Droit de retrait : légitimité et protection des travailleurs en milieu industriel.

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Droit de retrait : légitimité et protection des travailleurs en milieu industriel.

Règle de droit applicable

L’exercice du droit de retrait par un salarié est encadré par le Code du travail, notamment par les articles L. 4131-1 et L. 4131-3. Selon l’article L. 4131-1, tout travailleur a le droit d’alerter son employeur sur toute situation de travail qu’il estime dangereuse pour sa vie ou sa santé, et peut se retirer de cette situation. L’employeur ne peut pas demander au salarié ayant exercé ce droit de reprendre son activité tant que le danger persiste.

L’article L. 4131-3 précise qu’aucune sanction ne peut être prise à l’encontre d’un salarié qui se retire d’une situation de travail qu’il considère comme présentant un danger grave et imminent. Cette protection est renforcée par la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989, qui stipule que les travailleurs ne doivent pas subir de préjudice pour avoir exercé leur droit de retrait en cas de danger grave et immédiat.

Conditions d’exercice du droit de retrait

Pour qu’un salarié puisse valablement exercer son droit de retrait, il doit justifier d’un motif raisonnable de penser qu’il existe un danger grave et imminent. La notion de danger grave et imminent est appréciée du point de vue du salarié, en tenant compte de ses connaissances et de son expérience. Le juge doit vérifier si le salarié avait des raisons légitimes de croire à l’existence d’un tel danger au moment où il a exercé son droit de retrait (Cass. soc., 23 mars 2005, n° 03-42.412).

Conséquences de l’exercice abusif du droit de retrait

En cas d’exercice abusif du droit de retrait, le salarié peut faire l’objet d’une retenue sur salaire, mais cela ne constitue pas une sanction disciplinaire prohibée. En revanche, toute sanction disciplinaire ou licenciement lié à l’exercice légitime du droit de retrait est nul. L’employeur doit prouver que le salarié a agi de mauvaise foi ou avec une intention malicieuse pour contester la légitimité de l’exercice du droit de retrait.

Obligation de sécurité de l’employeur

L’employeur a une obligation de sécurité envers ses salariés, prévue par l’article L. 4121-1 du Code du travail, qui impose de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Cette obligation inclut la mise en place de procédures de sécurité claires et la formation des salariés sur les risques liés à leur poste de travail.

Conclusion sur la décision de justice

La décision de justice en question a annulé l’avertissement notifié à M. [K] pour abus de droit de retrait, considérant qu’il avait un motif raisonnable de penser qu’il y avait un danger grave et imminent lors de son intervention sur la machine. La cour a également reconnu que l’employeur n’avait pas respecté ses obligations de sécurité, ce qui a conduit à la nullité de la sanction disciplinaire.

L’Essentiel : L’exercice du droit de retrait par un salarié est encadré par le Code du travail. Tout travailleur peut alerter son employeur sur une situation de travail qu’il estime dangereuse et se retirer tant que le danger persiste. Aucune sanction ne peut être prise contre un salarié qui se retire d’une situation présentant un danger grave et imminent. Pour exercer ce droit, le salarié doit justifier d’un motif raisonnable de croire à l’existence d’un tel danger, apprécié selon ses connaissances et son expérience.
Résumé de l’affaire : La SAS DS Smith Packaging Bretagne, anciennement Otor Bretagne, est une entreprise de cartonnerie employant environ 250 salariés. Un opérateur, embauché en 1996, a été élu membre suppléant au comité social et économique en 2019. Le 28 avril 2020, cet opérateur a exercé son droit de retrait en raison d’un danger potentiel lié à une machine BOBST, qu’il ne pouvait pas régler en toute sécurité. Il a stoppé la machine, mais n’a pas pu arrêter le tapis roulant associé, ce qui l’a conduit à invoquer son droit de retrait.

Le 13 mai 2020, la société a notifié à l’opérateur un avertissement pour abus de ce droit, arguant qu’il avait agi de manière injustifiée et que son comportement avait entraîné un blocage de la production. En réponse, l’opérateur, soutenu par le syndicat CGT OTOR Bretagne, a saisi le conseil de prud’hommes pour contester l’avertissement et demander des dommages-intérêts.

Le conseil de prud’hommes a annulé l’avertissement, considérant que l’opérateur avait un motif raisonnable de penser qu’il y avait un danger grave et imminent. La société a été condamnée à verser des sommes à l’opérateur et au syndicat, ainsi qu’à publier le jugement. La société a interjeté appel, demandant l’infirmation de la décision.

En appel, la cour a confirmé l’annulation de l’avertissement, reconnaissant que l’opérateur avait agi conformément à la politique de sécurité de l’entreprise. Elle a également accordé des dommages-intérêts supplémentaires à l’opérateur pour le préjudice moral subi. La cour a ordonné l’affichage de la décision dans l’entreprise, mais a infirmé la demande de publication dans la presse. La société a été condamnée aux dépens d’appel et à verser une indemnité pour frais irrépétibles.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique du droit de retrait exercé par le salarié ?

Le droit de retrait est encadré par l’article L. 4131-1 du code du travail, qui stipule que « le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation. »

Cet article précise également que l’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent.

En outre, l’article L. 4131-3 du même code indique qu’« aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d’eux. »

Ainsi, le salarié a le droit de se retirer d’une situation qu’il juge dangereuse, et ce droit est protégé par la loi.

Quel est le rôle de l’employeur en matière de sécurité au travail ?

L’article L. 4121-1 du code du travail impose à l’employeur une obligation de sécurité et de protection de la santé physique et mentale des travailleurs. Cet article précise que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »

Cela inclut l’évaluation des risques et la mise en place de mesures de prévention adaptées. L’employeur doit également informer et former les travailleurs sur les risques auxquels ils peuvent être exposés et sur les mesures de prévention à adopter.

