Licenciement contesté et droit à la santé en entreprise

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Licenciement contesté et droit à la santé en entreprise

Le licenciement d’un salarié est nul s’il est prononcé en violation d’une liberté fondamentale, telle que le droit d’ester en justice ou la liberté d’expression, conformément à l’article L.1235-3-1 du Code du travail, qui stipule que le licenciement est nul en cas de violation d’une liberté fondamentale. De plus, l’article L.1121-1 du même code précise que toute restriction aux droits des personnes et aux libertés individuelles doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’article L.1235-3 du Code du travail prévoit que le juge peut ordonner la réintégration du salarié ou, si cette dernière est refusée, accorder une indemnité dont le montant est déterminé en fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise. Les articles 10 de la Convention n°158 de l’OIT et L.1235-4 du Code du travail garantissent également une indemnisation adéquate en cas de licenciement injustifié.

L’Essentiel : Le licenciement d’un salarié est nul s’il viole une liberté fondamentale, comme le droit d’ester en justice ou la liberté d’expression. L’article L.1121-1 du Code du travail exige que toute restriction aux droits des personnes soit justifiée et proportionnée. En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge peut ordonner la réintégration du salarié ou accorder une indemnité, déterminée selon l’ancienneté et la taille de l’entreprise. Des dispositions garantissent également une indemnisation adéquate en cas de licenciement injustifié.
Résumé de l’affaire :

Exposé du Litige

La salariée a été embauchée par la société employeur en décembre 1992. Suite à une acquisition partielle, un contrat à durée indéterminée a été signé avec la nouvelle société en janvier 2012, avec reprise d’ancienneté. La société employeur, active dans les systèmes d’information, employait plus de 220 salariés sur plusieurs sites.

Contexte de Licenciement

En septembre 2018, la société a annoncé la fermeture de certaines activités, entraînant la fermeture de sites et la mise en œuvre d’une gestion active de l’emploi. Un repreneur a été identifié fin 2018, mais la salariée a été placée en arrêt de travail pour dépression en mai 2019. Des collègues ont dénoncé des faits de harcèlement managérial en juin 2019.

Procédures Judiciaires

La salariée a saisi le conseil de prud’hommes en juin 2019 pour résiliation judiciaire et reconnaissance de harcèlement moral. En septembre 2019, le repreneur a renoncé à la cession. Après plusieurs tentatives de reclassement, la salariée a été licenciée en décembre 2020, invoquant l’impossibilité de maintenir son contrat de travail.

Jugement du Conseil de Prud’hommes

En mai 2021, le conseil de prud’hommes a rejeté la demande de résiliation judiciaire et a déclaré qu’il n’y avait pas de harcèlement moral. En janvier 2023, le conseil a statué que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, mais a reconnu une violation du droit à la santé, condamnant la société à verser des dommages et intérêts.

Appel de la Salariée

La salariée a interjeté appel en mars 2023, demandant la confirmation des dommages pour violation du droit à la santé et la nullité de son licenciement. Elle a également demandé des indemnités d’éviction et des dommages pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Réponse de la Société Employeur

La société a soutenu que le licenciement était justifié par des motifs économiques et a demandé la confirmation du jugement de janvier 2023. Elle a contesté les demandes de la salariée, arguant que le licenciement ne reposait pas sur des griefs liés à la liberté d’expression ou à l’ester en justice.

Décision de la Cour

La cour a infirmé le jugement de janvier 2023 concernant la cause réelle et sérieuse du licenciement, condamnant la société à verser des dommages pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle a également ordonné le remboursement des indemnités de chômage versées à la salariée et a statué sur les intérêts et les dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique du licenciement contesté par la salariée ?

Le licenciement contesté par la salariée repose sur l’article L.1235-3 du Code du travail, qui stipule que le licenciement d’un salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsque celui-ci ne repose pas sur des motifs justifiés.

En l’espèce, la société Ineo Energy & Systems a invoqué l’impossibilité de maintenir le contrat de travail en raison de l’arrêt de l’activité Oil & Gas et de la fermeture du site de [Localité 8]. Cependant, cette justification n’est pas considérée comme un licenciement économique au sens de l’article L.1233-3, qui définit le licenciement économique comme étant celui résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification du contrat de travail pour des motifs non inhérents à la personne du salarié.

Ainsi, le licenciement de la salariée est jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse, car la société n’a pas apporté d’éléments probants concernant la cause économique de la rupture.

Quel est le statut juridique de la violation du droit à la santé dans ce litige ?

La violation du droit à la santé est encadrée par l’article L.1232-1 du Code du travail, qui impose à l’employeur de protéger la santé physique et mentale de ses salariés. En l’espèce, la salariée a été reconnue en arrêt de travail pour dépression, et la caisse primaire d’assurance maladie a pris en charge sa pathologie au titre de la législation sur les risques professionnels.

Le jugement du conseil de prud’hommes a alloué à la salariée une somme de 17.000 euros pour la violation de son droit à la santé, en raison des conditions de travail qui ont contribué à sa dépression. Cette décision est confirmée par la cour, qui souligne que la salariée a subi un préjudice en raison de l’absence de mesures adéquates de la part de l’employeur pour protéger sa santé.

Quel est l’impact de la procédure prud’homale sur le licenciement ?

L’article L.1121-1 du Code du travail stipule que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir. En cas de licenciement, si celui-ci est prononcé en réaction à une action en justice introduite par le salarié, il est considéré comme nul.

Dans ce cas, la lettre de licenciement mentionne une procédure en cours devant le conseil de prud’hommes, mais ne l’associe pas à un grief ou reproche. Par conséquent, la cour conclut que le licenciement n’est pas nul pour ce motif, car il n’y a pas de lien direct entre la procédure et la décision de licenciement.

