Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Agen
Thématique : Renonciation à l’exploitation personnelle et conséquences sur le renouvellement du bail commercial
→ RésuméEn mars 1994, un bail commercial a été conclu entre une société bailleur et une société preneuse pour un local commercial et un terrain de parking. Ce contrat stipulait que la sous-location était interdite, sauf autorisation expresse du bailleur. Au fil des années, plusieurs lettres et contrats ont été échangés, autorisant la sous-location à des tiers, notamment à une société sous-locataire. En 2012, le bail a été renouvelé, confirmant la possibilité de sous-location et stipulant que le bailleur renonçait à se prévaloir d’un défaut d’exploitation personnelle du preneur.
En décembre 2021, le bailleur a signifié un congé avec refus de renouvellement, arguant que la société preneuse n’était pas immatriculée au registre du commerce pour l’activité exercée dans les locaux. En réponse, la société preneuse a soutenu que les parties avaient toujours voulu se soumettre au statut des baux commerciaux, indépendamment de l’exploitation personnelle des lieux. Des échanges ont eu lieu sans parvenir à un accord, et la société preneuse a finalement quitté les locaux. Un nouveau bail a été signé entre le bailleur et un ancien sous-locataire pour un loyer supérieur. En janvier 2023, la société preneuse a assigné le bailleur en justice, demandant une indemnité d’éviction de 550 000 euros. Le tribunal a débouté la société preneuse, considérant que le congé était justifié en raison de l’absence d’immatriculation au registre du commerce. La société preneuse a fait appel, arguant que le bailleur avait renoncé à cette condition. Le tribunal a confirmé que l’indemnité d’éviction devait être évaluée sur la base de la valeur locative des locaux, qui était inférieure à celle que la société preneuse prétendait. En conséquence, le jugement initial a été maintenu, et la société preneuse a été condamnée à payer les dépens. |
ARRÊT DU
02 Avril 2025
DB/CH
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N° RG 24/00601 –
N° Portalis DBVO-V-B7I-DHQC
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S.A.S. [N] [K] CONSULTING
C/
S.A.S. COLITEL LOCAGERS
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GROSSES le
aux avocats
ARRÊT n° 109-2025
COUR D’APPEL D’AGEN
Chambre Civile
LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère chambre dans l’affaire,
ENTRE :
S.A.S. [N] [K] CONSULTING
RCS D’AUCH 353 540 586
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Manuel BELLIER, SELARL MISSIO AVOCATS, avocat au barreau du GERS
APPELANTE d’un jugement du Tribunal Judiciaire d’AUCH en date du 24 Avril 2024, RG 23/00127
D’une part,
ET :
S.A.S. COLITEL LOCAGERS
RCS D’AUCH 311 931 059
[Adresse 6]
[Localité 3]
représentée par Me Erwan VIMONT,SELARL LEX ALLIANCE, avocat au barreau d’AGEN
INTIMÉE
D’autre part,
COMPOSITION DE LA COUR :
l’affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 10 Février 2025 devant la cour composée de :
Président : André BEAUCLAIR, Président de chambre,
Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller qui a fait un rapport oral à l’audience
Anne Laure RIGAULT, Conseiller
Greffière : Catherine HUC
ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
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FAITS :
Par contrat sous seing privé du 24 mars 1994, remplaçant un précédent contrat, la SARL Colitel a donné à bail commercial à la SA [N] [K], pour une durée de 9 ans, un local à usage commercial d’une superficie de 1 512 m² et un terrain goudronné à usage de parking d’une superficie de 2 300 m² situés ‘[Adresse 5]’ à [Localité 4] (32).
Il a été stipulé que la sous-location était interdite au preneur, sauf autorisation expresse du bailleur.
Le prix mensuel du bail a été fixé à 18 117 Francs, avec indexation.
Par lettre du même jour, la gérante de la SARL Colitel a indiqué à la SA [N] [K] :
‘Je vous confirme mon accord expresse concernant les sous-locataires à savoir d’une part [X] [B] ou toute personne physique ou morale par lui désignée pour la partie des 1 200 m² à usage de supermarché alimentaire à rayons multiples et d’autre part, pour le reste à la SARL Caprex.
