Respect du contradictoire et instruction des accidents du travail : enjeux et implications.

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Respect du contradictoire et instruction des accidents du travail : enjeux et implications.

Règle de droit applicable

L’article R. 441-11 III du code de la sécurité sociale, dans sa version issue du décret 2009-939 du 29 juillet 2009, impose à la caisse primaire d’assurance maladie d’envoyer un questionnaire à l’employeur et à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, en cas de réserves motivées de l’employeur ou si la caisse l’estime nécessaire.

En vertu de l’alinéa 1 de l’article R. 441-14 du même code, lorsque la caisse juge nécessaire un examen ou une enquête complémentaire, elle doit en informer la victime ou ses ayants droit ainsi que l’employeur, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, avant l’expiration d’un délai fixé par l’article R. 441-10.

À l’expiration de ce nouveau délai, qui ne peut excéder deux mois pour les accidents du travail, le caractère professionnel de l’accident est reconnu en l’absence de décision de la caisse.

Application de la règle de droit

La combinaison de ces textes établit que si la prolongation du délai pour statuer sur le caractère professionnel d’un accident ne découle pas de la nécessité d’envoyer un questionnaire ou de réaliser une enquête, la caisse n’est pas tenue de procéder à ces démarches. Elle doit simplement informer les parties du report de sa décision et leur permettre de consulter le dossier une fois l’examen de la déclaration achevé.

Dans le cas présent, la caisse a informé la société de la nécessité d’un délai complémentaire d’instruction sans que cela ne soit lié à une mesure d’instruction au sens de l’article R. 441-11. La caisse a également consulté le médecin-conseil, ce qui a suffi pour conclure à l’imputabilité des lésions à l’accident.

Ainsi, la caisse a respecté le principe du contradictoire en informant l’employeur des différentes étapes de la procédure d’instruction, ce qui rend la décision de prise en charge opposable à la société.

Conséquences juridiques

La décision de la caisse de prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle est déclarée opposable à la société, et le jugement de première instance, qui avait déclaré cette décision inopposable, est infirmé. La société, ayant succombé dans son instance, est condamnée aux dépens.

L’Essentiel : L’article R. 441-11 III du code de la sécurité sociale impose à la caisse primaire d’assurance maladie d’envoyer un questionnaire à l’employeur et à la victime d’un accident du travail en cas de réserves motivées. Lorsque la caisse juge nécessaire un examen complémentaire, elle doit en informer les parties par lettre recommandée. À l’expiration d’un délai de deux mois, le caractère professionnel de l’accident est reconnu en l’absence de décision de la caisse.
Résumé de l’affaire : Le litige concerne un accident de travail survenu le 10 septembre 2018, impliquant un salarié de la société [3] (le vendeur). La victime, en qualité d’agent logistique, a été prise en charge par la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 6]-[Localité 5] (la caisse) par une décision datée du 22 novembre 2018, au titre de la législation sur les risques professionnels. Contestant cette décision, la société a saisi la commission de recours amiable de la caisse, puis le tribunal judiciaire de Nanterre.

Le 14 juin 2022, le tribunal a jugé que la société n’avait pas été associée à l’instruction de la prise en charge, déclarant ainsi cette décision inopposable à la société et condamnant la caisse aux dépens. En réponse, la caisse a interjeté appel, soutenant qu’elle avait respecté le principe du contradictoire et qu’elle n’était pas tenue de transmettre un questionnaire à la société, ayant simplement consulté un médecin-conseil sur l’imputabilité des lésions.

Lors de l’audience du 30 janvier 2025, la caisse a demandé à la cour d’infirmer le jugement précédent et de déclarer la décision de prise en charge opposable à la société. De son côté, la société a plaidé pour la confirmation du jugement initial, arguant que la caisse n’avait pas respecté le principe du contradictoire.

La cour, après délibération, a infirmé le jugement du tribunal de Nanterre, déclarant la décision de la caisse opposable à la société. Elle a également condamné la société aux dépens, considérant que la caisse avait informé l’employeur des étapes de l’instruction et n’avait pas méconnu le principe du contradictoire.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le cadre juridique applicable à la prise en charge des accidents du travail ?

La prise en charge des accidents du travail est régie par le code de la sécurité sociale, notamment par l’article R. 441-11 III, qui stipule que, en cas de réserves motivées de l’employeur ou si la caisse l’estime nécessaire, celle-ci doit envoyer un questionnaire à l’employeur et à la victime, ou procéder à une enquête.

Cet article précise que cette démarche doit être effectuée avant la décision de la caisse concernant le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie.

De plus, l’article R. 441-14 alinéa 1 impose à la caisse d’informer la victime ou ses ayants droit et l’employeur de la nécessité d’un examen ou d’une enquête complémentaire, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, avant l’expiration d’un délai déterminé.