Quel est le rôle des accords collectifs dans la gestion de l’emploi ?

Les accords collectifs, tels que ceux mentionnés dans l’article L.1224-1 du Code du travail, régissent la gestion de l’emploi au sein d’une entreprise. Dans ce litige, la société a mis en œuvre un dispositif de gestion active de l’emploi (GAE) pour accompagner les salariés dans le cadre de la fermeture de l’activité Oil & Gas.

Cependant, la cour a noté que la salariée n’a pas adhéré aux dispositifs proposés, tels que le congé de mobilité, et n’a pas participé activement aux processus de reclassement. Cela a été pris en compte dans l’évaluation de la cause du licenciement, qui a été jugée non justifiée par des éléments concrets de réorganisation ou de sauvegarde de la compétitivité.

Quel est le montant des dommages et intérêts accordés à la salariée ?

En application de l’article L.1235-3 du Code du travail, la cour a accordé à la salariée la somme de 86.400 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ce montant est déterminé en tenant compte de l’ancienneté de la salariée, de sa rémunération mensuelle brute, ainsi que des circonstances entourant la rupture de son contrat de travail.

La cour a également confirmé l’allocation de 17.000 euros pour violation du droit à la santé, soulignant que la salariée a subi un préjudice en raison de l’absence de protection adéquate de sa santé par l’employeur. Les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui en fixe le quantum, conformément à l’article 1231-7 du Code civil.

TP/AP

Numéro 25/620

COUR D’APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 27/02/2025

Dossier : N° RG 23/00856 – N° Portalis DBVV-V-B7H-IPLI

Nature affaire :

Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail

Affaire :

[J] [R]

C/

S.N.C. INEO ENERGY & SYSTEMS

Grosse délivrée le

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 27 Février 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 11 Décembre 2024, devant :

Madame CAUTRES-LACHAUD, Président

Madame SORONDO, Conseiller

Mme PACTEAU, Conseiller

assistées de Madame LAUBIE, Greffière.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l’affaire opposant :

APPELANTE :

Madame [J] [R]

née le 03 Avril 1975 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Pierre SANTI de la SELARL DARMENDRAIL/SANTI, avocat au barreau de PAU

INTIMEE :

S.N.C. INEO ENERGY & SYSTEMS Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés es qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Arnaud LEBIGRE de la SELARL LEBIGRE, avocat au barreau de ROUEN

sur appel de la décision

en date du 13 JANVIER 2023

rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE PAU

RG numéro : 21/00195

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [J] [R] a été embauchée à compter du 3 décembre 1992, par la société ACM.

A la suite d’une acquisition partielle des actifs de cette dernière par la SNC Inéo Energy & Systems, Mme [R] a conclu un contrat à durée indéterminée avec cette dernière le 1er janvier 2012, avec reprise d’ancienneté à la date d’embauche par la société ACM Services.

La société Inéo Energy & Systems a pour activité la conception, la réalisation, l’installation et le maintien des systèmes d’information et de communication dans les domaines de l’aéronautique, pétrolier, de la sécurité intérieure et des infrastructures critiques, en France mais aussi à l’export, notamment en Afrique et en Amérique.

La société employait plus de 220 salariés répartis sur 4 sites, [Localité 12], son siège, [Localité 6], [Localité 9] et [Localité 11].

Mme [J] [R] travaillait au poste d’adjointe responsable établissement, statut cadre, au sein du département infrastructures sur le site de [Localité 9].

La relation de travail était soumise à la convention collective des cadres des travaux publics.

Le 12 septembre 2018, la société a informé le comité d’entreprise de la décision d’arrêter l’activité Oil & Gas et, dans ce cadre, de fermer à terme le site de [Localité 8] ([Localité 9]) qui occupait 15 personnes ainsi qu’une partie du site de [Localité 12] à hauteur de 9 personnes.

Il était par ailleurs annoncé aux élus que la «’gestion active d’emploi’» serait mise en ‘uvre au sein de l’UES Engie Ineo, orientée dans un premier temps vers un reclassement interne, puis, dans un second temps, vers une mobilité externe.

Fin 2018, un repreneur, le groupe Snef, a été identifié.

Mme [R] a été placée en arrêt de travail le 28 mai 2019, lequel fut prolongé à plusieurs reprises et de manière continue pendant 18 mois pour dépression. La caisse primaire d’assurance maladie décidera, le 8 février 2021, de prendre en charge cette maladie au titre de la législation sur les risques professionnels. Un recours est actuellement pendant devant le pôle social du tribunal judiciaire de [Localité 8] à l’initiative de la société Inéo Energy et Systems aux fins d’annulation de cette décision.

Le 14 juin 2019, 5 collègues de Mme [R] ont adressé un courrier à M. [E], directeur délégué de la société Inéo Energy & Systems, pour dénoncer des faits de harcèlement et de maltraitance managériale et exprimer leur refus du transfert au sein du groupe SNEF.

Le 21 juin 2019, Mme [R] a saisi le conseil de Prud’hommes de Pau de demandes de résiliation judiciaire du contrat de travail et de reconnaissance d’une situation de harcèlement moral.

En septembre 2019, la société SNEF a renoncé à la cession envisagée.

Le processus de Gestion active d’emploi a donc été réactivé et des négociations ont été mises en place d’abord pour un dispositif de rupture conventionnelle collective qui n’a pas abouti puis la mise en ‘uvre d’un dispositif de congé mobilité, auquel les salariés n’ont pas adhéré.

