Sur la convention de forfaitL’article L. 3121-60 du Code du travail impose à l’employeur de s’assurer que la charge de travail des salariés soumis à une convention de forfait en jours est raisonnable et bien répartie dans le temps. En l’espèce, l’accord d’entreprise ne prévoyait pas de modalités précises pour le suivi de la charge de travail, ce qui constitue une violation de l’article L. 3121-64 II du même code. Ce dernier stipule que l’employeur doit évaluer régulièrement la charge de travail des salariés et assurer une communication périodique sur ce sujet. L’absence de telles dispositions rend la convention de forfait nulle et inopposable. Sur le temps de travailSelon l’article L. 3171-4 du Code du travail, en cas de litige sur le nombre d’heures de travail, l’employeur doit fournir des éléments justifiant les horaires réellement effectués par le salarié. En l’espèce, la salariée a présenté des tableaux détaillant ses horaires, tandis que l’employeur n’a fourni aucun élément probant. L’absence de justification de la part de l’employeur, combinée à la nullité de la convention de forfait, conduit à l’acceptation de la demande de la salariée concernant le paiement des heures supplémentaires. Sur le licenciementLe licenciement doit reposer sur une cause réelle et sérieuse, conformément à l’article L. 1232-1 du Code du travail. En l’espèce, l’employeur n’a pas démontré les manquements reprochés à la salariée, ce qui a conduit le conseil de prud’hommes à conclure que le licenciement était injustifié. La lettre de licenciement mentionne une faute grave, mais l’employeur n’a pas apporté de preuves suffisantes pour justifier cette allégation. Sur les conséquences du licenciementL’article L. 1235-3 du Code du travail prévoit que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être comprise entre 3 et 11,5 mois de salaire, en tenant compte de l’ancienneté du salarié. Dans ce cas, l’indemnité de 25 000 euros allouée à la salariée respecte les limites fixées par la loi, et le conseil de prud’hommes a correctement évalué cette indemnité. Sur les dépens et les autres frais de procédureL’article 696 du Code de procédure civile stipule que la partie perdante est condamnée aux dépens. De plus, l’article 700 1° de ce code permet au juge de condamner la partie perdante à payer une somme pour les frais non compris dans les dépens. Le jugement a donc été conforme à ces dispositions en condamnant l’employeur à payer une indemnité pour les frais de procédure. |
L’Essentiel : L’article L. 3121-60 du Code du travail impose à l’employeur de s’assurer que la charge de travail des salariés soumis à une convention de forfait en jours est raisonnable. L’accord d’entreprise ne prévoyait pas de modalités précises pour le suivi de la charge de travail, ce qui constitue une violation de l’article L. 3121-64 II. L’absence de telles dispositions rend la convention de forfait nulle et inopposable. En cas de litige sur le nombre d’heures de travail, l’employeur doit fournir des éléments justifiant les horaires réellement effectués.
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Résumé de l’affaire : La société Advenis gestion privée a licencié une salariée, occupant le poste de conseillère en gestion privée, pour faute le 6 avril 2020, invoquant une insubordination suite à un courriel. La salariée a contesté ce licenciement, demandant la nullité de la convention de forfait en jours et le paiement d’heures supplémentaires. Le conseil de prud’hommes de Mulhouse a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant l’employeur à verser 25 000 euros de dommages et intérêts, ainsi que des sommes pour heures supplémentaires et à rectifier l’attestation destinée à Pôle emploi.
