Action en nullité de marque : les délais pour agir

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Action en nullité de marque : les délais pour agir

Les nouvelles dispositions relatives à la prescription de l’action en nullité d’une marque doivent être considérées comme allongeant la durée de la prescription, puisqu’elles rendent celle-ci imprescriptible. Or, dans la mesure où aucune mention expresse dans la loi en cause ne permet de caractériser une volonté contraire sur ce point du législateur, le nouvel article L. 716-2-6 du code de la propriété intellectuelle n’est pas applicable aux actions en nullité de marque dont la prescription était déjà acquise lors de l’entrée en vigueur de la loi Pacte le 24 mai 2019.

Prescription de l’action en nullité d’une marque

L’article 2222 du Code civil stipule que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Cette règle de droit est applicable aux actions en nullité d’une marque, sauf si des dispositions spécifiques prévoient une exception à cette prescription.

Imprescriptibilité des actions en nullité de marque

L’article L.714-3-1 du Code de la propriété intellectuelle, issu de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, introduit l’imprescriptibilité des actions en nullité d’une marque. Cette disposition s’applique aux titres en vigueur au jour de la publication de la loi, soit le 23 mai 2019, et a pour effet de rendre inapplicable le délai de prescription de droit commun pour les actions en nullité.

Forclusion par tolérance

L’article L.716-2-8 du Code de la propriété intellectuelle précise que le titulaire d’un droit antérieur qui a toléré pendant une période de cinq années consécutives l’usage d’une marque postérieure enregistrée en connaissance de cet usage n’est plus recevable à demander la nullité de la marque postérieure, sauf si l’enregistrement a été demandé de mauvaise foi. Cette règle vise à protéger la sécurité juridique des marques enregistrées.

Conditions de la prescription et de la forclusion

La jurisprudence a établi que la prescription ne s’applique pas à une action en nullité pour enregistrement de mauvaise foi. Toutefois, il appartient à la partie qui invoque la prescription de prouver qu’elle a eu connaissance des faits justifiant l’action en nullité dans le délai imparti. En l’espèce, il a été démontré que l’Organisme de défense et de gestion (ODG) avait connaissance de l’existence de la marque litigieuse bien avant l’entrée en vigueur de la loi Pacte.

Application des règles de prescription aux AOP

Les actions en atteinte à une appellation d’origine protégée (AOP) sont soumises aux règles de prescription du droit commun, notamment l’article 2224 du Code civil, qui impose un délai de cinq ans à compter de la connaissance des faits. Les demandes fondées sur des actes de tromperie sur l’origine des produits et d’autres pratiques commerciales trompeuses relèvent également de cette prescription.

Incompétence du juge de la mise en état

L’article 789 du Code de procédure civile stipule que lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée une question de fond, le juge de la mise en état doit renvoyer l’affaire devant la formation de jugement. En l’espèce, le juge de la mise en état a statué sur des questions de fond, ce qui était en dehors de sa compétence, et aurait dû renvoyer l’affaire pour que la formation de jugement statue sur la question de la mauvaise foi.

Conclusion sur les fins de non-recevoir

Les fins de non-recevoir opposées à la Fédération des viandes AOP de France (FEVAO) ont été rejetées, car cette association, créée après les faits, ne pouvait pas être soumise à des prescriptions ou forclusions antérieures à sa date de création. Cela souligne l’importance de la date de création des entités juridiques dans l’appréciation de leur capacité à agir en justice.

L’Essentiel : L’article L.714-3-1 du Code de la propriété intellectuelle introduit l’imprescriptibilité des actions en nullité d’une marque, s’appliquant aux titres en vigueur au 23 mai 2019. L’article L.716-2-8 précise qu’un titulaire de droit antérieur ayant toléré l’usage d’une marque postérieure pendant cinq ans ne peut plus demander sa nullité, sauf en cas de mauvaise foi. La jurisprudence indique que la prescription ne s’applique pas aux actions en nullité pour enregistrement de mauvaise foi, et la partie invoquant la prescription doit prouver sa connaissance des faits.
Résumé de l’affaire : L’affaire concerne un litige entre plusieurs associations de producteurs d’agneau et un organisme de défense et de gestion d’une appellation d’origine protégée (AOP) relative à l’agneau de Pré-salé. L’association des producteurs d’agneau de Pré-salé de la baie du [Localité 13] et de l’ouest Cotentin a été créée en 1985 pour promouvoir cette appellation. Elle a déposé une marque en 2003, qui a été régulièrement renouvelée. En revanche, l’ODG a été constitué en 2009 pour défendre l’AOP « Prés-salés du [Localité 13] », et a obtenu la reconnaissance de cette appellation par l’INAO.

En 2022, l’ODG et la Fédération des Viandes AOP de France (FEVAO) ont assigné les associations de producteurs d’agneau devant le tribunal judiciaire de Paris, demandant l’annulation de la marque n° 3 262 795, invoquant des atteintes aux droits de l’AOP, contrefaçon, et pratiques commerciales trompeuses. Les associations ont contesté la recevabilité de ces demandes, arguant de la prescription et de la forclusion.

Le juge de la mise en état a, par ordonnance du 3 août 2023, écarté les fins de non-recevoir soulevées par les associations. Cependant, les associations ont interjeté appel, demandant l’infirmation de cette ordonnance. En mai 2024, les parties ont présenté leurs dernières conclusions, l’ODG et la FEVAO demandant la confirmation de l’ordonnance initiale.