Après avoir été convoquée par courrier du 7 décembre 2020 à un entretien préalable fixé au 17 décembre suivant, Mme [R] a été licenciée par courrier du 21 décembre 2020 qui, après avoir détaillé la chronologie depuis l’annonce du 12 septembre 2018, concernant l’arrêt de l’activité Oil & Gas ainsi que la fermeture du site de [Localité 8] dédié à cette activité, était conclu comme suit’:

«’Ainsi, en raison de l’arrêt de l’activité de l’agence de [Localité 9], il apparait que le maintien de votre contrat de travail s’avère impossible malgré toutes les mesures et actions mises en ‘uvre par l’entreprise depuis sa prise de décision : accompagnement en repositionnement interne, mise en ‘uvre d’un projet de cession, dispositif de congé de mobilité, ultime phase de repositionnement interne Groupe.

Nonobstant l’absence de cause économique au sens du Code du Travail, nous ne pouvons maintenir plus longtemps les termes de notre relation contractuelle sauf à adopter un comportement fautif consistant à vous maintenir artificiellement en poste sans plus pouvoir vous fournir de travail.

Il nous appartient donc de prendre l’initiative de la rupture de votre contrat de travail.

En conséquence, nous sommes au regret de vous notifier par la présente votre licenciement à raison de l’impossibilité dans laquelle nous nous trouvons, après mise en ‘uvre de l’accord GAEC de VUES INEO, des accords locaux des 19 et 22 juin 2020 et tentatives de reclassement, de maintenir votre contrat de travail suite à la décision de l’arrêt de nos activités Oil & Gas et la fermeture de l’agence de [Localité 9]’».

Par jugement du 10 mai 2021, le conseil de prud’hommes de Pau, statuant sur la requête déposée le 21 juin 2019, a dit n’y avoir lieu à résiliation judiciaire du contrat de travail et qu’il n’y a pas, à date de l’audience de Jugement du 8 juin 2020, de situation de harcèlement moral caractérisée.

Suivant requête déposée au greffe le 23 juin 2021, Mme [J] [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Pau (section encadrement) aux fins de contester son licenciement.

D’autres salariés avaient saisi le conseil de prud’hommes de Pau (section industrie) d’une contestation de leur licenciement, lequel a statué en formation de départage le 26 avril 2021, par jugements aujourd’hui définitifs qui ont déclaré sans cause réelle et sérieuse lesdits licenciements.

Par jugement du 13 janvier 2023, le conseil de prud’hommes de Pau, section encadrement, a statué comme suit concernant Mme [R]’:

– dit que le licenciement de Mme [J] [R] repose sur une cause réelle et sérieuse.

– dit qu’il y a eu violation du droit à la santé,

– condamné la société Ineo Energy & Systems Snc à verser à Mme [J] [R]’:

‘ 17.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation du droit à la santé,

‘ 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– rappelé que l’exécution provisoire est de droit pour les condamnations de remise de documents que l’employeur est tenu de délivrer et celles en paiement de créances salariales ou assimilées dans la limite de neuf mois de salaire calculée sur la moyenne des trois derniers mois de salaire (article R. 1454-28 du code du travail),

– dit qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire pour le surplus,

– rappelé que les intérêts légaux courent à compter de la saisine de la juridiction soit le 23 juin 2021, en matière de rémunération et à compter de la date de prononcé du présent jugement pour les dommages et intérêts,

– débouté Mme [J] [R] de ses autres demandes,

– débouté la société Ineo Energy & Systems Snc de ses autres demandes et l’a condamné aux entiers dépens.

Le 23 mars 2023, Mme [J] [R] a interjeté appel du jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

Dans ses conclusions n°2 adressées au greffe par voie électronique le 10 juillet 2023 auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, Mme [J] [R] demande à la cour de’:

– Confirmer le jugement en ce qu’il a alloué 17.000 euros de dommages-intérêts pour violation du droit à la santé et 1.200 euros au titre des frais irrépétibles de première instance sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– Infirmer le jugement pour le surplus,

– Statuer à nouveau sur toutes les demandes,

– Débouter l’intimée de son appel incident, de toutes ses demandes, fins et conclusions.

– A titre principal : prononcer la nullité du licenciement et la réintégration, de droit, au poste sur le site de [Localité 9], ou, subsidiairement, sur le site le plus proche géographiquement dudit site, ou, subsidiairement, son absence de cause réelle et sérieuse,

– Condamner en conséquence Ineo Energy & Systems à payer 212.707,68 euros d’indemnité d’éviction, outre 24.494 euros de congés afférents, si la réintégration intervient le 21 décembre 2024, quatre ans, jour pour jour, après le licenciement,

– Sommes à parfaire en fonction de la date de réintégration effective,

– Avec intérêts au taux légal à compter de la saisine, au fur et à mesure, de leur exigibilité, mois par mois, outre la capitalisation,

– Enjoindre à l’employeur, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, d’émettre les bulletins de paie et l’attestation d’employeur destinée à pôle emploi, rectifiés et se réserver la faculté de liquider l’astreinte,

– Subsidiairement, condamner l’intimée à verser 125.000 euros de dommages-intérêts en l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en écartant le barème, ou, encore plus subsidiairement, 88.628,20 euros en application de l’article L.1235-3 du Code du travail,

– En tout état de cause : la condamner à verser :

‘ 17.000 euros de dommages-intérêts sur le fondement du principe constitutionnel du droit à la santé, ou subsidiairement, pour exécution déloyale du contrat de travail,

‘ 4.500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– La condamner aussi à rembourser les indemnités chômage à Pôle emploi dans la limite légale,

– Frapper les condamnations des intérêts au taux légal depuis la saisine du Conseil de prud’hommes et faire application des dispositions de l’article 1343-2 du Code civil autorisant la capitalisation des intérêts.