Le conseil a estimé que l’employeur n’avait pas contrôlé la charge de travail de la salariée conformément à l’accord d’entreprise, et que les éléments fournis par l’employeur ne justifiaient pas les reproches formulés. En appel, la société Advenis gestion privée a contesté le jugement, demandant l’infirmation de la décision et le remboursement de jours de repos. Dans ses conclusions, la société a soutenu que le licenciement était justifié par le comportement de la salariée, qui n’aurait pas respecté les procédures internes. En revanche, la salariée a affirmé que l’accord collectif ne garantissait pas un suivi adéquat de sa charge de travail et que l’employeur n’avait pas produit de preuves suffisantes pour justifier le licenciement. La cour d’appel a confirmé le jugement de première instance, sauf en ce qui concerne certaines sommes allouées pour les heures supplémentaires. Elle a condamné la société Advenis gestion privée à verser des montants précis pour les années 2017 à 2020, ainsi qu’une indemnité pour frais de procédure. La cour a également souligné que le licenciement ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse, validant ainsi la décision du conseil de prud’hommes. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le cadre juridique de la convention de forfait en jours ?La convention de forfait en jours est régie par l’article L. 3121-60 du code du travail, qui stipule que l’employeur doit s’assurer régulièrement que la charge de travail des salariés soumis à une telle convention est raisonnable et permet une bonne répartition de leur travail dans le temps. En l’espèce, la société Advenis gestion privée a conclu des avenants au contrat de travail de la salariée, prévoyant un forfait de 218 jours de travail par an. Cependant, l’accord d’entreprise ne précisait pas les modalités de contrôle de la charge de travail, se contentant d’évoquer une auto-déclaration et un entretien annuel. Ces dispositions ne respectent pas l’article L. 3121-64 II du code du travail, qui exige une évaluation régulière de la charge de travail par l’employeur. En conséquence, la convention de forfait en jours a été déclarée nulle. Quel est le rôle de l’employeur en matière de contrôle des heures de travail ?L’article L. 3171-4 du code du travail impose à l’employeur, en cas de litige sur le nombre d’heures de travail, de fournir des éléments justifiant les horaires effectivement réalisés par le salarié. Le juge se base sur ces éléments pour former sa conviction. Dans cette affaire, la salariée a produit des tableaux détaillant ses horaires de travail, tandis que la société Advenis gestion privée n’a fourni aucun élément pour justifier les horaires de la salariée. L’absence de preuve de la part de l’employeur a conduit à faire droit à la demande de la salariée concernant le paiement des heures supplémentaires. Quel est le fondement juridique du licenciement et ses conséquences ?Le licenciement doit reposer sur une cause réelle et sérieuse, conformément à l’article L. 1235-3 du code du travail. En l’espèce, la société Advenis gestion privée a licencié la salariée pour des motifs d’insubordination et de mauvaise utilisation d’un outil de gestion. Cependant, le conseil de prud’hommes a constaté que l’employeur n’avait pas produit de preuves tangibles des manquements reprochés. La réaction de la salariée à un courriel de son supérieur, bien que maladroite, ne révélait pas d’intention d’insubordination. Par conséquent, le licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse, et la salariée a été indemnisée. Quels sont les articles applicables concernant les dépens et les frais de procédure ?Les dépens sont régis par l’article 696 du code de procédure civile, qui stipule que la partie perdante est condamnée aux dépens. En l’espèce, la société Advenis gestion privée a été condamnée aux dépens d’appel. De plus, l’article 700 du même code permet au juge de condamner la partie perdante à payer une somme à l’autre partie pour les frais non compris dans les dépens. Le premier juge a appliqué ces dispositions de manière équitable, en condamnant la société à verser une indemnité de 3 000 euros à la salariée pour les frais exposés en cause d’appel. |
Copie exécutoire
aux avocats
Copie à Pôle emploi
Grand Est
le
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
ARRET DU 25 MARS 2025
Numéro d’inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/03592
N° Portalis DBVW-V-B7G-H5S5
Décision déférée à la Cour : 05 Septembre 2022 par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE
APPELANTE :
S.A.S.U. ADVENIS GESTION PRIVEE
prise en la personne de son représentant légal
N° SIRET : 431 97 4 9 63
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Camille-Antoine DONZEL, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
Madame [T] [R]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Aurélie BETTINGER, avocat au barreau de MULHOUSE
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 14 Janvier 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. ROBIN, Président de Chambre (chargé du rapport)
M. PALLIERES, Conseiller
M. LE QUINQUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme BESSEY
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées,
– signé par M. ROBIN, Président de Chambre et Mme BESSEY,Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La société Fortis a embauché Mme [T] [R] en qualité de conseiller à compter du 6 novembre 2006 ; le contrat de travail a été transféré à la société Advenis gestion privée le 1er janvier 2014 ; Mme [T] [R] a accédé à l’emploi de conseiller en gestion privée puis à celui de conseiller gestion privée senior.
Par lettre du 6 avril 2020, la société Advenis gestion privée a licencié Mme [T] [R] pour faute, en raison d’une insubordination manifestée par un courriel du 9 mars 2020.
Mme [T] [R] a contesté ce licenciement ; elle a également demandé que la convention de forfait en jours convenue avec la société Advenis gestion privée lui soit déclarée inopposable et a sollicité le paiement d’heures supplémentaires.
