Règle de droit applicableL’article L. 2315-94 du Code du travail stipule que le comité social et économique (CSE) peut faire appel à un expert habilité lorsque un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l’établissement. Ce risque doit être évalué au moment de la délibération du CSE, et il ne suffit pas qu’il ait été constaté récemment ; il doit perdurer au moment de la décision. Obligation de l’employeurSelon l’article L. 2315-83 du Code du travail, l’employeur est tenu de fournir à l’expert les informations nécessaires à l’exercice de sa mission. Cette obligation implique que l’expert détermine lui-même les documents utiles à sa mission, sans que le juge ne se substitue à lui pour évaluer l’utilité des documents demandés. Protection des données personnellesLe Règlement (UE) 2016/679, dit Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), impose que le traitement des données à caractère personnel soit fondé sur le droit national et qu’il soit nécessaire et proportionné. L’article 5, paragraphe 1, sous c), du RGPD établit le principe de minimisation des données, stipulant que seules les données pertinentes et nécessaires doivent être collectées. Confidentialité de l’expertL’expert désigné par le CSE est soumis à des obligations de secret et de discrétion, conformément à l’article L. 2315-3 du Code du travail. Cela signifie qu’il doit traiter les informations confidentielles avec soin et ne les divulguer qu’aux membres du CSE. Jurisprudence pertinenteLa jurisprudence, notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 22 octobre 2014 (n° 13-18362), souligne que pour évaluer une éventuelle discrimination, il est nécessaire d’avoir accès à des données nominatives. De plus, la décision de la CJUE du 2 mars 2023 (aff. C-268/21) rappelle que le juge doit prendre en compte les intérêts des personnes concernées et évaluer si la divulgation des données est adéquate et pertinente pour atteindre l’objectif poursuivi. Conditions de communication des documentsIl est établi que la communication des documents sollicités par l’expert doit être proportionnée et respecter le principe de minimisation. Les données doivent être anonymisées dans la mesure où cela ne compromet pas l’expertise, permettant ainsi à l’expert d’effectuer son travail tout en protégeant la vie privée des salariés. |
L’Essentiel : L’article L. 2315-94 du Code du travail stipule que le comité social et économique (CSE) peut faire appel à un expert habilité en cas de risque grave, identifié et actuel. Ce risque doit perdurer au moment de la décision. L’employeur doit fournir à l’expert les informations nécessaires, sans que le juge évalue l’utilité des documents. Le RGPD impose que le traitement des données personnelles soit nécessaire et proportionné, et l’expert est soumis à des obligations de secret et de discrétion.
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Résumé de l’affaire : La SA RTE, gestionnaire du réseau public de transport d’électricité en France, emploie environ 9 500 salariés et dispose de plusieurs comités sociaux et économiques, dont le CSEE Maintenance. En février 2021, des membres de ce comité ont signalé un danger grave et imminent, entraînant une expertise commandée au cabinet Degest. Ce dernier a rendu un rapport en juillet 2021, proposant plusieurs préconisations pour remédier aux risques identifiés, notamment en matière de fonctionnement des instances représentatives et de discrimination.
En novembre 2021, la direction de RTE a présenté un projet d’actions qui n’a pas été bien reçu par le CSEE. En mars 2022, le CSEE Maintenance a voté pour une nouvelle expertise, cette fois-ci axée sur la santé des représentants du personnel. Après une tentative de médiation infructueuse, le tribunal judiciaire de Nanterre a statué en août 2023, confirmant la légitimité de l’expertise mais limitant son périmètre à certains points. En mars 2024, le cabinet Degest et le CSE d’établissement ont assigné RTE en référé pour obtenir des documents nécessaires à l’expertise, sous astreinte. Le tribunal a ordonné à RTE de fournir des données anonymisées concernant les salariés, mais a rejeté la demande d’astreinte. RTE a ensuite interjeté appel, contestant la recevabilité de l’action de Degest et arguant que l’expertise avait été confiée à un autre cabinet. Les appelants ont soutenu que la communication des documents devait être non anonymisée pour permettre une évaluation adéquate des discriminations. RTE a rétorqué que la transmission de données nominatives était inappropriée et que les demandes excédaient le cadre de l’expertise. Le tribunal a finalement confirmé l’ordonnance de première instance, tout en précisant les modalités de communication des documents, sans astreinte, et a statué sur les frais de justice. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le fondement juridique de la recevabilité des demandes du cabinet d’expertise et du comité social et économique ?La recevabilité des demandes du cabinet d’expertise et du comité social et économique (CSE) repose sur l’article 31 du code de procédure civile, qui stipule que « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ». Cet article précise également que « est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ». Dans le cas présent, la société RTE a reconnu l’intérêt et la qualité à agir du cabinet d’expertise en signant la lettre de mission et en lui transmettant des documents. Ainsi, même si le cabinet Progexa avait été initialement désigné, la substitution au cabinet Degest a été acceptée tacitement par les parties, ce qui confère à ce dernier la qualité et l’intérêt à agir dans le cadre de l’expertise « risque grave » décidée le 4 avril 2022. Quel est le cadre légal concernant la communication des documents nécessaires à l’expertise ?L’article L. 2315-83 du code du travail impose à l’employeur de fournir à l’expert les informations nécessaires à l’exercice de sa mission. Cela signifie que l’expert a la prérogative de déterminer quels documents sont utiles à sa mission, comme l’a précisé la jurisprudence (Soc., 23 mars 2022, pourvoi n° 20-17.186). Le juge ne doit pas se substituer à l’expert pour évaluer l’utilité des documents demandés, tant que l’employeur détient ces informations. En conséquence, la communication des documents sollicités par le cabinet Degest doit être ordonnée, sauf si l’employeur peut prouver qu’ils ne sont pas pertinents ou existent. Quel est le principe de minimisation des données personnelles dans le cadre de la communication d’informations ?Le