La cour a finalement statué sur la prescription des demandes de nullité de la marque et des atteintes aux droits de l’AOP, déclarant que ces demandes étaient prescrites. Elle a également jugé que le juge de la mise en état n’était pas compétent pour statuer sur la forclusion de l’ODG, renvoyant l’affaire devant la formation de jugement pour examiner la question de la mauvaise foi dans le dépôt de la marque. Les dépens ont été mis à la charge de l’ODG.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique de la prescription de la demande en nullité de la marque française n° 3 262 795 ?

La prescription de la demande en nullité de la marque française n° 3 262 795 est fondée sur l’article 2222 du code civil, qui stipule que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Les associations des producteurs d’agneau soutiennent que l’Organisme de défense et de gestion (ODG) avait connaissance de la marque avant 2014, ce qui rendrait la demande en nullité prescrite.

En revanche, l’ODG et la Fédération des Viandes AOP de France (FEVAO) affirment que l’action en nullité n’est pas soumise aux règles de prescription, en raison de la nature trompeuse de la marque.

Il est à noter que l’article L.714-3-1 du code de la propriété intellectuelle, issu de la loi 2019-486 du 22 mai 2019, prévoit l’imprescriptibilité des actions en nullité d’une marque. Cependant, cette disposition ne s’applique pas rétroactivement aux actions dont la prescription était déjà acquise avant l’entrée en vigueur de cette loi.

Quel est l’impact de la forclusion par tolérance sur la demande de nullité de la marque ?

La forclusion par tolérance est régie par l’article L.716-2-8 du code de la propriété intellectuelle, qui dispose que « Le titulaire d’un droit antérieur qui a toléré pendant une période de cinq années consécutives l’usage d’une marque postérieure enregistrée en connaissance de cet usage n’est plus recevable à demander la nullité de la marque postérieure sur le fondement de l’article L. 711-3, pour les produits ou les services pour lesquels l’usage de la marque a été toléré, à moins que l’enregistrement de celle-ci ait été demandé de mauvaise foi ».

Les associations des producteurs d’agneau soutiennent que la forclusion par tolérance s’applique, tandis que l’ODG argue que la mauvaise foi lors du dépôt de la marque écarte cette forclusion.

Le juge de la mise en état a rejeté le moyen tiré de la forclusion par tolérance, considérant que la mauvaise foi invoquée faisait obstacle à son application. Cependant, cette question de la mauvaise foi est une question de fond qui doit être examinée par la formation de jugement, et non par le juge de la mise en état.

Quel est le régime de prescription applicable aux demandes liées à l’atteinte aux droits sur l’AOP ?

Les demandes liées à l’atteinte aux droits sur l’AOP, ainsi qu’aux actes de tromperie sur l’origine des produits, sont soumises au régime de prescription prévu par l’article 2224 du code civil, qui stipule que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Les associations des producteurs d’agneau affirment que les usages incriminés étaient connus depuis plus de cinq ans avant l’assignation, tandis que l’ODG soutient qu’il n’y a pas de preuve de cette connaissance.

Il a été établi que l’ODG avait connaissance de l’existence de l’association des producteurs d’agneau et de l’utilisation de la marque litigieuse au moins depuis le 28 février 2012, ce qui signifie que les demandes étaient prescrites au moment de l’acte introductif d’instance.

Quel est le statut juridique de la FEVAO en relation avec la prescription et la forclusion ?

La FEVAO, créée le 23 décembre 2019, n’a aucune existence juridique antérieure à sa création. En conséquence, aucune prescription ou forclusion quinquennale ne peut lui être opposée à la date de l’assignation, le 9 juin 2022.

Les associations des producteurs d’agneau soutiennent que la création récente de la FEVAO, qui inclut l’ODG, ne doit pas faire obstacle à l’application de la prescription et de la forclusion. Cependant, le tribunal a confirmé que la FEVAO ne pouvait pas être affectée par des prescriptions antérieures à sa création.

Ainsi, l’ordonnance du juge de la mise en état a été confirmée en ce qu’elle a rejeté les fins de non-recevoir soulevées à l’encontre de la FEVAO.

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRÊT DU 07 FEVRIER 2025

(n°16, 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 23/15170 – n° Portalis 35L7-V-B7H-CIHMY

Décision déférée à la Cour : ordonnance du juge de la mise en état du 03 août 2023 – Tribunal judiciaire de PARIS – 3ème chambre 1ère section – RG n°22/06932

APPELANTES

Association DES PRODUCTEURS D’AGNEAU DE PRE SALE DE LA BAIE DU [Localité 13] ET DE L’OUEST COTENTIN, agissant en la personne de son président domicilié en cette qualité au siège situé

[Adresse 9]

[Adresse 2]

[Localité 13]

Ayant pour siren le numéro 393 702 469

Association DES PRODUCTEURS D’AGNEAU DE PRE SALE DE LA BAIE DU [Localité 13] ET DE L’OUEST COTENTIN agissant en la personne de son président domicilié en cette qualité au siège social situé

[Adresse 1]

[Localité 5]

Ayant pour siren le numéro 408 328 219

Représentées par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELARLU BELGIN PELIT-JUMEL, avocate au barreau de PARIS, toque D 1119