En cas de défaillance dans cette obligation, l’employeur peut être tenu responsable des conséquences sur la santé et la sécurité des travailleurs, notamment si un salarié exerce son droit de retrait en raison d’un danger non pris en compte.

Quel est le critère d’appréciation du danger grave et imminent ?

La notion de danger grave et imminent est appréciée du point de vue du salarié, selon ses connaissances et son expérience. Le salarié doit avoir un motif légitime de croire à un danger possible pour pouvoir exercer son droit de retrait.

Le juge doit vérifier si le salarié avait un motif raisonnable de penser qu’il existait un danger. Cela signifie que le salarié doit justifier de l’existence d’un motif raisonnable de croire que la situation présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé.

Il est important de noter que le juge ne doit pas se prononcer directement sur la réalité du danger, mais plutôt sur la légitimité des craintes du salarié. Cela est confirmé par la jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 23 mars 2005.

Quel est l’impact d’un avertissement notifié pour abus de droit de retrait ?

L’article L. 4131-3 du code du travail stipule qu’« aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d’eux. »

Ainsi, un avertissement notifié à un salarié pour avoir abusivement exercé son droit de retrait est nul si le salarié avait un motif raisonnable de penser qu’il était en danger. En cas de sanction injustifiée, le salarié peut demander réparation pour le préjudice moral subi, comme cela a été le cas dans cette affaire où le salarié a été indemnisé pour le préjudice moral résultant de l’inscription de cette sanction au dossier disciplinaire.

Quel est le rôle des syndicats dans la défense des droits des travailleurs ?

Les syndicats jouent un rôle essentiel dans la défense des droits des travailleurs, comme le stipule l’article 5 des statuts du syndicat CGT Otor Bretagne, qui prévoit que le syndicat a pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux tant collectifs qu’individuels des salariés.

L’article 12 des mêmes statuts précise que « sur délibération de la Commission exécutive ou du bureau, le syndicat, par voie de son ou de ses mandataires, a le droit d’ester en justice. » Cela signifie que les syndicats peuvent agir en justice pour défendre les intérêts de leurs membres, notamment en cas de litige lié à des sanctions disciplinaires ou à des conditions de travail.

Dans cette affaire, le syndicat a tenté d’intervenir pour contester l’avertissement notifié au salarié, mais son action a été déclarée irrecevable en raison du non-respect des procédures statutaires. Cela souligne l’importance pour les syndicats de suivre les procédures établies pour garantir la validité de leurs actions en justice.

7ème Ch Prud’homale

ARRÊT N°100/2025

N° RG 22/03038 – N° Portalis DBVL-V-B7G-SXYN

DS SMITH PACKAGING BRETAGNE SAS

C/

M. [X] [K]

Syndicat SYNDICAT CGT OTOR BRETAGNE

RG CPH : F 20/00025

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MORLAIX

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 27 MARS 2025

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 27 Janvier 2025 devant Monsieur Bruno GUINET, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 27 Mars 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

APPELANTE :

DS SMITH PACKAGING BRETAGNE SAS Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au dit siège

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Bruno MION, Plaidant, avocat au barreau de BREST

INTIMÉS :

Monsieur [X] [K]

né le 02 Mai 1973 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Agnès PAILLONCY de la SELARL AVOCADYS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER

Syndicat SYNDICAT CGT OTOR BRETAGNE

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Agnès PAILLONCY de la SELARL AVOCADYS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS DS Smith packaging Bretagne, précédemment dénommée Otor Bretagne, exploite une cartonnerie industrielle implantée sur la commune de [Localité 3] depuis 1976. Elle emploie environ 250 salariés et applique la convention collective de la fabrication et transformation de papiers/cartons/celluloses.

Le 1er octobre 1996, M. [K] a été embauché en qualité d’opérateur sortie combinés, selon un contrat à durée indéterminée par la société Otor Bretagne. Depuis 2009, il occupe le poste de conducteur de machines Bobst, niveau III – échelon 1 – coefficient 170 de la convention collective.

En mars 2019, il a été élu membre suppléant au comité social et économique. Il participe également depuis 2019 à la commission santé sécurité des conditions de travail.

Le 28 avril 2020, M. [K] a dû procéder au réglage d’une machine dite BOBST. Pour cela, il a stoppé ladite machine mais indique ne pas avoir pu arrêter le tapis roulant. Il a alors fait usage de son droit de retrait.

Par courrier en date du 13 mai 2020, il s’est vu notifier un avertissement pour avoir abusivement exercé son droit de retrait. Les termes étaient les suivants :

« Le 28 avril dernier à 7 heures 47, vous avez arrêté la production de la machine en vous prévalant d’un droit de retrait et vous avez contacté, à 8 heures, le préventeur sécurité pour analyser la situation de danger grave et imminent dont vous prétendiez vous prévaloir.

Vous lui avez expliqué ne pas pouvoir effectuer un réglage sur la machine du fait de la désactivation du système PROXAGARD, dès lors que ce réglage nécessitait de vous rendre sur le tapis convoyeur de déchet.

Conformément aux procédures en vigueur dans l’entreprise, votre comportement a justifié la mobilisation de plusieurs personnes et le blocage de la production des deux machines dépendant du tapis convoyeur jusqu’à 10 heures.

Il existe une procédure parfaitement courante et sécurisée pour intervenir sur la partie de la machine située au-dessus du tapis convoyeur à déchets :

– Le conducteur dispose d’une clef permettant d’arrêter le tapis convoyeur, sans possibilité de réactivation à son insu dès lors qu’il conserve la clef sur lui ;

– Il peut alors ouvrir la grille d’accès au convoyeur et avancer sur le tapis convoyeur en toute sécurité, que le système PROXAGARD soit activé ou non ;

– En effet, le système PROXAGARD ne constitue une sécurité qu’en cas de fonctionnement du tapis convoyeur ;

En votre qualité de conducteur de BOBST ayant une forte ancienneté, vous connaissez et mettez en ‘uvre cette procédure de manière habituelle. Dans le cadre du droit de retrait que vous avez invoqué, vous n’avez mis en avant aucun élément contextuel qui serait venu modifier l’évaluation des risques et la pertinence des dispositions mises en ‘uvre.