principe de minimisation des données personnelles est énoncé dans l’article 5 du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), qui stipule que « les données à caractère personnel doivent être : adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées ». Cela implique que la communication de données personnelles doit être proportionnée et justifiée par l’objectif poursuivi. Dans le cadre de l’expertise, il est essentiel que les données transmises soient strictement nécessaires à l’évaluation des risques de discrimination, tout en respectant la vie privée des salariés. Le juge doit donc s’assurer que la divulgation des données est adéquate et pertinente pour garantir l’objectif de l’expertise, sans recourir à des moyens plus intrusifs que nécessaire. Quel est le rôle de l’expert dans le cadre de l’expertise « risque grave » ?L’expert, désigné par le CSE, a pour mission d’évaluer les risques graves au sein de l’entreprise, notamment en matière de santé et de sécurité au travail. Selon l’article L. 2315-94 du code du travail, l’expert peut être sollicité lorsqu’un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l’établissement. L’expert est tenu à des obligations de secret et de discrétion, comme le stipule l’article L. 2315-3. Cela signifie qu’il doit traiter les informations confidentielles avec soin et ne les divulguer qu’aux membres du CSE. Son rôle est donc crucial pour identifier les discriminations et les risques psychosociaux, en s’appuyant sur des données précises et pertinentes fournies par l’employeur. Quel est le cadre juridique concernant l’astreinte en cas de non-communication des documents ?L’article L. 131-1 du code des procédures civiles d’exécution permet au juge d’ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision. Cette mesure vise à contraindre la partie récalcitrante à respecter les obligations imposées par le jugement. Cependant, le juge dispose d’un pouvoir souverain pour apprécier la nécessité d’une astreinte. Dans le cas présent, la cour a estimé que, compte tenu de l’importance des documents sollicités et de la bonne foi de la société RTE dans la transmission des informations, il n’était pas nécessaire d’assortir les injonctions d’une astreinte. Ainsi, l’ordonnance a été confirmée en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à prononcer d’astreinte, ce qui souligne l’importance de la proportionnalité dans l’application des mesures coercitives. |
DE
VERSAILLES
Code nac : 34H
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 MARS 2025
N° RG 24/04498 – N° Portalis DBV3-V-B7I-WUS5
AFFAIRE :
COMITÉ SOCIAL ET ÉCONOMIQUE D’ÉTABLISSEMENT DE LA DIRECTION MAINTENANCE DE LA SOCIÉTÉ RTE
…
C/
RTE (RÉSEAU DE TRANSPORT D’ELECTRICITÉ)
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 05 Juillet 2024 par le Président du TJ de Nanterre
N° RG : 24/00810
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 20.03.2025
à :
Me Jérôme BORZAKIAN, avocat au barreau de PARIS (G0242)
Me Maxime HOULES, avocat au barreau de PARIS (D0890)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT MARS DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
COMITÉ SOCIAL ET ÉCONOMIQUE D’ÉTABLISSEMENT DE LA DIRECTION MAINTENANCE DE LA SOCIÉTÉ RTE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
S.A.S. DEGEST
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Jérôme BORZAKIAN de la SELARL WEIZMANN BORZAKIAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0242 – N° du dossier DEGEST
APPELANTS
Société RTE (RÉSEAU DE TRANSPORT D’ELECTRICITÉ)
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
N° SIRET : 444 619 258
[Adresse 6],
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentant : Me Maxime HOULES et Me Gheorghe BIG de l’AARPI Holis Avocats, avocat au barreau de PARIS – N° du dossier E00062ET
INTIMEE
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 05 Février 2025 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de président, et Madame Marina IGELMAN, conseillère chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas VASSEUR, Président,
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère,
Madame Marina IGELMAN, Conseillère,
Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,
La SA RTE est le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité français et emploie un peu plus de 9 500 salariés répartis sur l’ensemble du territoire national.
Elle dispose d’un comité social et économique central (CSEC) et de 4 comités sociaux et économiques d’établissement (CSEE), dont le CSEE Maintenance.
La direction Maintenance dispose d’un effectif d’environ 4 000 salariés avec pour missions de :
– assurer tout type de maintenance (préventive, corrective, curative, surveillance et contrôle), notamment des 105 000 kilomètres de lignes à haute et très haute tension,
– garantir la maîtrise des accès aux ouvrages électriques, en procédant à la délivrance des documents d’accès aux ouvrages en exploitation,
– gérer les relations avec les tiers, notamment répondre dans les délais imposés aux demandes émanant d’entreprises intervenant à proximité des réseaux électriques.
Cette direction est répartie sur l’ensemble du territoire national, en 7 centre de maintenance. Plus de 160 salariés exercent en son sein une fonction de représentant du personnel.
Au mois de février 2021, les membres du CSEE ont procédé à un signalement pour danger grave et imminent. Les parties étant en désaccord sur les suites à donner, le CSE a décidé le 11 février 2021 de recourir à une expertise « risque grave » menée par le cabinet Degest, qui a rendu son rapport le 19 juillet 2021, présenté au CSEE le 24 septembre 2021.
Aux termes de ce rapport, l’expert établissait 11 préconisations afin de faire cesser l’existence du risque grave, dont les 3 suivantes :
– revisiter les modalités de fonctionnement des instances et les moyens dont disposent les instances représentatives du personnel,
– évaluer la charge de travail des élus et adapter les moyens en conséquence,
– traiter la question des discriminations qui est posée.
La société RTE a remis au CSEE lors d’une réunion du 4 novembre 2021 un projet de plan d’actions envisagé par la direction dans le cadre de la mise en ‘uvre de l’obligation de sécurité de l’employeur, lequel n’a pas reçu un accueil favorable des membres du CSEE.
Le 28 mars 2022, le CSEE Maintenance a été convoqué à une réunion fixée le 4 avril 2022, à l’issue de laquelle il a voté de nouveau le recours à une expertise pour risque grave, en particulier pour « la santé des représentants du personnel ».