Par jugement du 5 septembre 2022, le conseil de prud’hommes de Mulhouse a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la société Advenis gestion privée à payer à Mme [T] [R] la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre le remboursement à Pôle emploi de la somme de 5 000 euros ; il a également dit que la convention de forfait était nulle et inopposable à la salariée et a condamné l’employeur à payer les sommes de 7 577 euros et de 757,71 euros au titre des heures supplémentaires de l’année 2017, celles de 8 337 euros et de 833,76 euros au titre des heures supplémentaires de l’année 2018, celles de 7 576 euros et de 757,60 euros au titre des heures supplémentaires de l’année 2019, ainsi que celles de 2 277 euros et de 227,70 euros au titre des heures supplémentaires de l’année 2020 ; il a ordonné la rectification de l’attestation destinée à Pôle emploi, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et a débouté la société Advenis gestion privée de sa demande en remboursement des jours de repos ; enfin, il a condamné la société Advenis gestion privée au paiement d’une indemnité de 1 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour l’essentiel, le conseil de prud’hommes a considéré que, faute d’avoir contrôlé de manière effective la charge de travail de la salariée, l’employeur ne s’était pas conformé à l’accord d’entreprise du 16 juillet 2014 ; il a estimé que la salariée fournissait des décomptes précis de son temps de travail, mais que l’employeur ne produisait aucun élément concernant les horaires effectivement réalisés, et il a relevé que l’employeur ne chiffrait pas sa demande au titre du remboursement des jours de repos. En ce qui concerne le licenciement, le conseil de prud’hommes a considéré que, si le courriel invoqué au soutien du licenciement avait bien été écrit par la salariée et était maladroit, la société Advenis gestion privée ne démontrait pas l’existence des manquements reprochés à Mme [T] [R].
Le 22 septembre 2022, la société Advenis gestion privée a interjeté appel de ce jugement. La clôture de l’instruction a été ordonnée le 12 novembre 2024, et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoirie du 14 janvier 2025, à l’issue de laquelle elle a été mise en délibéré jusqu’à ce jour.
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Par conclusions déposées le 10 juillet 2023, la société Advenis gestion privée demande à la cour d’infirmer le jugement ci-dessus, de débouter Mme [T] [R] de ses demandes au titre du licenciement ou, subsidiairement, de limiter à la somme de 7 570,80 euros le montant des dommages et intérêts, de débouter Mme [T] [R] de ses demandes au titre du temps de travail ou, subsidiairement, de limiter les sommes allouées au titre des heures supplémentaires et de condamner la salariée au remboursement de la somme de 1 765,11 euros au titre des jours de repos dont elle a bénéficié, et de condamner Mme [T] [R] au paiement d’une indemnité de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Advenis gestion privée soutient que le licenciement était justifié par un comportement inacceptable de Mme [T] [R], qui n’a pas correctement renseigné l’outil de gestion en ce qui concerne des actes accomplis par ses soins et qui a répondu de manière irrespectueuse et agressive aux remarques de son supérieur hiérarchique ; elle ajoute que la salariée avait déjà été sanctionnée par une mise à pied de cinq jours en raison d’un manquement aux règles déontologiques à l’égard de clients et qu’elle ne respectait pas les règles d’utilisation des outils internes. Au soutien de son argumentation subsidiaire, la société Advenis gestion privée conteste le préjudice invoqué par Mme [T] [R].
En ce qui concerne la convention de forfait en jours, la société Advenis gestion privée soutient que celle-ci était licite et qu’elle-même a contrôlé la charge de travail de la salariée en mettant en place un système d’autocontrôle et en organisant des entretiens annuels entre Mme [T] [R] et son supérieur hiérarchique ; la circonstance que la salariée n’a pas utilisé l’outil à sa disposition ne pourrait être reprochée à l’employeur. Subsidiairement, la société Advenis gestion privée conteste le temps de travail mis en compte par Mme [T] [R] en soutenant que la convention de forfait en jours dispensait l’employeur de décompter le temps de travail et que la salariée ne rapporte pas la preuve des heures supplémentaires qu’elle met en compte ; elle ajoute que les heures supplémentaires peuvent être rémunérées seulement si elles ont été accomplies à la demande ou avec l’accord de l’employeur et qu’il convient uniquement de prendre en compte le temps de travail effectif ; elle réclame le remboursement de la rémunération de jours de repos payée en exécution de la convention de forfait, en soutenant que si cette convention est nulle ou inopposable ce paiement devient indu.