– Condamner Ineo Energy & Systems aux entiers dépens.

Dans ses conclusions récapitulatives et responsives adressées au greffe par voie électronique le 24 juillet 2023 auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, la société Ineo Energy & Systems demande à la cour de’:

A titre principal :

– Dire que le licenciement de Mme [R] repose sur une cause réelle et sérieuse au sens du droit interne et, subsidiairement, qu’il repose sur un « motif valable » au sens de l’article 4 de la Convention OIT n°158,

– Dire que le licenciement ne repose sur aucun grief visant soit la liberté d’expression du salarié, soit son droit d’ester en Justice,

– Dire que le lien entre le caractère contemporain du licenciement et l’exercice allégué du droit d’ester en justice ou de la liberté d’expression n’est pas rapporté,

– Constater que les moyens de nullité tirés de la liberté d’expression et du droit d’ester en Justice sont irrecevables car ne visant qu’à contourner l’autorité de la chose jugée attachée au Jugement du Conseil de Prud’hommes de Pau, en date du 10 mai 2021, conformément à l’article 1355 du Code Civil,

– Déclarer irrecevables sur le fondement de l’article 1355 du Code Civil, les demandes indemnitaires présentées, à titre principal au titre de la violation du droit à la santé et subsidiairement, au titre de l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail.

En conséquence :

– Confirmer le Jugement du Conseil de Prud’hommes de Pau, section Encadrement, en date du 13 janvier 2023, en ce qu’il a «’dit que le licenciement de Mme [R] repose sur une cause réelle et sérieuse’» et l’infirmer pour le surplus,

En conséquence et statuant à nouveau’:

– Débouter purement et simplement Mme [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– Le condamner au versement d’une somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’instance.

A titre subsidiaire :

En cas de nullité du licenciement à raison de l’exercice d’une liberté fondamentale :

– Ordonner une compensation de l’indemnité d’éviction avec l’indemnité de licenciement versée à Mme [R] (65.820,09 euros),

– Dire que le salaire de Mme [R] a été maintenu jusqu’au 22 mars 2021,

– Rappeler que la réintégration ne pourra être réalisée sur le site de [Localité 9] qui a été fermé,

– Déclarer irrecevables car prescrites sur le fondement de l’article L 1471-1 du Code du Travail, les demandes indemnitaires présentées, à titre principal au titre de la violation du droit à la santé et subsidiairement, au titre de l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail,

– Débouter Mme [R] du surplus de ses demandes.

A titre infiniment subsidiaire :

– Limiter le quantum des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à trois mois de salaire, soit 13.294,23 euros,

– Déclarer irrecevable la demande formulée par Mme [R] pour le compte de Pôle Emploi,

– Constater le caractère non définitif de la décision implicite de rejet de la Commission de Recours Amiable de la CPAM de [Localité 8] emportant confirmation de la décision de la CPAM de [Localité 8], en date du 8 février 2021, notifiée le 28 avril 2021, de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de Mme [J] [R] du 28 mai 2019 et, en conséquence, soit l’écarter des débats, soit prononcer un sursis à statuer dans l’attente d’une décision définitive sur le caractère professionnel ou non de la pathologie de Mme [R],

En tout état de cause’:

– Constater le caractère infondé et injustifié des demandes indemnitaires présentées, à titre principal au titre de la violation du droit à la santé et subsidiairement, au titre de l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail et, en conséquence, en débouter Mme [R].

L’ordonnance de clôture est intervenue le 12 novembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

[J] [R] soutient que son licenciement est nul pour avoir été prononcé en violation du droit constitutionnel d’ester en justice et du droit fondamental à la liberté d’expression.

La société Ineo Energy & Systems lui oppose l’absence de grief contaminant au sein de la lettre de licenciement et que celui-ci est intervenu pour une cause réelle et sérieuse, sui generis, comme fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise tel que le permet la convention n°158 de l’organisation internationale du travail (OIT). Elle soulève également l’irrecevabilité des moyens de nullité du licenciement soulevés par la salariée, estimant qu’ils ne visent qu’à contourner l’autorité de la chose jugée du jugement du conseil de prud’hommes de [Localité 8] en date du 10 mai 2021.

Sur ce,

Il sera au préalable rappelé que, par jugement définitif du 10 mai 2021, le conseil de prud’hommes de Pau a rejeté la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [R]. Cette dernière ne remet pas en question ce dispositif du jugement dans la présente instance qui ne porte donc pas atteinte à l’autorité de la chose jugée sur ce point.

La société Ineo Energy & Systems ne développe pas, dans ses écritures, l’irrecevabilité soulevée dans son dispositif relative aux moyens de nullité invoqués par Mme [R]. Au demeurant, cette irrecevabilité ne concerne pas un chef de la décision.

De plus, il sera étudié ci-après que Mme [R] soulève ces moyens en raison des termes employés dans la lettre de licenciement, c’est-à-dire pour un fait intervenu après l’audience qui a donné lieu au jugement du 10 mai 2021.

Au sujet de ces moyens, il sera relevé que, en application de l’article L.1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché, et, suivant l’article L.1235-3-1 du même code, est nul le licenciement prononcé en violation d’une liberté fondamentale.

La qualification de liberté fondamentale est reconnue notamment au droit à un recours juridictionnel en vertu de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et à la liberté d’expression, protégée par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Un licenciement notifié à un salarié en réaction à une action en justice introduite ou susceptible d’être introduite par le salarié est nul.

De la même manière, le licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif de sa liberté d’expression est nul.