Assistées de Me Emmanuel DE MARCELLUS plaidant pour la SELARL DE MARCELLUS & DISSER, avocat au barreau de PARIS, toque A 341

INTIMES

ORGANISME DE DÉFENSE ET DE GESTION DE L’AOP « PRÉS-SALÉS DU [Localité 13] »

Syndicat professionnel, pris en la personne de son président domicilié en cette qualité au siège situé

Chambre d’agriculture de la Manche

[Adresse 10]

[Adresse 6]

[Localité 4]

FEDERATION DES VIANDES AOP DE FRANCE

Association, prise en la personne de son président domicilié en cette qualité au siège situé

[Adresse 11]

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représentés par Me Arnaud LELLINGER de l’AARPI LLF AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque C 1195

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 novembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique RENARD, Présidente de chambre, Présidente, en présence de Mme Marie SALORD, Présidente de chambre, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport

Mmes Véronique RENARD et Marie SALORD ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Véronique RENARD, Présidente de chambre, Présidente

Mme Marie SALORD, Présidente de chambre

M. Gilles BUFFET, Conseiller

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente de chambre, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu l’ordonnance rendue le 3 août 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris,

Vu l’appel interjeté le 8 septembre 2023 par l’association des producteurs d’agneau de Pré salé de la baie du [Localité 13] et de l’ouest Cotentin et par l’association des producteurs d’agneau de Pré salé de la baie du [Adresse 12] et de l’ouest Cotentin,

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 mai 2024 par l’association des producteurs d’agneau de Pré salé de la baie du [Localité 13] et de l’ouest Cotentin et par l’association des producteurs d’agneau de Pré sale de la baie du [Localité 13] et de l’ouest Cotentin,

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 mai 2024 par l’Organisme de défense et de gestion de l’AOP « Prés-Salés du [Localité 13] » et par la Fédération des Viandes AOP de France,

Vu l’ordonnance de clôture du 30 mai 2024.

SUR CE, LA COUR,

Un pré-salé est une prairie naturelle située à proximité du bord de mer, inondée par les eaux salées lors des hautes marées, historiquement utilisée dans la baie du [Localité 13] comme pâturage pour les ovins.

L’association des producteurs d’agneau de Pré salé de la baie du [Localité 13] et de l’ouest-Cotentin (ci-après désignée l’association des producteurs d’agneau), ayant pour objet la promotion et défense de l’appellation agneau du Pré-salé et la représentation et défense des producteurs d’agneau de Pré-salé (Siren : 393 702 469), dont le siège social est situé à la mairie du [Localité 13], a été déclarée à la sous-préfecture d'[Localité 7] le 30 octobre 1985. Il résulte du répertoire Sirene que l’association, active depuis le 19 janvier 1994, est « fermée » depuis le 1er janvier 2012.

Le 3 février 1992, l’association des producteurs d’agneau a soumis à l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) son dossier de candidature à l’appellation d’origine contrôlée (AOC) « agneaux de Pré-Salé du [Localité 13] ».

Par déclaration à la sous-préfecture d'[Localité 7] du 13 octobre 1992, elle a déclaré un nouvel objet portant sur la valorisation de la production par une concertation permanente entre éleveurs et bouchers pour adapter l’offre à la demande.

L’association des producteurs d’agneau était titulaire de deux marques françaises qui n’ont pas été renouvelées et qui ont expiré en 1997 :

-la marque n°1402213, déposée en couleurs le 23 mars 1987, pour des « agneaux vivants, carcasses d’agneaux entières ou découpée »,

– la marque n°1435345, déposée en couleurs le 18 juin 1987, pour des « agneaux vivants, carcasses d’agneaux entières ou découpée ».

Sous la même dénomination, une association a été enregistrée au registre national des associations le 6 août 1992 (Siren 408 328 219) avec un siège social à Roz-sur-Couesnon dont l’objet porte sur la promotion de la viande du Pré-salé.

L’association des producteurs d’agneau (Siren 393702469) a déposé le 8 décembre 2003 la marque française semi-figurative en couleurs ‘Agneau élevé sur pré-salé le grèvin’, publiée le 23 janvier 2004 et enregistrée sous le n°3 262 795, pour désigner en classe 29 les ‘viandes ; carcasses d’agneaux élevés sur prés-salés (entières ou découpées)’.

Cette marque a été régulièrement renouvelée.

Par lettre du 29 septembre 2006, l’association des producteurs d’agneau a demandé à l’INAO de la maintenir hors de l’aire géographique d’AOC « agneaux de Près-salés du [Localité 13] ».

Le syndicat de défense et de gestion de l’appellation ‘Prés-salés du [Localité 13]’ (ci-après désigné ODG) a été constitué le 3 mars 2009. Par décision de l’INAO du 25 mai 2009, le syndicat a été reconnu en tant qu’organisme de défense et de gestion pour l’appellation d’origine contrôlée « Près-salés du [Localité 13] ».

Le 15 août 2009, le conseil d’administration de l’association des producteurs d’agneau a refusé de rentrer dans l’AOC.

Par un décret du 15 octobre 2009, le cahier des charges de l’appellation d’origine contrôlée ‘Prés-salés du [Localité 13]’ a été homologué.