Ainsi, rien ne justifiait un tel droit de retrait manifestement abusif.

Dans les faits, et comme vous vous en êtes vanté auprès de collègues de travail qui vous ont croisé peu après, il semble que vous n’ayez été guidé que par l’intention de mobiliser du monde et faire perdre du temps à la production.

De la part d’un salarié de votre ancienneté et de votre expérience, qui plus est représentant du personnel, un tel comportement est totalement inadmissible et justifie que nous vous notifions par la présente un avertissement qui sera conservé à votre dossier. »

*

Sollicitant l’annulation de son avertissement, M. [K] et le syndicat CGT OTOR Bretagne ont saisi le conseil de prud’hommes de Morlaix par requête en date du 20 août 2020 afin de voir :

– Annuler l’avertissement notifié à M. [K] le 13 mai 2020,

– Condamner la SAS DS Smith packaging Bretagne à verser à M. [K] les sommes suivantes :

– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts liés au préjudice moral et pour déloyauté dans l’exécution de la relation de travail,

– 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– Condamner la SAS DS Smith packaging Bretagne à verser au Syndicat CGT OTOR Bretagne la somme de 2 000euros à titre de dommages et intérêts.

– Assortir les condamnations des intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation à l’audience de conciliation pour les sommes à caractère salarial et à compter de la décision à intervenir pour les sommes à caractère indemnitaire,

– Ordonner la publication du jugement à intervenir sur les panneaux syndicaux dans l’entreprise ainsi que par voie de presse.

– Condamner la SAS DS Smith packaging Bretagne au paiement des entiers dépens, en ce compris les éventuels frais d’exécution de la décision à intervenir,

– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir sur le fondement des articles 514 et suivants du code de procédure civile, dans leur version issue du décret du 11 décembre 2019.

– Débouter la SAS DS Smith packaging Bretagnede l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions

La SAS DS Smith packaging Bretagne a demandé au conseil de prud’hommes de:

– Débouter les demandeurs de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions

– Les condamner au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– Les condamner aux dépens

Par jugement en date du 29 avril 2022, le conseil de prud’hommes de Morlaix a :

– Déclaré nul l’avertissement notifié à M. [K] le 13 mai 2020,

– Débouté M. [K] de sa demande de dommage et intérêts liés au préjudice moral et pour déloyauté dans l’exécution de la relation de travail,

– Condamné la SAS DS Smith packaging Bretagne à verser à M. [K] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamné la SAS DS Smith packaging Bretagne à verser au Syndicat CGT OTOR Bretagne la somme de 2000euros au titre de dommages et intérêts,

– Ordonné la publication du jugement sur les panneaux syndicaux dans l’entreprise ainsi que dans la presse,

– Laissé les dépens à la charge de la SAS DS Smith packaging Bretagneet y compris en cas d’exécution forcée, les éventuels honoraires et frais d’huissier (article 696 du code de procédure civile),

– Disposé que les sommes allouées seront porteuses des intérêts de droit à compter du prononcé par mise à disposition au greffe (soit le 29 avril 2022) pour les dommages et intérêts,

– Rappelé l’exécution provisoire de droit (article R 1454-28 du code du travail) à laquelle sera assorti le présent jugement.

Pour statuer ainsi, le CPH a retenu que :

« En l’espèce, M. [K] avait, le 28 avril 2020, un motif raisonnable de penser que le maintien à son poste présentait bien un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé, les machines 203-5 et 203-6 alimentées toutes les deux par du carton noir le système de sécurité Proxagard était désactivé sur le tapis roulant circulant sous ces deux machines.

La société DS Smith Packaging Bretagne a elle-même reconnu par son préventeur M. [G] qu’il existait bien sur le poste d’éjections de déchets deux risques noirs [de couleur noire] et que des mesures de sécurité devaient être mises en place :

1] Formalisation écrite d’une procédure d’arrêt du tapis d’éjection, et partant, de la production des deux machines BOBST 203-5 et 203-6, en cas de nécessité de réglage des plaques d’éjection sous l’une des deux machines ;

2] Mis en place d’un cadenas fermé sur le portillon d’accès au tapis convoyeur, une fois ouvert, avec conservation de la clé par le salarié en train d’opérer le réglage sous la machine, le temps de son intervention, afin qu’il n’y ait pas re-fermeture intempestive par un autre salarié du portillon d’accès au tapis convoyeur et que l’opérateur régleur se trouve coincé sur le tapis convoyeur remis en marche avec le risque de chute que cela présente, étant précisé que l’issue de ce tapis convoyeur est un broyeur destiné à former des balles de papier déchiqueté de plusieurs tonnes.

(‘) Le règlement intérieur de la société DS Smith Packaging prévoit « qu’aucune sanction n’est possible contre un salarié qui a utilisé son droit d’alerte puis son droit de retrait ; que tout salarié qui aura un motif raisonnable de penser qu’une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé devra, après s’être retiré du risque, avertir immédiatement l’employeur ou son représentant ainsi qu’un membre du CHSCT présent de manière à ce que toutes les dispositions de mises en sécurité du personnel soient prises par l’employeur (‘)

L’intervention de M. [K] et l’exercice de son droit de retrait est totalement conforme à la politique sécuritaire mise en place au sein de la société DS Smith Packaging (‘). Le conseil déclare nul l’avertissement notifié à M. [K] le 13 mai 2020. »

*

La SAS DS Smith packaging Bretagne a interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 12 mai 2022.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 8 août 2022, la SAS DS Smith packaging Bretagne demande à la cour d’appel de :