Toutefois, pour avoir un effet contaminant, c’est-à-dire entraîner la nullité du licenciement sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres motifs invoqués par l’employeur, l’atteinte au droit d’ester en justice ou à la liberté d’expression doit résulter expressément de la lettre de licenciement comme étant l’un des griefs ayant fondé le licenciement.

Or, en l’espèce, la lettre de licenciement, dont les termes fixent les limites du litige, était rédigée comme suit’:

« Madame,

Vous avez été convoquée par courrier en date du 07 décembre 2020 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 17 décembre 2020 auquel vous ne vous êtes pas présentée.

Nous sommes au regret de vous informer par la présente que nous avons décidé de vous licencier compte tenu de l’impossibilité dans laquelle nous nous trouvons de maintenir votre contrat de travail.

En effet, le 12 septembre 2018, nous avons annoncé aux élus du Comité d’Entreprise l’arrêt de l’activité Oil & Gas ainsi que la fermeture du site de [Localité 8], dédié à cette activité, au sein duquel vous exercez votre prestation de travail. En conséquence de cette annonce, nous avons assuré depuis cette date, l’exécution des contrats commerciaux en cours jusqu’à leurs termes sans les renouveler.

L’arrêt de cette activité ainsi que la fermeture de l’agence de [Localité 8] ne reposent pas sur des motivations économiques, au sens du droit du travail, mais sont liés à une décision de se désengager de marchés ne s’inscrivant plus dans la stratégie de la Direction Déléguée au regard de l’absence de réelles perspectives de développement sur l’activité O&G, et ce dans un contexte de fort repli du baril de pétrole qui a conduit à un gel des projets pétroliers. Au cours de cette même réunion avec les représentants du personnel, nous avons annoncé que les salariés concernés sur les deux établissements de [Localité 8] et [Localité 12] «’entreront en GAEC » et bénéficieront donc des dispositions de l’accord relatif à la gestion de l’emploi et des compétences au sein de l’UES ENGIE INEO.

Cette mise en ‘uvre de la « Gestion Active d’Emploi » se déroule en deux phases : une première d’une durée minimale de trois mois reconductible dédiée au reclassement interne et une seconde ouverte et orientée vers une mobilité externe.

A partir de fin 2018, un repreneur de l’activité Oil & Gas ‘ le groupe SNEF ‘ a été identifié.

Le Comité d’Entreprise a ainsi été consulté sur cette opération de cession partielle d’activité, le 7 mars 2019. Cette opération emportant application des dispositions de l’article L 1224-1 du Code du Travail, tous les salariés affectés à l’activité auraient donc été repris de plein droit par le groupe SNEF et les emplois ainsi préservés. Le dispositif de GAE, alors en phase 1, a donc été suspendu.

Après de multiples négociations, le groupe SNEF renoncera à cette cession par courrier en date du 6 septembre 2019. Ce refus était motivé comme suit « l’opposition d’un certain nombre de salariés à un transfert au sein du groupe SNEF avec des risques sociaux professionnels et juridiques élevés que notre groupe ne peut accepter’». Vous figuriez alors au rang des salariés ayant marqué leur opposition au projet de transfert des contrats de travail.

Le processus de GAE a donc été réactivé en l’état où il a été suspendu soit en phase 1 pour une période fixée du 19 septembre 2019 au 4 novembre 2019.

Nous avons alors, en sus de l’accompagnement constant dès 2018 du Cabinet Right Management, décidé d’affecter un manager de transition, Monsieur [M], dans les locaux de [Localité 8] afin d’assurer une présence managériale continue sur site et vous accompagner dans le cadre des repositionnements individuels.

En parallèle de ces actions menées aux fins de repositionnement en interne, l’ouverture de la phase 2 de la GAE a été initiée après information des instances du personnel, en novembre 2019.

Cette étape permettant la mise en ‘uvre de départs externes au Groupe via la signature d’un accord local prévu par l’accord GAEC de l’UES INEO (dispositif de Rupture Conventionnelle Collective/ congé de mobilité).

Les négociations se sont ouvertes le 14 novembre 2019 avec au terme de cette réunion le constat de l’impossibilité de conclure un accord majoritaire sur un dispositif de rupture conventionnelle collective.

Face à l’arrêt de cette négociation, il a été décidé, en accord avec l’ensemble des parties, d’organiser une réunion avec les Délégués Syndicaux centraux et locaux pour étudier les conditions possibles et adaptées de mise en ‘uvre uniquement du congé de mobilité prévues par l’accord GAEC de LUES.

Dans ce cadre, des réunions de négociations se sont déroulées le 22 janvier, ainsi que les 12 et 28 février 2020. Une réunion dédiée à la présentation du dispositif de congé de mobilité défini par l’accord GAEC a par ailleurs été organisée, ce qui a permis de poser le cadre de la négociation des mesures d’accompagnement.

Aux termes de ces négociations, deux accords ont été régulièrement signés, les 19 et 22 juin 2020, à l’unanimité des délégués syndicaux d’établissement représentants les syndicats CGT, CFDT et CFE/CGC :

Un accord local d’adhésion au dispositif de congé mobilité de l’UES ENGIE INEO au sein de Energy & Systems pour le site de [Localité 9] ‘ [Localité 8] (UES INEO).

Un accord relatif aux mesures complémentaires d’accompagnement INEO Energy & Systems pour le site de [Localité 9] ‘ [Localité 8].

Vous aviez la possibilité de vous inscrire dans le dispositif de congé mobilité jusqu’au 31 juillet dernier, ce délai pouvant être prorogé pour les besoins de constitution de votre projet professionnel au 31 août dernier.

A cet effet, comme lors de la première phase de la GAE, nous avons mis à votre disposition le Cabinet Right Management pour vous accompagner dans les différentes démarches nécessaires à la constitution de votre projet.