Par règlement d’exécution n° 1184/2013 du 12 novembre 2013, la Commission européenne a enregistré la dénomination ‘Prés-salés du [Localité 13]’ pour les produits agricoles en classe 1.1 (viande et abats frais) en tant qu’appellation d’origine protégée, conformément aux dispositions de l’article 50 du règlement n°1151/2012.

L’association Fédération des viandes AOP de France (ci-après désignée FEVAO) a été déclarée à la préfecture de la Haute-Loire le 23 décembre 2019. Elle regroupe 11 filières AOP et a notamment pour objet de lutter contre l’usurpation et la contrefaçon pénalisant les AOC/AOP.

Après une mise en demeure du 4 novembre 2022, l’ODG et la FEVAO ont, par actes de commissaire de justice du 9 juin 2022, fait assigner les associations des producteurs d’agneau (Siren 393 702 469 et 408 328 219) devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir annuler la marque française n° 3 262 795, à titre subsidiaire, en prononcer sa déchéance ainsi qu’en atteinte aux droits de l’AOP, contrefaçon de l’AOP, tromperie sur l’origine des produits, affaiblissement de l’AOP et pratiques commerciales trompeuses.

Par des conclusions d’incident du 9 janvier 2023, les associations des producteurs d’agneau ont saisi le juge de la mise en état, contestant la qualité et l’intérêt à agir des demandeurs et soulevant la prescription et la forclusion des demandes.

Par ordonnance du 3 août 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :

– écarté les fins de non-recevoir soulevées par les associations des producteurs d’agneau,

– réservé les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– renvoyé l’affaire à la mise en état.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 mai 2024, les associations des producteurs d’agneau demandent à la cour de :

– infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état en ce qu’il a écarté les fins de non-recevoir liées à la prescription et la forclusion des demandes formées par l’ODG et par la FEVAO,

Statuant à nouveau,

– juger que leurs demandes formées dans le cadre du présent incident sont recevables et bien fondées,

A titre principal,

– juger et déclarer irrecevable la demande en nullité de la marque française n° 3262795 formée par l’ODG et la FEVAO comme étant prescrite,

– juger et déclarer irrecevables les demandes liées à l’atteinte aux droits sur l’AOP et en contrefaçon, ainsi que les demandes portant sur les actes de tromperie sur l’origine des produits revêtus des signes litigieux, l’utilisation abusive de la marque litigieuse, de l’image et de la silhouette du [Localité 13], de la dénomination association des producteurs d’agneau de Pré-salé de la baie du [Localité 13] et de l’ouest Cotentin, du nom de domaine agneaupresale.org, de détournement et d’affaiblissement de l’AOP et de pratiques commerciales trompeuses, au détriment de l’AOP et au préjudice de l’ODG, formées par l’ODG et la FEVAO, dans leur assignation du 9 juin 2022, comme étant prescrites,

En tant que de besoin,

– juger et déclarer irrecevable la demande en nullité de la marque française n°3262795 pour atteinte à l’AOP formée par l’ODG et la FEVAO, comme étant forclose,

Le cas échéant, si la cour venait à considérer qu’il est nécessaire de statuer sur l’existence alléguée de mauvaise foi du déposant pour se prononcer sur la forclusion par tolérance, renvoyer au fond la demande d’irrecevabilité pour forclusion par tolérance au titre de l’article L.716-2-8 du code de la propriété intellectuelle,

A titre subsidiaire,

– juger et déclarer irrecevables les demandes liées à l’atteinte aux droits sur l’AOP et en contrefaçon, ainsi que les demandes portant sur les actes de tromperie sur l’origine des produits revêtus des signes litigieux, l’utilisation abusive de la marque litigieuse, de l’image et de la silhouette du [Localité 13], de la dénomination association des producteurs d’agneau de Pré-salé de la baie du [Localité 13] et de l’ouest Cotentin, du nom de domaine agneaupresale.org, de détournement et d’affaiblissement de l’AOP et de pratiques commerciales trompeuses, au détriment de l’AOP et au préjudice de l’ODG, formées par l’ODG et la FEVAO dans leur assignation du 9 juin 2022, comme étant prescrites pour les faits antérieurs au 9 juin 2017,

En conséquence,

– rejeter toutes les demandes, fins, moyens et conclusions de l’ODG et de la FEVAO et les en débouter,

En tout état de cause,

– condamner in solidum l’ODG et la FEVAO à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– les condamner aux dépens qui seront recouvrés par Me Belgin Pelit-Jumel, avocat constitué.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 mai 2024, l’ODG et la FEVAO demandent à la cour de :

– confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

– déclarer les appelantes irrecevables, à tout le moins mal fondées, en toutes leurs demandes, fins et conclusions, et les en débouter,

En conséquence et en tout état de cause,

– condamner les appelantes in solidum à leur payer la somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner les appelantes in solidum en tous les dépens dont distraction au profit de Me Lellinger.

Sur ce,

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les fins de non-recevoir opposées à l’ODG

Sur la prescription de la demande en nullité de la marque française n°3 262 795

Les associations des producteurs d’agneau font valoir que la demande en nullité de la marque française n° 3 262 795 est prescrite en application de l’article 2222 du code civil, l’ODG ayant eu connaissance de la marque avant 2014, soit plus de cinq années avant l’entrée en vigueur de la loi du 22 mai 2019 qui a modifié le régime de prescription applicable à la demande en nullité, la rendant imprescriptible.

