Condamnation pour procédure abusive : enjeux de la représentation et de l’exercice du droit d’agir.

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Condamnation pour procédure abusive : enjeux de la représentation et de l’exercice du droit d’agir.

Règle de droit applicable

L’article 1240 du Code civil, anciennement article 1382, établit que tout fait générateur de responsabilité délictuelle doit être fondé sur une faute, un dommage et un lien de causalité.

Dans le cadre d’une procédure judiciaire, l’exercice d’une voie de recours ne peut être qualifié d’abus de droit que si des circonstances particulières démontrent une intention fautive de la part de la partie qui agit.

La jurisprudence précise que la simple intention de contester une décision de justice ne constitue pas en soi un abus, sauf à prouver que cette contestation est manifestement infondée ou qu’elle a été engagée dans un but de nuisance.

Textes législatifs et références juridiques

L’article 1240 du Code civil stipule : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

La Cour de cassation a également précisé dans plusieurs arrêts que la caractérisation d’un abus de droit nécessite la démonstration d’une faute, ce qui implique que la partie qui conteste doit être consciente des conséquences de son action et agir de manière délibérée pour nuire.

Ainsi, la condamnation à des dommages-intérêts pour procédure abusive doit être fondée sur des éléments prouvant que la partie a agi de manière fautive, ce qui n’est pas établi par la seule volonté de contester une décision.

L’Essentiel : L’article 1240 du Code civil établit que tout fait générateur de responsabilité délictuelle doit reposer sur une faute, un dommage et un lien de causalité. La jurisprudence précise que l’intention de contester une décision de justice ne constitue pas un abus, sauf si la contestation est manifestement infondée ou engagée dans un but de nuisance. La caractérisation d’un abus de droit nécessite la démonstration d’une faute, impliquant que la partie conteste en connaissance des conséquences de son action.
Résumé de l’affaire : Par acte sous seing privé du 7 janvier 2004, un vendeur, une vendeuse et un cessionnaire ont cédé à un acquéreur, une veuve et une épouse l’intégralité des actions de deux sociétés, Jumstech et PVC Fence Dépôt Inc, situées en Floride. Le prix de cette cession a été partiellement réglé par dation en paiement des parts détenues par le vendeur et la vendeuse dans une société civile immobilière (SCI) nommée Odilette.

Le 30 janvier 2004, un acte a été signé entre l’acquéreur et le vendeur, ainsi que la vendeuse, pour céder les parts de la SCI Odilette. Cette cession a été réitérée le 18 juin 2004 par un acte authentique établi par un notaire. Par la suite, l’acquéreur et l’épouse ont assigné la vendeuse et les cessionnaires en nullité ou résolution de l’acte de cession des parts sociales de la SCI Odilette.

Suite au décès de l’acquéreur pendant la procédure, ses héritiers ont poursuivi l’action en justice, tandis qu’un liquidateur judiciaire, agissant pour le compte de l’acquéreur décédé, est intervenu dans l’instance.

Les consorts ont contesté la décision de la cour d’appel qui les a condamnés à verser des dommages-intérêts pour procédure abusive à un représentant des cessionnaires. Ils ont soutenu que l’exercice d’une voie de recours ne peut être qualifié d’abus de droit que dans des circonstances particulières, et que la cour n’avait pas démontré une faute caractérisant un abus dans leur droit d’agir en justice. Ils ont également contesté la condamnation du liquidateur judiciaire, arguant qu’aucune faute n’avait été prouvée à son encontre.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique de la nullité ou résolution de l’acte de cession des parts sociales ?

L’article 1844-10 du Code civil stipule que « toute cession de parts sociales est soumise à l’agrément des autres associés, sauf disposition contraire des statuts ».

Dans le cas présent, les consorts [OS] ont assigné la vendeuse et les cessionnaires en nullité ou résolution de l’acte de cession des parts sociales de la SCI Odilette, ce qui soulève la question de savoir si les conditions d’agrément ont été respectées.

Il est essentiel de vérifier si les statuts de la SCI Odilette prévoient des dispositions spécifiques concernant l’agrément des cessions de parts sociales, car cela pourrait affecter la validité de l’acte de cession.

Quel est le cadre juridique de la procédure abusive en matière de recours ?

L’article 1240 du Code civil, anciennement article 1382, énonce que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Dans le contexte de la procédure abusive, il est nécessaire de démontrer qu’il y a eu une faute caractérisant un abus dans l’exercice du droit d’agir en justice.

Les consorts [OS] ont contesté la décision de la cour d’appel, arguant qu’ils n’ignoraient pas que le représentant des cessionnaires agissait dans le cadre des actes litigieux. Cela soulève la question de savoir si cette connaissance constitue une circonstance suffisante pour établir une faute au sens de l’article 1240.

Quel est le rôle du liquidateur judiciaire dans cette procédure ?

L’article L. 641-1 du Code de commerce précise que « le liquidateur est chargé de réaliser l’actif et d’apurer le passif de la société en liquidation ».

Dans cette affaire, le liquidateur judiciaire, agissant pour le compte de l’acquéreur décédé, est intervenu dans l’instance.