Nous constatons que vous n’avez pu ou souhaité vous inscrire dans ce dispositif conventionnel.

Nous relevons enfin que vous êtes en arrêt en maladie depuis le 28 mai 2019 et que vous n’avez pu ou voulu vous inscrire activement dans ces différents processus sauf à solliciter en juin dernier une simulation personnalisée et détaillée des indemnités susceptibles de vous être allouées dans le cadre du congé mobilité. À la suite de cette demande, il ne semble pas que vous vous soyez rapprochée du Cabinet Right Management pour construire un projet professionnel.

Dans ce contexte, ne pouvant maintenir en l’état notre relation contractuelle au sein de l’agence de [Localité 9], nous avons poursuivi nos recherches de reclassement en interne et identifié les postes ci-dessous correspondant à votre profil professionnel que nous vous avons proposé par courrier en date du 9 novembre dernier accompagnés des descriptifs d’emploi :

– Adjoint Responsable Comptable (H/E) ‘ société Global Business Services- [Localité 11] (Occitanie) – CSP00000279

– Contrôleur de gestion (H/F) ‘ société TEKSIAL ‘ [Localité 5] (Ile de France) – TEK00000179

– Contrôleur de Gestion (H/F) ‘ société CRIGEN ‘ [Localité 10] (Ile de France) – CR100000292

Nous vous rappelions alors que vous conserviez la possibilité de consulter la liste des postes vacants en interne via https://jobs.engie.com/ et de vous positionner si l’un d’eux venait à susciter votre intérêt.

Nous vous indiquions enfin que, dans le cadre d’une ultime phase, nous allions interroger directement les sociétés de notre Groupe afin de savoir si votre profil pouvait correspondre, selon leur appréciation, à des postes ouverts qui ne vous auraient pas été proposés ou à des postes non encore ouverts au recrutement.

A cet effet et pour optimiser nos recherches, nous vous demandions de nous retourner le formulaire de recherche de reclassement, pré rempli en l’état des informations dont nous disposions sur votre profil (compétences, mobilité, intitulé de votre poste…), le cas échéant modifiable par vos soins.

Par courrier en date du 17 novembre dernier, vous vous étonniez de la teneur de notre courrier du 09 novembre 2020 en rappelant la procédure Prud’hommes en cours. Il apparaissait donc que vous refusiez les solutions de reclassement proposées ci-dessus.

Vous n’avez pas non plus souhaité nous retourner le formulaire de recherche de reclassement destiné à personnaliser les recherches de reclassement.

Dans ces conditions, après consultation de l’ensemble des sociétés du Groupe ENGIE, nous vous transmis par courrier en date du 30 novembre 2020, les postes suivants (accompagnés des descriptifs d’emploi), pour lesquels, vous n’avez pas jugé nécessaire de nous répondre :

– Contrôleur de gestion (H/F) ‘ société AXIMA ‘ [Localité 6] (Ile de France) – ENG00037681

Ainsi, en raison de l’arrêt de l’activité de l’agence de [Localité 9], il apparait que le maintien de votre contrat de travail s’avère impossible malgré toutes les mesures et actions mises en ‘uvre par l’entreprise depuis sa prise de décision : accompagnement en repositionnement interne, mise en ‘uvre d’un projet de cession, dispositif de congé de mobilité, ultime phase de repositionnement interne Groupe.

Nonobstant l’absence de cause économique au sens du Code du Travail, nous ne pouvons maintenir plus longtemps les termes de notre relation contractuelle sauf à adopter un comportement fautif consistant à vous maintenir artificiellement en poste sans plus pouvoir vous fournir de travail.

Il nous appartient donc de prendre l’initiative de la rupture de votre contrat de travail.

En conséquence, nous sommes au regret de vous notifier par la présente votre licenciement à raison de l’impossibilité dans laquelle nous nous trouvons, après mise en ‘uvre de l’accord GAEC de VUES INEO, des accords locaux des 19 et 22 juin 2020 et tentatives de reclassement, de maintenir votre contrat de travail suite à la décision de l’arrêt de nos activités Oil & Gas et la fermeture de l’agence de [Localité 9].

Nous vous informons que nous vous dispensons de l’exécution de votre préavis de trois mois qui court à compter de la première présentation de la présente.

Votre rémunération vous sera intégralement versée aux échéances habituelles de paie ».

Il ressort des termes même de ce courrier qu’il est certes fait état d’une procédure en cours devant le conseil de prud’hommes mais à l’occasion de la reprise de propos tenus par Mme [R] elle-même dans son courrier du 17 novembre 2020. Or, les «’références’» à une action en justice visées par la jurisprudence de la cour de cassation qu’invoque la salariée sont immédiatement suivies de la notion de «’reproche’» ou «’grief’» laissant entendre que le simple fait de reprocher, sans plus d’explication, l’action en justice introduite par un salarié ou susceptible d’être introduite par lui constitue un motif de nullité contaminant, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la mention de la procédure prud’homale en cours n’est ici pas accolée à un grief ou un reproche.

Mme [R] estime par ailleurs que son licenciement a été prononcé, au moins en partie, en raison de l’exercice par elle de sa liberté d’expression à la lecture du paragraphe suivant’: «’Après de multiples négociations, le groupe SNEF renoncera à cette cession par courrier en date du 6 septembre 2019. Ce refus était motivé comme suit « l’opposition d’un certain nombre de salariés à un transfert au sein du groupe SNEF avec des risques sociaux professionnels et juridiques élevés que notre groupe ne peut accepter’». Vous figuriez alors au rang des salariés ayant marqué leur opposition au projet de transfert des contrats de travail.’»