J’accepte expressément la divisibilité des locaux et j’autorise les sous-locataires à engager tous travaux d’améliorations qu’ils souhaitent dès lors qu’ils seront en conformité avec les éventuels permis de construire.
Je déclare expressément renoncer à me prévaloir du défaut d’exploitation pour refuser le renouvellement du bail conclu le 24 mars 1994, dans le cas où vous n’exploiteriez pas les locaux loués, à condition toutefois que ce défaut d’exploitation par vous-même ou éventuellement par vos sous-locataires n’excède pas une durée de quatre mois.’
Par contrat sous seing privé du 27 novembre 1994, la SARL Colitel a donné à bail commercial à la SA [N] [K], pour une durée de 9 ans, un terrain goudronné à usage de parking situé au même endroit, d’une superficie de 300 m²
Il a été stipulé que la sous-location était interdite au preneur, sauf autorisation expresse du bailleur.
Le prix mensuel du bail a été fixé à 3 200 Francs avec indexation.
Par lettre du 22 avril 2017, la gérante de la SARL Colitel, devenue la SARL Colitel Locagers, a indiqué à la SA [N] [K] :
‘Je vous confirme mon accord expresse concernant le sous-locataire, à savoir la société Pavidis, immatriculée au RCS d’Auch sous le n° B 394 860 498 (94B98).
J’autorise le sous-locataire à engager tous les travaux d’amélioration qu’il souhaite dès lors qu’ils seront en conformité avec les éventuels permis de construire.
Je déclare renoncer expressément à me prévaloir du défaut d’exploitation pour refuser le renouvellement du bail conclu le 24 mars 1994, dans le cas où vous n’exploiteriez pas les locaux loués, à condition toutefois que ce défaut d’exploitation par vous-même ou éventuellement par vos sous-locataires n’excède pas une durée de quatre mois.’
Par contrat sous-seing privé du 23 mai 2000, les locaux donnés à bail le 24 mars 1994 ont été étendus à deux locaux complémentaires de surfaces respectives de 294 m² et 60 m², avec parkings, pour un prix mensuel de 3 388 Francs et 2 306 Francs.
S’agissant de cette extension, par lettre du 24 mai 2000, la gérante de la SARL Colitel Locagers, a indiqué à la SA [N] [K] :
‘Je vous confirme mon accord expresse concernant les sous-locataires, à savoir d’une part M. [B] [X] ou toute autre personne physique ou morale par lui désignée, pour ce local à usage de supermarché alimentaire à rayons multiples.
J’accepte les sous-locataires à engager tous les travaux d’amélioration qu’ils souhaitent dès lors qu’ils seront en conformité avec la réglementation en vigueur.’
Par contrat sous seing privé du 29 mars 2003, les parties ont décidé de renouveler le bail du 24 mars 1994 pour une durée de 9 ans.
Il a été stipulé :
‘Dans le cadre de ce renouvellement, le bailleur autorise d’ores et déjà le preneur à sous-louer le local à usage commercial donné à bail, d’une superficie actuelle de 1 966 m² ainsi que le terrain goudronné servant de parking d’une superficie d’environ 2 660 m² à tout sous-locataire de son choix, dans la limite des restrictions d’activité fixées au bail tout commerce dont s’agit.
(…)
Le bailleur autorise dans la limite des restrictions d’activité fixées au bail tout commerce dont s’agit, toute cession ou sous-location, le preneur restant garant conjointement et solidairement avec son sous-locataire ou son cessionnaire, et tous sous-locataires ou cessionnaires successifs, du paiement des loyers et charges échus ou à échoir, ou de l’exécution des conditions du présent bail.
Le preneur sera cependant tenu d’appeler le bailleur à concourir à l’acte.
(…)
Le bailleur déclare expressément renoncer à se prévaloir d’une cession ou sous-location ou d’un défaut d’exploitation pour refuser le renouvellement du bail à son échéance du 31 mars 2012 dans le cas où le preneur n’exploiterait pas lui-même les locaux loués, à la condition toutefois que ce défaut d’exploitation par le preneur ou éventuellement par ses sous-locataires n’excède pas une durée de quatre mois. ‘
Le prix mensuel du bail a été fixé à 6 087 Euros.