Sur saisine du tribunal judiciaire de Nanterre statuant selon la procédure accélérée au fond, et après une vaine tentative de médiation, par jugement du 30 août 2023, le tribunal a :
– dit n’y avoir lieu à annuler la délibération du CSEE Maintenance décidant de recourir à une expertise,
– limité l’expertise confiée au cabinet Degest aux 3 points susvisés.
Par exploit délivré le 27 mars 2024, la société Degest et le CSE d’établissement de la direction maintenance de la société RTE ont fait assigner en référé la société RTE aux fins principalement de voir condamner la société RTE à remettre au cabinet Degest un ensemble de documents récapitulés au sein d’un tableau figurant en pièce numéro 8, sous astreinte de 1 500 euros par jour et par document manquant à compter du 8ème jour suivant la notification du jugement à intervenir.
Par ordonnance contradictoire rendue le 5 juillet 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :
– déclaré recevable l’action du cabinet Degest et du CSE Maintenance de la société RTE,
– enjoint à la société RTE de fournir les informations anonymisées pour tous les salariés de la direction maintenance concernant les documents suivants au cabinet Degest dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision :
9- extractions annuelles anonymisées du fichier du personnel de 2017 à 2023, et à date en 2024,
13- données annuelles anonymisées de promotion 2017 à 2023, et à date pour 2024,
20- extraction absentéisme 2017 à 2023, avec précision si l’agent est mandaté/élu ou pas ‘ données anonymisées,
21- extraction accidentéisme 2017 à 2023, avec précision si l’agent est mandaté/élu ou pas ‘ données anonymisées,
– rejeté la demande d’astreinte,
– condamné la société RTE à verser à la société Degest la somme de 2 000 euros chacun au titre des frais irrépétibles,
– condamné la société RTE aux dépens de l’instance avec distraction au profit de Maître Jérôme Borzakian,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par déclaration reçue au greffe le 11 juillet 2024, la société Degest et le CSE d’établissement de la direction maintenance de la société RTE ont interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l’exception de ce qu’elle a déclaré recevable l’action du cabinet Degest et du CSE
Dans leurs dernières conclusions déposées le 2 décembre 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Degest et le CSE d’établissement de la direction maintenance de la société RTE demandent à la cour, au visa des articles L. 2315-83, L. 2315-84 et L. 2315-94 du code du travail, L. 131-1, L. 131-2 du code des procédures civiles d’exécution, 834, 835, 699 et 700 du code de procédure civile, de :
‘réformer la décision entreprise en ce qu’elle a :
– enjoint à la société RTE de fournir les informations anonymisées pour tous les salariés de la direction maintenance concernant les documents suivants au cabinet Degest dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision :
– extractions annuelles anonymisées du fichier du personnel de 2017 à 2023, et à date en 2024 ;
– données annuelles anonymisées de promotion 2017 à 2023, et à date pour 2024 ;
– extraction absentéisme 2017 à 2023, avec précision si l’agent est mandaté/élu ou pas ‘ données anonymisées ;
– extraction accidentéisme 2017 à 2023, avec précision si l’agent est mandaté/élu ou pas ‘ données anonymisées ;
– rejette la demande d’astreinte ;
– condamne la société anonyme RTE aux dépens de l’instance avec distraction au profit de Maître Jérôme Borzakian ;
– déboute les parties du surplus de leurs demandes.
Statuant de nouveau, [les recevoir] en leurs demandes, fins et conclusions, et statuant de nouveau :
– juger que la communication de l’ensemble des pièces ci-dessous retranscrites est sollicitée de manière légitime, que les pièces dont s’agit sont existantes et qu’elles sont parfaitement nécessaires à la réalisation de l’expertise selon le périmètre ordonné par jugement du président du tribunal judiciaire de Nanterre rendu selon la procédure accélérée au fond, le 30 août 2023 ;
– condamner en conséquence la société RTE à remettre au cabinet Degest l’ensemble des pièces nécessaires à l’exercice de sa mission et demeurant à ce jour non transmises et, ceci de manière non anonyme ;
– ordonner que la remise des pièces dont s’agit soit réalisée sous astreinte de 1 500 euros par jour et par document manquant à compter du huitième jour suivant notification du jugement à intervenir et que le présent juge se réserve la liquidation de la présente astreinte provisoire ;
– condamner la société RTE à remettre l’ensemble de ces pièces en minimisant les données transmises et, singulièrement en ordonnant que l’ensemble des données nécessaires à l’expert soit partagé (RG des articles 51) c’est-à-dire encore en ordonnant à la société RTE de communiquer l’ensemble des fiches C01 / Rubics / BSI sollicité en « pseudonymisant » ou caviardant uniquement les noms.
– faire injonction à l’intimé d’utiliser les données personnelles fournies uniquement dans le cadre de l’action détermination d’éventuels actes de discrimination à l’encontre des élus du CSE et ceci, conformément à la décision rendue par le tribunal judiciaire de Nanterre le 30 août 2023
– condamner encore la société RTE à verser à l’expert Degest la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
– confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
– condamner enfin la société RTE aux entiers dépens de l’instance en ce compris les frais de première instance et d’appel et ceci au bénéfice de Maître Jérôme Borzakian, avocat aux offres de droit.’