Ce texte est énoncé dans la chronologie qui a conduit l’employeur à rompre le contrat. Il n’est nullement fait référence aux propos tenus par Mme [R] en tant que grief reproché à cette dernière.

Dès lors, aucune nullité du licenciement n’est encourue pour avoir été prononcé expressément en rétorsion à une action en justice ou en réponse aux propos tenus par Mme [R].

Il y a donc lieu de rechercher si la cause invoquée par l’employeur est réelle et sérieuse.

Aux termes de la lettre de licenciement tels que repris ci-dessus, il appert que Mme [R] a été licenciée pour le motif suivant’selon la société Inéo Energy & Systems : «’l’impossibilité dans laquelle nous nous trouvons, après mise en ‘uvre de l’accord GAEC de l’UES INEO, des accords locaux des 19 et 22 juin 2020 et tentatives de reclassement, de maintenir votre contrat de travail suite à la décision de l’arrêt de nos activités Oil & Gas et la fermeture de l’agence de [Localité 9]’». Selon l’intimée, il ne s’agit pas d’un licenciement économique. Elle indique en effet expressément’: «’Nonobstant l’absence de cause économique au sens du Code du Travail, nous ne pouvons maintenir plus longtemps les termes de notre relation contractuelle sauf à adopter un comportement fautif consistant à vous maintenir artificiellement en poste sans plus pouvoir vous fournir de travail’».

Pourtant, si l’on excepte l’hypothèse particulière du licenciement prévu par l’article L.2254-2 du code du travail dans le cas du refus opposé par un salarié à la modification de son contrat de travail résultant de l’application d’un accord de performance collective, le code du travail prévoit deux types de licenciements’:

– le licenciement pour un motif inhérent à la personne, disciplinaire ou non disciplinaire comme peut l’être le licenciement pour inaptitude physique, causé par un motif qui touche bien la personne du salarié ;

– le licenciement pour motif économique défini comme suit par l’article L.1233-3 du code du travail’: constitue un’licenciement’pour motif économique le’licenciement’effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Par ailleurs, le code du travail, dans son article L.1222-6, prévoit une procédure particulière en cas de modification du contrat de travail d’un salarié pour le seul motif économique.

Il énonce ainsi’que, lorsque l’employeur envisage la modification d’un élément essentiel du contrat de travail pour l’un des motifs économiques énoncés à L. 1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception.

La lettre de notification informe le salarié qu’il dispose d’un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. Le délai est de quinze jours si l’entreprise est en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire.

A défaut de réponse dans le délai d’un mois, ou de quinze jours si l’entreprise est en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée

Or, le contrat de travail ne peut être modifié sans l’accord du salarié. Dès lors, en cas de refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail proposée pour motif économique, l’employeur ne peut que poursuivre le contrat de travail aux conditions initiales ou diligenter une procédure de’licenciement, le salarié étant fondé à exiger la poursuite du contrat aux conditions initiales et ne pouvant être tenu d’exécuter le contrat de travail aux conditions unilatéralement modifiées par l’employeur.

Quand l’employeur décide d’engager une procédure de’licenciement, la lettre de’licenciement’doit énoncer les raisons ayant conduit l’employeur à proposer la modification du contrat et le fait que le’licenciement’intervient à la suite du refus par le salarié de la modification de son contrat de travail. Il appartient ensuite au juge du fond de vérifier, non la légitimité de ce refus, mais le caractère réel et sérieux du motif économique invoqué et de son incidence sur l’emploi du salarié.

Enfin, il convient de rappeler que si l’employeur peut proposer au salarié une modification de son contrat de travail pour un motif étranger à sa personne et ne reposant pas sur l’un des motifs économiques visés par l’article L 1233-3 du Code du travail, il doit obtenir son accord exprès, l’article L 1222-6 du Code du travail’ne s’appliquant pas en l’absence de motif économique. À défaut d’un tel accord, il ne peut pas licencier le salarié, sauf l’hypothèse particulière de la modification proposée dans le cadre d’un accord de performance collective.

Ainsi, un’licenciement’prononcé après le refus par un salarié de la modification de son contrat de travail, pour un motif non inhérent à sa personne et en dehors de tout accord de performance collective, ne peut être qu’un’licenciement’pour motif économique.

Il n’existe dès lors pas de licenciement sui generis comme l’affirme l’intimée.

En effet, sa décision de rompre le travail de Mme [R] a été motivée par l’arrêt de l’activité Oil & Gas et la fermeture du site de [Localité 8], lesquels sont consécutifs à la «’décision de se désengager de marchés ne s’inscrivant plus dans la stratégie de la Direction Déléguée au regard de l’absence de réelles perspectives de développement sur l’activité O&G, et ce dans un contexte de fort repli du baril de pétrole qui a conduit à un gel des projets pétroliers’».

Les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service qu’invoque l’intimée en les fondant sur les dispositions de la convention n°158 de l’OIT ressortent ainsi en réalité de la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, motif économique prévu par l’article L.1233-3 précité.

Or, la société Ineo Energy & Systems n’apporte aucun élément au sujet de cette cause économique du licenciement de Mme [R].

Le licenciement de cette dernière se retrouve donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Pour autant, il n’a pas été prononcé en réponse à une cause cachée qui l’entacherait de nullité, à savoir l’action prud’homale en cours ou l’expression par la salariée de son opposition à la restructuration annoncée.

En effet, le reporting du 24 juin au 7 août 2020 relatif à l’accompagnement des salariés d’Engie Ineo Energy & Systems du site de [Localité 8] fait référence aux 9 salariés encore concernés par ces mesures.

