Blocage des sites : le coût à la charge des FAI

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Blocage des sites : le coût à la charge des FAI
L’Essentiel : L’opérateur Free n’a pas réussi à établir un mécanisme de compensation pour les surcoûts liés aux mesures de blocage ordonnées par le juge en vertu de l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle. Cet article permet aux titulaires de droits d’auteur de demander des mesures pour prévenir les atteintes à leurs droits. Bien que les fournisseurs d’accès à internet supportent ces coûts, cela ne constitue pas une atteinte à la liberté d’entreprise, à condition que les coûts ne soient pas disproportionnés. La viabilité économique des opérateurs ne doit pas être mise en péril par ces obligations.

L’opérateur Free n’a pas obtenu qu’il soit mis en place un mécanisme de compensation des surcoûts supportés par les fournisseurs d’accès à internet au titre de la mise en oeuvre par les opérateurs, de mesures de blocage, de déréférencement ou d’effacement de données ordonnées en application des dispositions de l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle.

Financement des mesures de blocage

L’article L. 336-2 du CPI pose le principe qu’en présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des organismes de gestion collective, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. La demande peut également être effectuée par le CNC.

Principe de la liberté d’entreprise

Le principe de la prise en charge par les fournisseurs d’accès à internet du coût des mesures ordonnées par le juge judiciaire sur le fondement de l’article L. 336-2 ne peut être regardé comme méconnaissant, par lui-même, le principe de la liberté d’entreprise. Dans le cas particulier dans lequel ces coûts s’avéreraient disproportionnés, il revient d’ailleurs au juge judiciaire saisi d’une demande d’injonction, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation par son arrêt du 6 juillet 2017 (n° 16-17.217, 16-18.298, 16-18.348, 16-18.595), de décider que ces coûts soient, totalement ou partiellement, mis à la charge des titulaires des droits d’auteur.

Si en l’absence de tout dispositif de compensation, le coût des mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause est en principe supporté par les intermédiaires techniques, cette charge financière, qui constitue une sujétion résultant d’une injonction prononcée par le juge judiciaire, ne saurait être regardée comme une atteinte à un droit patrimonial constitutive d’une méconnaissance du droit au respect des biens garanti par l’article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Viabilité économique des opérateurs

A l’appui de son recours pour excès de pouvoir, Free n’apportait aucun élément qui soit de nature à établir que ces coûts seraient, eu égard à la fréquence, au nombre et à la complexité des opérations en cause, d’une importance telle qu’ils mettraient en péril la viabilité économique des opérateurs.

Objectif du dispositif légal

Pour rappel, l’article L. 336-2 du CPI assure la transposition de l’article 8 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 selon lequel  » Les Etats membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin « .

Elles visent à permettre au titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin de demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre d’un intermédiaire qui transmet dans un réseau une contrefaçon commise par un tiers d’une oeuvre protégée ou d’un autre objet protégé, afin de faire prévenir ou de faire cesser toute atteinte à un tel droit occasionnée par le contenu d’un service de communication publique en ligne.

Il résulte de l’arrêt de la CJUE du 27 mars 2014, UPC Telekabel Wien GmbH (C-314-12) qu’une injonction d’une juridiction nationale, prise sur le fondement de l’article 8 de la directive, mettant le coût des mesures exclusivement à la charge de l’intermédiaire technique concerné, ne porte pas atteinte à la substance même du droit à la liberté d’entreprise de ce dernier, dès lors qu’il lui est laissé le soin de déterminer les mesures concrètes à prendre pour atteindre le résultat visé et qu’il peut s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il a pris toutes les mesures raisonnables à cet effet, sauf à ce qu’il démontre que les mesures ordonnées exigeraient qu’il consente à des sacrifices insupportables.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le rôle de l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle ?

L’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle (CPI) établit un cadre juridique permettant aux titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins de demander des mesures judiciaires pour faire cesser les atteintes à leurs droits. En cas de contenu en ligne portant atteinte à ces droits, le président du tribunal judiciaire peut ordonner des mesures contre toute personne susceptible de contribuer à cette atteinte. Cela inclut les fournisseurs d’accès à internet, qui peuvent être contraints de bloquer ou de déréférencer des contenus illicites. Cette disposition vise à protéger les droits des créateurs et à garantir que les intermédiaires techniques prennent des mesures appropriées pour prévenir la contrefaçon.

Comment les coûts des mesures de blocage sont-ils répartis ?

Le principe selon lequel les fournisseurs d’accès à internet doivent supporter les coûts des mesures ordonnées par le juge est établi par l’article L. 336-2. Toutefois, ce principe ne constitue pas une atteinte à la liberté d’entreprise. Si les coûts deviennent disproportionnés, le juge peut décider de les répartir entre les titulaires de droits d’auteur et les fournisseurs d’accès. Cela signifie que, bien que les intermédiaires techniques soient généralement responsables des coûts, il existe une flexibilité pour éviter des charges excessives. En l’absence de compensation, les intermédiaires doivent assumer les coûts nécessaires pour protéger les droits d’auteur, mais cela ne constitue pas une violation de leurs droits patrimoniaux.

Quelles sont les implications pour la viabilité économique des opérateurs ?

Dans le cadre de son recours, Free n’a pas démontré que les coûts des mesures de blocage mettaient en péril la viabilité économique des opérateurs. La charge financière imposée par les mesures judiciaires ne doit pas être considérée comme une menace pour la survie économique des fournisseurs d’accès. Les opérateurs doivent être en mesure de gérer ces coûts, même s’ils sont significatifs, sans compromettre leur modèle économique. Cela souligne l’importance d’une évaluation équilibrée des coûts et des bénéfices associés à la protection des droits d’auteur dans le secteur numérique.

Quel est l’objectif de la directive 2001/29/CE ?

La directive 2001/29/CE vise à harmoniser la protection des droits d’auteur au sein de l’Union européenne. Elle permet aux titulaires de droits de demander des mesures judiciaires contre les intermédiaires dont les services sont utilisés pour porter atteinte à leurs droits. L’article 8 de cette directive stipule que les États membres doivent garantir que les titulaires de droits peuvent obtenir des ordonnances contre les intermédiaires en cas de contrefaçon. Cela permet de renforcer la protection des œuvres protégées et de garantir que les intermédiaires prennent des mesures pour prévenir les atteintes à ces droits.

Comment la CJUE a-t-elle interprété les obligations des intermédiaires techniques ?

Dans l’arrêt de la CJUE du 27 mars 2014, il a été établi qu’une injonction nationale imposant des coûts aux intermédiaires techniques ne porte pas atteinte à leur liberté d’entreprise, tant qu’ils ont la possibilité de choisir les mesures à prendre. Les intermédiaires peuvent se dégager de leur responsabilité en prouvant qu’ils ont pris toutes les mesures raisonnables pour éviter la contrefaçon. Cependant, ils doivent également démontrer que les mesures exigées ne leur imposent pas des sacrifices insupportables, ce qui garantit un équilibre entre la protection des droits d’auteur et la viabilité des entreprises.

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