Par conclusions déposées le 1er mars 2023, Mme [T] [R] demande à la cour d’infirmer le jugement déféré en ce qui concerne le montant des sommes allouées au titre des heures supplémentaires et de condamner la société Advenis gestion privée à lui payer les sommes de 8 419,40 euros et de 841,94 euros au titre de l’année 2017, celles de 9 264,78 euros et de 926,48 euros au titre de l’année 2018, celles de 8 418,10 euros et de 841,81 euros au titre de l’année 2019 et celles de 2 529,96 euros et de 253 euros au titre de l’année 2020 ; elle sollicite également une indemnité de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [T] [R] soutient que l’accord collectif d’entreprise ne prévoit pas de garanties suffisantes pour assurer le respect du droit du salarié à la santé et que le mécanisme de contrôle qu’il instaure n’a même pas été mis en ‘uvre par la société Advenis gestion privée ; la seule tenue d’un entretien individuel annuel ne serait pas suffisante. En ce qui concerne son temps de travail, elle se réfère aux décomptes établis par ses soins et relève que l’employeur ne produit aucun élément.
Mme [T] [R] fait valoir que la lettre de licenciement mentionne l’existence d’une faute grave et en déduit que la charge de la preuve de cette faute repose exclusivement sur l’employeur. Elle approuve le conseil de prud’hommes d’avoir considéré que la société Advenis gestion privée ne rapportait aucune preuve de manquements aux obligations du contrat de travail qui auraient justifié des reproches de la part du supérieur hiérarchique ni d’une mauvaise utilisation de l’outil de gestion commerciale ; elle conteste également le bien fondé de la sanction disciplinaire antérieure en indiquant qu’elle n’avait pas reconnu la réalité des faits reprochés.
Sur la convention de forfait
Par deux avenants au contrat de travail datés des 23 juillet 2014 et 27 avril 2017, la société Advenis gestion privée et Mme [T] [R] étaient convenues d’un forfait de 218 jours de travail par an, en application d’un accord d’entreprise du 16 juillet 2014.
Conformément à l’article L. 3121-60 du code du travail, l’employeur est tenu de s’assurer régulièrement que la charge de travail des salariés soumis à une convention de forfait en jours est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de leur travail.
En l’espèce, l’accord d’entreprise prévoyait seulement, dans un article 5 relatif aux « modalités de décompte des jours travaillés », que le contrôle des jours travaillés et des jours non travaillés serait effectué par auto-déclaration dans le cadre d’un dispositif mis en place par la direction et qu’un entretien individuel serait organisé entre les salariés et la direction afin de faire « une analyse sur l’organisation du travail dans le cadre du forfait jours ».
De telles dispositions, qui ne déterminent pas les modalités selon lesquelles l’employeur devait assurer l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail des salariés, mais renvoient à une décision de l’employeur, et qui ne déterminent pas davantage les modalités d’une communication périodique entre l’employeur et chaque salarié sur la charge de travail de celui-ci, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sa rémunération et l’organisation du travail dans l’entreprise, mais prévoient seulement un entretien annuel exclusivement destiné à l’analyse de l’organisation du travail dans le cadre du forfait en jours, ne sont pas conformes aux dispositions de l’article L. 3121-64 II du code du travail.
En outre, elles font reposer sur le seul salarié la comptabilisation de ses jours de travail et limitent l’objet de l’entretien annuel à l’analyse de l’organisation du travail dans le cadre du forfait en jours, elles ne prévoient aucune évaluation de la charge de travail effective du salarié par l’employeur et, faute de prévoir un suivi effectif et régulier par celui-ci, ne permettent pas d’adapter en temps utile cette charge de travail ; ainsi, elles ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps du travail des salariés, ni à assurer la protection de leur santé.