Par avenant du 27 décembre 2007, les parties ont stipulé :
‘A partir du 1er janvier 2008, le preneur versera au bailleur, en sus du loyer résultant du bail, 20 % de différentiel entre le dit loyer résultant du bail et le loyer que le preneur facture à son sous-locataire et cela uniquement pendant le temps que la sous-location existera et cela aussi quel que soit le montant de la sous-location.
Ce différentiel sera réévalué à chaque anniversaire du bail (1er avril de chaque année) par rapprochement de la facture du bailleur au preneur avec celle du preneur à son sous-locataire.
Le preneur ne sera plus tenu d’appeler le bailleur à concourir à l’acte de sous-location.’
Par contrat sous seing privé du 31 mars 2012, les parties ont décidé de renouveler le bail du 24 mars 1994, et ses avenants, pour une durée de 9 ans.
Le prix mensuel du bail a été fixé à 8 449,08 Euros, hors TVA.
Il a également été stipulé :
‘Le preneur versera également au bailleur un complément de loyer représentant 20 % du différentiel entre ledit loyer et celui perçu par le preneur de son ou ses sous-locataires et cela quel que soit le montant de la sous-location et aussi longtemps que cette sous-location durera.’
Par acte d’huissier du 28 décembre 2021, la SARL Colitel Locagers a signifié à la SAS [N] [K] Consulting (anciennement SA [N] [K]) un congé avec refus de nouvellement sans indemnité d’éviction pour dénégation du statut des baux commerciaux, aux motifs que cette dernière n’est ni propriétaire d’un fonds exploité dans les lieux ni immatriculée au registre du commerce et des sociétés pour l’activité considérée dans les lieux loués.
Par lettre du 22 avril 2022, la SAS [N] [K] Consulting a répliqué, d’une part, que les parties avaient toujours entendu soumettre leurs rapports locatifs au statut des baux commerciaux sans faire de l’exploitation des lieux, par le preneur, une condition nécessaire à son application et, d’autre part, que l’absence d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés pour l’activité considérée était le corollaire de l’absence d’exploitation personnelle.
La SARL Colitel Locagers a répliqué ne pas avoir renoncé à se prévaloir de la condition d’exploitation tenant à l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés.
De vains échanges se sont poursuivis entre les parties.
La SAS [N] [K] Consulting a libéré les locaux.
Un bail commercial a été signé entre la SARL Colitel Locagers et l’ancien sous-locataire, devenue la société Aldi, pour un loyer annuel de 162 000 Euros HT.
Par acte du 26 janvier 2023, la SAS [N] [K] Consulting a fait assigner la SARL Colitel Locagers devant le tribunal judiciaire d’Auch afin de la voir condamner à lui payer, en principal, une indemnité d’éviction de 550 000 Euros.
Par jugement rendu le 24 avril 2024, le tribunal judiciaire d’Auch a :
– ordonné le rabat de l’ordonnance de clôture au 21 février 2024,
– débouté la SAS [N] [K] Consulting de ses demandes,
– condamné la SAS [N] [K] Consulting à verser à la SARL Colitel Locagers la somme de 2 500 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SAS [N] [K] au paiement des entiers dépens,
– rappelé que la décision est de droit exécutoire à titre provisoire.
Le tribunal a estimé que si le bail signé le 23 mars 2003 et son avenant du 31 mars 2012 stipulent que le bailleur renonce à ce que le locataire ou le sous-locataire soit astreint à une exploitation personnelle du fonds de commerce, il n’existait pas d’élément attestant qu’il renonçait à l’obligation, pour le locataire, d’être inscrit au registre du commerce et des sociétés ; que le congé sans indemnité d’éviction était dès lors justifié.
Par acte du 5 juin 2024, la SAS [N] [K] Consulting a déclaré former appel du jugement en indiquant que l’appel porte sur les dispositions du jugement qui l’ont déboutée de ses demandes, qu’elle reprend dans son acte d’appel.
La clôture a été prononcée le 8 janvier 2025 et l’affaire fixée à l’audience de la Cour du 10 février 2025.