Dans ses dernières conclusions déposées le 17 janvier 2025 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société RTE demande à la cour, au visa des articles L. 2315-83, L. 2315-84 et L. 2315-94 du code du travail, 5 du règlement général (UE) 2016/679 du parlement européen et du conseil du 27 avril 2016, 834, 835, 699 et 700 du code de procédure civile, de :
‘- infirmer l’ordonnance rendue le 5 juillet 2024 par le président du tribunal judiciaire de Versailles (RG n° 24/00810) en ce qu’elle :
– déclare recevable l’action du cabinet Degest et du CSE Maintenance de la société RTE ;
– enjoint à la société RTE de fournir les informations anonymisées pour tous les salariés de la direction maintenance concernant les documents suivants au cabinet Degest dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision :
– extractions annuelles anonymisées du fichier du personnel de 2017 à 2023, et à date en 2024 ;
– données annuelles anonymisées de promotion 2017 à 2023, et à date pour 2024 ;
– extraction absentéisme 2017 à 2023, avec précision si l’agent est mandaté/élu ou pas ‘ données anonymisées ;
– extraction accidentéisme 2017 à 2023, avec précision si l’agent est mandaté/élu ou pas ‘ données anonymisées ;
– condamne la société RTE à verser à la sas Degest la somme de 2 000 euros chacun au titre des frais irrépétibles ;
– condamne la société RTE aux dépens de l’instance avec distraction au profit de Maître Jérôme Borzakian ;
– déboute la société RTE du surplus de leurs demandes
et statuant à nouveau
à titre principal,
– juger la société Degest irrecevable en ses demandes ;
à titre subsidiaire,
– débouter la société Degest et le CSE d’établissement Maintenance de la société RTE de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
– dire n’y avoir lieu à référé ;
à titre infiniment subsidiaire,
– confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle débouté la société Degest et le CSE d’établissement Maintenance de la société RTE du surplus de ses demandes ;
en tout état de cause,
– débouter la société Degest et du CSE d’établissement Maintenance de l’ensemble de leurs demandes de communication, celles-ci étant désormais sans objet, compte tenu de l’expiration du délai de deux mois imparti à l’expert pour remettre son rapport en application de l’article R. 2315-47 du code du travail ;
– condamner la société Degest et le CSE d’établissement Maintenance de la société RTE à verser à la société RTE la somme de 2 000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Degest et le CSE d’établissement Maintenance de la société RTE, aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Maxime Houlès dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.’
L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 janvier 2025.
Sur la recevabilité des demandes du cabinet Degest et le caractère fondé de celles du CSEE
La société RTE soulève tout d’abord l’irrecevabilité des demandes de la société Degest en faisant valoir qu’aux termes de la délibération du CSE Maintenance du 4 avril 2022, l’expertise « risque grave » a été confiée au cabinet Progexa et non à la société Degest, de sorte que cette dernière est dénuée de qualité et d’intérêt à agir aux fins de se voir communiquer des éléments d’information de sa part.
Elle soutient qu’il est évident que le jugement du 30 août 2023 est affecté d’une erreur matérielle s’agissant de l’identité de l’expert auquel le CSE a confié l’expertise par délibération du 4 avril 2022 ; que le dispositif du jugement prévoit de « limiter l’expertise confiée au cabinet Degest » sans jamais avoir discuté, dans sa motivation, la question de substituer le cabinet Degest au cabinet Progexa.
En réponse à la motivation retenue par le premier juge pour la débouter de cette fin de non-recevoir, la société RTE fait valoir que le précédent litige portait uniquement sur le principe même de l’expertise et l’existence d’un prétendu « risque grave » et qu’il n’appartient pas à la société, que ce soit par la signature de la convention ou le versement d’une somme d’argent par erreur à Degest, d’opérer une telle substitution.
Elle demande par ailleurs de juger que le CSE est infondé à solliciter la communication d’informations au profit d’un cabinet non désigné pour mener l’expertise « risque grave ».
Les appelants sollicitent la confirmation de l’ordonnance querellée sur ce point, indiquant qu’il est de jurisprudence constante que l’expert désigné par le CSE pour réaliser une mission légale d’expertise a qualité pour agir seul, hors saisine du comité qui l’a mandaté, pour saisir le juge des référés d’une demande de communication de pièces dans le cadre de l’expertise diligentée.
Sur ce,
L’article 31 du code de procédure civile dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé et l’article 32 suivant qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.
Comme l’a exactement retenu le premier juge dont les motifs sont ici adoptés, il ressort des pièces du dossier que la société RTE n’a pas contesté l’intérêt ni la qualité à agir du cabinet Degest dans un précédent litige portant sur la même délibération, elle a signé la lettre de mission du cabinet Degest, payé la provision relative à l’expertise au cabinet Degest et lui a transmis un certain nombre de documents dans ce cadre, de sorte qu’elle a ainsi reconnu la qualité d’expert de ce cabinet relativement à l’expertise en cause.
S’il est constant que c’est le cabinet Progexa qui avait été désigné aux termes de la délibération du CSE Maintenance du 4 avril 2022, ce cabinet n’a jamais été saisi et il a à l’évidence été substitué par le cabinet Degest, sans opposition des parties avant l’introduction de la présente action.
Le cabinet Degest a donc bien qualité et intérêt à agir dans le présent litige comme celui mandaté pour réaliser l’expertise « risque grave » décidée le 4 avril 2022.
L’ordonnance critiquée sera en conséquence confirmée en ce qu’elle a rejeté la fin de non-recevoir soulevée à ce titre et déclaré l’action recevable.
Sur les demandes de communication de documents à l’expert
Les appelants font valoir dans un premier temps avoir interjeté appel parce que le premier juge, bien qu’ayant fait droit à leurs demandes, a restreint la communication des documents à une version anonymisée.
Ils rappellent que l’expertise doit porter sur la question des discriminations et contestent la version de l’employeur selon laquelle le périmètre serait limité à la discrimination entre les élus, relevant que la lettre de mission de l’expert a été signée par la société RTE sans réserve.
Ils expliquent qu’il ressort du dernier document de suivi de transmission de documents par l’employeur que le cabinet Degest n’a pas reçu (ou a reçu de manière très lacunaire) les informations de la part de la société RTE telles qu’elles sont reprises au terme du tableau produit en pièce 8 et rappelé dans le dispositif des conclusions, soit :
– une colonne E qui rappelle ce que dit le juge dans son jugement (pages 8 et 9),
– une autre colonne dans laquelle l’expert explique en quoi les données demandées sont nécessaires,
– en vert ce à quoi le juge fait droit (points 9, 13, 20 et 21),
précisant que ces documents ne sauraient être anonymisés à défaut de quoi l’expertise serait impossible.