En outre, la société Advenis gestion privée, sans même justifier de la mise en place d’un dispositif d’auto-déclaration et d’un contrôle de sa bonne utilisation, se contente d’invoquer les stipulations convenues avec Mme [T] [R] selon lesquelles il appartenait à celle-ci d’établir chaque mois un relevé mensuel des jours travaillés. Elle se prévaut d’entretiens annuels entre Mme [T] [R] et son supérieur hiérarchique, mais les compte-rendus qu’elle produit ne démontrent pas l’existence d’un entretien conforme aux prévisions de l’article L. 3121-64 II 2°, ces entretiens annuels n’ayant notamment jamais porté sur la charge de travail de la salariée et son caractère raisonnable, ceux réalisés en 2019 et 2020 se limitant à demander à la salariée si elle est satisfaite des conditions de travail, de l’aménagement du temps de travail, de l’organisation du travail et si elle trouve que sa vie professionnelle et sa vie de famille sont bien articulées.
De plus, la société Advenis gestion privée ne démontre pas qu’elle s’est assurée que la charge de travail était compatible avec le respect des repos quotidiens et hebdomadaires, alors même que, lors de l’entretien du 7 février 2019, Mme [T] [R] avait signalé qu’il « faudrait [qu’elle] se détache du travail les week end et [qu’elle] consacre du temps à [sa] santé et [ses] activités ».
La société Advenis gestion privée ne peut donc se prévaloir ni d’un accord collectif régulier ni du régime dérogatoire prévu par l’article L. 3121-65 du code du travail
Le conseil de prud’hommes a donc considéré à juste titre que la convention de forfait en jours était nulle.
Sur le temps de travail
Conformément à l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce Mme [T] [R] produit des tableaux détaillant ses horaires de travail depuis le 6 avril 2017 et jusqu’au 14 mars 2020 ainsi que des décomptes de son temps de travail récapitulant les heures supplémentaires dont elle sollicite le paiement.
La société Advenis gestion privée ne produit aucun élément permettant de justifier des horaires effectivement réalisés par Mme [T] [R]. Outre qu’elle ne peut se prévaloir d’une convention de forfait en jours déclarée nulle, elle ne produit aucune évaluation du travail nécessaire pour réaliser les tâches accomplies par Mme [T] [R] durant les trois années ayant précédé la rupture du contrat de travail. Elle soutient dès lors en vain que le temps de travail mis en compte par la salariée n’aurait pas été nécessaire pour répondre à la demande de l’employeur.
Dès lors, il convient de faire droit à la demande Mme [T] [R], qui apparaît suffisamment étayée et n’est pas utilement contredite par la société Advenis gestion privée.
En revanche, la société Advenis gestion privée est fondée à demander d’imputer sur la créance de la salariée la rémunération de jours de repos versée en exécution de la convention de forfait annulée et qui a, de ce fait, un caractère indu.
En conséquence la société Advenis gestion privée sera condamnée à payer à Mme [T] [R] les sommes suivantes :
1) [8 419,40 + 841,94 ‘ 415,32] 8 846,02 euros au titre du solde de rémunération pour l’année 2017, congés payés compris,
2) [9 264,78 + 926,48 ‘ 519,15] 9 672,11 euros au titre du solde de rémunération pour l’année 2018, congés payés compris,
3) [8 418,10 + 841,81 ‘ 622,98] 8 636,93 euros au titre du solde de rémunération pour l’année 2019, congés payés compris,
4) [2 529,96 + 253 ‘ 207,66] 2 575,30 euros au titre du solde de rémunération pour l’année 2020, congés payés compris.
Le conseil de prud’hommes a fixé à juste titre le point de départ des intérêts moratoires au 13 octobre 2020, date de sa saisine.
Sur le licenciement
Par lettre du 6 avril 2020, la société Advenis gestion privée a licencié Mme [T] [R] pour faute aux motifs qu’elle n’avait pas correctement rempli l’outil de gestion commerciale, qui sert aux contrôles internes de conformité, que ses dossiers d’arbitrage étaient incomplets et qu’ils présentaient des irrégularités de forme, et que la réponse de la salariée à un courriel de son supérieur hiérarchique rappelant la procédure à suivre, par son ton et par sa forme, dénotait un manque d’intérêt et révélait de l’indiscipline et de l’insubordination.
Ainsi que l’a relevé à juste titre le conseil de prud’hommes, la société Advenis gestion privée ne produit aucun élément démontrant que Mme [T] [R] aurait mal renseigné l’outil de gestion comerciale ou que ses dossiers d’arbitrage étaient incomplets et irréguliers ; elle ne précise même pas pour quelles opérations l’outil de gestion commerciale aurait été mal renseigné et la nature des erreurs constatées, ni quels dossiers d’arbitrage auraient été incomplets ou irréguliers et la nature des lacunes ou irrégularités.