De fait, Mme [R] n’a pas été la seule salariée licenciée dans les mêmes conditions et pour le même motif économique. Lors de la réunion ordinaire du comité social et économique en date du 14 décembre 2020, il a d’ailleurs été indiqué par la direction de l’entreprise que 6 salariés étaient convoqués à l’entretien préalable au licenciement.

En conséquence de tous ces éléments, Mme [R] sera déboutée de sa demande de nullité de son licenciement et de sa demande subséquente de réintégration avec paiement d’une indemnité d’éviction.

En revanche, en application de l’article L.1235-3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise.

Pour un salarié ayant 28 années complètes d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement plus de 11 salariés, cette indemnité est comprise entre un montant minimal de 3 mois de salaire brut et un montant maximal de 19,5 mois de salaire brut.

Les dispositions ci-dessus sont compatibles avec l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail qui dispose que, si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le’licenciement’est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le’licenciement’et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

En effet, les dispositions des’articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de’licenciement’injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls, le’barème’ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l »indemnisation’de la perte injustifiée de l’emploi.

Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions précitées de l’article L. 1235-4 du code du travail.

Les dispositions des’articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail’sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158’de l’OIT.

Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail’sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la convention précitée.

Par ailleurs, les dispositions de l’article L.1235-3 précité ne peuvent faire l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui n’est pas d’effet direct en droit interne.

En conséquence, compte tenu de la rémunération mensuelle brute perçue par Mme [R], de son ancienneté au sein de l’entreprise, de son âge, 45 ans au moment de son licenciement, ainsi que de sa situation personnelle et sociale justifiée au dossier, mais également des circonstances entourant la rupture du contrat de travail, il y a lieu de lui allouer la somme de 86.400, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur la violation du droit à la santé

[J] [R] demande la confirmation du jugement déféré qui lui a alloué la somme de 17.000 euros à titre de dommages et intérêts pour la violation du droit à la santé.

Elle sollicite également une nouvelle somme de 17.000 euros en réparation du préjudice causé par la violation du droit à la santé, exposant qu’elle a subi un nouveau dommage à la suite de faits survenus postérieurement à la date de la première procédure.

Or, le jugement querellé qui a alloué à Mme [R] la somme de 17.000 euros en réparation du préjudice qu’elle a subi au titre de la violation du droit à la santé a été rendu à la suite de l’audience du 7 novembre 2022, alors que la salariée était licenciée depuis près de deux années.

Les premiers juges ont tenu compte des pièces invoquées par la salariée à nouveau en cause d’appel, à savoir l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et la décision de la caisse primaire d’assurance maladie de prendre en charge sa pathologie au titre de la législation sur les maladies professionnelles.

En l’absence d’élément nouveau depuis l’audience qui a donné lieu au jugement querellé, sa nouvelle demande de dommages et intérêts pour violation du droit à la santé sera rejetée, de même que la demande au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail qui se fonde sur les mêmes faits, lesquels ont été examinés dans le jugement déféré.

En revanche, c’est par une juste application du droit applicable et des faits qui lui étaient soumis que le conseil de prud’hommes de Pau a, dans son jugement en date du 13 janvier 2023, alloué à Mme [R] la somme de 17.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation du droit à la santé. Sa décision sera donc confirmée de ce chef.

Sur les demandes accessoires

Suivant l’article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Quand bien même Pôle Emploi, aujourd’hui France Travail, n’est pas intervenu à l’instance, la cour doit d’office statuer sur ce point, même en l’absence de demande du salarié. Cette prétention de Mme [R] n’est donc entachée d’aucune irrecevabilité.

En application des dispositions susvisées, il convient donc d’ordonner le remboursement par la société Ineo Energy & Systems des indemnités de chômage versées à Mme [R], dans la limite de six mois d’indemnités.

Les sommes allouées, de nature indemnitaire, porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui en fixe le quantum en application de l’article 1231-7 du code civil.

Il sera par ailleurs ordonné la capitalisation des intérêts échus dus au moins pour une année entière dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil.

Le jugement déféré sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

En effet, la société Ineo Energy & Systems, qui succombe principalement à l’instance, devra en supporter les entiers dépens, y compris ceux exposés devant le conseil de prud’hommes.

Elle sera en outre condamnée à payer à Mme [R] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Pau en date du 13 janvier 2023 sauf en ce qui concerne les dommages et intérêts pour violation de l’obligation de protection de la santé’;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant’:

REJETTE l’exception d’irrecevabilité des moyens de nullité du licenciement invoqués par Mme [J] [R]’ainsi que de la demande de remboursement des indemnités chômage ;

DEBOUTE Mme [J] [R] de sa demande de nullité du licenciement et des demandes subséquentes de réintégration et de paiement d’une indemnité d’éviction’;

DIT que le licenciement de Mme [J] [R] est dépourvu de cause réelle et sérieuse’;

CONDAMNE la société Ineo Energy & Systems à payer à Mme [J] [R] la somme de’86.400 euros, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse’;

DEBOUTE Mme [J] [R] de sa demande de dommages et intérêts pour violation du droit à la santé formée en cause d’appel ainsi que de sa demande subsidiaire pour exécution déloyale du contrat de travail’;

DIT que les sommes allouées, de nature indemnitaire, porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui en fixe le quantum’;

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus dus au moins pour une année entière dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil’;

CONDAMNE la société Ineo Energy & Systems à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à Mme [J] [R], du jour de son licenciement au jour de la décision prononcée, dans la limite de six mois d’indemnités’;

CONDAMNE la société Ineo Energy & Systems aux entiers dépens, y compris ceux exposés devant le conseil de prud’hommes’;

CONDAMNE la société Ineo Energy & Systems à payer à Mme [J] [R] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame CAUTRES-LACHAUD, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


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