Transmission des rapports médicaux : obligations et conséquences sur l’évaluation de l’incapacité permanente.

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Transmission des rapports médicaux : obligations et conséquences sur l’évaluation de l’incapacité permanente.

Transmission des rapports médicaux

L’article R. 142-16-3 du code de la sécurité sociale impose à l’organisme de sécurité sociale de transmettre à l’expert désigné, ainsi qu’au médecin mandaté par l’employeur, l’intégralité des rapports médicaux nécessaires à l’évaluation de l’incapacité permanente partielle (IPP). Cette obligation de communication est essentielle pour garantir le respect du contradictoire et assurer une évaluation juste et complète de l’état de santé de la victime.

Il est précisé que la caisse doit transmettre ces documents dans un délai de vingt jours suivant la demande de l’employeur, ce qui souligne l’importance de la diligence dans la procédure d’expertise. En cas de non-respect de cette obligation, cela ne constitue pas nécessairement une violation du droit au contradictoire si les informations ont été communiquées à un autre médecin mandaté par l’employeur.

Fixation du taux d’incapacité permanente partielle

Selon l’article L. 434-2 alinéa 1 du code de la sécurité sociale, le taux d’incapacité permanente est déterminé en tenant compte de divers facteurs, notamment la nature de l’infirmité, l’état général de la victime, son âge, ainsi que ses capacités physiques et mentales. La fixation du taux doit se faire sur la base de l’état de santé de la victime au moment de la consolidation, sans prendre en compte des éléments postérieurs.

La jurisprudence établit que la détermination du taux d’IPP relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, qui peuvent recourir à des mesures d’instruction médicale pour éclairer leur décision. Cela implique que les juges doivent motiver leur décision en se fondant sur des éléments probants, tels que les rapports médicaux et les avis d’experts.

Évaluation des séquelles et barème indicatif

Le barème indicatif d’invalidité, en matière d’accidents du travail, fournit des critères pour évaluer le taux d’incapacité en fonction des séquelles. Dans le cas d’une atteinte neurologique, comme une lésion du nerf cubital, le barème prévoit un taux d’incapacité qui peut varier en fonction de la gravité des symptômes et de l’impact sur les capacités fonctionnelles de la victime.

Les experts doivent donc se référer à ce barème pour justifier leur évaluation, en tenant compte des douleurs neuropathiques, des limitations fonctionnelles et des autres éléments cliniques pertinents. La concordance des avis médicaux et des rapports d’expertise est cruciale pour établir un taux d’IPP qui soit conforme aux dispositions légales et réglementaires en vigueur.

L’Essentiel : L’article R. 142-16-3 du code de la sécurité sociale impose à l’organisme de sécurité sociale de transmettre à l’expert désigné, ainsi qu’au médecin mandaté par l’employeur, l’intégralité des rapports médicaux nécessaires à l’évaluation de l’incapacité permanente partielle (IPP). La caisse doit transmettre ces documents dans un délai de vingt jours suivant la demande de l’employeur. En cas de non-respect de cette obligation, cela ne constitue pas nécessairement une violation du droit au contradictoire si les informations ont été communiquées à un autre médecin.
Résumé de l’affaire : Le 26 mars 2025, la Cour a rendu un arrêt concernant un accident du travail survenu le 26 février 2019, impliquant un ouvrier intérimaire d’une société de transformation alimentaire. L’ouvrier, en tentant de récupérer un couteau tombé dans un bac à stérilisateur, s’est blessé à la main droite, entraînant une incapacité permanente partielle (IPP) de 15 % reconnue par la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados.

Suite à cet accident, la caisse a informé l’employeur de l’ouvrier de la fixation de ce taux d’IPP par courrier du 6 juillet 2022. L’employeur a contesté cette décision devant la commission médicale de recours amiable, qui a rejeté son recours. Par la suite, l’employeur a saisi le tribunal judiciaire de Reims, qui a ordonné une expertise judiciaire. Le rapport d’expertise, déposé en janvier 2024, a confirmé le taux d’IPP de 15 %.