Ils soutiennent que le caractère nominatif des documents à remettre est strictement nécessaire à la comparaison pour apprécier une éventuelle discrimination ; que la Cour de cassation (notamment Sociale, 22 octobre 2014, n° 13-18362) a construit une jurisprudence claire sur la comparaison en 2 temps qu’il convient de faire.
Ils exposent que pour déterminer les préjudices réparables, il convient de déterminer le groupe de personnes visées, et que pour ce faire, l’employeur a l’obligation de fournir les feuilles de paye de personnel contenu au panel du salarié discriminé, soit en l’espèce les fiches « C01/RHUBICS/Fiches salariés » ; que les juridictions ont déjà autorisé un salarié à solliciter que lui soient communiqués les éléments comparatifs nécessaires à l’évaluation de son préjudice ; que l’atteinte à la vie privée n’est pas interdite mais doit être justifiée par l’exigence de protection d’autres intérêts, indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi ; que la jurisprudence postérieure à l’entrée en vigueur du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, dit Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) demeure semblable en la matière.
Ils soulignent la décision récente de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 3 octobre 2024 (n° 21-20979) par la 2e chambre civile, indiquant qu’il appartient au juge de veiller au principe de minimisation des données à caractère personnel, notamment en faisant injonction aux parties de n’utiliser les données litigieuses qu’aux seules fins de l’action en discrimination.
Ils considèrent qu’il en découle que l’utilisation des données personnelles est parfaitement permise dès lors que :
– elle est fondée sur le droit national (RGPD, article 6 § 3) ;
– elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée (RGPD, article 6 § 4) ;
– elle respecte l’un des objectifs du RGPD dans la protection de l’indépendance de la justice et des procédures judiciaires (RGPD, article 23),
soit autant de conditions remplies en l’espèce dès lors que le droit français prohibe toute discrimination, y compris syndicale, qu’il oblige le salarié en cas de litige à présenter des éléments de fait suggérant l’existence d’une discrimination et que le droit permet au juge de prononcer les mesures d’instruction nécessaires à la bonne administration de la justice.
Ils font valoir que la question centrale ici est celle de la minimisation, de sorte que la cour ordonnera que soit occultées sur les documents communiqués à l’expert toutes les données à caractère personnel des salariés de comparaison qui ne sont pas adéquates, pertinentes et strictement indispensable à la comparaison entre salariés ; que cela peut parfaitement être fait en « pseudonymisant » par exemple les noms des personnes concernées, l’expert ayant en revanche l’ensemble des autres éléments lui permettant d’effectuer valablement sa mission.
Ils indiquent qu’au cas présent, en application de la décision critiquée enjoignant à la société RTE de fournir les « informations anonymisées », parmi lesquelles des « extractions annuelles anonymisées du fichier du personnel de 2017 à 2023 et à date en 2024 », sans indication de la méthode d’anonymisation des extractions du fichier du personnel, la société RTE a cru pouvoir communiquer à l’expert Degest un tableau excel qui ne fournit pour chaque salarié que des tranches d’âges arbitrairement fixées à 5 ans, ne permettant pas de comparaison utile alors que l’âge est un des critères de discrimination entre salariés les plus répandus ; que sommée de communiquer les années de naissance des salariés, la société a refusé motif pris de la nécessité d’éviter le risque de réidentification, alors qu’elle-même avait fournit des tableaux affichant l’âge des élus.
Les appelants indiquent ensuite qu’au delà de la discrimination, l’expertise doit aussi porter sur le fonctionnement des instances et sur la charge de travail des élus et renvoient au tableau figurant en pièce 8 et aux explications de l’expert sur leur utilité.
Enfin, ils sollicitent que soit prononcée une astreinte par document et jour de retard dans sa communication.
La société RTE expose tout d’abord que l’objet de l’expertise tel qu’il résulte de la délibération du 4 avril 2022 et du jugement du 30 août 2023 sur le sujet des discriminations est ainsi posé par l’expert :
« Des questions se posent en effet quant à l’évolution de carrière des élus, leurs difficultés à se nourrir professionnellement, leur mise à distance des situations de travail, leur manque de formation. Ces questions doivent rapidement être investies car elles apparaissent comme facteur clé de la souffrance des élus. », pour en conclure que le jugement de 2023 ne vise que la question de la discrimination entre certains élus ; que contrairement à ce que prétendent les appelants, il n’a pas été question dans le jugement du 30 août 2023 de faire réaliser une « expertise pour risque grave et pour discrimination syndicale » et que par ailleurs, la période visée et celle de l’apparition du risque grave telle que retenue par le jugement, à savoir à compter de 2021.
Sur les principes devant régir le droit d’accès de l’expert aux éléments d’information nécessaires à sa mission, la société RTE soutient que s’agissant de l’accès à des données à caractère personnel le RGPD, en son article 5, 2), impose au responsable du traitement (ici l’employeur qui communique des données à des tiers), d’être en mesure de démontrer que le principe de minimisation des données a été respecté ; que selon la jurisprudence, il convient de vérifier « si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production des pièces sollicitées ».
L’intimée entend voir transposer la jurisprudence dégagée dans le cadre de litiges initiés par un salarié.
Elle reprend ensuite successivement les éléments demandés par l’expert (pages 20 à 40 de ses conclusions) afin de démontrer selon les cas :
– soit que l’employeur y a répondu en transmettant les éléments demandés ;
– soit que les éléments demandés n’existent pas en tout ou partie ;
– soit qu’ils excèdent manifestement les limites de l’expertise pour « risque grave » et sont dès lors constitutifs d’un abus de droit ;
– soit qu’ils portent sur des données personnelles qui excèdent celles strictement nécessaires aux finalités de l’expertise.