Ainsi, la législation prévoit des étapes précises pour garantir le respect des droits des parties impliquées dans la procédure de reconnaissance d’un accident du travail.

Quel est le principe du contradictoire dans le cadre de la décision de prise en charge ?

Le principe du contradictoire est fondamental dans les procédures administratives et judiciaires, garantissant que toutes les parties aient la possibilité de présenter leurs observations avant qu’une décision ne soit prise.

Dans le cas présent, la caisse a informé l’employeur des différentes étapes de l’instruction de la déclaration d’accident, ce qui démontre qu’elle a respecté ce principe.

L’article R. 441-11 III du code de la sécurité sociale, en lien avec l’article R. 441-14, impose à la caisse d’informer les parties des décisions prises et des possibilités de consultation du dossier.

Ainsi, même si la caisse n’a pas envoyé de questionnaire, elle a respecté le principe du contradictoire en tenant l’employeur informé des étapes de la procédure.

Quel impact a la décision de la caisse sur l’opposabilité de la prise en charge à l’employeur ?

La décision de la caisse de prendre en charge l’accident au titre de la législation professionnelle est déclarée opposable à l’employeur, en vertu de l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale.

Cet article stipule que si la caisse ne respecte pas les délais d’instruction, le caractère professionnel de l’accident est reconnu.

Dans le cas présent, la caisse a informé l’employeur de la clôture de l’instruction et de la possibilité de consulter le dossier, ce qui a permis de respecter les exigences légales.

Ainsi, la décision de prise en charge est considérée comme opposable à l’employeur, car la caisse a suivi les procédures requises, même sans questionnaire.

Quel est le rôle de la consultation du médecin-conseil dans la procédure d’instruction ?

La consultation du médecin-conseil joue un rôle crucial dans l’évaluation de l’imputabilité des lésions à l’accident.

L’article R. 441-11 III du code de la sécurité sociale permet à la caisse de consulter un médecin-conseil pour déterminer si les lésions sont liées à l’accident.

Dans cette affaire, la caisse a consulté le médecin-conseil, qui a confirmé l’imputabilité des lésions au fait accidentel.

Cette consultation a été effectuée dans le cadre de l’instruction, mais n’a pas nécessité l’envoi d’un questionnaire, car la caisse n’a pas jugé nécessaire d’effectuer d’autres investigations.

Ainsi, la consultation du médecin-conseil a permis à la caisse de prendre une décision éclairée sur le caractère professionnel de l’accident.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 89E

Ch.protection sociale 4-7

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 30 JANVIER 2025

N° RG 22/02399 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VLAV

AFFAIRE :

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 6] [Localité 5]

C/

S.A.S. [3]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Juin 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de NANTERRE

N° RG : 19/01191

Copies exécutoires délivrées à :

Me Mylène BARRERE

Me Michaël RUIMY

Copies certifiées conformes délivrées à :

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 6] [Localité 5]

S.A.S. [3]

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT-SEPT MARS DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 6] [Localité 5]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 5]

représentée par Me Mylène BARRERE, avocate au barreau de PARIS, vestiaire : D2104

APPELANTE

S.A.S. [3], prise en la personne de son représentant légal,

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Michaël RUIMY de la SELARL R & K AVOCATS, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 1309, substitué par Me Christophe KOLE de la SEALR R&K AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMEE

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 janvier 2025, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Marie-Bénédicte JACQUET, conseillère, faisant fonction de présidente, chargée d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Bénédicte JACQUET, conseillère, faisant fonction de présidente,

Madame Charlotte MASQUART, conseillère,

Madame Julie MOUTY-TARDIEU, conseillère,

Greffière, lors des débats : Madame Stéphanie HEMERY,

Greffière, lors du prononcé : Madame Juliette DUPONT,

EXPOSÉ DU LITIGE

Salarié de la société [3] (la société) en qualité d’agent logistique, M. [E] [F] (la victime) a été victime d’un accident le 10 septembre 2018, que la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 6]-[Localité 5] (la caisse) a pris en charge au titre de la législation professionnelle, par décision du 22 novembre 2018.

Contestant l’opposabilité de la décision de prise en charge, la société a saisi la commission de recours amiable de la caisse puis le pôle social du tribunal de grande instance de Nanterre, devenu le tribunal judiciaire.

Par jugement du 14 juin 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre, considérant que la société n’avait pas été associée à l’instruction par voie de questionnaire, a :

– dit la décision de la caisse du 22 novembre 2018 de prise en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, de l’accident subi par la victime le 10 septembre 2018, inopposable à la société ;

– condamné la caisse aux entiers dépens.