PRETENTIONS ET MOYENS :
Par dernières conclusions notifiées le 27 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, la SAS [N] [K] Consulting présente l’argumentation suivante :
– Les parties ont toujours entendu se soumettre volontairement au statut des baux commerciaux, le bailleur étant informé de l’absence d’exploitation personnelle dans les locaux par le preneur et renonçant à s’en prévaloir pour refuser un renouvellement à plusieurs reprises dans les actes.
– Son absence d’immatriculation est le corollaire de l’absence d’exploitation personnelle, les obligations de garnissement et d’exploitation étant transférées au sous-locataire dès 1994.
– Elle a été constituée en 1990 pour une activité de commerce d’équipement de la maison et a ensuite fait évoluer son activité vers la vente et réparation de véhicules automobiles, mais n’exploite pas de fonds distinct de celui du sous-locataire.
– L’attitude de la société Colitel Locagers est purement opportuniste suite au décès de son gérant en 2020 et au changement d’enseigne du sous-locataire.
– Le congé qui lui a été délivré est mal fondé et ouvre droit à l’indemnité d’éviction instituée à l’article L. 145-14 du code de commerce à calculer à partir de la valeur du sous-loyer annuel à la date à laquelle le locataire pouvait prétendre au renouvellement, diminuée de la valeur du loyer annuel du bail renouvelé, avec coefficient de capitalisation, soit 550 000 Euros comme l’a calculé le cabinet [R] qu’elle a consulté.
– La société Colitel Locagers a, au terme de son opération ayant pour effet d’évincer le locataire commercial, un gain annuel de plus de 40 000 Euros et permet au locataire d’économiser plus de 37 000 Euros.
Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :
– infirmer le jugement,
– condamner la société Colitel Locagers à lui payer une indemnité d’éviction de 550 000 Euros,
– subsidiairement, ordonner une expertise pour chiffrer cette indemnité,
– condamner la société Colitel Locagers à lui payer la somme de 3 000 Euros à titre de dommages et intérêts pour « résistance abusive », outre 3 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, et mettre les dépens à sa charge.
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Par conclusions d’intimée notifiées le 2 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, la SAS Colitel Locagers (anciennement SARL Colitel Locagers) présente l’argumentation suivante :
– Selon l’article L. 145-8 du code de commerce, le droit au renouvellement du bail ne peut être invoqué que par le propriétaire du fonds qui est exploité dans les lieux, ce qui suppose que le preneur soit propriétaire du fonds et l’exploite depuis au moins 3 années et qu’il soit inscrit au registre du commerce et des sociétés pour l’activité exercée dans les locaux.
– Le locataire qui sous-loue intégralement n’a pas droit au renouvellement.
– la SAS [N] [K] Consulting sous-loue la totalité des locaux depuis le 22 avril 1997 et n’est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés pour l’activité exercée dans les locaux, mais seulement pour une activité d’achat et de vente de véhicules et de bateaux à Auch.
– Il n’existe aucune volonté non équivoque des parties de se soumettre au statut des baux commerciaux, faute de clause expresse en ce sens, elle a seulement renoncé à se prévaloir de la sous-location et de l’absence d’exploitation pendant plus de 4 mois.
– La seule activité exercée consistait en une facturation lucrative d’un loyer mensuel de 16 490 Euros HT à la société Pavidis, alors qu’elle ne payait au bailleur qu’un loyer mensuel de 10 003,96 Euros HT.
– Seul l’exploitant évincé peut prétendre à une indemnité d’éviction, basée notamment sur la valeur marchande du fonds de commerce, voire le sous-locataire si sa situation est opposable au bailleur et les locaux indivisibles.
– L’indemnité réclamée n’était initialement que de 280 604 Euros et l’étude du cabinet [R] n’a aucun caractère contradictoire et procède à des calculs arbitraires.
Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :
– confirmer le jugement,
– rejeter les demandes présentées par la SAS [N] [K] Consulting,
– la condamner au paiement d’une indemnité de 5 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,
– CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
– Y ajoutant,
– CONDAMNE la SAS [N] [K] Consulting à payer à la SAS Colitel Locagers, en cause d’appel, la somme de 3 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNE la SAS [N] [K] Consulting aux dépens de l’appel.
Le présent arrêt a été signé par André BEAUCLAIR, président, et par Catherine HUC, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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