Le tribunal a alors déclaré la décision de la caisse inopposable à l’employeur et a condamné la caisse à verser 600 euros à l’employeur au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La caisse a interjeté appel de ce jugement, demandant la confirmation du taux d’IPP et le déboutement de l’employeur de ses demandes.

Dans son arrêt, la Cour a infirmé le jugement du tribunal de première instance, confirmant le taux d’IPP de 15 % et déboutant l’employeur de ses demandes. La Cour a également condamné l’employeur aux dépens, tant en première instance qu’en appel, et a rejeté sa demande au titre de l’article 700. Cette décision souligne l’importance de la reconnaissance des droits des victimes d’accidents du travail et la rigueur des procédures d’évaluation des incapacités.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le cadre juridique concernant la communication du dossier médical par la caisse primaire d’assurance maladie ?

La communication du dossier médical est régie par l’article R. 142-16-3 du code de la sécurité sociale, qui stipule que :

« Le greffe demande par tous moyens, selon le cas à l’organisme de sécurité sociale, au président du conseil départemental ou à la maison départementale des personnes handicapées, de transmettre à l’expert ou au consultant désigné l’intégralité du rapport médical mentionné à l’article L. 142-6 et du rapport mentionné au premier alinéa de l’article L. 142-10 ou l’ensemble des éléments ou informations à caractère secret au sens du deuxième alinéa de l’article L. 142-10 ayant fondé sa décision. »

Il est précisé que, dans un délai de dix jours suivant la notification de la décision désignant l’expert, l’employeur peut demander à l’organisme de sécurité sociale de notifier au médecin qu’il mandate l’intégralité des rapports précités.

Si la caisse n’a pas respecté cette obligation en n’envoyant pas directement le rapport à l’expert, cela ne constitue pas nécessairement une violation des droits de l’employeur, car le médecin mandaté a reçu le rapport.

Quel est le principe de fixation du taux d’incapacité permanente partielle selon le code de la sécurité sociale ?

Le taux d’incapacité permanente partielle est déterminé selon l’article L. 434-2 alinéa 1 du code de la sécurité sociale, qui énonce :

« Le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité. »

Ce taux doit être fixé en fonction de l’état séquellaire au jour de la consolidation de l’état de la victime, sans prendre en compte des éléments postérieurs à cette date.

La fixation du taux relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, qui peuvent recourir à toute mesure d’instruction médicale utile, conformément à l’article R. 142-16 du code de la sécurité sociale.

Quel est l’impact de la décision de la caisse sur la contestation du taux d’incapacité par l’employeur ?

La décision de la caisse concernant le taux d’incapacité permanente partielle est opposable à l’employeur, sauf si celui-ci prouve que la décision est inopposable pour non-respect du contradictoire.

Dans le cas présent, la cour a infirmé le jugement du tribunal qui avait déclaré la décision de fixation du taux d’IPP inopposable à l’employeur, en considérant que la caisse avait respecté ses obligations de communication, même si elle n’avait pas envoyé le rapport directement à l’expert.

Ainsi, la société [7] a été déboutée de sa demande en inopposabilité de la décision de fixation du taux d’incapacité permanente partielle.

Quel est le régime des dépens et des frais selon l’article 700 du code de procédure civile ?

Le régime des dépens est régi par l’article 696 du code de procédure civile, qui stipule que la partie perdante est condamnée aux dépens. En l’espèce, la société [7] a été condamnée aux dépens de première instance et d’appel, ce qui a conduit à l’infirmation du jugement de première instance à ce sujet.

Concernant l’article 700 du code de procédure civile, il permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais non compris dans les dépens. Dans cette affaire, la société [7] a été déboutée de sa demande au titre de l’article 700, tant en première instance qu’en appel, ce qui signifie qu’elle ne recevra pas de compensation pour ses frais d’avocat ou autres dépenses liées à la procédure.