– Infirmer le jugement déféré en ce qu’il a :

– Reçu le Syndicat CGT OTOR Bretagne en ses demandes

– Déclaré nul l’avertissement notifié à M. [K] le 13 mai 2020

– Condamné la SAS DS Smith packaging Bretagne:

– A verser à M. [K] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– A verser au Syndicat CGT OTOR Bretagne la somme de 2 000 euros au titre de dommages et intérêts

– Ordonné la publication du jugement sur les panneaux syndicaux dans l’entreprise ainsi que dans la presse

– Laissé les dépens à la charge de la SAS DS Smith packaging Bretagne

– Le confirmer pour le surplus

– Déclarer irrecevables les demandes présentées au nom du Syndicat CGT OTOR Bretagne, à défaut de justifier d’une délibération régulière en ce sens, et, en tout état de cause, le déclarer mal fondé

– En conséquence, débouter ledit syndicat de l’ensemble de ses demandes fins et prétentions

– Déclarer M. [K] mal fondé en ses demandes

– Débouter M. [K] de l’ensemble de ses demandes fins et prétentions

– Condamner solidairement M. [K] et le Syndicat CGT OTOR Bretagne:

– A verser à la SAS DS Smith packaging Bretagne une somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles de 1 ère instance et d’appel

– Aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel

En l’état de leurs dernières conclusions transmises par leur conseil sur le RPVA le 8 novembre 2022, M. [K] et le synidcat CGT OTOR Bretagne demandent à la cour d’appel de :

– Déclarer irrecevables en tant que demandes nouvelles en cause d’appel, les demandes présentées par la SAS DS Smith packaging Bretagne de voir déclarer irrecevables les demandes présentées par le Syndicat CGT OTOR Bretagne.

– Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Morlaix le 31 janvier 2022 en ce qu’il a :

– Débouté M. [K] de sa demande de dommages et intérêts liés au préjudice moral et pour déloyauté dans l’exécution de la relation de travail,

Statuant à nouveau,

– Condamner la SAS DS Smith packaging Bretagne à verser à M. [K] une somme de 5000euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral au titre de la sanction disciplinaire injustifiée et au titre de l’exécution déloyale de la relation de travail par l’employeur.

– Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Morlaix en toutes ses autres dispositions.

Y additant,

– Condamner la SAS DS Smith packaging Bretagneà verser à M. [K] la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

– Condamner la SAS DS Smith packaging Bretagneà verser au Syndicat CGT OTOR Bretagne une somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

– Condamner la SAS DS Smith packaging Bretagne aux entiers dépens exposés en appel, en ce compris les éventuels frais d’exécution forcée de la décision à intervenir.

– Débouter la SAS DS Smith packaging Bretagne de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

*

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 17 décembre 2024 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 27 janvier 2025.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1.Sur l’exercice du droit de retrait et la contestation de l’avertissement du 13 mai 2020 :

Pour la clarté des débats, il y a lieu de présenter succinctement la machine BOBST 203 et son fonctionnement :

-La société DS Smith Packaging Bretagne, est équipée de différentes machines-outils permettant :

>De fabriquer le carton ondulé à partir de papier éventuellement préalablement imprimé pour répondre aux besoins des clients ;

>De procéder à la découpe du carton, selon l’usage qui en sera fait.

L’usine est ainsi alimentée par des bobines de papier d’environ 2 tonnes et livre à ses clients presque exclusivement des palettes de cartons à plat découpés et marqués pour qu’ils puissent être pliés. Les chutes de carton résultant de l’opération de découpage du carton ondulé sont récupérées dans un broyeur et recyclées en papier.

– La Société DS SMITH PACKAGING BRETAGNE exploite ainsi plusieurs machines de marque BOBST, conçues et assemblées en Suisse, et en particulier les BOBST 203, machines particulièrement imposantes permettant la découpe en grandes séries de volumes importants de carton ondulé (3.500 découpes à l’heure en moyenne). Elles sont alimentées d’un côté par une pile de plaques de carton ondulé et produisent à l’autre extrémité une pile de carton découpé à l’aide de formes spécialement construites. Ces formes sont en fait des plaques de bois dans lesquelles sont fichées des lames d’acier selon des plans spécifiques.

– Pour permettre la récupération des déchets de découpe au fur et à mesure de la production, un tapis convoyeur commun est installé sous les deux machines BOBST 203 (qui se trouvent dans le même alignement), à l’aplomb de la station d’éjection des déchets, et ce depuis 25 ans ;

-Il est indispensable que le broyeur ne soit alimenté que par des déchets de cartons ou papiers, à l’exclusion de toute pièces métalliques, au risque d’être endommagé. Pour prévenir la présence de pièces métalliques (outillage tombé pendant des opérations de réglage ou de maintenance, lames de formes qui se serait détachées,’) sur le tapis convoyeur, la Société a équipé progressivement les différents tapis d’un système de détecteur type « PROXAGARD » positionné à la sortie de la machine la plus proche du broyeur. En cas de détection d’un corps « étranger », le PROXAGARD arrête le tapis, bloquant corrélativement la production des deux machines qui alimentent le tapis : la vitesse de production de chaque machine est telle que l’évacuation des déchets doit impérativement être effectuée en continu.

-Le dispositif PROXAGARD réagit à des couleurs inhabituelles pour le carton, de sorte que des opérations de découpage portant sur des feuilles de carton préalablement imprimées de certaines couleurs (et en particulier le carton noir) provoquent des déclenchements intempestifs du dispositif et des blocages réitérés et injustifiés de la production. Il en résulte que ce dispositif est désactivé lorsque les machines travaillent sur certains produits [notice Proxaguard, pièce n°15 salarié].

-au stade de l’éjection des déchets, deux plaques horizontales s’emboîtent l’une dans l’autre et permettent ainsi l’éjection des morceaux de cartons, évacués ensuite sur le tapis roulant convoyeur circulant sous la machine.

