L’article 706-102-1 du code de procédure pénale, qui ne distingue pas selon leur nature, autorise le recueil de toutes les données informatiques captées résultant de l’analyse des flux entre les terminaux, dont les données de géolocalisation des matériels informatiques utilisés.
En toute hypothèse, au regard des conditions exigées par les articles 706-95-11 à 706-95-19 du même code pour autoriser la mise en oeuvre de cette technique spéciale d’enquête, le demandeur ne saurait se faire un grief de l’absence d’autorisation spécifique et distincte de géolocalisation de ces matériels. En la cause, à la suite d’une enquête portant sur l’utilisation à des fins criminelles du système de chiffrement des télécommunications Sky ECC, une information a été ouverte auprès de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille notamment des chefs d’association de malfaiteurs et de fourniture de prestations de cryptologie. De nombreuses interceptions de communications électroniques ont été mises en oeuvre sur commission rogatoire délivrée le 20 août 2019. Après dessaisissement des juges d’instruction de la JIRS de Lille en faveur de la juridiction nationale de lutte contre le crime organisé (JUNALCO), une mesure de captation de données informatiques a été mise en oeuvre sur ordonnance et commission rogatoire du 17 décembre 2020. Un procès-verbal de renseignement établi le 17 février 2021 a été transmis au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rennes, relatant des interceptions de nature à impliquer plusieurs personnes dans un trafic de stupéfiants, dont M. [E] [W]. Une information a été ouverte le 6 mai 2021 des chefs notamment d’importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment (procédure validée en cassation). |
L’Essentiel : L’enquête sur Sky ECC a révélé l’utilisation criminelle d’un système de chiffrement, entraînant l’ouverture d’une information judiciaire à Lille pour association de malfaiteurs et trafic de stupéfiants. La JUNALCO a pris en charge l’affaire, permettant la captation de données informatiques. M. [W] a été mis en examen pour importation de stupéfiants en bande organisée. En réponse à ses contestations, la chambre de l’instruction a jugé que les mesures de géolocalisation étaient légales, n’exigeant pas d’autorisation distincte. Ainsi, les moyens soulevés par M. [W] ont été écartés, confirmant la validité des preuves recueillies.
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Résumé de l’affaire :
Enquête sur Sky ECCL’affaire débute avec une enquête sur l’utilisation criminelle du système de chiffrement des télécommunications Sky ECC. Cette enquête a conduit à l’ouverture d’une information judiciaire auprès de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille, portant sur des chefs d’association de malfaiteurs et de fourniture de prestations de cryptologie. De nombreuses interceptions de communications électroniques ont été réalisées sur commission rogatoire le 20 août 2019. Mesures de captation de donnéesSuite au dessaisissement des juges d’instruction de la JIRS de Lille, la juridiction nationale de lutte contre le crime organisé (JUNALCO) a pris en charge l’affaire. Une ordonnance et une commission rogatoire du 17 décembre 2020 ont permis la mise en œuvre d’une mesure de captation de données informatiques. Un procès-verbal de renseignement, daté du 17 février 2021, a été transmis au procureur de la République, impliquant plusieurs personnes, dont M. [E] [W], dans un trafic de stupéfiants. Ouverture d’une information judiciaireLe 6 mai 2021, une information judiciaire a été ouverte pour des infractions telles que l’importation de stupéfiants en bande organisée, l’association de malfaiteurs et le blanchiment. M. [W] a été mis en examen le 25 novembre 2022 pour ces chefs d’accusation. Le 17 mars 2023, il a déposé un mémoire devant la chambre de l’instruction, soulevant des moyens de nullité concernant des pièces de la procédure. Décision de la chambre de l’instructionLe 7 avril 2023, la chambre de l’instruction a ordonné un supplément d’information en réponse aux demandes de M. [W]. Concernant les moyens soulevés, la chambre a estimé que les premier, deuxième et cinquième moyens ne justifiaient pas l’admission du pourvoi. Critique de la géolocalisationLe troisième moyen contestait l’absence d’annulation d’un acte de la procédure, arguant que des mesures de géolocalisation avaient été effectuées sans autorisation spécifique. La chambre a répondu que la mesure de captation de données informatiques permettait le recueil de diverses données, y compris celles de géolocalisation, et que ces données avaient été obtenues légalement. Conclusion de la chambre de l’instructionLa chambre a conclu qu’aucun détournement de la mesure de captation n’avait eu lieu et que l’exploitation des données informatiques, combinée aux interceptions, avait permis d’établir des indices de faits nouveaux. L’article 706-102-1 du code de procédure pénale autorise le recueil de toutes les données informatiques, y compris celles de géolocalisation, sans qu’une autorisation distincte soit nécessaire. Par conséquent, le moyen soulevé par M. [W] a été écarté. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les implications juridiques de l’utilisation des mesures de captation de données informatiques dans le cadre d’une enquête criminelle ?La jurisprudence en question soulève des questions importantes concernant l’utilisation des mesures de captation de données informatiques, notamment en ce qui concerne leur légalité et leur conformité avec les droits fondamentaux. L’article 706-102-1 du Code de procédure pénale stipule que : « Les officiers de police judiciaire peuvent, dans le cadre d’une enquête préliminaire ou d’une information judiciaire, procéder à la captation de données informatiques. » Cet article ne fait pas de distinction quant à la nature des données pouvant être captées, ce qui inclut les données de géolocalisation. En outre, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme garantit le droit au respect de la vie privée, ce qui impose aux autorités judiciaires de respecter des conditions strictes lors de la mise en œuvre de telles mesures. Ainsi, la Cour a jugé que la captation de données informatiques, y compris les données de géolocalisation, était légale tant qu’elle était effectuée dans le cadre d’une autorisation générale de captation, sans nécessiter une autorisation spécifique pour chaque type de donnée. Comment la jurisprudence interprète-t-elle la nécessité d’une autorisation spécifique pour la géolocalisation dans le cadre d’une enquête ?La question de l’autorisation spécifique pour la géolocalisation est cruciale dans le cadre de la protection des droits individuels. L’article 230-32 du Code de procédure pénale précise que : « Les mesures de géolocalisation doivent être autorisées par le juge d’instruction. » Cependant, dans le cas présent, la Cour a estimé que la mesure de captation de données informatiques, qui inclut la géolocalisation, était couverte par une autorisation générale. La chambre de l’instruction a noté que les données de géolocalisation avaient été obtenues à partir des opérations de captation informatique, ce qui signifie qu’il n’y avait pas eu de détournement de la mesure. Ainsi, la jurisprudence actuelle semble indiquer que tant que les données sont obtenues dans le cadre d’une autorisation générale de captation, il n’est pas nécessaire d’obtenir une autorisation distincte pour la géolocalisation. Quels sont les droits des personnes mises en cause en matière de protection des données personnelles dans le cadre d’une enquête criminelle ?Les droits des personnes mises en cause sont protégés par plusieurs dispositions légales, notamment l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui stipule que : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. » Dans le cadre d’une enquête criminelle, les mesures de captation de données doivent être justifiées par des raisons légitimes et proportionnées. L’article 591 du Code de procédure pénale précise que : « Les décisions de la chambre de l’instruction peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation. » Cela signifie que les personnes mises en cause ont la possibilité de contester les mesures prises à leur encontre, notamment en ce qui concerne la légalité des interceptions et des captations de données. En conclusion, bien que la jurisprudence actuelle permette une certaine flexibilité dans l’application des mesures de captation, les droits des individus doivent toujours être respectés et protégés dans le cadre de l’enquête criminelle. |
N° 00042
ODVS
7 JANVIER 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 JANVIER 2025
M. [E] [W] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes, en date du 8 mars 2024, qui, dans l’information suivie contre lui des chefs d’importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants, contrebande de marchandises prohibées, association de malfaiteurs et blanchiment, en récidive, a prononcé sur sa demande d’annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 10 juin 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l’examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Chaline-Bellamy, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [E] [W], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l’audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chaline-Bellamy, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. A la suite d’une enquête portant sur l’utilisation à des fins criminelles du système de chiffrement des télécommunications Sky ECC, une information a été ouverte auprès de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille notamment des chefs d’association de malfaiteurs et de fourniture de prestations de cryptologie. De nombreuses interceptions de communications électroniques ont été mises en oeuvre sur commission rogatoire délivrée le 20 août 2019.