Au contraire, la réaction de Mme [T] [R] lors de la réception du courriel de son supérieur hiérarchique démontre qu’elle estimait n’avoir commis ni erreur ni irrégularité et avoir satisfait aux exigences de l’employeur, en mettant son supérieur hiérarchique au défi de lui préciser un quelconque manquement qu’il aurait constaté.
Dès lors, les reproches tirés d’une mauvaise utilisation de l’outil de gestion commerciale et d’irrégularités et de lacunes dans les dossiers d’arbitrage ne reposent sur aucun fait réel.
La réponse de Mme [T] [R] à la mise en cause injustifiée de son travail, quoique rédigée sur un ton vif et direct, ne contient aucun propos outrancier ou injurieux et ne révèle aucune intention de se soustraire au lien de subordination à l’égard de l’employeur, mais au contraire la volonté de la salariée de défendre la qualité de son travail. La société Advenis gestion privée soutient dès lors à tort que cette réponse dénoterait un manque d’intérêt et qu’elle révélerait de l’indiscipline ou de l’insubordination.
Par ailleurs, si le conseil de prud’hommes a considéré que cette réponse était maladroite dans la forme, il convient cependant de relever qu’elle s’inscrivait dans le cadre d’un échange informel avec le supérieur hiérarchique et que le tutoiement réciproque comme le ton des propos facilitait une certaine familiarité.
Le conseil de prud’hommes a donc considéré à juste titre que le licenciement ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences du licenciement
Conformément à l’article L. 1235-3 du code du travail, et compte tenu de son ancienneté de 13 années révolues à la date du licenciement, Mme [T] [R] est fondée à réclamer le paiement par la société Advenis gestion privée d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant est compris entre 3 et 11,5 mois de salaire.
La somme de 25 000 euros allouée à Mme [T] [R] en première instance n’excède pas le maximum mentionné ci-dessus.
Par ailleurs, le conseil de prud’hommes a fait une juste évaluation de l’indemnité due en réparation des conséquences du licenciement.
En conséquence, le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les dépens et les autres frais de procédure
La société Advenis gestion privée, qui succombe, a été à juste titre condamnée aux dépens de première instance. Elle sera également condamnée aux dépens d’appel, conformément à l’article 696 du code de procédure civile.
Selon l’article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Le premier juge a fait une application équitable de ces dispositions ; les circonstances de l’espèce justifient de condamner la société Advenis gestion privée à payer à Mme [T] [R] une indemnité de 3 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d’appel ; elle sera elle-même déboutée de sa demande à ce titre.
La cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement déféré en ses dispositions frappées d’appel, sauf en ce qu’il a condamné la société Advenis gestion privée à payer à Mme [T] [R] différentes sommes au titre des heures supplémentaires accomplies de 2017 à 2020 et des congés payés afférents et en ce qu’il a débouté la société Advenis gestion privée de sa demande de remboursement des jours de repos des trois dernières années ;
INFIRME le jugement déféré de ces chefs ;
Et, statuant à nouveau,
CONDAMNE la société Advenis gestion privée à payer à Mme [T] [R] les sommes suivantes, à titre de solde de rémunération, congés payés compris et après déduction des jours de repos rémunérés :
1) 8 846,02 euros (huit mille huit cent quarante six euros et deux centimes) au titre de l’année 2017,
2) 9 672,11 euros (neuf mille six cent soixante douze euros et onze centimes) au titre de l’année 2018,
3) 8 636,93 euros (huit mille six cent trente six euros et quatre vingt treize centimes) au titre de l’année 2019,
4) 2 575,30 euros (deux mille cinq cent soixante quinze euros et trente centimes) au titre de l’année 2020,
le tout avec intérêts au taux légal à compter du 13 octobre 2020 ;
Ajoutant au jugement déféré,
CONDAMNE la société Advenis gestion privée aux dépens d’appel ainsi qu’à payer à Mme [T] [R] une indemnité de 3 000 euros (trois mille euros), par application de l’article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande à ce titre.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 25 mars 2025, signé par Monsieur Emmanuel Robin, Président de Chambre et Madame Claire Bessey, Greffier.
Le Greffier, Le Président,
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