-Les « conducteurs BOBST » sont affectés de manière habituelle à une ou plusieurs machines BOBST et ont essentiellement pour missions :

>De programmer la machine pour la production ;

>De mettre en place la forme adaptée à la découpe programmée et effectuer les éventuels réglages qui s’imposent ;

>A veiller à l’approvisionnement et à la qualité du produit fini ;

>A pallier aux différents aléas de la production et du fonctionnement de la machine.

Les faits du 28 avril 2020 :

Il est acquis aux débats que :

>Le 28 avril 2020, M. [K] travaillait sur la machine Bobst 203-5, qui- découpait ce jour-là des plateaux en carton noir destinés à accueillir des paquets de chips de la marque BRETS ;

>les machines 203-5 et 203-6 qui fonctionnent en alignement étaient alimentées toutes les deux, le 28 avril 2020, par du carton noir et le système Proxagard était donc désactivé sur le tapis roulant circulant sous ces deux machines ;

>lors de la fabrication des plateaux de chips BRETS, M. [K] constatait, peu de temps après sa prise de poste que les plaques d’éjection de la machine étaient mal alignées ; il était donc nécessaire qu’il se glisse sous les plaques d’éjection de la machine (entre l’outillage et le tapis convoyeur) pour effectuer un réglage fin ;

> M. [K] arrêtait la machine Bobst 203-5 – arrêt qui n’induit pas l’arrêt du tapis roulant convoyeur d’évacuation des déchets qui passe également sous la machine Bobst 203-6 ; Il plaçait son cadenas personnel sur le tenon de la porte arrière, conformément aux consignes applicables depuis le 2 août 2018, afin de garantir l’absence de redémarrage de la machine pendant son intervention ; pour procéder au réglage des plaques d’éjection, il devait néanmoins faire quelques pas sur le tapis roulant pour aller saisir et installer un plateau en bois sur les rebords du tapis (plateau sur lequel il pourrait monter pour se stabiliser afin de procéder au réglage requis), étant précisé qu’une chute de sa part sur le tapis roulant alors en état de marche risquait de l’entraîner vers le broyeur ;

>entre 7h30 et 8h00, il décidait d’exercer son droit de retrait et prévenait le Chef de Faction, M. [M], le Responsable de Production, M. [J] et le Préventeur Sécurité, M. [G] ; M. [J] suggérait alors au salarié d’arrêter le tapis convoyeur de déchets le temps d’aller positionner la plaque, ce qui stopperait également la machine Bobst 203-6, alors toujours en fonctionnement ; M. [K] refusait cette solution d’une part pour que soit instituée « une procédure durable opposable à tous les salariés concernés » selon ses termes, d’autre part car, si l’arrêt du tapis roulant permettait l’arrêt des deux machines, il n’était pas assuré de ce que l’accès au tapis serait condamné le temps de l’intervention ; il demandait le concours du préventeur sécurité M. [G], lequel se présentait et remplissait le carnet des risques professionnels Hygiène Sécurité Environnement en y inscrivant deux risques de couleur noire (soit les plus graves) [pièce n°8 salarié] :

*l’un lié à l’accès au tapis lorsque la porte arrière de la machine était déverrouillée, correspondant à un risque noir,

*l’autre lié à la circulation sur le tapis en marche pour aller récupérer le plateau de bois nécessaire à l’intervention, également classé en couleur noire.

Pour infirmation du jugement déféré, la société DS Smith Packaging Bretagne soutient que :

– pour procéder à un réglage au niveau de la station d’éjection, M. [K] doit intervenir suivant un protocole bien précis et balisé :

>arrêter la machine,

>ouvrir le portillon d’accès au tapis convoyeur (en tout état de cause, l’ouverture du portillon emporte automatiquement arrêt de la machine),

>arrêter le tapis convoyeur avec le connecteur à clef et conserver la clef avec soi pour que personne ne puisse le redémarrer à son insu,

>tirer le plateau coulissant recouvrant le tapis, ce qui permet d’être debout au-dessus du tapis et à bonne hauteur pour effectuer l’opération / procéder au réglage.

-or c’est une série d’opérations qu’il effectue plusieurs fois par semaine depuis son embauche en 1996, sans jamais avoir estimé qu’elle présentait le moindre risque et qui n’a jamais occasionné le moindre accident ou presqu’accident jusque-là, que les tapis convoyeurs qui les desservent soient ou non équipés de dispositif PROXAGARD et évidemment avant que ce dispositif ait été installé.

-M. [K] disposait sur sa machine d’un interrupteur à clef permettant d’arrêter et consigner le tapis convoyeur, sans possibilité pour ses collègues de l’autre machine de remettre en marche le tapis, de sorte qu’il disposait évidemment des moyens matériels pour se mettre en sécurité. Il n’existait aucun inconvénient à arrêter ledit tapis pour le temps de procéder au réglage (entre 5 et 10 minutes par réglage fin, et en moyenne par jour) et il n’avait pas besoin de M. [J] pour le faire ; finalement, M. [J] arrêtera lui-même le tapis, permettant à Monsieur [K] de réaliser son réglage en toute sécurité vers 8 heures, l’opération étant terminée avant 8h15. Or, alors même qu’il avait pu effectuer cette opération en sécurité, qu’aucun danger ne subsistait, Monsieur [K] refusera de remettre en marche sa machine et fera valoir son droit de retrait.

-Ainsi, et en l’absence de tout danger auquel il aurait été exposé dans les phases suivantes de son intervention, Monsieur [K] a décidé, avec une réelle mauvaise foi, de mobiliser la procédure de « droit de retrait » au prétexte qu’aucune méthodologie précise ne serait formalisée pour le réglage qu’il venait d’effectuer, procédure de retrait qui, conformément à la Loi, nécessite une enquête immédiate avant toute reprise du travail. Ce droit de retrait va mobiliser immédiatement le préventeur et M. [O] et bloquer la production de la machine de 8h00 à 10 heures, mais aussi la production de l’autre BOBST desservie par le même tapis convoyeur.