ARRÊT N° /2025

SS

DU 26 MARS 2025

N° RG 24/00861 – N° Portalis DBVR-V-B7I-FLJB

Pole social du TJ de REIMS

23/58

22 mars 2024

COUR D’APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE

SECTION 1

APPELANTE :

Organisme CPAM DU CALVADOS prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Madame [E] [I], régulièrement munie d’un pouvoir de représentation

INTIMÉES :

S.A.S. [7]

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Maître Marie-laure VIEL de la SCP MARIE-LAURE VIEL, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN substituée par Maître TAN, avocat au barreau de PARIS

ENTREPRISE [8] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 6]

[Localité 3]

Ni comparante ni représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats, sans opposition des parties

Président : Mme Corinne BOUC

Siégeant en conseiller rapporteur

Greffier : Madame Céline PAPEGAY (lors des débats)

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue en audience publique du 21 Janvier 2025 tenue par Mme BOUC, magistrat chargé d’instruire l’affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Corinne BOUC, présidente, Jérôme LIZET, président assesseur et Dominique BRUNEAU, conseiller, dans leur délibéré pour l’arrêt être rendu le 26 Mars 2025 ;

Le 26 Mars 2025, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :

Faits, procédure, prétentions et moyens

M. [H] [V], ouvrier intérimaire de la SAS [7] et mis à disposition de la société ENTREPRISE [8], a été victime le 26 février 2019 d’un accident.

Selon la déclaration d’accident de travail du 1er mars 2019, M. [V] souhaitant se laver les mains et stériliser un couteau, a fait tomber ce couteau dans le bac à stérilisateur. Voulant le récupérer par réflexe, il s’est coupé. Le certificat médical initial du 26 février 2019 fait état d’une ‘plaie face interne loge hypothénar main droite’

La caisse primaire d’assurance maladie du Calvados (la caisse) a pris en charge, au titre de la législation professionnelle, cet accident du travail.

Par courrier du 6 juillet 2022, la caisse a informé la société [7] de la fixation du taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de M. [H] [V] à 15 % pour des ‘Séquelles de plaie à la main droite chez un ouvrier en abattoir, droitier, avec lésion neurologique, consistant en des douleurs de type neuropathique et une limitation de la mobilité des deux derniers doigts de la main avec perte de force très importante de la main’ au 14 janvier 2022, lendemain de la date de consolidation de son état de santé.

Le 23 août 2022, la société a contesté ce taux devant la commission médicale de recours amiable de la caisse, qui en a accusé réception le 25 août 2022.

Le 23 février 2023, la société a contesté la décision implicite de rejet de cette commission devant le pôle social du tribunal judiciaire de Reims.

Par décision du 14 mars 2023, ladite commission a rejeté son recours.

Par jugement du 21 août 2023, le tribunal a déclaré le recours de la société [7] recevable et a ordonné une expertise judiciaire sur pièces.

L’expert a déposé son rapport le 10 janvier 2024.

Par jugement réputé contradictoire du 22 mars 2024, le tribunal judiciaire de Reims a :

– fait droit au recours formé par la SAS [7] le 23 février 2023,

– déclaré inopposable à la SAS [7] la décision en date du 6 juillet 2022 émise par la CPAM du Calvados et lui notifiant la fixation d’un taux d’incapacité permanente partielle de 15 % pour son salarié M. [H] [V] suite à son accident du travail du 1er mars 2019,

– condamné la CPAM du Calvados à payer à la SAS [7] la somme de 600 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la CPAM du Calvados aux dépens,

– dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire.

Ce jugement a été notifié à la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados par lettre recommandée dont l’accusé de réception a été signé le 2 avril 2024.

Par lettre recommandée envoyée le 25 avril 2024, la caisse a interjeté appel de ce jugement.