La société RTE conclut par ailleurs à l’infirmation de l’ordonnance querellée en ce que les demandes excèdent les pouvoirs du juge des référés tirés des articles 834 et 835 du code de procédure civile.
Elle relève que pour caractériser l’urgence, le trouble manifestement illicite ou le dommage imminent, les appelants se bornent à affirmer de façon péremptoire que :
– le cabinet Degest serait dans l’impossibilité matérielle d’exécuter sa mission ;
– le risque grave qui aurait existé en 2021 et en 2022 perdurerait toujours à ce jour ;
– le trouble manifestement illicite serait caractérisé par « la violation directe et avérée au droit d’accès à l’information de l’expert ».
Or, fait-elle valoir, ces allégations ne résistent pas à l’analyse puisque :
– il n’est pas démontré que l’expert serait dans l’impossibilité d’exécuter sa mission, alors qu’il dispose de plus de 700 documents qui lui ont été transmis, ni que sa mission serait subordonnée à la communication de données nominatives sur l’ensemble des salariés et de documents pour la période antérieure au cycle électoral 2019-2029,
– le CSE ne fait état d’aucun fait permettant de donner un quelconque crédit à son affirmation relative à la persistance d’un risque grave.
A titre infiniment subsidiaire, l’intimée demande la confirmation de l’ordonnance en ce qu’elle a débouté la société Degest et le CSEE Maintenance de leurs demandes d’astreinte, alléguant avoir fait preuve de bonne foi en transmettant le maximum d’informations possibles.
Enfin, l’intimée conclut, au visa du 3ème alinéa de l’article R. 2315-47 du code du travail qui dispose que « lorsque le comité recourt à une expertise en dehors des cas prévus au premier et au second alinéas du présent article, l’expert remet son rapport dans un délai de deux mois », que les demandes de communication sont désormais sans objet, le délai de 2 mois imparti à l’expert pour remettre son rapport étant expiré.
Sur ce,
L’article L. 2315-94 1° du code du travail prévoit que le comité social et économique peut faire appel à un expert habilité dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat lorsqu’un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement.
Au sens de cet article, le risque grave, dont l’existence s’apprécie au jour de la délibération, doit donc être identifié et actuel. La notion de risque actuel ne signifie pas un risque survenu récemment et qui aurait été inexistant antérieurement ; il doit seulement s’agir existant encore au moment de la décision du CSE.
Il ressort par ailleurs au cas présent de la délibération du CSE du 4 avril 2022 que le risque grave visé a trait en particulier aux risques psychosociaux.
Aux termes du jugement rendu selon la procédure accélérée au fond par le tribunal judiciaire de Nanterre sur saisine de la société RTE en annulation de la délibération du CSE d’établissement de la direction Maintenance sur le principe de l’expertise « risque grave », la mission de l’expert a notamment été cantonnée au traitement de la question des discriminations, au motif que depuis au moins 2021 les représentants salariés CGT, et l’un d’eux particulièrement, se plaignent de discriminations subis en raison de leur action syndicale, sans qu’il ne ressorte des termes de ce jugement définitif que que ladite mission aurait été restreinte au périmètre de la discrimination entre élus.
Aux termes de l’article L. 2315-83 du code du travail, l’employeur fournit à l’expert les informations nécessaires à l’exercice de sa mission.
En application de cette disposition, il appartient à l’expert de déterminer les documents utiles à sa mission (Soc., 23 mars 2022, pourvoi n° 20-17.186). Il n’appartient en revanche pas au juge de se substituer à l’expert pour juger si le document demandé est effectivement et concrètement utile à sa mission dès lors que la société détient cette information.
Il convient en conséquence d’examiner les documents, énoncés aux termes d’un tableau retranscrit au dispositif des conclusions des appelants, afin de déterminer compte tenu des éléments ci-dessus rappelé, s’il convient d’en ordonner la communication et le cas échéant, dans quelle mesure.
Préalablement, il sera également relevé que subsiste également une discussion entre les parties sur le contenu des documents sollicités, au regard des dispositions du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, dit Règlement Général sur la Protection des Données, ou RGPD.
Selon l’arrêt de la CJUE, 2 mars 2023, aff. C-268/21, Norra Stockholm Bygg AB, « lors de l’appréciation du point de savoir si la production d’un document contenant des données à caractère personnel doit être ordonnée, la juridiction nationale est tenue de prendre en compte les intérêts des personnes concernées et de les pondérer en fonction des circonstances de chaque espèce, du type de procédure en cause et en tenant dûment compte des exigences résultant du principe de proportionnalité ainsi que, en particulier, de celles résultant du principe de minimisation des données visé à l’article 5, paragraphe 1, sous c), de ce règlement ».
Dans cette même décision, la CJUE rappelle également que la « le traitement de données à caractère personnel […] doit non seulement être fondé sur le droit national […], mais également constituer une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique ».
Par ailleurs, cette décision impose au juge « de déterminer si la divulgation des données à caractère personnel est adéquate et pertinente aux fins de garantir l’objectif poursuivi […] et si cet objectif ne peut pas être réalisé par le recours à des moyens de preuve moins intrusifs » conformément au principe de minimisation.
Or au cas présent, la communication en litige est uniquement à destination de l’expert désigné par le CSE, lequel aux termes de l’article L. 2315-84 du code du travail, est tenu aux obligations de secret et de discrétion définies à l’article L. 2315-3.
S’agissant par ailleurs d’un l’expert habilité santé sécurité conditions de travail (SSCT) qui a à connaître d’une expertise en matière de risque grave, il est également tenu à des obligations dont dépend sa certification.
En effet, il a l’obligation de respecter la confidentialité en ne diffusant son rapport, ou les informations qui s’y rattachent, qu’aux membres du CSE et d’observer le secret professionnel dans l’exercice de ses missions (A. 7 août 2020, NOR : MTRT1937526A, relatif aux modalités d’exercice de l’expert habilité auprès du comité social et économique).