-comme il le déclarera immédiatement après à un de ses collègues, le seul but de M. [K] était de bloquer la production. En effet, il dira à Monsieur [F] qu’il croisera sur le parking à la relève : « vous voulez de la sécurité, vous allez en avoir, trois heures d’arrêt ce matin ».

En droit,

La directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail prévoit en son article 8-4 : « Un travailleur qui, en cas de danger grave, immédiat et qui ne peut être évité, s’éloigne de son poste de travail et/ou zone dangereuse ne peut en subir aucun préjudice et doit être protégé contre toutes conséquences dommageables et injustifiées, conformément aux législations et/ou pratiques nationales».

Le considérant 13 indique que « l’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique».

La primauté de la protection de la santé des travailleurs sur des considérations économiques est ainsi affirmée.

Aux termes de l’article L. 4131-1 du code du travail, le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation. L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection.

Aux termes de l’article L. 4131-3 du même code, aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d’eux.

L’article L. 4132-1 précise que « le droit de retrait est exercé de telle manière qu’elle ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent».

Les dispositions relatives au droit de retrait sont donc en lien avec l’obligation de sécurité et de protection de la santé physique et mentale des travailleurs par l’employeur prévue à l’article L. 4121-1 du code du travail et révèlent une conception nouvelle de l’impératif de sécurité en permettant aux travailleurs de se protéger en se retirant d’une situation de travail alors que l’employeur n’aurait pas pris les mesures nécessaires.

C’est au salarié de justifier de l’existence d’un motif raisonnable de penser que la situation présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé.

La notion de danger grave et imminent s’apprécie du point de vue du salarié, au regard de ses connaissances et de son expérience. Dès lors, que le salarié a un motif légitime de croire à un danger possible, il peut exercer valablement son droit de retrait. Ce qui compte, c’est qu’au moment où le droit de retrait a été exercé, le salarié ait pu penser qu’il existait un tel danger. Le juge ne peut pas se dispenser de faire cette recherche (Cass. soc., 23 mars 2005, no 03-42.412).

Il ne s’agit pas alors directement pour le juge de se prononcer sur la réalité du danger contesté mais de contrôler si le salarié avait un motif légitime, raisonnable (c’est-à-dire une raison non extravagante, insensée, absurde ou excessive – laissant ainsi une part à l’erreur d’estimation), de croire qu’il était en danger ‘ étant relevé que, pour que le droit de retrait puisse avoir la fonction préventive qu’on lui prête, il faut qu’il protège indifféremment ceux qui étaient réellement en danger et ceux qui avaient des raisons suffisantes de se croire en danger et se sont mis à l’abri par précaution, ceux à l’égard desquels les règles de sécurité étaient réellement méconnues et ceux qui pouvaient croire, raisonnablement, qu’elles l’étaient.

L’employeur ne peut seulement contester la gravité ou l’imminence du danger ; il doit prouver l’erreur consciente, l’intention malicieuse et non l’inexactitude des craintes.

La sanction disciplinaire ou le licenciement, prononcés par l’employeur pour un motif lié à l’exercice légitime par le salarié du droit de retrait de son poste de travail dans une situation de danger sont nuls.

En l’absence de motif justifiant le retrait, le salarié peut faire l’objet d’une retenue sur salaire n’ayant pas le caractère d’une sanction pécuniaire prohibée mais représentant la contrepartie de l’inexécution temporaire du contrat de travail. Indépendamment de cette retenue sur salaire, l’intéressé peut se voir infliger une sanction disciplinaire, par exemple un avertissement

Pour soutenir que l’exercice par M. [K] de son droit de retrait était abusif, la société appelante s’appuie essentiellement sur :

>le témoignage de M. [J], responsable de production : Le 28 avril 2020, vers 7 h 00, M. [M], le contremaître « m’a dit que M. [K] avait un réglage de changement de commande (mise au point de la commande car les éjections étaient mal réglées). Il sollicitait la présence du contremaître et du préventeur sécurité à son poste de travail. Vers 7 h 30, constatant que le contremaître était débordé, je suis allé à son poste de travail. [X] [K] me dit qu’il ne veut pas aller sous les éjections pour effectuer le réglage étant donné que le système Proxaguard est coupé du fait que la Bobst 203-6 d’à côté produisait une commande imprimée en noir et qu’il ne pouvait pas accéder à la plateforme qui permet d’être à la bonne hauteur pour faire le réglage. Donc j’explique à [X] [K] qu’il doit arrêter le tapis de convoyeur déchets pour faire son réglage. Je demande au conducteur de la Bobst 203-6 d’interrompre sa production car je vais arrêter le tapis déchets. [X] [K] me dit qu’on ne peut pas arrêter la production pour faire ce réglage. Je lui réponds que c’est la règle : la sécurité prime et qu’en aucun cas on lui reprocherait d’arrêter le tapis. Une fois le tapis arrêté, je suis allé récupérer la trappe qui recouvre le canal du tapis déchet et [X] [K] est allé faire son réglage. L’opération de réglage s’est terminée vers 8 h 10 ; au même moment, le contremaître au poste et lui a tenu le même discours. La situation était réglée.