La caisse a relevé appel de cette décision. Après renvois, l’affaire a été plaidée à l’audience du 30 janvier 2025.

Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l’audience, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et celui plus complet des prétentions, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la caisse demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et de déclarer la décision de prise en charge de l’accident, opposable à la société.

La caisse soutient avoir respecté le principe du contradictoire. Elle fait valoir, pour l’essentiel de son argumentation, qu’elle n’était pas tenue de transmettre un questionnaire aux intéressés, dès lors qu’elle n’a pas procédé à une mesure d’instruction, mais qu’elle a uniquement consulté le médecin-conseil sur l’imputabilité des lésions à l’accident du 10 septembre 2018. La caisse expose également avoir informé la société de la clôture de l’instruction et de la possibilité de consulter les pièces constitutives du dossier préalablement à sa prise de décision sur le caractère professionnel de l’accident.

Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l’audience, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et celui plus complet des prétentions, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la société sollicite la confirmation du jugement déféré.

Elle soutient, en substance, que la caisse n’a pas respecté le principe du contradictoire et qu’en conséquence, la décision de prise en charge de l’accident doit lui être déclarée inopposable, au motif que la caisse ayant initié une instruction, elle devait lui transmettre un questionnaire ou recueillir ses observations, avant de prendre sa décision sur le caractère professionnel de l’accident.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Selon l’article R. 441-11 III du code de la sécurité sociale, dans sa version issue du décret 2009-939 du 29 juillet 2009, applicable au litige, en cas de réserves motivées de la part de l’employeur ou si elle l’estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l’employeur et à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés.

Aux termes de l’alinéa 1 de l’article R. 441-14 du même code, dans la même version, lorsqu’il y a nécessité d’examen ou d’enquête complémentaire, la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l’employeur avant l’expiration du délai prévu au premier alinéa de l’article R.441-10 par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. A l’expiration d’un nouveau délai qui ne peut excéder deux mois en matière d’accidents du travail ou trois mois en matière de maladies professionnelles à compter de la date de cette notification et en l’absence de décision de la caisse, le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie est reconnu.

Il résulte de la combinaison de ces textes que, lorsque la décision de la caisse de prolonger le délai pour statuer sur le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie ne résulte pas de la nécessité de l’envoi d’un questionnaire ou de la réalisation d’une enquête, la caisse est seulement tenue d’informer les parties en temps utile du report de sa décision et de les informer, une fois l’examen de la déclaration achevé, de la faculté pour elles de consulter le dossier (2ème Civ., 25 novembre 2021, n° 20-14.152, P+B).

En l’espèce, par courrier du 25 octobre 2018, la caisse a informé la société de la nécessité d’un délai complémentaire d’instruction avant de statuer sur le caractère professionnel de l’accident survenu à la victime le 10 septembre 2018.

La déclaration d’accident du travail n’était assortie d’aucune réserve de l’employeur.

Il résulte du ‘détail de l’échange historisé’ produit par la caisse que cette dernière a demandé au service médical si les lésions décrites sur le certificat médical initial étaient imputables au fait accidentel du 10 septembre 2018, ce que le médecin-conseil a confirmé le 23 octobre 2018.

Hormis la consultation du médecin-conseil, la caisse n’a procédé à aucun acte d’investigation durant la période d’instruction complémentaire.

Dès lors que la prolongation du délai, décidée par la caisse, n’a pas eu pour objet de procéder à une mesure d’instruction au sens de l’article R. 441-11 précité du code de la sécurité sociale, la caisse n’était pas tenue d’envoyer un questionnaire ou de procéder à une enquête auprès des intéressés.

Par courrier du 2 novembre 2018, reçu le 7 novembre suivant, la caisse a informé la société de la clôture de l’instruction et de la possibilité de venir consulter les pièces constitutives du dossier préalablement à la prise de décision sur le caractère professionnel de l’accident, devant intervenir le 22 novembre 2018.

L’employeur a ainsi été informé des différentes étapes de la procédure d’instruction de la déclaration d’accident du travail du salarié, de sorte que la caisse n’a pas méconnu le principe du contradictoire.

En conséquence, la décision de prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle sera déclarée opposable à la société et le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.

La société, qui succombe à l’instance, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Déclare opposable à la société [3], la décision du 22 novembre 2018 de la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 6]-[Localité 5], de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l’accident survenu le 10 septembre 2018, à M. [E] [F] ;

Condamne la société [3] aux dépens éventuellement exposés tant devant le tribunal judiciaire de Nanterre qu’en cause d’appel ;

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Marie-Bénédicte JACQUET, conseillère, faisant fonction de présidente, et par Madame Juliette DUPONT, greffière, à laquelle la magistrate signataire a rendu la minute.

La greffière La conseillère


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