3. Après dessaisissement des juges d’instruction de la JIRS de Lille en faveur de la juridiction nationale de lutte contre le crime organisé (JUNALCO), une mesure de captation de données informatiques a été mise en oeuvre sur ordonnance et commission rogatoire du 17 décembre 2020.
4. Un procès-verbal de renseignement établi le 17 février 2021 a été transmis au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rennes, relatant des interceptions de nature à impliquer plusieurs personnes dans un trafic de stupéfiants, dont M. [E] [W].
4. Une information a été ouverte le 6 mai 2021 des chefs notamment d’importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment.
5. M. [W] a été mis en examen des chefs susmentionnés le 25 novembre 2022.
6. Par mémoire déposé le 17 mars 2023 devant la chambre de l’instruction, il a présenté des moyens de nullité de pièces de la procédure.
7. Par arrêt du 7 avril 2023, la chambre de l’instruction a ordonné un supplément d’information concernant les demandes de M. [W].
Sur les premier, deuxième et cinquième moyens
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure, alors « que doivent être censurés les actes qui, sous couvert d’une autorisation d’interception de communications électroniques ou de captation de données, relatent la mise en oeuvre d’une opération il résulte de la procédure que, par un soit-transmis en date du 18 septembre 2023, le juge d’instruction parisien de la JUNALCO, interrogé par l’arrêt de supplément d’information du 7 avril 2023, a affirmé que « les données de géolocalisation [dont fait mention le procès-verbal du 27 février 2021] résultent des opérations de captation informatique » qu’il était ainsi établi que, sous couvert d’une mesure d’interception de communications ou de captation de données, les enquêteurs avaient procédé, sans autorisation spécifique, à la géolocalisation du matériel informatique utilisé par plusieurs mis en cause qu’en affirmant, pour rejeter le moyen d’annulation pris de l’absence d’autorisation spécifique de géolocalisation des terminaux utilisés par les divers utilisateurs du service SKY ECC, que cette géolocalisation avait pu intervenir sur la base d’une autorisation générale de captation des données informatiques, la Chambre de l’instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, préliminaire, 230-32, 706-102-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale.»
10. Pour écarter le moyen de nullité, selon lequel des mesures de géolocalisation des terminaux utilisés auraient été mises en oeuvre sans autorisation spécifique, l’arrêt attaqué énonce que la mesure de captation de données informatiques autorise le recueil de données très variées et qu’en l’espèce, elle a conduit à récupérer des données, re-dirigées par le dispositif technique autorisé, stockées ou circulant entre les boîtiers IMEI et les serveurs, dont les données de géolocalisation desdits boîtiers.
11. Les juges indiquent que, sur la question posée par l’arrêt avant dire droit précité portant sur les conditions d’obtention de la géolocalisation des équipements téléphoniques visés dans le procès-verbal de renseignement du 27 février 2021, le magistrat instructeur de la JUNALCO a précisé, le 18 septembre 2023, que « les données de géolocalisation résultent des opérations de captation informatique » (D1908/1).
12. Ils en concluent qu’aucun détournement de la mesure de captation aux fins de contourner le dispositif légal prévu pour la géolocalisation ne peut dès lors être sérieusement allégué et que la simple exploitation fine de ces données informatiques, alliées aux interceptions, a conduit, sans autres mesures coercitives ou d’ingérence des enquêteurs ou du magistrat instructeur, à la réunion d’indices de la commission de faits nouveaux distincts et d’éléments d’identification de leurs auteurs qui ont régulièrement conduit à l’établissement du procès-verbal du 27 février 2021.
13. En l’état de ces énonciations, la chambre de l’instruction a fait l’exacte application des textes visés au moyen.
14. En effet, l’article 706-102-1 du code de procédure pénale, qui ne distingue pas selon leur nature, autorise le recueil de toutes les données informatiques captées résultant de l’analyse des flux entre les terminaux, dont les données de géolocalisation des matériels informatiques utilisés.
15. En toute hypothèse, au regard des conditions exigées par les articles 706-95-11 à 706-95-19 du même code pour autoriser la mise en oeuvre de cette technique spéciale d’enquête, le demandeur ne saurait se faire un grief de l’absence d’autorisation spécifique et distincte de géolocalisation de ces matériels.
16. Dès lors, le moyen doit être écarté.
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