[X] [K] n’était pas satisfait de la réponse et a demandé à voir [U] [G], la préventeur sécurité. Les élus sont arrivés en même temps et c’est à ce moment que [X] [K] a demandé à être en droit de retrait. Ensuite, les élus, [X] [K], le préventeur, le directeur technique qui est arrivé à ce moment-là, sont allés rédiger le cerfa de droit de retrait. Et ça a duré plus d’une heure de discussion. »

>le témoignage de M. [F], coordinateur transformation : « [X] [K] m’a dit à la relève de faction en le croisant sur le parking, avoir fait arrêter l’usine pour un problème de consignation de tapis broyeur en ces termes : « Vous voulez de la sécurité, vous allez en avoir ! Trois heures d’arrêt ce matin ! »

>un document intitulé « Déroulement intervention de réglage dans le secteur éjection » avec la mention en bas de page « DS Smith ‘ Internal » [pièce n°16 employeur] comprenant 4 clichés photographiques avec les légendes en regard :

« 1) Couper le tapis et le consigner en retirant la clé ou en installant un cadenas de consignation ;

2) Se rendre côté opposé conduite et ouvrir le portillon. La machine et le tapis sont alors arrêtés ;

3) Marcher sur le tapis pour tirer le plateau coulissant ;

4) Réaliser le réglage de l’éjection à partir du rouleau. »

Mais, c’est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont retenu que la société appelante a elle-même reconnu, par l’entremise de son préventeur sécurité, M. [G], qu’il existait bien sur le poste d’éjection de déchets deux observations HSE (Hygiène-Sécurité-Environnement) risques noirs et que des mesures de sécurité devaient être mises en place, à savoir :

>Formalisation écrite d’une procédure d’arrêt du tapis d’éjection, et partant de la production des deux machines BOBST 203-5 et 203-6, en cas de nécessité de réglage des plaques d’éjection sous l’une des deux machines.

>Mise en place d’un cadenas fermé sur le portillon d’accès au tapis convoyeur, une fois ouvert, avec conservation de la clé par le salarié en train d’opérer le réglage sous la machine, le temps de son intervention, afin qu’il n’y ait pas de fermeture intempestive par un autre salarié du portillon d’accès au tapis convoyeur et que l’opérateur régleur se trouve coincé sur le tapis convoyeur remis en marche avec le risque de chute que cela présente, étant précisé que l’issue de ce tapis convoyeur est un broyeur destiné à former des balles de papier déchiqueté de plusieurs tonnes.

C’est ce qui résulte sans ambiguïté de :

>la pièce n°8 : « Observation HSE ‘ Risque noir identifié le 28 avril 2020 » « Lieu : Bobst 203-5 ; Description : Intervention sur le tapis déchets en marche pour tirer le plateau coulissant ; Risque : risque de chute et d’entraînement sur le tapis ; Action : 1) Arrêt de l’activité ; 2) Rappel de la consigne interdisant l’intervention machine en marche. Un dispositif permet d’arrêter le tapis le temps de tirer le plateau. 3) Pose d’un cadenas sur la porte d’accès nécessitant la présence du RF. Merci à toutes les équipes pour leurs contributions. »

>la pièce n°10 Consignes d’intervention sur le tapis déchets du 28 avril 2020 «Obligatoire pour toute intervention sur le tapis déchets à partir des Bobst 203-5 et 203-6 » :

-Informer le responsable de faction pour ouvrir la grille opposée conduite ;

-Informer le conducteur de l’autre Bobst 203 de l’arrêt du tapis ;

-Arrêter le tapis ;

-Conserver la clefs sur soi durant l’intervention ;

-Signaler immédiatement tout problème au responsable de faction »

La pièce n° 16 produite par l’employeur n’est ni datée ni signée et il n’est pas précisée si elle a été diffusée ou affichée ni si elle a été intégrée dans les consignes de sécurité figurant dans le cahier ad hoc.

Ainsi la société appelante ne conteste pas utilement :

*l’absence « Sur la liste des tâches à risque Bobst 203 qui ont été mises en application le 7 septembre 2015 et approuvé par M. [J], du mode opératoire pour l’intervention au niveau de l’éjection inférieure »,

*ni que « M. [I], directeur technique, après avoir demandé à consulter le registre « Danger grave et imminent » pour prendre connaissance de la nature du droit de retrait en présence de M. [O] et du préventeur sécurité, a demandé à rajouter « Risque de chute sur tapis déchets lors de l’intervention sous l’éjection tapis en marche » ;

*ni que lors des échanges devant la machine, M. [B], responsable de faction, et M. [I] ont aussi dit « qu’il n’était pas normal que le tapis tourne lors de l’intervention au niveau de l’injection inférieure » ;

ainsi que le relève M. [O], délégué syndical CGT dans son courrier du 22 mai 2020 au Directeur de la société DS Smith Packaging Bretagne, pièce n°12 salarié].

Enfin, la société ne contredit pas utilement M. [K] lorsque ce dernier souligne que :

-l’arrêt du tapis convoyeur de déchets n’était pas systématiquement opéré par les intervenants sur les machines BOBST 203-5 et 203-6, faute de procédure précise et formalisée en ce sens au sein de l’entreprise, compte tenu des conséquences de bourrage sur la machine BOBST contiguë à celle sur laquelle les opérations de réglage sont opérées.

-l’arrêt d’une machine BOBST 203 n’engendre pas automatiquement l’arrêt du tapis convoyeur qui passe dessous, ni même l’arrêt de la machine contiguë qui est sa jumelle.

C’est par ailleurs, et au surplus, de manière non pertinente que la société appelante soutient que le comportement de M. [K] a été à l’origine d’un arrêt des machines durant plus de 3 heures dès lors que cet arrêt ne lui a été que très partiellement imputable :

>la fiche de travail transformation complétée par M. [K] [pièces employeur n°18 et 19] fait bien état d’un arrêt de la machine entre 7H47 et 8h53 (code d’arrêt n°104), en raison des démarches réalisées par le salarié auprès des représentants du personnel et du préventeur sécurité ;

>puis d’un nouvel arrêt entre 8h53 et 10h10 (code d’arrêt n°104) en raison de la réunion organisée à la demande de la direction de la société DS Smith Packaging autour de la machine BOBST 203-5 ;

>dans le même temps, la machine BOBST 203-6 a continué de fonctionner, et n’a été stoppée qu’entre 8h37 et 9h40 en raison de la réunion organisée autour de ces deux machines à la demande des représentants de la direction de la société DS Smith Packaging Bretagne comme le confirment MM. [E] et [O] dans leurs attestations [pièces n°16 et 17 salarié] ;

M. [K] fait valoir sans être utilement contredit que ce sont en réalité les responsables (MM. [H], [I] et [J]) qui ont décidé de stopper à nouveau la production afin de mettre en place des mesures immédiates et ont installé une affiche de consignes de sécurité sur la machine Bobst 203-5 et dans le classeur des risques, ainsi qu’une fiche signalement d’un danger grave, en attendant la mise en place d’une plaque motorisée sous la machine.