Suivant conclusions envoyées par mail le 14 janvier 2025, la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados demande à la cour de :

– infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

– confirmer le taux d’incapacité permanente partielle anatomique de 15 % reconnu par la caisse à la date du 14 janvier 2022,

– débouter la société [7] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions et notamment de sa demande tendant au paiement d’un article 700 du code de procédure civile,

– rejeter toute demande d’expertise médicale en l’absence d’éléments médicaux nouveaux,

– condamner l’employeur aux entiers dépens.

Suivant conclusions en réponse notifiées via le RPVA le 15 janvier 2025, la S.A.S. [7] demande à la cour de :

A titre principal :

– débouter la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados de l’ensemble de ses demandes,

– confirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Reims, le 22 mars 2024 en ce qu’il a :

o jugé la SAS [7] recevable en son recours,

o jugé inopposable à la SAS [7] la décision de notification du taux d’incapacité, permanente partielle attribué à M. [V] [H] en date du 6 juillet 2022,

o condamné la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados à verser à la SAS [7] la somme de 600 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

A titre infiniment subsidiaire :

– ramener de 15 % à 5 % le taux d’incapacité permanente partielle opposable à la SAS [7] dans ses rapports avec les organismes sociaux,

En toute hypothèse,

Statuant à nouveau :

– ordonner à la CPAM du Calvados de transmettre la décision à intervenir à la CARSAT compétente aux fins de modification des comptes employeur et taux de cotisations impactés.

– condamner la CPAM du Calvados à lui verser la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados en tous les dépens.

Bien que régulièrement citée par lettre recommandée dont l’accusé de réception a été signé le 12 août 2024, la société ENTREPRISE [8] n’a pas comparu, ni ne s’est fait représenter

Pour un exposé des moyens des parties, il sera renvoyé aux conclusions sus mentionnées, auxquelles les parties se sont rapportées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la communication par la caisse du dossier médical

L’article R. 142-16-3 du code de la sécurité sociale dispose :

‘Le greffe demande par tous moyens, selon le cas à l’organisme de sécurité sociale, au président du conseil départemental ou à la maison départementale des personnes handicapées, de transmettre à l’expert ou au consultant désigné l’intégralité du rapport médical mentionné à l’article L. 142-6 et du rapport mentionné au premier alinéa de l’article L. 142-10 ou l’ensemble des éléments ou informations à caractère secret au sens du deuxième alinéa de l’article L. 142-10 ayant fondé sa décision.

Dans le délai de dix jours à compter de la notification, à l’employeur de la victime de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, lorsque ce dernier est parti à l’instance, de la décision désignant l’expert, celui-ci peut demander, par tous moyens conférant date certaine, à l’organisme de sécurité sociale, de notifier au médecin, qu’il mandate à cet effet, l’intégralité des rapports précités. S’il n’a pas déjà notifié ces rapports au médecin ainsi mandaté, l’organisme de sécurité sociale procède à cette notification, dans le délai de vingt jours à compter de la réception de la demande de l’employeur. Dans le même délai, l’organisme de sécurité sociale informe la victime de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle de la notification de l’intégralité de ces rapports au médecin mandaté par l’employeur’.

Il en résulte que lorsque le tribunal ordonne une mesure d’instruction (consultation ou expertise), la caisse doit transmettre à l’expert et au médecin mandaté par l’employeur :

– l’intégralité du rapport médical reprenant les constats résultant de l’examen clinique de l’assuré ainsi que ceux résultant des examens consultés par le patricien-conseil de la caisse, (L. 142-6)

– l’intégralité du rapport médical ayant fondé la décision du patricien-conseil de la caisse (L. 142-10 alinéa 1) ou les éléments et les informations à caractère secret (L. 142-10 alinéa 2 – contentieux MDPH).

Le présent litige ne porte pas sur la communication du dossier médical lors de la phase administrative devant la commission médicale de recours amiable. Dès lors, la jurisprudence invoquée par la caisse est sans emport dans le cas d’espèce dont est saisie la cour.

