Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Aix-en-Provence
Thématique : Responsabilité notariale et devoir de conseil : enjeux fiscaux d’une donation entre adoptés.
→ RésuméL’affaire concerne une donation effectuée par une tante à son neveu, suite à son adoption simple. En 2010, le tribunal de grande instance a prononcé l’adoption simple du neveu par sa tante. En 2012, la tante a donné au neveu la nue-propriété d’un quart de sa propriété, en appliquant un abattement fiscal de 159 325 euros, en raison de leur lien de parenté. Cependant, l’administration fiscale a refusé d’enregistrer l’acte, arguant que l’abattement était inapproprié, car le neveu ne remplissait pas les conditions requises par le code général des impôts.
Un acte de donation rectificatif a été établi, maintenant l’abattement mais modifiant le taux de calcul des droits de donation. En 2015, l’administration fiscale a demandé des justificatifs concernant la prise en charge continue du neveu par sa tante, puis a proposé une rectification, remettant en cause l’abattement. Un rappel de droits de donation a été notifié au neveu, qui a alors assigné le notaire et la société de notaires en responsabilité, estimant qu’ils avaient manqué à leur devoir de conseil. Le tribunal a jugé que l’action n’était pas prescrite et a reconnu la responsabilité du notaire pour manquement à son devoir de conseil, condamnant le notaire et la société à indemniser le neveu pour un préjudice évalué à 26 450 euros. Le notaire a interjeté appel, soutenant que l’action était prescrite et qu’il n’avait pas commis de faute. La cour a confirmé le jugement, considérant que le notaire n’avait pas informé le neveu des risques fiscaux liés à la donation et que ce manquement avait entraîné un préjudice. Les dépens ont été mis à la charge du notaire et de la société de notaires. |
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 25 MARS 2025
N° 2025/142
Rôle N° RG 21/03493 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BHCLS
[Z] [C]
S.C.P. ALARCON-
SCHOEPFF-
[C]-
JOLLY PASQUIER -SOURAUD
C/
[J] [L]-[Y]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Maud DAVAL-GUEDJ
Me Christophe PELLOUX
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal judiciaire de NICE en date du 25 Février 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 18/02040.
APPELANTS
Monsieur [Z] [C]
Demeurant [Adresse 1]
S.C.P. ALARCON-SCHOEPFF-[C]- JOLLY PASQUIER -SOURAUD Notaires associés
Demeurant [Adresse 1]
tous deux représentés Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ – MONTERO – DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, Me Hélène BERLINER de la SCP D’AVOCATS BERLINER-DUTERTRE, avocat au barreau de NICE, avocat plaidant
INTIME
Monsieur [J] [L]-[Y]
Né le [Date naissance 2] 1974 à [Localité 5] (06)
Demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Christophe PELLOUX, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 28 Janvier 2025 en audience publique devant la cour composée de :
Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre
Madame Catherine OUVREL, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère, rapporteur
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Anastasia LAPIERRE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2025,
Signé par Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre et Mme Anastasia LAPIERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
Exposé des faits et de la procédure
Par jugement du 29 septembre 2010, le tribunal de grande instance de Nice a prononcé l’adoption simple de M. [J] [L]-[Y] par sa tante, Mme [M] [Y].
Par acte authentique reçu le 16 mai 2012 par M. [Z] [C], notaire associé de la SCP Alarcon – Schoepff – Gibelin devenue la SCP Alarcon – Schoepff – Gibelin – Jolly – Pasquier – Souraud (la SCP [4]), Mme [Y] a fait donation à M. [L]-[Y] de la nue-propriété du quart de sa propriété à Nice.
Au titre de la déclaration pour l’enregistrement, le donataire ayant sollicité l’application d’un abattement tenant compte du lien de parenté, un abattement de 159 325 euros, réservé aux donations en ligne directe, a été appliqué conformément aux dispositions de l’article 779-I du code général des impôts. Le calcul du montant des droits de donation sur la part taxable a été opéré selon un taux de 60 %, applicable entre neveu et tante.
L’administration fiscale ayant refusé d’enregistrer l’acte en l’état, au regard de la dissonance entre l’abattement appliqué et le taux de calcul des droits sur la part taxable, M. [C] a établi un acte de donation rectificatif aux termes duquel l’abattement de 159 325 euros réservé aux donations en ligne directe a été maintenu, mais le calcul des droits de donation sur la part taxable a été opéré selon un taux de 5 %, réservé aux donations en ligne directe, conformément à l’article 786 3°bis du code général des impôts qui permet de tenir compte des liens d’adoption simple lorsque l’adopté majeur a, soit dans sa minorité et pendant cinq ans au moins, soit dans sa minorité et sa majorité et pendant dix ans au moins, reçu de l’adoptant des secours et des soins non interrompus au titre d’une prise en charge continue et principale.