En premier lieu, l’ODG et la FEVAO répliquent que l’action en nullité contre une marque trompeuse, déceptive, ou contraire à l’ordre public n’est pas soumise aux règles de prescription.

Les appelantes soutiennent que l’assignation ne comporte aucune demande de nullité sur le fondement du caractère trompeur et déceptif de la marque litigieuse, ni sur sa contrariété à l’ordre public, si bien que ce moyen ne peut être retenu.

Les intimés répondent qu’il est apparu dans le cadre de l’incident en première instance que la marque litigieuse était trompeuse, déceptive et contraire à l’ordre public, les associations des producteurs d’agneau prétendant en faire usage comme d’un label de qualité alors qu’il s’agit d’une marque individuelle, dont le prétendu « cahier des charges » ne fait l’objet d’aucun contrôle par un organisme certificateur indépendant. Ils affirment que cette demande additionnelle en nullité, recevable au sens de l’article 70 du code de procédure civile, a été soumise au débat entre les parties devant le juge de la mise en état.

Sur ce,

Il ressort des conclusions d’incident en première instance des intimés (conclusions n°2) qu’en défense à la fin de non-recevoir tirée de la prescription, ils ont invoqué le caractère trompeur, déceptif et contraire à l’ordre public de la marque en cause (paragraphes 179 et suivants des conclusions), précisant que « leur argumentaire (‘) sera développé plus amplement lors du débat au fond ».

Le juge de la mise en état n’a pas répondu à ce moyen.

Or, les seules demandes de nullité de la marque dont était saisi le tribunal en vertu du dispositif de l’assignation (pièce 69 des appelantes) au jour où le juge de la mise en état a statué étaient fondées sur le dépôt de mauvaise foi et l’atteinte à l’AOP (« ordonner l’annulation de la marque (‘) en raison des motifs de nullité encourus, à savoir le dépôt de mauvaise foi et l’atteinte à l’AOP »).

Il n’est ni justifié, ni allégué que depuis l’ordonnance du juge de la mise en état, le tribunal judiciaire a été saisi de conclusions des intimés soulevant ce nouveau moyen de nullité.

Il n’y a donc pas lieu de statuer sur une défense à une fin de non-recevoir liée à une demande hypothétique dont le juge du fond n’est pas saisi.

En second lieu, selon les intimés, l’action en nullité n’était plus soumise à la prescription dès lors que la marque était encore en vigueur lors de l’entrée en vigueur de la loi « Pacte » qui a entraîné la suppression immédiate de la prescription extinctive et non son allongement, si bien que l’article 2222 du code civil n’est pas applicable.

Sur ce,

L’article L.714-3-1 du code de la propriété intellectuelle issu de la loi 2019-486 du 22 mai 2019 (loi Pacte) prévoit l’imprescriptibilité des actions en nullité d’une marque. Selon l’article 124-8 III de cette même loi, ces dispositions sont applicables aux titres en vigueur au jour de la publication de celle-ci, soit le 23 mai 2019.

L’article L.716-2-6 du même code, issu de l’ordonnance du 13 novembre 2019 abrogeant l’article L.714-3-1 précité, prévoit également l’imprescriptibilité des actions en nullité d’une marque.

La loi qui allonge la durée d’une prescription est sans effet sur une prescription acquise. Elle s’applique lorsque le délai de prescription n’était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.

Or, avant l’entrée en vigueur de la loi 2019-486 du 22 mai 2019, l’action principale en nullité d’une marque était soumise au délai de prescription de droit commun prévu à l’article 2224 du code civil aux termes duquel « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

L’article 2 du code civil prévoit que la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a pas d’effet rétroactif.

Plus précisément, s’agissant d’une loi relative au délai de prescription, l’article 2222 du code civil prévoit que « La loi qui allonge la durée d’une prescription ou d’un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s’applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n’était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé (‘) ».

Il résulte de ces dispositions que, lorsque le législateur allonge le délai d’une prescription, cette loi n’a pas d’effet sur la prescription définitivement acquise, à moins qu’une volonté contraire soit expressément affirmée dans ladite loi.

Les nouvelles dispositions relatives à la prescription de l’action en nullité d’une marque doivent être considérées comme allongeant la durée de la prescription, puisqu’elles rendent celle-ci imprescriptible. Or, dans la mesure où aucune mention expresse dans la loi en cause ne permet de caractériser une volonté contraire sur ce point du législateur, le nouvel article L. 716-2-6 du code de la propriété intellectuelle n’est pas applicable aux actions en nullité de marque dont la prescription était déjà acquise lors de l’entrée en vigueur de la loi Pacte le 24 mai 2019.

Il convient dès lors d’examiner si le délai de prescription de droit commun prévu à l’article 2224 du code civil, auquel l’action en nullité de marque était soumise jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi susvisée avait ou non expiré et, pour ce faire de rechercher le jour où le titulaire du droit a eu connaissance ou aurait dû connaître le motif de nullité allégué.

Les intimés affirment que la prescription ne s’applique pas, dans tous les cas, à une action en nullité pour enregistrement de mauvaise foi. Cependant, le vice de mauvaise foi dont le dépôt de marque est susceptible d’être entaché, n’est pas de nature à rendre imprescriptible l’action formée à titre principal en nullité de la marque fondée sur ce vice.