Ainsi, au cas présent, s’agissant de documents comportant des informations confidentielles relatives à la vie privée des salariés de l’entreprise dont la protection doit être conjuguée avec la nécessité pour l’expert du CSE, lui-même soumis à un devoir de confidentialité, d’avoir accès à certaines de ces informations afin notamment de rechercher s’il existe des situations de discrimination vis-à-vis des salariés représentants du personnel, impliquant que les documents de comparaison comportent les indications notamment sur l’âge des salariés concernés, il convient de dire que dès lors que les documents transmis par l’employeur seront anonymisés, au sens où seuls les nom et prénom des salariés concernés seront caviardés, ils devront ainsi être communiqués dans la mesure ci-dessous indiquée.
En particulier, il convient de souligner que compte tenu des obligations de l’expert, lequel ne mentionnera pas dans son rapport final les informations relatives aux données personnelles d’un salarié nommément désigné, il n’existe pas de risque de réidentification par la transmission des données autres que les nom et prénom.
S’agissant des pièces en litige, il sera tout d’abord constaté que la communication des documents sollicités par le cabinet Degest ressort comme satisfactoire aux termes du tableau inséré au dispositif des conclusions des appelants pour ceux numérotés 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 10, 11, 12, 17, 18, 19, 22, 24, 29, 35, 37, 39, 40, 41 et 42, soit que l’expert l’ait expressément mentionné en indiquant « ok », soit qu’il n’ait formulé aucune observation dans la dernière colonne dudit tableau, consacrée aux justifications de l’utilité de ses demandes, soit comme c’est le cas des documents numérotés 5, que l’expert renvoie à d’autres documents les concernant.
Ensuite, au vu des principes ci-dessus rappelés, s’agissant des :
– documents n° 8, soit le « ROD annuel avec liste des salariés depuis 2017 », la transmission de ces éléments sans les noms des salariés doit être considérée comme proportionnée et satisfaisante,
– documents n° 9, soit les « extractions annuelles nominatives du fichier du personnel de 2017 à 2023 et à date en 2024 », l’ordonnance querellée sera confirmée en ce qu’elle a ordonné leur communication, avec la précision que le caviardage ne doit concerner que les nom et prénom des salariés,
– documents n° 13, soit les « données annuelles nominatives de promotion 2017 à 2023, et à date pour 2024 » et n° 14, soit « extractions annuelles nominatives concernant la formation de 2017 à 2023, et à date pour 2024 », la transmission anonymisée au sens stricte sera confirmée mais il sera dit que l’âge exact des salariés en cause devra être réintégré,
– documents n° 15, soit « extractions annuelles nominatives concernant la formation de 2017 à 2023, et à date pour 2024 », la transmission anonymisée n’est pas critiquable,
– documents n° 16, soit « données sur la formation professionnelle des représentants du personnel sur la période 2017-2023 précisant le type de formation, le coût et la durée », la société RTE fait valoir à juste titre que ces données figurent nécessairement parmi les documents n° 15 et il n’y a pas lieu de les rendre nominatives,
– documents n° 20, soit « extraction absentéisme 2017 à 2023, avec précision si l’agent est mandaté/élu ou pas » et n° 21 « extraction accidentéisme 2017 à 2023, avec précision si l’agent est mandaté/élu ou pas », l’ordonnance sera confirmée en ce qu’elle a ordonné leur communication, sauf à préciser que l’anonymisation doit s’entendre au sens strict de l’oblitération des noms et prénoms des salariés,
– documents n° 23, soit « diagnostic social réalisé par Mme [N] et M. [U], et documents associés à ce diagnostic (méthodologie, présentation(s), copil, plan d’action, etc.) », la société RTE fait valoir qu’elle a transmis toutes les données disponibles et l’inverse n’est pas démontré,
– documents n° 25, soit « Données brutes et nominatives, méthode et modalités de calculs utilisées par la direction pour conclure à la non discrimination des élus et à la non différence de traitement entre élus dans le cadre de l’enquête suite à l’alerte pour atteinte aux droits des personnes déposée le 30 novembre 2020 par M. [C] (cf. relevé de décision des réunions des 11 janvier et 30 avril 2020 et du 26 avril 2023). Nom et situation des élus pris en compte pour établir ces conclusions », il ne saurait être reproché à la société RTE d’avoir fourni des données anonymisées,
– documents n° 26, soit les « fiches C01/Rhubics et similaires et fiches salariés de tous les agents de la maintenance depuis 2005 », la société RTE justifie avoir transmis un document excel comprenant pour 2017 à 2024 et pour les plus de 4 000 salariés de la direction Maintenance, les données suivantes :
– Matricule anonyme
– Taux
– Mandat
– Absence de Fin de Carrière
– EO Niveau 4
– EO Niveau 5
– EO Niveau 6
– Emploi
– Sexe
– Tranche d’âge
– Diplôme
– Date d’entrée IEG
– Date d’embauche statutaire
– Ancienneté emploi
– Statut
– Collège
– GF
– NR
– Position
– Echelon
– Temps de travail
– ETP
– Nombre de mois de paie
– Rémunération fiscale
– Rémunération principale
– Majoration résidentielle
– coefficient ancienneté
– Salaire de Base mensuel ETP 35h
– Salaire de Base mensuel ETP 35h * 13
– RIP
– PRIME ATPL
– PRIME D’ANCIENNETE
– PRIME D’ATELIER
– PRIME DE HAUTE MONTAGNE
– PRIME DE MAINTENANCE
– PRIME DE VOL
– RÉMU ORGA TEMPS TRAVAIL
– ACCOMPAGNEMENT MOBILITÉ
– AVANTAGES FAMILIAUX
– AUTRES ÉLÉMENTS DE RÉMU
– INTERESSEMENT
– différentiel rémunération fiscale ‘ principale
– Maladie
– Longue maladie
– Accident du travail et maladies professionnelles
– Autres absences rémunérées
– Congés sans solde
– Mouvements revendicatifs ‘ Grèves,
