce qui aurait rendu toute opération de manutention impossible. Toutefois, elle assure avoir pris des précautions en utilisant une bâche pour la protection de la maquette durant l’opération, ce dont atteste notamment la collaboratrice de M. [E] qui a réceptionné la maquette à l’entrepôt. Elle en déduit qu’elle n’a aucunement manqué à ses engagements contractuels.
De plus, elle fait valoir qu’en application de l’article L 133-3 du code de commerce, alors qu’il est établi que Mme [J] a bien signé le bon de livraison, faute d’avoir émis des réserves quant à ce dernier dans les trois jours de la réception, toute action de l’intimé à son encontre est éteinte.
En outre, elle considère que les intempéries qui sont apparues durant l’opération de manutention constituent un cas de force majeure prévu spécifiquement à l’article L 133-1 du code de commerce dans la mesure où il s’agit d’une cause extérieure, qu’elles étaient imprévisibles et se sont avérées irrésistibles.
Elle soutient également qu’il convient d’écarter des débats l’attestation du musée naval affirmant qu’à son départ du musée le 27 février 2009, la maquette était en parfait état, dans la mesure où M. [E] est le directeur et le fondateur dudit musée, ce qui altère la force probante des pièces produites par cette structure.
A titre subsidiaire, elle sollicite que, par compensation, soient déduites des sommes au paiement desquelles elle serait condamnée, les sommes qui lui sont dues au titre des prestations qu’elle a effectué, soit 10 176 euros.
Par conclusions transmises le 1er juillet 2021 au visa des articles 1372 et suivants et 1915 et suivants du code civil, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, M. [R] [E] demande à la cour de :
‘ confirmer le jugement entrepris dans l’intégralité de ses dispositions,
‘ débouter la SAS Imperial Levage de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
En conséquence,
‘ dire et juger que la SAS Imperial Levage a commis des fautes dans le cadre de l’exécution du contrat de dépôt salarié et qu’elle engage donc sa responsabilité contractuelle,
‘ dire et juger que la SAS Imperial Levage a commis des fautes dans le cadre du transport de la maquette dans ses locaux le 4 novembre 2011,
‘ condamner la SAS Imperial Levage à lui payer la somme de 40 500 euros et à tout le moins 35 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de sa responsabilité contractuelle,
‘ condamner la SAS Imperial Levage à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens y compris les frais d’expertise.
M. [E] s’appuie sur le rapport d’expertise judiciaire de M. [C] pour décrire les désordres subis par la maquette dont il est propriétaire.
Sur la faute et le lien de causalité, il soutient qu’eu égard au rapport d’expertise, la SAS Imperial Levage a commis plusieurs manquements à l’origine des désordres s’agissant :
– du stockage de la maquette durant une longue période sans ou avec un film plastique de protection mal installé et sans démontrer qu’elle a bien été stockée dans un container maritime, ce qui a favorisé un premier apport d’eau et explique les dégâts constatés qui suppose une longue exposition à l’eau,
– du transport de la maquette un jour d’intempéries, l’exposant à la pluie durant plus d’une heure, dans la mesure où le film plastique a été ôté pendant l’opération et la bâche de protection déplacée, de sorte que la maquette était au moins partiellement à découvert, ce qui a favorisé un second apport d’eau.
Sur le préjudice, il fait valoir que la maquette n’est pas réparable, le coût de la restauration étant supérieur à celui d’une nouvelle construction qui est désormais de 40 500 euros.
En outre, il conteste les moyens opposés par l’appelante et fait valoir que :
– son action n’est pas éteinte, le délai de l’article L. 133-1 du code de commerce n’ayant pu courir dans la mesure où le bon de livraison n’a pas été produit à l’expertise judiciaire, de sorte qu’il n’est pas considéré comme existant et probant, Mme [J] attestant que la livraison n’était pas conforme et qu’elle n’a donc pas pu le signer, aucun nom de signataire n’étant mentionné sur le bon de livraison, et la signature présente n’étant pas celle de cette dernière ;
– la force majeure ne peut être appliquée à l’espèce, les intempéries étant parfaitement prévisibles, de sorte que l’appelante aurait pu différer le transport, et qu’en tout état de cause, la force majeure ne peut pas justifier les manquements pendant toute la période de stockage ;
– la maquette doit être considérée en bon état au moment de sa prise en charge en l’absence de toute observation sur cet état par l’appelante alors qu’au demeurant, il n’est pas le directeur du musée océanographique de [Localité 3],
– aucune compensation n’est permise dès lors que l’existence d’une créance est incertaine alors qu’en l’espèce, la SAS Imperial Levage ne peut prétendre détenir une telle créance au regard de ses manquements contractuels.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 9 décembre 2024.
Par soit-transmis du 6 janvier 2025, la cour a sollicité les observations des parties quant à l’incidence de l’absence de demande d’infirmation au moins partielle de la décision entreprise, au regard des article 542 et 954 du code de procédure civile ainsi que de la jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 17 septembre 2020, alors que M. [R] [E] sollicite l’octroi d’une somme de 45 000 euros en termes d’indemnisation de son préjudice, prétention limitée par le premier juge à la somme de 35 000 euros. Les parties ont respectivement produit des notes en délibéré dans ce cadre les 15 et 17 janvier 2025 qui seront ainsi prises en compte.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant :
Déboute la SAS Imperial Levage de sa demande en paiement de la somme de 10 176 euros par M. [R] [E], y compris par compensation,
Condamne la SAS Imperial Levage au paiement des dépens,
Condamne la SAS Imperial Levage à payer à M. [R] [E] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SAS Imperial Levage de ses demandes sur ce même fondement.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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