En l’espèce, il résulte des pièces produites par la caisse que suite au jugement du 21 août 2023 ordonnant une mesure d’expertise, elle a communiqué l’intégralité du rapport médical sous pli fermé au docteur [Z], médecin-conseil mandaté par la société [7] et au greffe de la juridiction pour transmission à l’expert (pièce 6 de la caisse).

Si la caisse a commis une erreur en n’envoyant pas directement ce rapport médical à l’expert, comme cela était mentionné dans le dispositif du jugement et comme cela lui a été rappelé par le greffe dans le courrier de notification, il ne peut être dit qu’elle n’a pas respecté ses obligations.

On ne peut que s’interroger sur ce qui est advenu de ce pli fermé adressé au greffe qui logiquement aurait pu le transmettre à l’expert ou le retourner à la caisse en lui indiquant qu’il avait été mal adressé. Il ne se trouve pas dans le dossier de première instance communiqué à la cour.

S’il est certain que l’expert n’a pas pu finalement en prendre connaissance, malgré une relance auprès de la caisse de sa part selon ses dires, il ne s’agit pas toutefois d’un problème de respect du contradictoire à l’égard de l’employeur, étant rappelé que le médecin, qu’il avait mandaté, a reçu ce rapport, mais celui de la valeur et de la pertinence de l’avis rendu par l’expert.

Dès lors, la jurisprudence invoquée par la société [7] est, elle aussi, sans emport sur le présent litige.

Dans ces conditions, le jugement querellé sera infirmé en ce qu’il a déclaré la décision de fixation du taux d’IPP subi par M. [V] inopposable à la société [7] pour non-respect du contradictoire.

Sur le taux d’incapacité permanente partielle

Aux termes de l’article L. 434-2 alinéa 1 du code de la sécurité sociale : ‘le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité’.

Le taux d’incapacité permanente partielle doit être fixé en fonction de l’état séquellaire au jour de la consolidation de l’état de la victime sans que puisse être pris en considération des éléments postérieurs à ladite consolidation.

La fixation du taux d’incapacité permanente partielle relève de l’appréciation souveraine et motivée des juges du fond, en recourant éventuellement à toute mesure d’instruction médicale utile, conformément à l’article R. 142-16 du code de la sécurité sociale.

En l’espèce, le docteur [T], expert désigné par le tribunal, s’est fondé, pour confirmer le taux d’incapacité permanente partielle fixé par la caisse, sur les éléments suivants

– courriel de la caisse du 22 septembre 2023,

– la notification de la rente du 6 juillet 2022,

– le certificat médical initial du 26 février 2019 et la déclaration d’accident de travail du 1er mars 2019,

– la notification de la commission médicale de recours amiable du 22 septembre 2023,

– la note technique du médecin-conseil établi à l’intention du tribunal et les conclusions de la caisse,

– le courriel de Me Viel, avocat de l’employeur, du 25 septembre 2023,

– différents documents administratifs ou juridiques,

– rapport du docteur [Z], médecin mandaté par l’employeur, du 15 avril 2023.

Il indique dans son rapport d’expertise que l’examen du médecin conseil est rapporté dans la note technique établi pour le tribunal et qu’il a pas eu en sa possession le rapport original, à savoir le rapport d’évaluation des séquelles.

Il convient de relever que le docteur [Z] estime qu’il ne peut être conclu à l’existence d’une algodystrophie en l’absence d’examen radiologique ou de scintigraphie permettant de corroborer ce diagnostic.

Le docteur [Z], qui lui a eu communication du rapport d’évaluation des séquelles, n’évoque, à aucun moment, qu’il résulterait de ce rapport, des éléments médicaux qui n’auraient pas été portés à la connaissance de l’expert du fait de sa non-transmission à ce dernier, et qui n’auraient pas été repris dans la note technique établie par le médecin-conseil de la caisse.

La discussion médicale ne porte que sur le diagnostic posé et la nécessité de recourir à certains examens pour l’établir.