Une attestation sur l’honneur de Mme [Y], certifiant avoir donné à son fils adoptif au cours de sa minorité et de sa majorité pendant une période supérieure à dix ans des soins et secours de manière ininterrompue, a été annexée à l’acte.
Celui-ci a été enregistré auprès du pôle enregistrement du service des impôts des particuliers de [Localité 5] Est le 6 mars 2013 et publié au service de la publicité foncière le 22 mars 2013.
Le 3 juin 2015, l’administration fiscale a réclamé à M. [L]-[Y] les justificatifs de sa prise en charge continue pendant au moins dix ans par Mme [Y].
Le 8 octobre 2015, elle lui a adressé une proposition de rectification remettant en cause son éligibilité à l’abattement de 159 325 euros au motif qu’il ne remplissait pas les conditions de l’article 786, 3° bis du code général des impôts.
Un rappel de droits de donation a été notifié à M. [L] [Y] pour un montant total en principal et intérêts de 95 725 euros, et le 25 mars 2016, le service des impôts de particuliers lui a adressé un avis de mise en recouvrement de cette somme.
Estimant que le notaire a commis une faute en s’abstenant de vérifier son éligibilité au dispositif de faveur instauré par l’article 786 3° du code général des impôts et en ne l’informant pas du risque fiscal induit par la donation, M. [L]-[Y] a, par acte du 28 mars 2018, assigné M. [C], notaire, et la SCP [4] devant le tribunal de grande instance de Nice en responsabilité afin d’obtenir l’indemnisation de son préjudice.
Les défendeurs ont soulevé la prescription de l’action.
Par jugement du 25 février 2021, le tribunal a :
– dit que l’action n’est pas prescrite ;
– dit que la responsabilité de M. [C] et de la SCP [4] est engagée pour manquement au devoir de conseil ;
– condamné in solidum M. [C] et la SCP [4] à payer à M. [L]-[Y] la somme de 26 450 euros en réparation de son préjudice ;
– ordonné l’exécution provisoire ;
– condamné in solidum M. [C] et la SCP [4] à payer à M. [L]-[Y] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le tribunal a considéré que le délai de prescription quinquennale a commencé à courir le 8 octobre 2015, date de la proposition de rectification de l’administration fiscale et que le courriel du 21 mars 2013 adressé par le clerc de notaire est insuffisant pour démontrer que le donataire a eu connaissance, à cette date, du redressement fiscal envisagé.
Pour retenir la responsabilité du notaire, il a considéré qu’en se contentant d’une attestation de la donatrice certifiant de soins reçus en continu pendant dix ans par le donataire, et en n’informant pas M. [L]-[Y], alors qu’il connaissait les exigences de l’article 786 3° du code général des impôts, que compte tenu des conditions restrictives posées par ce texte, une simple attestation de la donatrice serait insuffisante, M. [C] a manqué à son devoir de conseil.
Le tribunal a considéré que le redressement fiscal était la conséquence du manquement du notaire à son devoir de conseil et retenu une perte de chance pour M. [L]-[Y] de refuser la donation. Il a évalué le préjudice à 26 450 euros, correspondant à la différence entre le bénéfice de la donation et les droits à payer en principal et intérêts de retards.
Par acte du 9 mars 2021, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, M. [C] et la SCP [4] ont relevé appel de cette décision en visant tous les chefs de son dispositif.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 31 décembre 2024.
Prétentions et moyens des parties
Dans ses dernières conclusions, notifiées le 8 juin 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. [C] et la SCP Alarcon – Schoepff – Gibelin – Jolly – Pasquier – Souraud demandent à la cour de :
‘ infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
‘ dire et juger l’action prescrite ;
‘ débouter M. [L]-[Y] de l’ensemble de ses demandes dirigées à leur encontre ;
‘ condamner M. [L]-[Y] à leur payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance, distraits au profit de leur avocat.
Bien que régulièrement constitué par acte du 18 mars 2021, M. [L]-[Y], intimé, n’a pas remis au greffe de conclusions d’intimé dans les délais impartis par l’article 909 du code de procédure civile.
Par ces motifs
La cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne M. [Z] [C] et la SCP Alarcon-Schoepff-[C]-Jolly Pasquier-Souraud, in sodium, aux entiers dépens d’appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.
Déboute M. [Z] [C] et la SCP Alarcon-Schoepff-[C]-Jolly Pasquier-Souraud, de leur demande en application de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu’ils ont exposés devant la cour.
Le greffier Le président
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