Dès lors, c’est à tort, comme l’a jugé conseil de prud’hommes que la société appelante a reproché à M. [K], quinze jours plus tard, le 13 mai 2020, un usage abusif de son droit de retrait et lui a notifié un avertissement à ce titre.

Au résultat de ces éléments, l’avertissement est infondé et doit être annulé en application de l’article L4131-3 du code du travail.

En outre, il en est résulté un préjudice moral du fait de l’inscription de cette sanction injustifiée au dossier disciplinaire du salarié, qui sera réparé par la condamnation de la société DS Smith Packaging Bretagne à payer à M. [K] la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts par voie d’infirmation du jugement

2.Sur l’action du syndicat CGT OTOR :

Le syndicat CGT OTOR Bretagne est intervenu pour solliciter l’annulation de cette sanction totalement injustifiée, par lettre du 22 mai 2020.

La société appelante soutient que cette intervention est irrecevable faute pour le syndicat d’avoir respecté la procédure prévue dans ses statuts.

Le syndicat CGT Otor Bretagne réplique qu’il particulièrement investi quant à la politique sécuritaire menée au sein de l’entreprise et soutient les initiatives prises par les salariés de l’entreprise pour améliorer les conditions sécuritaires.

Le conseil de prud’hommes a omis de statuer sur cette demande, déjà présentée en première instance. Il convient de réparer cette omission.

Lorsque les statuts d’un syndicat prévoient les modalités d’exercice de son action en justice, la régularité de l’action est subordonnée au strict respect des dispositions statutaires.

En l’espèce, l’article 5 des statuts du syndicat CGT Otor Bretagne (adoptés le 2 février 2019 par l’Assemblée générale) prévoit que le syndicat a pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux tant collectifs qu’individuels immédiats et à venir des salariés de l’entreprise DS Smith Packaging Bretagne.

L’article 12 « Représentation en justice » prévoit que « Sur délibération de la Commission exécutive ou du bureau, le syndicat, par voie de son ou de ses mandataires, a le droit d’ester en justice. Il pourra se porter partie civile, porter plainte, agir en dommages et intérêts, (‘) »

Est produit aux débats le procès-verbal de délibération FILPAC CGT du 4 juillet 2020 [pièce n°14 salarié] qui indique que « pour les deux affaires en cours, les membres présents décident à l’unanimité que le secrétaire pourra ester en justice au nom du syndicat CGT OTOR BRETAGNE avec l’aide de l’avocate du syndicat » ;

Mais, comme le relève pertinemment l’employeur, le procès-verbal susvisé ne permet pas d’identifier « les deux affaires en cours au 4 juillet 2020 ». Faute de justifier d’une délibération du bureau sur une action en justice du syndicat au soutien de la contestation par M. [K] de l’avertissement qui lui avait été notifié le 13 mai 2020, l’action du syndicat ne peut qu’être déclarée irrecevable. Il y a lieu de réparer l’omission de statuer en ce sens.

3.Sur la demande de publication du jugement sur les panneaux syndicaux dans l’entreprise ainsi que dans la presse :

L’employeur demande l’infirmation du jugement ayant fait droit à la demande de publication du jugement sur les panneaux syndicaux et dans la presse.

Cependant, dans la mesure où :

*M. [K] a été sanctionné injustement, ce qui constitue une atteinte à sa respectabilité professionnelle,

*le litige n’est pas sans résonnance syndicale (indépendamment de l’irrecevabilité de l’action du syndicat),

Il apparaît justifié, à titre de mesure réparatrice complémentaire, c’est-à-dire sur le fondement de l’article 1240 du code civil, de porter le dispositif de cette décision à la connaissance de l’ensemble des salariés de l’entreprise par voie d’affichage, à côté du règlement intérieur, durant 15 jours passé un délai de 8 jours à compter la signification du présent arrêt. Le jugement est confirmé.

En revanche, la publication de l’arrêt dans la presse locale ou nationale n’apparaît pas nécessaire. Le jugement est infirmé.

Partie perdante, la société DS Smith Packaging est condamnée aux dépens d’appel. Elle est par conséquent déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il serait inéquitable de laisser à M. [K] la charge des frais irrépétibles qu’il a exposés. La société DS Smith Packaging Bretagne est condamnée à lui verser une indemnité de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

Répare l’omission de statuer et déclare irrecevable l’action du syndicat CGT Otor Bretagne ;

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Morlaix en ce qu’il a annulé l’avertissement notifié à M. [X] [K] le 13 mai 2020, condamné la société DS Smith Packaging à payer à M. [K] une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et a ordonné l’affichage du dispositif de la décision;

L’infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société DS Smith Packaging Bretagne à payer à M. [K] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’avertissement injustifié ;

Ordonne à la société DS Smith Packaging de procéder à l’affichage du dispositif du présent arrêt, à côté du règlement intérieur, durant 15 jours passé un délai de 8 jours à compter la signification du présent arrêt ;

Déboute M. [K] de sa demande de publication de la décision dans la presse ;

Condamne la société DS Smith Packaging Bretagne à payer à M. [K] un indemnité de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société DS Smith Packaging Bretagne aux dépens d’appel.

Le Greffier Le Président


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