Aux termes de la note technique du docteur [M], médecin-conseil de la caisse, il résulte :

‘I/ HISTORIQUE

Il [ M. [V]] s’agit d’un homme de 33 ans à la consolidation, ouvrier en abattoir en intérim, droitier, victime d’un accident de travail le 26 02 19: plaie par couteau de la main droite au bord ulnaire en regard de l’articulation métacarpo phalangienne de l’auriculaire, suturée aux urgences sans exploration de la plaie. Apparition secondairement de douleurs neuropathiques avec griffe ulnaire sur probable lésion des nerfs inter métacarpiens des 2è et 3è rayons. Le médecin rééducateur du CRF concluait à un tableau de type SDRC 1.

L’examen retrouve des douleurs dela main irradiant dans l’épaule, nécessitant la prise de

TRAMADOL, une perte de force, une anxiété importante, une discrète hypotrophie de l’éminence hypothénar / gauche, sur main dominante, un périmètre gantier diminué d’un cm / gauche, une hypoesthésie dans le territoire cubital, une mobilité active et passive des trois premiers doigts complète, une mobilisation passive des deux derniers doigts complète mais douloureuse, une mobilité active diminuée en flexion des deux derniers doigts, une fermeture du poing incomplète, avec distance pulpe paume respectivement de 2 et 3 cm pour les deux derniers doigts, une pince pouce auriculaire impossible, une perte très importante de la force de serrage de la main.

Le médecin conseil propose un taux de 15% pour ‘douleurs de type neuropathique et limitation de la mobilité des deux derniers doigts de la main avec perte importante de la force’.

II/ DISCUSSION

Le DR [Z], médecin mandaté par l’employeur, propose de ramener le taux à 5% parce que le diagnostic d’algodystrophie n’est pas documenté, que le diagnostic n’est pas évoqué lors de la consultation du chirurgien du 13 08 19, qu’aucune séquelle cutanée trophique n’est relevée, que toutes les mobilités articulaires passives sont conservées.

On peut lui répondre que :

– le diagnostic d’algodystrophie est avant tout clinique et qu’il n’est pas obligatoire d’effectuer une imagerie pour le confirmer.

– que le médecin du centre de rééducation a évoqué le diagnostic d’algodystrophie.

– qu’il n’existe pas de trouble trophique mais une amyotrophie importante de la main, signant une sous- utilisation de celle-ci.

– qu’il existe une hypoesthésie dans le territoire cubital de la main.

– qu’il existe une limitation de la mobilité active des deux derniers doigts, correspondant au même secteur neurologique.

*selon barème indicatif d’invalidité en accident du travail, chapitre 4.2.6, portant sur

l’algodystrophie du membre supérieur :

-forme mineure sans trouble trophique important, sans trouble neurologique et sans impotence… 10 à 20%

Dans le cas présent, il y a eu plaie de la main dominante avec lésion neurologique passée inaperçue et réaction algodystrophique. Il persiste des douleurs de type neuropathique nécessitant la prise de TRAMADOL, une amyotrophie nette de la main dominante, une limitation de la flexion active des deux derniers doigts et une hypoesthésie dans le territoire cubital, ce qui signe bien une atteinte neurologique. Le taux de 5% proposé par le DR [Z] ne tient aucun compte des douleurs neuropathiques, de l’amyotrophie de la main, de la limitation active des deux derniers doigts ni de l’hypoesthésie dans le territoire cubital.

Par assimilation à l’algodystrophie, très proche en ce qui concerne les douleurs, le taux de 15% est parfaitement conforme au barème.

Ill/ CONCLUSION

Compte tenu des éléments ci-dessus, il est demandé au Tribunal de maintenir le taux d’incapacité de 15% proposé par le médecin conseil’.

L’expert, le docteur [T], écrit :

‘Je n’ai pas eu connaissance du rapport d’évaluation du taux d’incapacité permanente mais les éléments détaillés fournis par la note technique du médecin conseil et les remarques du Dr [Z] permettent d’appréhender au mieux les difficultés de ce dossier.