L’enregistrement de la marque a été publié le 23 janvier 2004 et il doit être démontré que les intimés avaient connaissance plus de cinq avant l’entrée en vigueur de la loi Pacte, soit avant le 24 mai 2019, du dépôt de mauvaise foi allégué, à savoir un dépôt dans le contexte d’une procédure de reconnaissance d’AOC très largement engagée.

Il n’est pas contestable que l’ODG et les associations des producteurs d’agneau se connaissaient dès la création du syndicat en 2009 puisqu’elles avaient participé aux travaux préparatoires à l’obtention de l’AOC, d’autant que les intimés indiquent que l’association participait avec les futures membres de l’ODG aux démarches collectives visant à obtenir l’AOC (page 40 des conclusions des intimés).

Par courriel du 28 février 2012, M. [Y] [B], chargé de mission à la délégation normande du conservatoire du littoral, a adressé à M. [M] [H], président de l’ODG, la dernière version d’une fiche diagnostic portant sur le pastoralisme sur les Prés-salés dans le cadre d’un projet de création d’un parc naturel marin. M. [B] a demandé au président de l’ODG ses remarques sur le contenu de la fiche diagnostic et de lui rapporter la discussion qui sera suscitée par ce document au sein du syndicat. M. [H], notamment en sa qualité de représentant de l’ODG, est mentionné comme contributeur de ce document. Il est donc certain qu’en cette qualité et compte tenu de la demande du conservatoire du littoral de lui faire parvenir les observations du syndicat sur ce document, M. [H] l’a lu. Or, ce document qui comporte 22 pages indique : « Il existe également l’association des Producteurs d’Agneau de pré salé de la baie du [Localité 13] et de l’Ouest Cotentin qui regroupe uniquement des éleveurs de moutons et s’occupe des aspects techniques et commerciaux pour l’agneau de pré-salé. Cette association est propriétaire de la marque « Le Grèvin » qui labellise les agneaux produits et commercialisés ».

Selon les intimés, la seule mention du signe « Le Grèvin » ne permet pas de considérer que le syndicat était en contact avec le logo constituant la marque litigieuse.

Or, il résulte de l’extrait du site archive.org que le site internet « agneaupresale.org », site de l’association des producteurs d’agneau, reproduisait depuis sa création, le 23 juin 2011 la marque semi-figurative n°3262 795. Le site présentait la vie de l’association, les caractéristiques d’un agneau du pré-salé et comportait une rubrique intitulée « nos débouchés », si bien qu’il suffisait de consulter le site internet de l’association pour voir représentée de la marque semi-figurative. Compte tenu des missions de l’ODG, ses membres avaient nécessairement consulté le site « agneaupresale.org ». De plus, la consultation du registre national des marques permettait à l’ODG d’avoir connaissance du dépôt de la marque n° 3 262 795.

Les développements des intimés sur le fait que le dépôt de la marque a été effectué sans aucune délibération de l’association, par un mandataire personne physique, à l’insu de ses membres et de l’INAO sont sans incidence sur la détermination de la connaissance qu’avait l’ODG du dépôt de cette marque au vu des éléments de preuve retenus.

Il en est de même de ceux relatifs au fait que l’ODG ignorait quelle association avait déposé la marque et que l’usage du signe par une association ne peut valoir connaissance du dépôt par l’autre. En effet, aucune pièce ne démontre la connaissance, avant les recherches effectuées en vue d’initier cette procédure, par l’intimé de deux numéros de Siren différents. Il sera d’ailleurs relevé à cet égard qu’il résulte du courriel de la préfecture de la Manche du 1er août 2023, produit par les appelantes, que le second numéro de Siren (408 328 2019) s’applique à la même association que celle enregistrée sous l’autre numéro et que sa délivrance s’explique par l’enregistrement d’un nouveau siège social de l’association auprès de l’Insee et non du greffe.

Il résulte de ces éléments que l’ODG connaissait l’usage de la marque contestée au moins à compter du 28 février 2012.

Sa demande en nullité était donc prescrite le jour de l’entrée en vigueur de la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 et l’ordonnance déférée sera infirmée de ce chef.

Sur la forclusion par tolérance opposée à la demande de nullité de la marque française n°3 262 795 pour atteinte à l’AOP

Les associations des producteurs d’agneau soulèvent l’irrecevabilité de la demande de nullité du fait de la forclusion par tolérance.

Elles font valoir que le juge de la mise en état ne pouvait considérer que le seul fait d’invoquer la mauvaise foi suffisait à supprimer le délai de forclusion et qu’il devait joindre l’incident au fond pour statuer sur ce grief.

Les intimés affirment en premier lieu que le caractère trompeur, déceptif et contraire à l’ordre public de la marque litigieuse écarte par principe toute forclusion.

Il a été jugé qu’en l’absence de toute demande de nullité fondée sur ces motifs, ce moyen était inopérant.

En second lieu, ils soutiennent que la forclusion par tolérance n’est pas applicable puisqu’ils n’opposent pas de droit antérieur et qu’elle ne s’applique pas en cas de mauvaise foi lors du dépôt de la marque.

En vertu de l’article L.711-3, 5° du code de la propriété intellectuelle, est susceptible d’être déclarée nulle une marque portant atteinte à des droits antérieurs, dont une indication géographique enregistrée mentionnée à l’article L. 722-1 du même code.