Il est crucial de déterminer si le liquidateur a agi dans le cadre de ses prérogatives et si sa responsabilité peut être engagée au titre de la procédure abusive, comme le soutiennent les consorts [OS].

La cour d’appel doit établir si une faute a été commise par le liquidateur, conformément aux exigences de l’article 1240, pour justifier la condamnation à des dommages-intérêts.

2 avril 2025
Cour de cassation
Pourvoi n°
23-22.109
CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 avril 2025

Cassation partielle sans renvoi

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 221 F-D

Pourvoi n° H 23-22.109

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 AVRIL 2025

1°/ Mme [T] [OS], épouse [CW], domiciliée [Adresse 3] [Localité 22] (Canada), agissant tant en son nom personnel qu’en qualité d’héritière de [H] [P], veuve [OS],

2°/ la société Ouizille – [E], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 9], [Localité 15], venant aux droits de [B] [OS],

3°/ Mme [O] [OS], épouse [Y], domiciliée [Adresse 8], [Localité 18],

4°/ M. [S] [OS], domicilié [Adresse 20], [Localité 7],

5°/ Mme [D] [OS], épouse [I], domiciliée [Adresse 14], [Localité 4],

6°/ M. [X] [OS], domicilié [Adresse 21], [Localité 7],

7°/ Mme [R] [OS], épouse [F], domiciliée [Adresse 23], [Localité 5],

8°/ Mme [U] [OS], épouse [C], domiciliée [Adresse 24], [Localité 12],

9°/ Mme [V] [OS], épouse [L], domiciliée [Adresse 1], [Localité 11],

10°/ Mme [OL] [OS], épouse [A], domiciliée [Adresse 6], [Localité 17],

11°/ Mme [G] [OS], épouse [ZW], domiciliée [Adresse 2], [Localité 16],

agissant tous neuf en qualité d’héritiers de [H] [P], veuve [OS],

ont formé le pourvoi n° H 23-22.109 contre l’arrêt rendu le 1er août 2023 par la cour d’appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [IK] [K],

2°/ à Mme [Z] [W], épouse [K],

3°/ à M. [N] [K],

tous trois domiciliés [Adresse 10], [Localité 13],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Tréard, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de Mmes [T], [O], [D], [R], [U], [V], [OL] et [G] [OS], de MM. [S] et [X] [OS] et de la société Ouizille – [E], de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de MM. [IK] et [N] [K] et de Mme [W], épouse [K], après débats en l’audience publique du 11 février 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Tréard, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 1er août 2023), par acte sous seing privé du 7 janvier 2004, M. [IK] [K], Mme [K] et M. [N] [K] ont cédé à [B] [OS], [H] [P] veuve [OS] et Mme [T] [OS] épouse [CW] I’intégralité des actions des sociétés Jumstech et PVC Fence Dépôt Inc, domiciliées en Floride, dont le prix a, pour partie, été acquitté par dation en paiement des parts détenues par M. et Mmes [OS] dans la SCI Odilette.

2. Par acte sous seing du 30 janvier 2004, signé entre M. et Mmes [OS], d’une part, Mme [K] et M. [N] [K] représentés par M. [IK] [K] d’autre part, les premiers ont cédé aux seconds leurs parts dans la SCI Odilette.

3. Le 18 juin 2004, cette cession de parts sociales a été réitérée par acte authentique dressé par un notaire établi à [Localité 19].

4. [H] [OS] et Mme [T] [OS] ont assigné Mme [K], MM. [N] et [IK] [K], notamment, en nullité ou résolution de l’acte de cession des parts sociales de la SCI Odilette du 18 juin 2004.

5. [H] [OS] étant décédée en cours d’instance, ses héritiers ont repris la procédure, en qualité d’intervenants forcés (avec Mme [T] [OS], ensemble « les consorts [OS] »).

6. [B] [OS], décédé le 26 novembre 2010, ayant fait l’objet d’une procédure collective toujours pendante, M. [M] [E], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de [B] [OS] est intervenu volontairement à l’instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa première branche

7. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

8. Les consorts [OS] et M. [M] [E], ès qualités, font grief à l’arrêt, ajoutant au jugement, de les condamner in solidum à payer à M. [IK] [K] la somme de 1 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors :

« 2°/ qu’en tout état de cause, l’exercice d’une voie de recours ne peut constituer un abus de droit que dans des circonstances particulières le rendant fautif ; qu’en retenant, pour condamner les consorts [OS] à payer à M. [IK] [K] des dommages-intérêts pour procédure abusive en cause d’appel, qu’ils n’ignoraient pas que ce dernier agissait en qualité de représentant des cessionnaires dans le cadre des actes litigieux dont ils sollicitent l’annulation ou la résolution, la cour d’appel, qui a ainsi statué par des motifs impropres à caractériser une faute ayant fait dégénérer en abus le droit des requérants de relever appel de la décision de première instance, a violé l’article 1382, devenu 1240, du code civil ;

3°/ que l’exercice abusif du droit d’agir en justice suppose la démonstration d’une faute ; qu’en condamnant également Me [M] [E] à indemniser M. [IK] [K] pour procédure abusive en cause d’appel, sans caractériser à son encontre une faute ayant fait dégénérer en abus le droit d’agir en justice, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382, devenu 1240, du code civil. »


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