L’accident est une coupure du bord interne de la main droite chez un manuel, droitier, sans antécédent retrouve.

Des douleurs neuropathiques et un syndrome du nerf cubital sont survenus au bout de quelques temps. Aucun élément du dossier ne permet de retenir une algodystrophie : celle-ci s’accompagne de manifestations inflammatoires régionales. La scintigraphie permet de l’authentifier mais n’a pas été faite ici. De plus l’évolution d’une algodystrophie se fait sur plusieurs années et n’aurait pas permis une consolidation en moins de 3 ans.

On est plus en présence d’une plaie qui s’est accompagné d’une atteinte des branches distales du nerf cubital (ou ulnaire). La description clinique en est typique avec une rétraction en griffe des 2 derniers doigts associée à des troubles sensitifs dans le même territoire. Le maintien de la mobilité passive est normal puisque le déficit est purement neurologique et non articulaire. L’amyotrophie n’a pas été détaillée par le médecin conseil mais se situe logiquement au bord interne de la main. Et elle est notée dans le périmètre gantier réduit de 1 cm.

Les douleurs neuropathiques sont alors habituelles.

La force des 2 derniers doigts est nettement diminuée, retentissant sur l’ensemble de l’efficacité de la main dominante.

On peut regretter qu’un électromyogramme n’ait pas été réalisé dans cet AT car il aurait permis de confirmer le diagnostic, toujours important lors d’un dossier à retombées administratives, mais l’analyse clinique est aussi parlante lorsqu’elle est typique ce qui est le cas ici.

On a donc des lésions concordantes entre une plaie du bord interne de la main dominante, et un déficit neurologique sensitif et moteur net des 2 derniers doigts dans le territoire du nerf cubital.

Le barème prévoit lors d’une paralysie (complète) du nerf cubital au poignet côté dominant un taux de 35 %. Dans le dossier qui nous occupe la paralysie n’est pas complète et le taux de 15 % paraît tout à fait justifié.

Au total on est devant une plaie du bord interne de la main qui s’est compliquée d’une atteinte neurologique concernant des fibres distales du nerf cubital, laissant un déficit moteur et sensitif dans son territoire associé à des douleurs traitées par un antalgique de niveau 2. Compte tenu du barème indicatif, le taux de 15 % paraît adapté. Le dossier ne permet pas de se positionner pour une incidence professionnelle éventuelle’.

Si le docteur [T] reconnaît qu’un examen permettant d’asseoir le diagnostic eut été préférable, il rajoute que ‘l’analyse clinique est aussi parlante lorsqu’elle est typique ce qui est le cas ici’.

Dans ces conditions, au vu des avis concordants du médecin-conseil de la caisse et de l’expert en réponse aux remarques du docteur [Z] et sur l’évaluation du taux d’incapacité permanente partielle, le taux de 15 % sera validé.

Dès lors, la société [7] sera déboutée de sa demande en inopposabilité de la décision de fixation du taux d’incapacité permanente partielle du 6 juillet 2022 et de toutes ses autres demandes subséquentes.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Partie perdante, la société [7] sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel. Le jugement de première instance sera infirmé de ce chef.

Dès lors, la société [7] sera déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu’à hauteur d’appel. Le jugement de première instance sera infirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt réputé contradictoire, mis à disposition au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Infirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 22 mars 2024 par le tribunal judiciaire de Reims,

Statuant à nouveau,

Déboute la SAS [7] de sa demande en inopposabilité de la décision de fixation du taux d’incapacité permanente partielle prise par la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados le 6 juillet 2022,

Confirme la fixation par la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados du taux d’incapacité permanente partielle anatomique de M. [H] [V] à 15 %,

Déboute la SAS [7] de ses autres demandes,

Condamne la SAS [7] aux dépens de première instance,

Y ajoutant,

Condamne la SAS [7] aux dépens d’appel,

Déboute la SAS [7] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Madame Corinne BOUC, Présidente de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE DE CHAMBRE

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