L. 716-2-8 du même code dispose :

« Le titulaire d’un droit antérieur qui a toléré pendant une période de cinq années consécutives l’usage d’une marque postérieure enregistrée en connaissance de cet usage n’est plus recevable à demander la nullité de la marque postérieure sur le fondement de l’article L. 711-3, pour les produits ou les services pour lesquels l’usage de la marque a été toléré, à moins que l’enregistrement de celle-ci ait été demandé de mauvaise foi ».

Si les intimés ne sont pas titulaires du signe collectif que constitue l’AOP, force est de constater qu’ils opposent ce signe pour voir la marque annulée.

Par décision de l’INAO du 25 mai 2009, le syndicat a été reconnu en tant qu’organisme de défense et de gestion pour l’appellation d’origine contrôlée « Près-salés du [Localité 13] » et « groupement habilité à agir pour la protection juridique adéquate de l’appellation ». Il a d’ailleurs pour objet statutaire la protection généraux des producteurs d’agneaux « Prés-Salés du [Localité 13] » et d’assurer la défense de l’AOP notamment en intervenant en justice dans les procédures engagées pour réprimer les fraudes à ce produit. Le syndicat est donc habilité à opposer l’AOP dans les actions en justice. Or, il ne peut être interdit au titulaire de la marque antérieure la faculté d’opposer dans ce cadre la forclusion par tolérance, ce qui le priverait, sans fondement, d’un moyen de défense.

Les associations des producteurs d’agneau, comme dans leurs conclusions devant le juge de la mise en état, s’opposent à l’examen de la question de l’existence alléguée de la mauvaise foi de l’enregistrement, puisqu’elles demandent de renvoyer cette question au fond.

L’appréciation de la mauvaise foi, qui fait échec à la forclusion, constitue une question touchant au fond du droit. Cette même question devra d’ailleurs être examinée par les juges du fond s’agissant du premier moyen de nullité de la marque fondé sur le dépôt de mauvaise foi.

L’alinéa 9 de l’article 789 code de procédure civile, dans sa version, applicable en l’espèce, issue du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019, dispose que : 

« Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s’y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l’affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l’instruction, pour qu’elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s’il l’estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d’administration judiciaire.

Le juge de la mise en état ou la formation de jugement statuent sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l’ordonnance ou du jugement. La formation de jugement statue sur la fin de non-recevoir même si elle n’estime pas nécessaire de statuer au préalable sur la question de fond. Le cas échéant, elle renvoie l’affaire devant le juge de la mise en état ».

Le juge de la mise en état a rejeté le moyen tiré de la forclusion par tolérance au motif que la mauvaise foi invoquée fait échec à son application, ayant par ailleurs considéré que le syndicat avait eu connaissance du dépôt de la marque le 24 février 2016 ou le 28 mars 2016.

Ce faisant, le juge de la mise en état a tranché une question touchant au fond du droit en dépit de l’opposition des associations des producteurs d’agneau.

Dès lors, le juge de la mise en état n’était pas compétent pour statuer de ce chef et devait, en application de l’alinéa 2 de l’article 789 code de procédure civile, renvoyer l’affaire devant la formation de jugement du tribunal afin que celle-ci statue sur la question de la demande d’enregistrement de la marque effectuée de mauvaise foi.

L’ordonnance déférée sera donc infirmée en ce qu’elle a déclaré l’ODG recevable à invoquer la nullité de la marque pour atteinte à l’AOP.

Sur la prescription des demandes liées à l’atteinte aux droits sur l’AOP, en contrefaçon, aux actes de tromperie sur l’origine des produits, à l’utilisation abusive de la marque litigieuse, de l’image et de la silhouette du [Localité 13], à la dénomination association des producteurs d’agneau de Pré-salé de la baie du [Localité 13] et de l’ouest Cotentin, au nom de domaine agneaupresale.org, au détournement et affaiblissement de l’AOP et aux pratiques commerciales trompeuses

A titre liminaire, la cour relève que si le dispositif de l’assignation des intimés fait état de contrefaçon, la seule atteinte à un droit de propriété intellectuelle mentionnée résulte de celle portée à l’AOP« Près-Salés du [Localité 13] ».

Les associations des producteurs d’agneau soutiennent que c’est à tort que le juge de la mise en état a appliqué les règles de prescription de l’article L. 716-4-2 sur la marque à l’AOP alors que le droit commun de la prescription s’applique, le point de départ étant la connaissance des faits par la partie qui forme la demande.

Pour les intimés, les AOP ne peuvent être les seuls titres de propriété industrielle à ne pas être alignés sur le même régime de protection que les autres alors qu’elles sont les titres les plus protégés en raison de leur caractère perpétuel.

Le titre II du livre VII du code de la propriété intellectuelle ne contient aucune disposition sur la prescription de l’action en atteinte à une indication géographique. Il ne saurait se déduire du régime protecteur de ces indications géographiques l’application des dispositions relatives à la prescription des marques issues de l’article L. 716-4-2 du code de la propriété intellectuelle, contenu dans le titre I du livre VII du même code, en l’absence de renvoi par le législateur à cette règle de prescription pour les indications géographiques.