ce qui doit être considéré comme satisfactoire, sauf à demander à la société RTE d’y introduire en plus l’âge des salariés ; en revanche compte tenu de la mission de l’expert relative au « risque grave » et étant rappelé que cette mission est notamment cantonnée au traitement de la question des discriminations, au motif que depuis au moins 2021 les représentants salariés CGT, et l’un d’eux particulièrement, se plaignent de discriminations subis en raison de leur action syndicale, la période de transmission débutant en 2017 est également suffisante, une période plus large apparaissant disproportionnée,
– documents n° 27, soit « Bilan social individuel de tous les agents de la maintenance depuis 2005, sous un format exploitable, Excel par exemple », il n’est pas démontré leur dississemblance par rapport aux documents sollicités sous le n° 26, de sorte qu’il n’y pas lieu d’en ordonner la communication,
– documents n° 28, soit « qualification des services civils des agents mandatés/élus depuis le début de leur mandatement », le grief tenant à l’absence de transmission des noms n’est pas pertinent et la période transmise satisfaisante au regard du période de l’expertise tel qu’il a été ci-dessus rappelé,
– documents n° 30, soit « procès-verbaux et ordres du jour des réunions des instances (CSE, CSSCT et représentants de proximité notamment) sur la période 2017-2024 » et documents 31, soit « Ordres du jour ou points demandés par les élus refusés, ordres du jour et convocations unilatéraux sur la période 2017-2024 », compte tenu de ce que le lien permettant à l’expert d’accéder à la BDESE est désormais opérationnel, cette demande est devenue sans objet,
– documents n° 32, soit « inspections réalisées par les RP sur la période 2017-2024 », la société RTE soutient sans être contredite qu’il n’y a en principe pas de traçabilité des inspections réalisées localement et il n’apparaît pas que la société détiendrait d’autres éléments que ceux transmis à ce titre, de sorte qu’il n’y a pas lieu à injonction à cet égard,
– documents n°33, soit « droits d’alerte, de retrait et DGI déclenchés sur la période 2017-2024 : date, sujet et suites données », la société RTE indiquant avoir fourni les documents en sa possession à ce sujet, il ne saurait lui être fait d’autre injonction,
– documents n° 34, soit « enquêtes réalisées avec la participation des IRP sur la période 2017-2024 avec précision des sujets de ces enquêtes et suites données », la société RTE indique que ces éléments figurent dans la BDESE et n’est pas démentie à cet égard, de sorte qu’il n’est pas établi que l’expert ne pourrait pas les consulter,
– documents n° 36, soit « plans de prévention réalisés avec les IRP sur la période 2017-2024 », l’expert en justifie la demande en indiquant que « si de telles informations sont demandées, c’est parce que la mission porte aussi sur la charge de travail des élus et la réalisation des plans de prévention fait partie de leur charge », tandis qu’il apparaît que la société RTE a bien transmis le nombre de plans, de sorte que l’expert ne justifie pas de l’intérêt de sa demande,
– documents n° 38, soit « expertises demandées par les IRP sur la période 2017-2024 avec précision des sujets de ces interventions », il n’est pas avéré que la société RTE détiendrait d’autres documents que ceux d’ores et déjà transmis,
– documents n° 43, soit « formation des managers au fonctionnement des instances : nature des formations, nombre de formations et d’heures » pour lesquels la société RTE indique qu’ils ont été transmis ou sont en voie de l’être, de sorte que la demande est sans objet puisque les documents manquants sont en passe d’être communiqués,
– documents n° 44, soit « rapports de situation comparée des femmes et des hommes depuis 2009 », il est acquis que les documents ont été transmis pour les années 2015 à 2023, et ceux pour la période antérieure ne correspondent pas au périmètre de l’expertise.
Dès lors, l’ordonnance querellée sera confirmée dans son ensemble, sauf s’agissant des points particuliers relevés comme il sera dit au dispositif du présent arrêt.
L’article L. 131-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision.
Cette mesure a pour finalité de contraindre la personne qui s’y refuse à exécuter les obligations imposées par une décision juridictionnelle et d’assurer ainsi le respect du droit de la partie adverse à cette exécution. Le juge dispose d’un pouvoir souverain pour apprécier si les circonstances font apparaître la nécessité de la prononcer.
Compte tenu au cas présent de l’importance quantitative des documents sollicités par le cabinet Degest, parfois de manière imprécise et/ou évolutive, la cour n’estime pas nécessaire d’assortir les injonctions de communication faite à la société RTE d’une astreinte.
L’ordonnance querellée sera confirmée en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à prononcé d’astreinte.
Par ailleurs, étant de jurisprudence constante que disposant d’un droit de communication des documents nécessaires à l’accomplissement de sa mission, l’expert a qualité pour saisir le juge des référés d’une demande de communication de ces pièces (Cass. soc., 26 mars 2014, no 12-26.964) et que le comité est compétent pour formuler cette demande lui-même (Cass. soc., 11 oct. 2017, no 16-10.814), les moyens soulevés par l’intimée tirés de demandes ne ressortissant pas des pouvoirs du juge des référés sont inopérants.
Enfin, il n’est pas établi que le délai de 2 mois imparti par l’article R. 2315-47 du code du travail est expiré.
En effet, il ressort du courriel du cabinet Degest en date du 10 avril 2024, adressé à la société RTE, qu’il lui indique faire application de l’article 9 de la convention signée entre les parties, prévoyant la possibilité de suspendre l’expertise faute de transmission des données sollicitées.
Ce moyen sera également écarté.
Sur les demandes accessoires :
L’ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
La décision de première instance n’étant réformée qu’à la marge, aucune partie ne peut être considérée comme gagnante à hauteur d’appel.
Elles conserveront chacune les dépens par elles exposés et seront déboutées de leurs demandes sur le fondement de l’article 700
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