Il convient donc d’appliquer l’article 2224 du code civil qui dispose les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Cette prescription s’applique aussi aux demandes fondées sur les actes de tromperie sur l’origine des produits revêtus des signes litigieux, l’utilisation abusive de l’image et de la silhouette du [Localité 13], la dénomination des associations des producteurs d’agneau de Pré-salé de la baie du [Localité 13] et de l’ouest Cotentin, le nom de domaine agneaupresale.org, le détournement et l’affaiblissement de l’AOP et les pratiques commerciales trompeuses, qui constituent des actes de tromperie et de concurrence déloyale, comme l’a retenu le juge de la mise en état, sans que l’application de cette prescription à ces demandes ne soit contestée.

Les appelantes affirment que les usages incriminés étaient connus depuis plus de 5 ans avant l’assignation et au moins depuis 2011. Pour les intimés, la preuve n’en est pas rapportée.

Il sera relevé que l’ODG avait eu connaissance dès sa création de l’existence de l’association qui participait aux travaux en vue de l’obtention de l’AOP.

Il a été jugé que l’ODG avait connaissance depuis au moins le 28 février 2012 du dépôt de la marque n° 3 262 795. Le syndicat avait aussi connaissance au moins à partir de cette date de l’utilisation du signe dans la vie des affaires puisque cette marque était reproduite sur le site internet de l’association, dont le nom de domaine a été enregistré en 2011, ce site présentant les caractéristiques d’un agneau du pré-salé et comportant une rubrique « nos débouchés », ce qui implique la commercialisation de la viande sous ce signe.

Concernant les pratiques commerciales trompeuses, l’ODG en avait connaissance au moins depuis le 29 août 2013 puisque l’extrait du site internet de l’association du 29 août 2013, tel que reproduit par « archives.org », indique que l’association regroupe les éleveurs d’agneau qui ont souhaité vendre leur agneau sous la marque « Le Grévin » dont elle est propriétaire et en contrôle l’utilisation. De plus, les associations d’éleveurs d’agneau justifient de la commande et du bon à tirer pour 10 000 étiquettes reproduisant la marque semi-figurative en 2013, ce qui démontre l’importance de la commercialisation de la viande sous cette marque.

Il s’ensuit que ces demandes étaient prescrites au jour de l’acte introductif d’instance, le 9 juin 2022.

Même si les atteintes alléguées s’inscrivent dans la durée, cet élément n’a pas pour conséquence de faire courir une nouvelle prescription.

L’ordonnance sera infirmée de ce chef.

Sur les fins de non-recevoir opposées à la FEVAO

La FEVAO soutient que compte tenu de sa date de création, aucune fin de non-recevoir ne peut lui être opposée.

Les associations des producteurs d’agneau répondent que la création récente de la FEVAO, qui a pour membre l’ODG, n’a pas vocation à faire obstacle à l’application de la prescription et de la forclusion.

Sur ce,

La FEVAO a été déclarée à la préfecture de la Haute-Loire le 23 décembre 2019 et n’a aucune existence juridique antérieure à sa création, peu importe que l’ODG soit membre de cette association.

Il s’ensuit qu’à la date de l’assignation, le 9 juin 2022, aucune prescription ou forclusion quinquennale n’était acquise à son égard.

L’ordonnance du juge de la mise en état sera confirmée en ce qu’elle a rejetée les fins de non-recevoir soulevées à l’encontre de la FEVAO.

Sur les autres demandes

La nature de la décision commande de condamner l’ODG aux dépens d’appel et à indemniser les frais irrépétibles qu’ont été contraintes d’engager les appelantes à hauteur de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans les limites de l’appel,

Confirme l’ordonnance en que qu’elle a rejeté les fins de non-recevoir opposées à la Fédération des viandes AOP de France,

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,

Déclare prescrite la demande de l’Organisme de défense et de gestion de l’AOP « Près-Salés du [Localité 13] » en nullité de la marque française n° 3 262 795 pour dépôt de mauvaise foi,

Déclare prescrites les demandes de l’Organisme de défense et de gestion de l’AOP « Près-Salés du [Localité 13] » fondées sur l’atteinte à l’AOP, la tromperie sur l’origine des produits, l’utilisation abusive de l’image et de la silhouette du [Localité 13], la dénomination des associations des producteurs d’agneau de Pré-salé de la baie du [Localité 13] et de l’ouest Cotentin, le nom de domaine « agneaupresale.org », le détournement et l’affaiblissement de l’AOP et les pratiques commerciales trompeuses,

Dit que le juge de la mise en état n’était pas compétent pour statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l’Organisme de défense et de gestion de l’AOP « Près-Salés du [Localité 13] » à solliciter la nullité de la marque française n°3 262 795 pour atteinte à l’AOP et devait, en application de l’alinéa 2 de l’article 789 code de procédure civile dans sa version applicable au litige, renvoyer l’affaire devant la formation de jugement du tribunal afin que celle-ci statue sur la question de la demande d’enregistrement de la marque de mauvaise foi par l’association des producteurs d’agneau de Pré-salé de la baie du [Localité 13] et de l’ouest Cotentin,

Condamne l’Organisme de défense et de gestion de l’AOP « Près-Salés du [Localité 13] » aux dépens d’appel qui seront recouvrés directement en application de l’article 699 du code de procédure civile,

Condamne l’Organisme de défense et de gestion de l’AOP « Près-Salés du [Localité 13] » à payer aux associations des producteurs d’agneau de Pré-salé de la baie du [Localité 13] et de l’ouest Cotentin, ensemble, la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente


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